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Allait-on au devant de complications diverses si le Burundi et le
Rwanda, jadis réunis sous une même tutelle belge, avaient décidé de
célébrer, séparément et en grande pompe, le 1er juillet, le
vingt-cinquième anniversaire de leur indépendance ? Il n'en sera rien.
Les responsables de Kigali fêteront avec éclat cet événement, en
présence notamment du roi Baudouin et de Maureen Reagan, la fille du
président américain. Mais les autorités de Bujumbura rattraperont ce
coup « médiatique » en accueillant, quelques jours plus tard, la
conférence des ministres des affaires étrangères des pays francophones.
A chacun son tour...
Ces « frères jumeaux » étaient faits pour s'entendre. Mêmes dominantes :
ethnique 85 % de Hutus et religieuse plus de 55 % de catholiques. Même
poids démographique : autour de 5 millions d'habitants. Même évolution
politique : abolition de la monarchie et proclamation de la République,
en janvier 1961 au Rwanda et en novembre 1966 au Burundi, coup d'Etat
militaire puis création d'un parti unique.
Et que dire des étonnantes ressemblances économiques ? Même superficie,
à 1 500 kilomètres carrés près. Même topographie : des collines et
encore des collines. Mêmes recettes à l'exportation : le café d'abord,
puis le thé très loin derrière. Mêmes contraintes aussi pour le Rwanda
et le Burundi, classés dans la catégorie peu enviable des « pays les
moins avancés » : enclavement et démographie galopante.
Mieux encore, ces « frères jumeaux » n'en finissent pas de se toiser, de
se copier, de se jalouser. Ce que l'un a, l'autre le veut aussitôt. Ce
que l'un obtient, l'autre le réclame immédiatement. Bujumbura se dote
d'une nouvelle aérogare en 1984, Kigali inaugure la sienne l'année
suivante. Le Rwanda accueille le sommet franco-africain en mai 1979, le
Burundi reçoit ces assises en décembre 1984. Pas question pour une
personnalité étrangère de se rendre dans une capitale sans faire un
crochet par l'autre ou, du moins, sans promettre de s'y présenter à la
toute prochaine occasion...
Hutus et Tutsis
Et pourtant, entre ces deux voisins, les relations sont sans chaleur. Au
Rwanda, la majorité les Hutus tient les rênes. Au Burundi, la minorité
les Tutsis accapare le pouvoir. Or les membres de ces ethnies, bien
qu'il y ait, entre eux, un certain métissage, ont des tempéraments
singuliers. Les « courts » les Hutus ont une mentalité de paysans
auvergnats, grippe-sous et renfrognés, tandis que les « longs » les
Tutsis, joviaux et nonchalants comme des Méditerranéens, jouent les
grands seigneurs. Ainsi les uns ont-ils eu tendance à se laisser dominer
et les autres à se faire servir.
La remise en cause de ce fragile statu quo a fini par aboutir à des
massacres intertribaux : tueries antitutsis en 1963-1964 au Rwanda et
génocide antihutu en 1972 au Burundi. Des Tutsis ont alors fui le Rwanda
pour chercher refuge en Ouganda, et les Hutus le Burundi pour trouver
asile en Tanzanie. Méfiance de rigueur, aujourd'hui, au sommet de l'Etat
qui a posé des garde-fous pour éviter tout nouveau débordement : carte
d'identité ethnique du côté de Kigali, passe-droits pour la minorité au
pouvoir du côté de Bujumbura.
Du coup, l'Eglise catholique, qui avait voulu être la « voix des
sans-voix », c'est-à-dire des Hutus, est en odeur de sainteté à Kigali
au point que l'archevêque de la capitale était, jusqu'en décembre 1985,
membre du comité central du parti unique. En revanche, elle est honnie à
Bujumbura où les autorités locales viennent d'interdire la célébration
de la messe en semaine. Différences d'approche, inscrites dans la
Constitution : celle du Rwanda s'ouvra sur une déclaration de confiance
en « la toute-puissance de Dieu » tandis que celle du Burundi qualifie,
entre autres, la République de « laique »...
Ces querelles ethniques et idéologiques ont conduit ces « frères jumeaux »
à prendre, autant que faire se peut, leurs distances l'un vis-à-vis de
l'autre. Le Rwanda, qui affiche un taux de scolarisation bien supérieur
à celui de son voisin, joue la carte du libéralisme. Le Burundi, qui, à
la différence de son voisin, est autosuffisant au point de vue
alimentaire, se montre plus volontiers interventionniste.
En matière de relations internationales, si les autorités de Kigali se
rangent sans aucun état d'âme dans le camp occidental, celles de
Bujumbura poussent la coquetterie jusqu'à agiter parfois des idées
« progressistes ». C'est dire que, par exemple, le Kenya et le Zaire
voisins se sentent beaucoup plus d'affinités avec les unes qu'avec les
autres.
Pas étonnant aussi que la Belgique soit au mieux avec le Rwanda dont
elle demeure, de loin, le premier fournisseur d'aides, tandis qu'au
Burundi, avec lequel elle entretient des relations orageuses, elle a
laissé depuis 1982 la France prendre la tête des bailleurs de fonds. Pas
de grande fête de famille, dans ces conditions, pour le vingt-cinquième
anniversaire de cette double indépendance.