Citation
(...) L’extrême cruauté est une aubaine pour les « assassins de la mémoire » qui abondent dans le sillage de tout crime d’État. C’est de ce type d’assassin qui animaient la revue Rwanda-Débats. Assassin propre sur lui, repu de bonne conscience. Car en amont de la négation du crime, il y a l’adhésion à l’idéologie qui l’a permis. Ce soutien ne concerne pas seulement des militaires et des politiques, mais aussi des religieux, des journalistes, des sociologues, des historiens et même de faux militants pour les droits de l’homme. Tous ces assassins n’ont tué personne. Ils ne tuent que la mémoire des victimes, ils n’assassinent que notre savoir. Mais, ce faisant ils assurent l’impunité, l’irresponsabilité et préparent les crimes de demain. Ils dessinent à l’horizon d’autres nuits rwandaises, d’autres holocaustes, d’autres transgressions acceptées.
(...) La pratique du mensonge a été incessante avant le génocide, pendant le génocide et après, à travers sa négation. Rwanda-Débat a joué son rôle en relayant ces mensonges et les diffusant en Suisse. Cette revue reprend de façon quasi exhaustive tous les thèmes, tous les aspects de cette désinformation. Jean-Pierre Chrétien en a donné quelques exemples (« Rwanda-Débat, une revue Hutu Power en Suisse »).
(...) Quand les rédacteurs de Rwanda-Débat parlent du « danger menaçant de privilégier les droits de l’homme - et de quel homme ! - au détriment des droits d’un peuple » (éditorial, numéro 0, avril-mai-juin 1993), on peut faire deux lectures : La première, c’est le mépris des droits de l’homme, des droits humains, comme si un peuple n’était pas un ensemble d’êtres humains. La seconde a travers la grille de lecture du Hutu Power, où l’exclamation méprisante : « de quel homme ! » renvoie au Tutsi, c’est à dire pour le Hutu Power des êtres infra-humains, des « cafards », et le peuple aux masses hutu dont les membres du Hutu Power seraient les bergers naturels. La protection des uns menacerait donc les autres. La conséquence logique est l’extermination des premiers. Cette conception Hutu Power apparaît dans le même numéro sous la plume d’Innocent Semuhire (page 10) qui dit : « Je terminerai par une proposition sur la contribution du peuple pour vaincre définitivement l’agresseur inkotanyi ». Le peuple est clairement identifié comme la composante extrémiste hutu et le « définitivement » est lourd de signification.
Il y a constamment chez ces intellectuels un double langage, l’un neutre, honorable destiné aux occidentaux et l’autre centré sur le non-dit génocidaire, la complicité dans le crime. « Pendant trois semaines les conspirateurs tentent de cacher le génocide rural aux yeux du monde extérieur. Habiles manipulateurs de médias, les dirigeants du mouvement Hutu Power mettaient le carnage sur le compte de la guerre civile, semant la confusion chez les correspondants étrangers qui connaissaient mal la situation réelle » (Rapport de l’O.U.A., Un génocide évitable, 14.24.). Dans Rwanda-Débat le travail de ces « assassins aux beaux habits » est d’assurer la guerre médiatique en désinformant à leur niveau. (...)
(Extraits du texte remis au tribunal de Neuchatel le 29 août 2000, déposition de J.P. Gouteux)