Extrait de
Patrick de Saint-Exupéry, "France-Rwanda : des mensonges d'État", Le Figaro, 2 avril 1998, p. 4; Rapport Duclert "La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi", pp. 142-143, 314-315, 1014, 1069-1070
Citation
Depuis quelques semaines, la situation intérieure au Rwanda semble être
essentiellement caractérisée par une certaine confusion dans les esprits et les
comportements. Cette confusion d'origine circonstancielle est aussi entretenue
par d'aucuns. [...]
1.1 Le premier cercle
Ses membres connus et honnis des populations de
toutes conditions paralysent l'action du chef de l'État et minent ses
éventuelles velléités de transformation en profondeur. Parmi eux se distingue
son épouse, le colonel Sagatwa (Chef de son secrétariat particulier, véritable
cerbère de la Présidence), le ministre Tsirorera (Industrie et artisanat), le
colonel Serubuga et le colonel Rwagafilita (respectivement chefs d'état-major
adjoints de l'armée et de la gendarmerie, le colonel Nsekalije (retraité)...
Détenteurs objectifs de tous les pouvoirs depuis la révolution sociale de
1973, ils les considèrent comme leur propriété exclusive et désignent
fonctionnaires, militaires et magistrats aux principaux postes. Leur hostilité
à toute évolution démocratique ne les a pas empêchés de comprendre que s'y
opposer sans discernement serait suicidaire. Aussi déclarent-ils, depuis six
mois, qu'elle est irréversible et sera bénéfique. Mais, simultanément, ils
créent le maximum d'obstacles à sa réalisation par :
- le renforcement inconsidéré des effectifs et des moyens des forces armées
afin de développer une clientèle fidèle et, à l'occasion, nuire à tout
changement par consommation de la plupart des crédits possibles ;
- l'entretien de la peur suscitée par l'agresseur en annonçant
régulièrement l'attaque imminente et massive de la N.R.A., ou encore
l'infiltration de commandos dans les villes, etc...
- le sabotage de l'émergence des partis indépendants en gestation par
toutes sortes de pressions et d'interventions et, a contrario, la promotion
du MRND nouvelle formule [...] ;
- la propagation de la crainte à l'égard des changements politiques en faisant croire
qu'ils seraient nécessairement facteurs de troubles incontrôlables et violents, s'ils intervenaient avant la victoire. [...]
Ces opérations sont montées avec habileté. Certaines d'entre elles sont reprises en écho par le général Habyarimana lui-même qui, en particulier, insiste sur la menace ougandaise et favorise la transformation du MRND de parti unique en parti dominant, en lui fournissant des moyens matériels et pécuniaires multiples et en restant contre toute attente, son président. Ces agissements du premier magistrat permettent à quelques observateurs de déclarer soit son attitude ambiguë et même complice soit sa capacité de réflexion anéantie soit encore son autorité perdue. L'influence de ce premier cercle n'est, par ailleurs, pas due à ses seules puissance et propension à exploiter la peur et à manipuler la vérité. Elle est, selon toute probabilité, fondée aussi sur « sa connaissance des secrets de la deuxième république » (massacres collectifs, éliminations physiques individuelles, détournements, prévarications diverses...) gênants pour ses membres mais aussi pour bien des autorités.
Les écueils à éviter
Méconnaître l'indispensable préalable qui consiste à réduire de façon sensible,
directement ou indirectement, l'influence du premier cercle dans la conduite
des affaires. Cette opération est d'ailleurs réclamée ouvertement par l'immense
majorité du peuple.