Fiche du document numéro 1162

Num
1162
Date
Mardi 16 octobre 1990
Amj
Taille
132640
Sur titre
Témoignage
Titre
Rwanda : Les réfugiés dénoncent les massacres perpétrés par l'armée
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
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Lieu cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le premier ministre belge, M. Wilfried Martens, était attendu, lundi 15
octobre, à Nairobi (Kénya) où il doit rencontrer le président
Habyarimana, afin que soit mis fin aux tueries qui ensanglantent le nord
du Rwanda. Selon le ministre de la justice, sur les quelque deux mille
cinq cents personnes arrêtées au lendemain de l'invasion des rebelles,
plus de mille ont été relâchées.

« Les soldats sont arrivés au ranch avec une liste de noms. Ils ont
commencé à faire l'appel devant les villageois et abattaient chaque
personne qui approchait en entendant son nom. Estimant que cela allait
prendre trop de temps, ils ont fini par ouvrir le feu sur tout le monde
 », raconte Joseph Mwuvyaneza, instituteur à Gakirage.

Il a déjà dénombré près de trois cent cinquante tués pour la seule
région du Mutara (nord-est du Rwanda) en recoupant soigneusement les
témoignages des réfugiés. Il tient à jour, sur un cahier d'écolier, un
registre de toutes les arrivées. Après six heures de marche, lundi 8
octobre, Joseph a trouvé refuge en Ouganda, à quelques centaines de
mètres de la rivière marécageuse qui le sépare désormais de son pays.

Dimanche soir, l'organisation britannique Oxfam estimait le nombre de
réfugiés à quatre mille : deux mille à Kizinga et deux mille à Kamwezi,
deux villages frontaliers perdus au bout d'une mauvaise piste, à deux
heures de la route la plus proche. Quelques marmites de haricots sont
posées sur des feux. Du linge sèche sur l'herbe. Une jeune femme, assise
sous un arbre, allaite son bébé. Elle a accouché en chemin,
l'avant-veille. Son mari a été tué. Plus loin, quelques blessés
somnolent. Leurs vêtements portent encore des taches de sang, souvenirs
de coups de machette. Des familles, installées à l'ombre, attendent,
comme tous les réfugiés du monde. Les gosses traînent et gambadent un
peu partout. On aperçoit à proximité les troupeaux de ceux qui, par
miracle, ont pu les emmener.

Un camion de l'armée ougandaise arrive sur le chemin avec un chargement
de haricots et de farine de maïs. Les réfugiés manquent de tout. De
nourriture, mais également de couvertures et de médicaments. Aucun
rebelle en armes, aucun membre du « Front patriotique rwandais » pour
prendre en charge les réfugiés. Tout juste un petit détachement de
soldats ougandais qui ne « s'attendent pas à ce que les militaires
rwandais, lorsqu'ils arriveront à la frontière, bombardent les réfugiés
qui sont sous leur protection
 ».

Les témoignages des réfugiés se recoupent. Les soldats ont pénétré dans
les ranchs où sont regroupés les éleveurs pour la plupart Tutsis suivis
par les agriculteurs des villages voisins. Après que les soldats eurent
commencé de tirer, les paysans Hutus, armés de machettes et de
gourdins, se sont chargés des fuyards et des blessés.

Renforcer les divisions ethniques



Théogène, comme ses compatriotes, n'en veut pas aux rebelles qui les
ont protégés en ralentissant l'avancée des forces régulières. Ce ne
sont pas les rebelles qui sont à l'origine de leurs malheurs,
explique-t-il, mais bien le président Habyarimana qui refuse de laisser
rentrer les réfugiés, rejetés à la fois par la population ougandaise et
par l'Etat rwandais. A en croire Théogène, Hutus et Tutsis du Mutara
ont, pendant très longtemps, vécu en bonne entente. C'est l'arrivée,
dans les années 70, des Hutus originaires du Nord-Ouest, qui a ravivé
les tensions communautaires.

Lors de la mise en valeur de la région, le gouvernement a décidé de
regrouper les pasteurs Tutsis dans des « ranchs » et les paysans Hutus,
souvent déplacés de régions surpeuplées, dans des « paysannats ». Ce
qui n'a pas forcément incité les habitants à vivre en bonne harmonie.
Quoi qu'il en soit, l'armée, aujourd'hui, ne fait pas de détail. En
présumant que tous les habitants des ranchs sont des Tutsis et donc des
partisans des rebelles, elle n'aura fait que renforcer les clichés de
la division ethnique. Des pasteurs hutus en ont fait les frais, qui
figurent aujourd'hui parmi les réfugiés en Ouganda.

C'est le cas de Gervais Muzindusi, agriculteur hutu résidant dans un
paysannat, mais qui avait la chance (ou la malchance) de posséder un
petit troupeau. Ses vaches ont bien failli perdre leur maître : à cause
d'elles, il s'est vu accusé par ses voisins d'être complice des
rebelles. Attaqué à coups de machette, il a dû fuir, lui aussi. La saga
des Rwandais d'Ouganda, où on les considère toujours comme étrangers,
avait été marquée par les spectaculaires exils de 1949 et de 1973.
L'année 1990 semble devoir ouvrir un nouveau chapitre à cette tragédie.

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