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France - Rwanda - intervention française à vocation humanitaire
Q - Monsieur le Ministre, est-ce vrai comme le titrait ce matin « Le
Figaro » que l'Afrique abandonne la France et si cela était vrai,
malgré l'autorisation de l'ONU, sera-t-il possible à la France de
remplir la mission qu'elle s'est fixée, et dont nous sommes fiers
face, sinon à l'hostilité, tout au moins au scepticisme général. A ma
dernière question, Monsieur le Ministre vous nous avez dit qu'au mois
de juillet la France quittera le
Rwanda, mais que se passera-t-il si au
mois de juillet, la MINUAR n'a pas pu être mise en place, pas plus
qu'aujourd'hui ? Est-ce qu'on ne se retrouvera pas dans la même
situation que celle que nous déplorons tous aujourd'hui ?
R - Monsieur le Président, Monsieur le député, je n'ai pas grand chose
à ajouter à ce qu'a dit excellemment tout à l'heure M. le Premier
Ministre. Je voudrais rappeler comment les choses se sont passées
depuis l'assassinat du Président Habyarimana. Au moment où s'est
déclenché, du fait des milices hutues, le génocide que nous avons
immédiatement condamné, la France s'est fixée trois objectifs :
d'abord acheminer une aide humanitaire substantielle : cela a été fait
; ensuite, réunir les conditions pour que les Nations unies décident
de renforcer leur présence sur le terrain, ce qu'on appelle la MINUAR
: ceci a été fait dans le principe puisqu'une résolution a été votée
en ce sens non sans mal ; en troisième lieu, provoquer la conclusion
d'un cessez-le-feu : nous nous y sommes employés, notamment au moment
du Sommet de l'Organisation de l'Unité africaine, il y a huit
jours. Qu'avons nous constaté ? La MINUAR n'est pas sur le terrain ;
le cessez-le feu n'est pas respecté, et dans le même temps, nous
entendions s'élever des voix d'un peu partout sur les bancs de cette
Assemblée, parmi les organisations humanitaires, dans la presse, nous
enjoignant de faire cesser la honte que constituait la non
intervention de la communauté internationale, d'où l'initiative de la
France.
M. le Premier Ministre a rappelé tout à l'heure les principes et les
conditions que nous avons posés. D'abord autorisation des Nations
unies : je pense que nous aurons ce soir le vote de la résolution du
Conseil de sécurité; ensuite, le caractère international : il est déjà
assuré, soit par les participations de troupes, soit par des appuis
logistiques d'autres puissances. Troisièmement, une finalité
exclusivement humanitaire, sans aucune interposition ou intervention
de caractère politique, et enfin une limitation dans le temps jusqu'à
fin juillet, comme M. le Premier Ministre l'a dit.
Sommes-nous isolés dans ce contexte ? Je crois que la présentation qui
est donnée en ce moment par certains organes de presse n'est pas
exacte. Le Secrétaire général des Nations unies nous soutient
totalement. Le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies, par
la bouche de Mme Ogata elle-même, vient de nous apporter son soutien
total. Le Conseil de l'Union de l'Europe occidentale a approuvé
l'initiative de la France. Tous nos partenaires européens se sont
déclarés en faveur de cette initiative et plusieurs ont décidé
d'apporter leur appui logistique à l'opération. Tous les pays
d'Afrique francophone approuvent et le disent, comme beaucoup de pays
d'Afrique anglophone et lusophone. Il y a donc là une réaction qui est
très généralement positive. Il y a, c'est vrai, des critiques et des
oppositions : l'Organisation de l'Unité africaine - je demande qu'on
lise les textes- la déclaration de l'OUA n'est pas négative, elle est
prudente, elle émet des réserves, mais elle n'est pas négative et nous
nous en sommes assurés ; deuxièmement, certaines organisations
humanitaires critiquent - c'étaient les mêmes qui nous accusaient de
toutes les hontes du monde, il y a quinze jours ; enfin et c'est sans
doute le problème le plus important, le Front Patriotique Rwandais a
fait une déclaration d'opposition à cette intervention.
Nous avons immédiatement pris les contacts nécessaires avec les
autorités du FPR sur place au Rwanda,
dans les pays voisins et à Paris. M. Bihozagara qui est le vice
Premier ministre désigné du gouvernement de transition et qui est une
des personnalités les plus importantes du FPR était à Paris ce
matin. Il a été reçu pendant trois heures au Quai d'Orsay. Je l'ai
moi-même rencontré pendant une heure. Il n'a pas donné son approbation
à l'opération, malgré les explications que je lui ai fournies, mais il
a reconnu, et je le cite, que la France était pour le FPR l'année
dernière au moment d'Arusha, et aujourd'hui encore, et demain,
lorsqu'il s'agira de reconstruire le Rwanda, « un
partenaire fiable et que notre initiative était louable ». Vous voyez
donc que les choses ne se présentent pas de manière aussi négative
qu'on a bien voulu le dire. Cette opération est difficile, elle
comporte des risques. Le gouvernement a pris les précautions pour que
ces risques soient calculés. Je pose simplement la question : n'y
a-t-il pas des moments où le sens de l'honneur et la morale la plus
élémentaire commandent de prendre des risques calculés./.