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Selon des témoignages recueillis par Libération, corroborés par des recoupements effectués à partir de listes de victimes, le Front patriotique rwandais (FPR), émanation de l'ethnie minoritaire tutsie, a toléré, voire organisé, le massacre d'au moins plusieurs dizaines de milliers de civils hutus au fur et à mesure de son avancée et depuis sa prise du pouvoir en juillet 1994. Ces tueries, intervenant sous couvert de l'émotion provoquée par le génocide de 800.000 Tutsis entre avril et juillet 1994, ont été passées sous silence par la communauté internationale, qui tarde à mettre en place une commission d'enquête.
Le Front patriotique rwandais (FPR), l'ancien mouvement rebelle tutsi au pouvoir à Kigali depuis juillet 1994, est responsable de massacres de très grande ampleur qui, selon une estimation prudente, ont coûté la vie à plus de 100.000 Hutus. D'importantes tueries, à caractère systématique, ont eu lieu entre avril et septembre 1994 lorsque, au fur et à mesure de son avancée militaire, le FPR a liquidé des dizaines de milliers de civils hutus en même temps qu'il a mis fin au génocide des Tutsis, dont 800.000 sur 930.000 vivant au Rwanda venaient d'être exterminés. Se poursuivant après le génocide par des massacres ponctuels de moindre ampleur, les représailles du FPR n'ont eu ni le caractère spontané ni la nature vengeresse d'une réaction «à chaud ». Au cours des vingt-deux derniers mois, à l'ombre du génocide des Tutsis, le FPR a érigé au Rwanda une nouvelle dictature.
En novembre dernier, l'ancien chef du gouvernement d'union nationale à Kigali, Faustin Twagiramungu, limogé trois mois plus tôt et, depuis, exilé à Bruxelles, a évalué le nombre des Hutus tués par le FPR à « au moins 250.000 ». Mais il est resté redevable des « preuves irréfutables » qu'il avait prétendu détenir. L'un de ses proches, Sixbert Musangamfura, chef des renseignements généraux à Kigali jusqu'en août 1995, s'est ensuite discrédité en avançant, en décembre, une autre accusation chiffrée: « autour de 312.726 Hutus massacrés »...
En réalité, aucune enquête sérieuse permettant de dresser un bilan chiffré n'a jusqu'à présent été menée. Cependant, Libération a pu examiner et recouper des listes nominatives de victimes dressées en avril 1995 pour onze des dix-sept communes de la préfecture de Gitarama, au centre du Rwanda, au niveau des « cellules », unités administratives de base regroupant chacune une cinquantaine de familles.
Précisant la filiation parentale et la date de disparition, ces listes révèlent que le gros de la répression antihutue s'est produit dans les premiers mois suivant l'occupation des lieux par le FPR, en l'occurrence fin mai à septembre 1994, et dans une moindre mesure en février-mars 1995. Sans tenir compte des parents morts dans les mêmes circonstances mais dont les noms ne sont pas spécifiés, le bilan s'élève à plus de 17.000 victimes. Ce qui recoupe le décompte d'un second jeu de listes, établi indépendamment au niveau des paroisses et faisant état, pour la même période et pour l'ensemble de la préfecture, de 25.000 morts hutus.
A l'échelle du Rwanda, ce bilan accréditerait un ordre de grandeur de 150.000 victimes. Mais en supposant au mépris des faits que l'intensité des représailles du FPR et la proportion des Hutus restés sur place lors de son avancée aient été partout les mêmes, ce calcul n'a d'autre valeur que celle d'engager clairement la responsabilité des nouveaux dirigeants: même « à chaud », en réaction au génocide, l'armée du FPR n'a pas pu commettre des exactions d'une telle ampleur en multipliant simplement des actes individuels de vengeance ou des « bavures ». D'où la multiplication des appels à l'envoi d'une commission d'enquête internationale pour établir précisément les faits, remonter la chaîne de commandement au sein du FPR et, ce faisant, pour couper l'herbe sous les pieds des propagandistes du « double génocide », les extrémistes hutus qui se prétendent victimes d'un second génocide pour faire oublier le premier.
Stephen SMITH