Le rapport des experts de plusieurs centaines de pages sur les circonstances de l'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana lève le voile sur un mystère vieux de dix-sept ans. Le récit, commandé par les juges français Marc Trévédic et Nathalie Poux et dévoilé mardi aux parties civiles, conclut que l'appareil a été abattu par deux missiles tirés depuis la colline de Kanombé, où se trouvait un camp militaire. «
Cela met fin à des années de manipulations et de mensonges », s'est félicité Me Bernard Maingain, l'un des avocats de l'un des proches de l'actuel chef d'État rwandais, Paul Kagame, mis en examen.
Le camp de Kanombé étant alors un site aux mains de la garde présidentielle, cela désigne presque à coup sûr les extrémistes hutus comme les responsables de l'attentat. L'établissement des responsabilités est d'autant plus important que la mort du président rwandais le 6 avril 1994 fut le point de départ du génocide rwandais. En moins de cent jours, plus de 800.000 Tutsis et opposants hutus furent massacrés. Par une extrapolation, les mystérieux auteurs de l'attentat ont fini par endosser le rôle de premiers responsables des tueries.
Depuis ce 6 avril, deux théories s'étaient toujours affrontées autour de ce crime jamais revendiqué. Selon la première, les assassins seraient issus des rangs hutus et le crime le point de départ d'un complot plus vaste visant à mener un coup d'État et à résoudre dans le sang le «
problème tutsi ». La seconde faisait des hommes du Front patriotique rwandais (FPR), les rebelles majoritairement tutsis en guerre ouverte depuis quatre ans contre le régime d'Habyarimana, les responsables de l'attentat. C'est cette hypothèse qu'avait retenue le juge Jean-Louis Bruguière lors d'une première enquête très controversée diligentée par la justice française en 2006. Il avait ensuite émis six mandats d'arrêt contre des hauts cadres du FPR d'alors, le parti au pouvoir au Rwanda depuis 1994. Cette décision avait provoqué la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali. Des relations péniblement rétablies il y a deux ans.
Recours à la science
Le nouveau rapport du collège de spécialistes, voulu par les successeurs du juge Bruguière, prend totalement le contre-pied de cette idée et permet de voir plus clair dans un dossier hautement sensible qui brouille l'image de la France depuis près de deux décennies dans toute l'Afrique. Jusqu'à présent, les certitudes concernant cette attaque étaient rares. Tout juste pouvait-on affirmer que le Falcon 50, prêté par la France et piloté par un équipage français, était en approche de Kigali, la capitale rwandaise, peu après 20h30 quand il fut touché par un projectile avant de s'écraser dans le jardin du palais présidentiel.
Les magistrats, en raison du temps écoulé, ont choisi d'avoir recours à la science pour étayer leur conviction. Les experts réunis par Marc Trévidic, notamment des spécialistes en balistique, en crash aériens ainsi que des géomètres et un acousticien, ont enquêté pendant une semaine au Rwanda en 2010. Selon eux, les missiles tirés seraient des Sa-16, de fabrication russe qui ont touché l'appareil sous l'aile gauche, non loin des réservoirs. L'impact a mis immédiatement le feu au Falcon. Les techniciens en balistique qui ont étudié les trajectoires possibles ont écarté toutes les possibilités sauf deux, toutes depuis le camp de Kanombé. L'acousticien a lui aussi eu un rôle prépondérant. Il a étudié l'entourage et la diffusion des sons sur le site pour affiner deux témoignages. Le premier est celui, bien connu, du Dr Massimo Parush, un médecin militaire belge qui dit avoir entendu ce soir-là un bruit de souffle et vu une traînée orange. Le second provient d'un militaire français, le colonel de Saint-Quentin. Cet officier, qui logeait lui-même dans le camp de Kanombé, a toujours dit avoir clairement entendu les départs des tirs. Or, selon l'expert, la ferme de Massaka, l'autre site évoqué pour organiser l'attentat est trop loin pour que le son ait été aussi clair aux oreilles du colonel.
Les autorités rwandaises n'ont pas caché mardi leur satisfaction. «
Les résultats présentés aujourd'hui constituent la confirmation de la position tenue de longue date par le Rwanda sur les circonstances qui entourent les événements du mois d'avril 1994 », s'est félicitée la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo.
Tanguy Berthemet