Citation
(Dakar, 19 juin 1994)
Je ne reviens pas sur ce que j'ai eu l'occasion de déclarer ici à
Dakar depuis mon arrivée. Je voulais vous parler ce matin de la
conférence des ambassadeurs de la région que nous avons organisée
pendant deux jours hier et aujourd'hui. Vingt ambassadeurs de France
dans les pays africains qui vont de Nouakchott jusqu'à Libreville ont
été invités à se rendre ici à Dakar. Ceci est l'un des éléments de la
réforme du Quai d'Orsay que j'ai mise en place l'année
dernière. J'avais souhaité qu'à l'occasion de mes déplacements, les
ambassadeurs puissent se rencontrer pour échanger leurs points de
vue. J'ai déjà tenu deux réunions de ce type, l'une à Tokyo pour
l'Asie du Sud-Est, une autre à New Delhi pour cette région et c'est
donc aujourd'hui la troisième.
Nous avons inscrit à l'ordre du jour de cette réunion un certain
nombre de questions internes, dans le détail desquelles je n'entrerai
naturellement pas : l'organisation de la maison, les relations entre
l'administration centrale et les postes, les problèmes consulaires qui
peuvent se poser ici ou là. Je voulais simplement évoquer deux des
sujets de fond qui ont été débattus hier et ce matin. Le premier de
ces sujets de fond, c'est le poids de la situation économique quelques
mois après la dévaluation du franc CFA et le deuxième de ces sujets,
c'est la situation du processus démocratique en Afrique, son
évolution, ses succès, ses éventuels échecs. Je traiterai ces
questions de façon très rapide, de façon à pouvoir garder un peu de
temps pour répondre à vos questions.
Dévaluation du franc CFA
La dévaluation tout d'abord. Tout le monde admet aujourd'hui que la
décision de Dakar du 11 janvier dernier, même si elle a été difficile
à prendre par les chefs d'Etat concernés était indispensable. Le
deuxième point sur lequel tout le monde s'accorde aujourd'hui, c'est
que la catastrophe annoncée ne s'est pas produite et que le premier
bilan que l'on peut dresser aujourd'hui de cette décision est sinon
totalement positif, bien entendu, du moins prometteur ; la hausse des
prix a été contenue dans les limites qui étaient prévues. Aucune
pénurie sérieuse n'a été durablement constatée. Conformément aux
engagements qui avaient été pris, les organisations internationales et
un certain nombre de pays, au premier rang desquels la France, ont
accompagné cette décision et des montants très importants ont été
dégagés pour couvrir les besoins de financement nécessaires ; plus de
6 milliards de francs français ont été décaissés à ce jour sur les 12
milliards prévus sur l'année 1994, je rappelle le chiffre comparable
de l'année dernière, il s'agissait d'un milliard. Donc six fois plus
de crédits sous des formes diverses sont venus dans les pays
concernés, conformément aux engagements qui avaient été pris. Par
ailleurs, la dévaluation a permis une augmentation des prix payés aux
agriculteurs pour les productions vivrières, elle a permis également
une augmentation des prix pour ceux qui exportent et on note dans un
certain nombre de pays, d'ores et déjà, une augmentation sensible des
productions, des exportations et des revenus agricoles. Certes les
difficultés sont nombreuses notamment pour un certain nombre de
petites et moyennes entreprises, nous en sommes parfaitement
conscients ; pour les populations aussi, parce que même si l'inflation
reste sous contrôle il y a eu incontestablement des hausses de
prix. Il est donc nécessaire de rester vigilant, de se conformer aux
engagements qui ont été pris vis-à-vis du Fonds monétaire et de la
Banque, de maintenir les programmes d'ajustement. La France est plus
que jamais décidée à apporter sa participation, et, je le répète, je
suis très choqué quand j'entends dire ici ou là que nous avons donné
le signal d'un lâchage de l'Afrique. Ma conviction profonde c'est
qu'il s'agit de tout le contraire. Le refus de regarder la réalité en
face, l'absence de décision dans ce domaine, voilà ce qui eut
constitué en quelque sorte le vrai lâchage de l'Afrique. Nous sommes
plus que jamais présents et plus que jamais engagés aux côtés de nos
amis africains et des peuples africains.
Afrique - démocratie et développement
Le deuxième sujet qui a été discuté ce matin est celui de la
démocratisation. Vous savez que c'est le deuxième grand axe de la
politique africaine de la France. D'un côté, le redressement
économique et, de l'autre, l'avancée vers plus de démocratie et plus
d'Etat de droit, les deux étant d'ailleurs intimement liés car il n'y
aura pas de développement durable s'il n'y a pas renforcement de la
démocratie. Là encore, le bilan est encourageant, et c'est
l'impression que j'ai retirée de l'échange de vues auquel j'ai assisté
entre nos vingt ambassadeurs. Depuis quelques années, dans de nombreux
pays, des régimes démocratiques ont été mis en place à la suite
d'élections régulières et pluralistes, en Mauritanie, au Burkina Faso,
au Mali, au Niger, en Centrafrique, au Bénin, au Congo, etc. Il y a eu
récemment des reculs, dans ce processus, en Angola, au Burundi, au
Nigeria, pour citer quelques exemples, mais ceci ne doit pas nous
décourager, nous devons garder le cap, et aider là encore nos amis
africains qui ont fait ce choix dans l'enracinement de la
démocratie. Cela passe par la réussite du redressement économique, je
disais tout à l'heure que l'un allait avec l'autre; cela passe aussi
par le renforcement de la démocratie aux niveaux plus locaux, la
décentralisation et les élections locales, paraissent un moyen
important dans ce domaine; cela passe également par l'aide que la
France peut apporter à la construction d'un Etat de droit, comme nous
le faisons depuis maintenant plusieurs années.
Voilà, pour ne pas être trop long, les quelques réflexions que je
voulais vous livrer, et, dans les cinq minutes qui nous restent hélas,
je suis prêt maintenant, si vous le souhaitez, à répondre à vos
questions.
France - Rwanda - projet d'intervention humanitaire
Q - (Sur l'intervention de la France au Rwanda ?)
R - J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer ici-même hier, sur les
objectifs de la France en la matière. En ce qui concerne les effectifs
qui seront mis en place, le calendrier, les modalités de cette
opération, je n'en dirai pas plus, pour une raison tout à fait
évidente : c'est que cette intervention, qui a un but humanitaire, est
néanmoins une intervention risquée, et que, vous le comprendrez, un
minimum de discrétion est nécessaire sur les modalités concrètes de
cette opération. Donc au risque de décevoir votre curiosité, je ne
parlerai pas chiffres, lieux, calendrier; tout ceci est en train
d'être étudié par nos spécialistes en liaison avec nos alliés.
Q - A Abidjan vous avez été affirmatif en disant que vous aviez pris
des contacts avec certains responsables du FPR. Quelles sont les
garanties dont vous disposez ?
R - J'étais affirmatif quand j'ai dit qu'il y avait des contacts,
oui. Je n'ai pas été affirmatif sur le résultat de ces contacts. Comme
je l'ai dit hier ici et je le répète ce matin, j'ai bien pris note des
réactions, de certaines réactions négatives de certains responsables
du FPR, et je peux comprendre que dans la situation où se trouve ce
malheureux pays, il y ait ce type de réactions. Alors ce que nous
allons essayer de faire c'est de nous expliquer pour essayer de
convaincre. Nous avons déjà pris des contacts. Je vais envoyer dans
les toutes prochaines heures un représentant spécial auprès des
autorités du FPR sur le terrain, pour leur expliquer les conditions
dans lesquelles nous envisageons d'intervenir. Je vous signale par
ailleurs que nous sommes d'ores et déjà en liaison avec les
responsables du FPR sur le plan de l'aide humanitaire. Comme je vous
l'ai indiqué, le chef de la cellule d'urgence du Quai d'Orsay, M.
Larome, est sur place et nous avons obtenu l'accord du FPR pour
acheminer un certain nombre de convois d'aide humanitaire. Donc vous
voyez que les ponts ne sont pas rompus et que nous ne désespérons pas,
bien au contraire, d'obtenir un accord et une meilleure compréhension
des autorités du FPR. J'ajoute d'ailleurs que le contraire serait
étonnant, parce que si nous avons décidé de monter cette intervention,
c'est pour protéger les populations, et, vous le savez, les
populations les plus menacées sont souvent des populations tutsies
dans des zones contrôlées par des milices de l'ex-gouvernement
rwandais. Donc j'aurais un peu de mal à comprendre qu'au bout du
compte, cette action qui a cet objectif, ne soit pas acceptée.
France - Sénégal
Q - Monsieur le ministre, vous êtes à Dakar simultanément avec votre
collègue de la Coopération. Comment peut-on expliquer la présence
simultanée de deux ministres français ?
R - Si nous étions venus alternativement, vous nous auriez dit :
tiens, ils ne se parlent pas, ils ne sont pas d'accord entre
eux. Alors on vient ensemble... N'est-ce pas, et tout le monde dit :
qu'est-ce qui se passe derrière ? S'il y a eu historiquement, dans la
diplomatie française, c'est vrai, toujours l'idée que le ministère de
la Coopération et le ministère des Affaires étrangères étaient rivaux,
je peux vous dire que depuis avril 1993, tout ceci a complètement
disparu. D'abord parce Michel Roussin et moi avons d'excellentes
relations personelles, et ensuite parce que nous avons mis en place
des mécanismes de concertation, de discussion, de coopération, c'est
le cas de le dire, qui fonctionnent tout à fait bien. Notre directeur
des Affaires africaines et malgaches travaille avec les deux
ministères, il est un peu le pivot de notre action, et donc il n'y a
aucun problème.
Voilà, je vais sans doute vous quitter, en insistant quand même sur le
fait, et j'avais déjà lancé un peu loin le bouchon hier, mais il n'a
pas été repris, que je suis venu ici aussi, d'abord, pour pouvoir
rencontrer les autorités sénégalaises. J'étais extrêmement honoré et
heureux des entretiens que j'ai eus avec le président Diouf, avec le
Premier ministre M. Thiam, avec mon homologue, M. Niasse. Hier soir,
j'ai rencontré un grand nombre de ministres au cours du dîner qui
était donné en mon honneur, j'ai pu constater l'excellence des
relations entre la France et le Sénégal dans à peu près tous les
domaines, la coopération politique, et je voudrais rendre de nouveau
un hommage appuyé au Sénégal, puisque cela a été le premier pays, le
premier pays africain, et même le premier pays tout court à dire "eh
bien ! nous, nous sommes prêts à aider la France dans l'action
humanitaire qu'elle envisage de faire au Rwanda". Je crois que ceci
mérite un coup de chapeau parce que c'est une décision courageuse, et
j'espère que d'ici la fin de la semaine prochaine, on verra des
casques bleus, puisqu'il y aura une autorisation des Nations unies, en
tout cas des troupes françaises et sénégalaises côte à côte pour
sauver les vies actuellement menacées. En ce qui concerne la
coopération économique, vous connaissez aussi sa densité. Je voudrais
insister enfin sur le fait que dans la francophonie, et le Sénégal
joue un rôle tout à fait leader, pardon, un rôle tout à fait pilote,
et nous avons très exactement la même approche des institutions
francophones, c'est une communauté de langue, c'est une communauté de
culture mais c'est un peu plus que cela : c'est aussi une vision
commune du monde et de l'homme, qui fait que nous souhaitons donner à
la francophonie une dimension politique. Vous voyez que c'est encore
un terrain sur lequel, la France et le Sénégal se retrouvent
pleinement./.