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LE Burundi court-il à la catastrophe? Beaucoup d'observateurs, aveugles sur la réalité du génocide rwandais il y a un an, sont aujourd'hui à Bujumbura, attendant de pied ferme un génocide burundais jugé inévitable. Les victimes seraient cette fois « la population hutue » victime de « l'armée tutsie ». Un équilibre qui serait bien pratique pour banaliser l'antagonisme dit « ethnique » dans cette région! Les cortèges de réfugiés quittant la ville depuis samedi, notamment vers le Zaïre (10.000 à 30.000 selon les sources), montrent hélas que « l'épuration ethnique », dont ont été victimes les Tutsis à Kamenge dès octobre 1993, puis les Hutus dans le reste de la capitale depuis février 1994, a touché les deux derniers quartiers qui y échappaient, le centre musulman de Buyenzi et le faubourg populaire de Bwiza.
ON nous dit qu'au moment où le ministre Debré et ses collègues allemand et espagnol arrivaient au Burundi vendredi dernier, les « putschistes » tutsis auraient voulu « montrer leur force » et « nettoyer » les Hutus. Hypothèse ridicule: l'opposition et l'armée sont fondamentalement hostiles à une intervention étrangère, que souhaitent au contraire les ténors du FRODEBU. La tension qui a monté à Bujumbura depuis une semaine révèle au contraire une stratégie délibérée de provocation tendant à ameuter l'opinion internationale.
L'embuscade qui a coûté la vie à une quinzaine de Burundais et à trois Belges le 19 mars a révélé la volonté des milices hutues « intagoheka » (« les vigilants »), contrôlées en fait par le Comité national de défense de la démocratie de l'ancien ministre de l'Intérieur, Léonard Nyangoma, de créer une sorte de bastion hutu, au sud de la ville, à Kanyosha, équivalent de Kamenge au nord. Ces milices, armées depuis le début de 1994 par des éléments de la sûreté liés au pouvoir FRODEBU, se sont distinguées en décembre et en janvier par des tueries et des pillages dans les quartiers tutsis de Musaga et de Mutanga. De sinistres « prisons populaires » fonctionnent à Kamenge. Le 13 mars, un ancien maire de Bujumbura a été enlevé, torturé et crucifié. En janvier, cette mouvance extrémiste hutue se félicitait de l'assassinat d'un gouverneur hutu modéré à Muyinga et annonçait l'éclatement d'une « révolution démocratique et populaire ».
Depuis le 21 mars, les accrochages se sont multipliés à Kanyosha et à Bwiza: assassinats de Tutsis, résistances à des contrôles des forces de l'ordre et représailles. Les miliciens ont pour la première fois attaqué en plein jour, vendredi dernier à partir de 15 heures. Le téléphone est coupé, comme à Kigali en avril 1994, durant dix minutes. La panique s'installe, car au même moment ces groupes hutus attaquent Bwiza et Buyenzi, s'en prenant aussi à la caserne de gendarmes. La répression militaire, avec tous les excès qu'on peut imaginer dans ces situations de guérilla urbaine, puis les pillages de bandes tutsies dites d'« autodéfense » ont fait le reste. La provocation destinée à mobiliser les passions ethniques a réussi.
UNE enquête de la BBC a montré la collusion des milices hutues burundaises avec les interahamwe rwandais réfugiés en région de Bukavu. Leur projet d'élimination des Tutsis, selon le modèle de l'ancien régime de Kigali, est à peine voilé. Mais un autre extrémisme s'est développé depuis un an en milieu tutsi. Il est incarné par des politiciens admirateurs de l'ex-président Bagaza, par quelques journaux et par des bandes de jeunes voyous (dits « sans échec » ou « sans défaite »), politisés depuis un an et qui terrorisent les Hutus dans le centre de la ville. Leur projet est celui d'un apartheid ethnique: une logique ultra-sécuritaire face au double langage « majoritaire » d'exclusion des Tutsis manié par le FRODEBU.
Le piège politico-ethnique qui a conduit au génocide rwandais est présent au Burundi, même si une sorte d'équilibre de la terreur a conduit à une convention de partage du pouvoir depuis septembre 1994. La « communauté internationale » va-t-elle contribuer à neutraliser les extrémistes et d'abord à les identifier? Ou tomber dans les clichés ethniques conduisant à justifier leurs propagandes?