Rencontres de Paris
12 et 13 novembre 2011
« Nouveaux apports sur l’implication de la France
dans le génocide des Tutsi du Rwanda »
Compte rendu du colloque du 12 novembre
Introduction
Ce colloque organisé par l’association France-Rwanda-Génocide, Enquête, Justice et
Réparations (FRG-EJR) s’est tenu les 12 (salle Jean DAME) et 13 novembre à Paris sous le
patronage de Jean-Claude LEFORT, ancien député et vice-président de la Mission
d’information parlementaire sur le Rwanda (MIP), et Géraud de GEOUFFRE de la
PRADELLE, professeur émérite de droit à l’université de Paris X, président de la
Commission d’Enquête Citoyenne (CEC) de 2004.
Jean-Luc GALABERT, membre de FRG-EJR, introduit le colloque et inscrit ses travaux dans
la continuité de ceux produits par la CEC et des colloques internationaux de Genève et
Toulouse déjà organisés par FRG en 2010 et 2011. Il remercie tous les participants de leur
présence et adresse un remerciement plus particulier aux Rwandais ayant décidé de s’associer
à la démarche de l’association, représentés notamment par IBUKA Rwanda, IBUKA Suisse et
les Communauté Rwandaise de Suisse (CORS) et de France.
Égide NKURANGA, 1er Vice-président d’IBUKA RWANDA complète cette introduction en
explicitant les attendus du colloque : partage d’idées et d’analyse, création d’une plate-forme
facilitant l’accès à l’information, perspectives de coopération en matière de réparations pour
les rescapés du génocide, etc.
I/ Enquêtes
a/ État des lieux et enquêtes en cours
Emmanuel CATTIER, rappelle le contexte de la création de la CEC en 2004 (conclusions
biaisées de la MIP, contradictoires avec le contenu de son rapport, appel de Jean-Paul
GOUTEUX en 2003 pour des réparations), ainsi que les six thèmes retenus par la CEC pour
appréhender l’implication de la France dans ce génocide (soutien militaire, financier,
politique, opérationnel, l’opération Turquoise, la hiérarchie des responsabilités). Il rappelle
également que la CEC a délibérément fait le choix de ne pas traiter de l’attentat du 6 avril
1994 étant donné le peu d’éléments disponibles à l’époque et le fait que cet attentat ne fut que
le déclencheur du génocide. Enfin, il pointe certaines limites de la CEC tenant au bénévolat de
ses membres, à cette méthode d’approche par thème, et sur le fond, au fait notamment que les
accords d’ARUSHA n’ont pas été traités.
Emmanuel CATTIER relève les aspects de la collaboration franco-rwandaise qui ont été
minimisés par la MIP : la participation des militaires français aux contrôles d’identité lors
desquels les TUTSI étaient souvent arrêtés et tués, les livraisons d’armes de la France aux
différents gouvernements rwandais de 1990 à 1994 (période de génocide incluse), les efforts
de l’exécutif français pour rendre présentable aux yeux de la « Communauté Internationale »
le Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) alors que celui-ci commettait un génocide, le
rôle du Commandement des Opérations Spéciales (COS), la participation des militaires
français à la formation des miliciens, les effets de la « doctrine de la guerre révolutionnaire »,
l’antitutsisme virulent de certains hauts-responsables français, le viol des femmes Tutsi par
des militaires français, etc.
Enfin, Emmanuel fait observer l’enchaînement des faits ayant conduit à la création de la
« commission MUCYO » dont l’objet est d’étudier l’implication de la France dans le
génocide des Tutsi, et ce pour rappeler que la création de cette commission, loin de constituer
des représailles, faisait écho à la proposition faite par le ministre français des affaires
étrangères, Michel BARNIER, lors de son voyage en Afrique du Sud en juillet 2004 de
normaliser les relations entre la France et le Rwanda. Ainsi, si les travaux de cette
commission ont fait l’objet de conclusions publiées en août 2008, soit postérieurement à la
salve négationniste que représentent la publication de l’ouvrage de Pierre PEAN, « Noirs
fureurs, blancs menteurs », et de l’ordonnance de soit-communiqué du juge BRUGUIERE, la
décision de les mener a bien précédé la sortie de ces documents.
Emmanuel fait aussi référence aux travaux de Raphaëlle MAISON sur les « archives de
l’Elysée » parus dans la revue Esprit en mai 2010 et observe notamment que ces archives
accréditent la plausibilité de la présence des Français aux barrières. Il précise également que
le rapport PONCET, dans sa partie la plus compromettante, se retrouve dans le corps du texte
du rapport de la MIP.
Il conclut en affirmant que « il m’est impossible de dire que les autorités françaises ont voulu
le génocide, mais il m’est impossible de dire qu’elles ne l’ont pas voulu. »
Jean-François DUPAQUIER, historien et journaliste, expert auprès du Tribunal pénal
international pour le Rwanda et auteur notamment de « L’agenda du génocide. Le témoignage
de Richard MUGENZI, ex-espion rwandais. » paru en 2010 aux éditions KARTHALA,
poursuit en précisant tout d’abord qu’avec Jean-Pierre Chrétien, il est poursuivi par l’ancien
ministre rwandais des affaires étrangères naturalisé français pour avoir dit que ce dernier
appartenait à la nébuleuse négationniste qui est très active en France. Il fait ensuite de son
intervention une réponse à Bernard LUGAN pour qui le génocide n’ayant pas été programmé
comme établi selon lui par le TPIR, la France ne pouvait pas savoir qu’il allait avoir lieu.
Partant du témoignage d’un repenti tout à fait crédible et d’un fax de février 94 de JeanBOSCO BARAYAGWIZA, président de la CDR, au président de la CDR dans la localité de
GISENYI, il montre que c’est tout un appareil qui s’active en 93 et début 94 en vue de mettre
en œuvre l’extermination de tous les TUTSI.
Jacques MOREL, membre de FRG-EJR et auteur notamment de « La France au cœur du
génocide des TUTSI » paru en avril 2010, prend ensuite la parole et introduit son propos en
précisant le souci qui est le sien de rendre publics les témoignages. Il en vient ensuite au sujet
de son intervention : le général QUESNOT, chef de l’état-major particulier (CEMP) du
Président de la République (PR) de 1991 à 1995, et à ce titre au cœur de la politique française
décidée en ce qui concerne le Rwanda. Après avoir rappelé le passé du personnage (saintcyrien, ingénieur des Ponts et Chaussées et ancien officier du renseignement au Tchad et au
Liban), Jacques MOREL s’attache à montrer en quoi le général QUESNOT était le pivot de la
politique française au Rwanda. En tant que CEMP du Président de la République (chef des
Armées et autorité pour ce qui relève du domaine réservé, même en période de cohabitation),
le général était au plus près d’un exécutif particulièrement présent sur ce dossier. Jacques
relève à cet endroit les propos de Georges Martres, ambassadeur français au Rwanda jusqu’en
1993, selon qui il valait mieux prendre ses instructions directement auprès du CEMP plutôt
qu’au ministère de la Défense ou des Affaires étrangères. A cet égard, il fait également
observer que ressort notamment des archives de l’Elysée le fait que François Mitterrand
annotait les analyses et propositions que lui soumettait son CEMP. Analyses et propositions
qui, d’un point de vue sémantique et phraséologique, rejoignaient bien souvent le langage des
extrémistes, et qui, à travers des formulations absconses, ne cessaient de proposer une
politique de soutien aux auteurs du génocide. Il en est ainsi par exemple de la « stratégie
indirecte pour maintenir un certain équilibre ». Et ce dans le cadre d’ « une guerre totale et
très cruelle ».
Jacques MOREL relève enfin que le général QUESNOT a affirmé que le FPR a aussitôt
attaqué suite à l’attentat, alors que le rapport de la MIP écrit que le FPR était sorti le 7 avril au
soir du CND pour se protéger mais que le gros des troupes n'était arrivé à Kigali que le 11
avril.
Concluant que la France a encouragé les génocidaires, a fait sienne l’idéologie du génocide,
que c’est peu dire que la France a trempé dans le génocide et qu’il y a même sûrement une
main française dans ce qui a déclenché le génocide, Jacques MOREL demande des comptes
en tant que citoyen français responsable.
Est ensuite diffusé le témoignage de Straton SINZABAKWIRA (bourgmestre emprisonné
pour génocide) recueilli quelques jours plus tôt au Rwanda. Ce dernier confirme la présence
continue des militaires français aux barrières jusqu’en avril 1994 et d’autres faits durant
l’opération Turquoise, manque de nourriture et viols dans le camp de NYARUSHISHI
commandé par les Français, assassinats de Tutsi aux barrières en présence des Français et
envoi de miliciens de Cyangugu à Bisesero pour liquider les derniers survivants tutsi
Jean CHATAIN, ancien journaliste à l’Humanité ayant couvert le génocide, intervient ensuite
sur la désinformation qui prédomine sur le sujet et sur les mécanismes d’une telle
désinformation. Il rappelle tout d’abord l’ouvrage de JP GOUTEUX , « Le Monde, un contrepouvoir ? », paru en – aux éditions « L’esprit Frappeur » et qui montrait comment Le Monde
avait délibérément désinformé sur ce qui était en cours au pays des mille collines pour
couvrir, au sens d’occulter et non de relater, une politique française portant à bout de bras un
régime versant clairement dans le génocide. Ensuite, il éclaire l’auditoire sur la façon dont le
SIRPA (aujourd’hui DICOD), le service d’information de l’Armée, est passé maître dans l’art
de la manipulation. Une manipulation qui exige tout d’abord de contrôler les journalistes. Or,
dans les situations de tensions extrêmes, c’est le SIRPA qui gère la logistique des journalistes.
Il contrôle ainsi ce que les journalistes peuvent voir et écrire et, au besoin, peut mettre sur la
touche ceux de ces journalistes embedded (embarqués au sens « de sous contrôle de » ou
« accrédités par ») qui sortirait, d’un point de vue physique ou idéologique, des sentiers battus
que commande l’Armée. Jean CHATAIN illustre ces mécanismes par quelques exemples
comme l’article de l’Événement du jeudi du 20 avril 1994 titré « la revanche du Tutsi pourrait
être effrayante ; l’horreur pourrait succéder à l’horreur ». Alors qu’un génocide est en cours et
à son apogée, ce journal (comme beaucoup d’autres) considère que ce qu’il est pertinent de
relater à ce moment précis, c’est la nécessité de redouter la menace potentielle des
« génocidés ». On n’est pas très loin, dans ce genre d’article qui ne cesse de minimiser le
génocide ou d’en tordre la réalité en entretenant suffisamment d’ambiguïtés, de l’accusation
en miroir qui légitime un crime pour prévenir le crime supposé de l’adversaire. Les
« informations » de ce genre ont grandement servi à la nébuleuse négationniste. Il relève aussi
qu’à la fin de l’été 2007, l’abolition de la peine de mort au Rwanda n’a quasiment pas été
relayée par les grands médias alors même que cela faisait disparaître le seul motif opposé par
la France au Rwanda pour refuser l’extradition d’un certain nombre de présumés génocidaires
vivant en liberté sur le sol français.
Pour Jean CHATAIN, l’ « ignorance massive » des journalistes français sur le Rwanda fait
également partie des facteurs ayant permis une telle dénaturation des faits dans les médias. Il
évoque à cet égard une « désinformation par la mise à profit d’une inculture journalistique ».
Journalistes et hommes politiques de second rang sont fortement incités – par les services et
experts patentés, à lire et relayer les évènements à travers les seules lunettes de l’ethnisme. Il
en résulte une auto-validation des uns par les autres qui a vocation à brouiller la vérité.
Il montre enfin comment la substitution du concept de majorité ethnique à celui de majorité
politique a été utilisée avec constance dans les anciennes colonies, par exemple au Cameroun,
pour stigmatiser et supprimer les mouvements politiques d’émancipation. Il suffit d’entendre
l’aplomb des Hubert VEDRINE, Alain JUPPE, etc., lorsqu’ils expliquent que, les Hutu étant
majoritaires dans la population, le gouvernement génocidaire hutu était forcément
représentatif et légitime, pour s’apercevoir du chemin qu’il reste à faire pour décoloniser les
consciences.
A ensuite suivi l’intervention de François GRANER sur François de GROSSOUVRE,
retrouvé mort dans son bureau à l’Elysée le 7 avril 1994, soit le lendemain de l’attentat ayant
déclenché le génocide. Anticommuniste, franc-maçon, résistant, milicien, tête des réseaux
stay-behind en France (mis en place sous l’égide la CIA après guerre pour prévenir le péril
communiste dans les démocraties de l’Europe occidentale), concessionnaire exclusif de CocaCola, financeur de la gauche non communiste (notamment à travers l’Express fondé par
Françoise GIROUD et MENDES-FRANCE), de GROSSOUVRE était le conseiller de
MITTERRAND pour les affaires les plus sensibles depuis qu’il avait aidé ce dernier à se
refaire une image après le faux attentat de l’Observatoire en octobre 1959.
François GRANER rapporte les principaux éléments qui rende la thèse de l’assassinat, à
laquelle la famille du défunt adhère, et qui est défendue dans le livre de Éric RAYNAUD
« ‘Suicide’ d’État à l’Elysée, la mort incroyable de François de GROSSOUVRE » (paru début
2009 aux éditions Alphée/Jean-Paul Bertrand), comme étant la plus plausible. En disgrâce
auprès d’un certain nombre de responsables à l’Elysée (Gilles Ménage et Michel Charasse
notamment), une décision de rédiger ses mémoires peu avant de mourir (il rencontre un
éditeur début avril), la disparition de ses archives, la campagne calomnieuse tendant à le faire
passer pour fou et sénile, ce qu’il n était pas du tout aux dires de nombreux tiers, sa
conscience qu’il avait d’être en danger, la luxation à l’épaule au moment de sa mort, etc., vont
à l’encontre de la thèse du suicide défendue par Raphaëlle BACQUE (journaliste au Monde)
dans son livre « le « dernier mort de MITTERRAND » (paru en 2010 aux éditions Albin
MICHEL).
IL est également relevé que Paul BARRIL, impliqué à plus d’un titre dans le génocide des
TUTSI rwandais, était le « protégé » de François de GROSSOUVRE et qu’il était très proche
de Juvénal HABYARIMANA, président du Rwanda tué dans l’attentat du 6 avril 1994.
A suivi une séquence d’échanges entre la salle et les intervenants :
- de Raphaëlle MAISON à Jean-François DUPAQUIER pour savoir si ce dernier a un champ
d’enquête plus large, dans le cadre de ses travaux sur le tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR), qui inclurait la présence des Français :
Jean-François DUPAQUIER rappelle d’une part que c’est sur pression de la France que le
mandat du TPIR a été limité à l’année 1994, et ce alors que les troupes françaises ont
officiellement quitté le pays fin décembre 1993 et signale d’autre part qu’on ne trouve pas
grand chose dans les archives du TPIR en faisant des recherches par les mots clés « militaire »
+ « français » (17 occurrences sur des millions de page). Raphaëlle MAISON ajoute que le
jugement du colonel BAGOSORA mentionne la présence de militaires français dès le soir du
6 avril 1994.
Linda MELVERN prend la parole et remercie les organisateurs de la tenue de cette
conférence. Elle précise qu’elle vient d’apprendre que ce sont les Français qui se sont occupés
de tout ce qui touche à la logistique pour l’enregistrement des procès au TPIR. Elle relève
également que le commandant de Saint-Quentin (présent sur les lieux de l’attentat dans les
instants qui ont suivi sa commission) a témoigné en faveur des génocidaires. Elle conclut en
disant qu’il est urgent de saisir nos gouvernements.
Jean-François DUPAQUIER suspecte un pacte entre les militaires français et certains ex
responsables rwandais traduits devant le TPIR pour crime de génocide (le colonel
BAGOSORA, KABILIGI) vu la façon dont les militaires français ont témoigné en faveur de
ces derniers. Cet accord du genre « on témoigne en votre faveur et vous ne parlez pas des
Français » lui apparaît très perceptible lors de ces témoignages donnés à huis clos lors du
procès BAGOSORA.
Raphaël DORIDANT (Survie) s’interroge sur la connaissance qu’avaient les Français de la
préparation du génocide et des preuves qui peuvent exister pour étayer cette connaissance.
Jean-François DUPAQUIER lui fait un début de réponse par une référence à l’ambassadeur
Georges MARTRES qui dans un fax du mois d’octobre 1990 évoque la menace
d’extermination qui pèse sur les Tutsi, avant de considérer qu’il faut espérer que les militaires
français n’ayant pas approuvé ce qu’ils s’est passé se mettent un jour à parler.
Raphaël DORIDANT demande à Jacques MOREL ce qui lui permet d’affirmer que la France
a soutenu les génocidaires et a fait sienne l’idéologie du génocide, ce à quoi Jacques MOREL
répond que, dès le début de l’intervention française au Rwanda en octobre 1990, dès les 1er
massacres du KIBILIRA le 12 octobre de la même année, les notes de l’Amiral LANXADE,
alors CEMP du président, montrent que l’exécutif français était tout à fait conscient du
caractère génocidaire de ces 1er massacres et du risque de leur généralisation.
Dans la salle, Eugénie MUKAMUGEMA, journaliste au Rwanda au moment des faits,
confirme qu’elle était toujours arrêtée par les Français aux barrières de contrôle et qu’à
chaque fois, les militaires français disaient à son chauffeur de taxi tutsi « regarde tes dents,
regarde tes gencives » (les Tutsi étant censés présenter des dents et gencives caractéristiques
dans l’imaginaire raciste inculqué aux consciences), et ce dans la langue du pays, le
kinyarwanda.
Une question est posée dans la salle sur les implications de l’acquittement de BAGOSORA
concernant le chef d’ « entente en vue de commettre le génocide » et qui est souvent repris par
la sphère négationniste pour répandre dans l’opinion la croyance qu’il n’y a pas eu de
planification. Jean-François DUPAQUIER répond que ces responsables condamnés pour
crime de génocide ne l’ont pas été pour « entente en vu de commettre un génocide » en raison
de l’absence de preuve permettant d’avérer les faits « au delà du doute raisonnable », notion
très importante en droit anglo-saxon. Il rappelle que la qualité des preuves qui sont produites
devant les juges est déterminante et qu’en de multiples reprises, les enquêtes réalisées par les
services du procureur ont fait preuve de beaucoup d’insuffisances. Mais que les preuves
n’aient pas permis de prouver un telle entente concernant tel ou tel personnage ne signifie pas
que cette entente n’a pas eu lieu. Du reste, il est rappelé que trois personnes (d’anciens
ministres du GIR) ont été condamnées pour « entente en vue de commettre un génocide ».
b/ Témoignages
Éric NZABIHIMANA, rescapé du génocide ayant résisté dans les collines de Bisesero, relate
notamment l’arrivée des militaires français de l’opération Turquoise à Bisesero le 27 juin
1994 et la façon dont les militaires ont abandonné ces rescapés 3 jours pendant lesquels les
attaques des génocidaires ont redoublé, laissant à peine 10 % des résistants en vie.
D’après lui, il convient de reprocher aux Français, d’une part, cet abandon du 27 juin alors
que les rescapés encore en vie étaient épuisés par près de 3 mois de résistance et qu’ils
courraient encore un très grave danger, et d’autre part, le fait que l’armée française a freiné
l’avancée du FPR alors que celui-ci mettait fin au génocide. Éric conclut en demandant que
Justice soit rendue.
Pauline KAYITARE, auteure de «Tu leur diras que tu es hutu » relate ensuite son expérience
et la façon dont elle a pu survivre en errant et en se faisant passer, sur les conseils de sa mère,
pour une Rwandaise hutu. Elle rapporte notamment que les tueries se poursuivaient dans la
« zone humanitaire sûre » délimités par l’opération Turquoise et au sein de laquelle les
militaires français étaient supposés mettre fin aux massacres. Elle affirme également qu’à
Goma, des colonnes de tueurs, en présence des militaires Français, menaçaient à coup de « on
va revenir, on va vous tuer ».
Jean-Luc GALABERT précise qu’il importe, lorsque l’on interroge des témoins, de les laisser
parler, de ne pas induire de réponses, de ne demander des clarifications que dans un second
temps. Il ajoute qu’il faut aussi avoir conscience que des témoins ont pu être interrogés à de
multiples reprises et que l’évolution des récits est normale et ne reflète pas forcément des
contradictions ; celles-ci peuvent refléter des étapes de la reconstruction personnelle des
rescapés. Jean-Luc souligne l’importance de tenir compte du contexte des entretiens, de la
motivation des intervieweurs aussi ben que des témoins et de décrire les conditions des
recueils de témoignages pour que ces matériaux puissent être pris en compte dans l’analyse de
la validité des témoignages.
Jean MUKIMBIRI, docteur de l’université catholique de Louvain et conseiller en médiation,
auteur de plusieurs articles, intervient sur le thème du négationnisme et sur la façon d’y faire
face. Il introduit son propos en clarifiant la distinction à laquelle il convient de procéder entre
révisionnisme et négationnisme, le premier n’étant pas toujours incriminable contrairement au
second qui « n’a ni fondement éthique, ni assise scientifique ».
Jean MUKIMBIRI égrène ensuite les arguments composant le négationnisme du génocide des
Tutsi rwandais pour démontrer leur absurdité logique ou historique et ainsi mieux
déconstruire le négationnisme lui-même :
-
-
-
-
-
-
Le présupposé d’une haine atavique entre Hutu et Tutsi contredit par le mythe
fondateur consacrant fraternité et consanguinité entre Hutu et Tutsi et par son
caractère opératoire jusqu’à l’historiographie coloniale ; de plus, à supposer vraie une
telle haine, il n’en reste pas moins que le passage de la haine au génocide opère un
saut qualitatif
L’accusation/propagande en miroir incohérente avec le « délit d’appartenance » qui
caractérise le génocide
La guerre civile : mélange des genres pour brouiller les événement mais guerre civile
et génocide sont deux notions précises
L’autodéfense, la légitime défense : difficilement recevable pour justifier
l’acharnement des génocidaires contre tous les Tutsi, sans le moindre quartier :
invalides, malades mentaux, fœtus.
La thèse de la colère spontanée en réaction à l’attentat du 6 avril 1994 : elle réduit le
génocide à une réaction qui ne s’appréhenderait que dans l’« immédiateté » du 6
avril ; or, à l’instar de l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914, l’attentat du 6 avril n’est
que l’étincelle qui déclenche et non la cause.
La négation pure et simple du génocide des Tutsi : complètement absurde vu la
convergence massive des témoignages, la reconnaissance par l’ONU, les historiens, le
rythme d’anéantissement des Tutsi, etc. Ici le nombre de survivants n’importe pas, la
réalité d’un génocide découlant de cette intention spécifique d’exterminer un groupe
pour ce qu’il est
Le double génocide et la guerre des statistiques jouant à deux niveaux, d’une part en
référence aux opposants hutu à l’idéologie du génocide qui ont été tués et, d’autre part
en référence aux massacres de Hutu attribués au FPR que ce soit à l’intérieur ou à
l’extérieur du pays (en RDC en particulier) : sur le massacre de Hutu opposés à
l’idéologie du génocide, il s’agissait d’éliminer les gêneurs, ce qui n’a rien à voir avec
un génocide ; sur les massacres de Hutu à l’intérieur du pays, pas de génocide qui soit
reconnu que ce soit par l’ONU, les juristes ou les historiens ; le sujet n’a jamais fait
débat ; sur les massacres de Hutu réfugiés dans l’ex- Zaïre, actuelle RDC, aucune
étude concluante n’en a, à ce jour, été publiée.
La réconciliation sans justice et le devoir d’oubli : il s’agirait, en somme de préparer
l’avenir, sans réparer le passé, ce qui fait que la victime est perfidement
sommée d’oublier : « Certains milieux considèrent la réconciliation entre Hutu et
Tutsi primordiale, au point de supplanter le besoin de justice. » ; c’est une
escroquerie morale
Jean MUKIMBIRI évoque ensuite la formulation pernicieuse de « génocide rwandais » trop
souvent employée pour désigner les génocide des Tutsi rwandais. Employée par négligence
ou pour distiller un certain négationnisme, cette formule dénature la réalité des faits la
requalification qu’elle signifie fait perdre aux rescapés le droit inaliénable à la reconnaissance
de ce qu’ils ont eu à souffrir à travers le langage.
Cécile GRENIER, membre de FRG-EJR, prend ensuite la parole pour relater son expérience
personnelle. C’est au cours d’un voyage au Rwanda en 2002 qu’elle rencontra Vénuste
KAYIMAHE et se rendit compte des milliers de témoignages qu’il y avait à récolter pour
étayer les présomptions très fortes de l’implication française. Quelques mois après ce voyage,
elle revient au Rwanda pour 6 mois au cours desquels elle filma environ 40 h d’entretiens en
kinyarwanda. De ces témoignages sont ressorties des allégations qui n’existaient pas à
l’époque et accentuaient encore la gravité de l’implication française (par exemple, les lâchers
de Tutsi depuis des hélicoptères dans la forêt de Nyungwe qui seront évoqué plus tard dans le
rapport de la commission MUCYO). D’autres témoignages concordants relatent l’existence
d’une fosse commune contenant des victimes du massacre du 21 avril à l'école de
MURAMBI sur laquelle les militaires français aurait aménagé un terrain de volley-ball.
Cécile exprime la difficulté qu’elle a eu dans un premier temps à « digérer » ce matériau dont
elle ne savait pas s’il fallait l’exploiter. Au tout début, elle envisageait de le diffuser puis elle
s’est peu à peu rendu compte que ça n’allait pas être facile vu la difficulté d’accepter de but
en blanc de tels témoignages qui renvoient à l’impensable. Finalement, c’est une bande
dessinée, « Rwanda 1994 » qui a été faite à partir des éléments recueillis. Des retranscriptions
de témoignages sont également parues dans le numéro 3 de la revue La Nuit Rwandaise.
II/ Justice
Cette seconde partie débute avec l’intervention de Gabriel PERIES, politologue et auteur avec
David SERVENAY de « Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais
(1959-1994) » paru en 2007 aux éditions La Découverte.
Gabriel PERIES est spécialiste de la « doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR) forgée
par les militaires français au lendemain de leur défaite en Indochine. C’est une doctrine qui
fixe les règles de l’art en matière de contre-insurrection, c’est-à-dire qui dégagent les voies et
moyens de contrôler les populations, corps et âmes, ou encore de gagner « les cœurs et les
esprits » à la cause de l’idéologie développée précisément pour sa capacité à mobiliser, à
susciter l’adhésion et cette « cohésion animique » autour du souverain. Elle suppose la
définition d’un « ennemi intérieur » qui servira de bouc émissaire en temps utile.
La mise en œuvre de cette doctrine en Algérie, au Cameroun, dans les dictatures d’Amérique
latine, etc. démontre qu’il s’agit d’une véritable arme de destruction massive. Cette
« machine » encline à déboucher sur un génocide comme au Rwanda instrumentalise le
racisme – attiser la haine contre un ennemi défini sur la base d’un fond racial, et développe
une propagande de terreur. En agitant constamment la même menace, en terrorisant les
présumés terroristes, les individus perde progressivement leur esprit critique. D’autant plus
réceptifs que la menace martelée semble réelle, ils abandonnent alors peu à peu leur
souveraineté individuelle et deviennent ainsi les sujets malléables d’un système pouvant les
« agiter » à sa guise.
Gabriel PERIES en rappelle les mécanismes opérationnels et notamment le quadrillage
territorial (à toutes les échelles jusqu’au groupe des 10 maisons).
Il rappelle comment la figure de l’ennemi intérieur tutsi émerge à la fin des années 50 :
assimilant les militants de l’UNAR (parti nationaliste essentiellement tutsi) à des
communistes du type de LUMUMBA, la puissance coloniale belge va procéder à un
renversement d’alliance et attiser la haine des Hutu contre les Tutsi.
Il rappelle qu’au Rwanda, la vérification de l’ethnie est particulièrement facile puisqu’elle est
précisée sur les cartes d’identité.
La DGR se base notamment sur le concept de guerre totale développé en particulier par Erich
LUDENDORFF (l’une des principales figures militaires du 2ème Reich allemand ;
viscéralement antisémite et anticlérical, il considère que, l’Allemagne ne devant sa défaite de
1918 qu’à la subversion intérieure des Juifs et de l’Église catholique, il est fondamental de
garantir en tout premier lieu la bonne gestion de sa population) qui suppose de mobiliser toute
la population pour l’effort de guerre et implique de donner la priorité à la guerre sur les
arrières pour éliminer les ennemis intérieurs.
Pour Gabriel PERIES, le processus génocidaire au Rwanda commence avec le 1er « exemple »
qui est fait sur les BAGOGWE (entre 500 et 1 000 morts début 1991).
Luttant au sein du « collectif argentin pour la mémoire » pour dénoncer les crimes contre
l’humanité résultant de l’application de cette doctrine au Chili, en Argentine, etc. (voir
notamment le documentaire « les escadrons de la mort » de Marie-Monique ROBIN pour
comprendre comment les Français ont formé les états-majors de ces pays à ces méthodes de
contre-insurrection et en particulier à la terreur par la torture), il considère que cette doctrine
doit être reconnue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire, une arme de destruction massive devant
être prohibée.
Est ensuite intervenu Me LARDINOIS, avocat au barreau de Bruxelles, et ayant notamment
plaidé pour des parties civiles dans l’affaire de l’ETO (école technique officielle où les
casques bleus belges abandonnèrent aux miliciens des centaines de Tutsi ; au moment où ils
quittèrent l’école, ces soldats belges n’étaient plus sous les ordres de l’ONU et l’ordre de
partir est venu de l’état-major belge ; en droit, il a été plaidé que cet abandon valait remise
aux miliciens).
Me LARDINOIS considère que l’on a trop attendu pour poursuivre l’État et les militaires
présumés impliqués dans la commission du génocide. Il précise que des poursuites civiles
peuvent être plus indiquées en ce sens qu’elles permettent de garder une certaine maîtrise des
procédures alors qu’au pénal, c’est le ministère public qui a seul la main.
Me LARDINOIS explique qu’il faut s’appuyer sur l’article 1 de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide qui engage les Etats signataires à prévenir le
génocide. Aussi, lors des opérations Amaryllis et Turquoise, les militaires français étaient
tenus d’empêcher le génocide, ce qu’ils n’ont absolument pas fait (fait corroboré notamment
par le rapport du général PONCET – responsable de la mission Amaryllis ayant officiellement
eu pour objet de rapatrier les ressortissants français et européens, qui précise qu’il a bien été
fait attention à ce que les journalistes ne filment pas les soldats qui assistaient aux massacres
sans réagir).
Annie FAURE a ensuite pris la parole pour expliquer l’avancement des plaintes en cours
contre des militaires français pour viols et pour crimes contre l’humanité. Trois plaintes sont
ainsi en ce moment sur le bureau du juge d’instruction au Tribunal aux Armées de Paris,
Frédéric DIGNE. Il s’agit de plaintes de rescapés laissées pour mortes dans le camp français
de NYARUSHISHI. Le récit de ces femmes broyées mais à la volonté intacte fait ressortir
une redoutable sincérité qui a déjà permis d’obtenir la recevabilité de ces plaintes.
L’instruction est en cours et le juge devrait les recevoir dans son bureau début décembre.
Néanmoins, la disparition du TAP début 2012 fait craindre qu’une fois de plus le dossier ne
reste en suspens.
Égide NKURANGA reprend la parole pour traiter des demandes de réparations que la
communauté internationale redoute. Il précise notamment que l’article 23 des statuts du TPIR
prévoit la possibilité d’ordonner des restitutions mais qu’il n’en a jamais été fait application
jusqu’à maintenant. Aujourd’hui, aucune réparation, que ce soit dans le cadre du TPIR, des
Gacaca (cette « justice de gazon » désigne les tribunaux traditionnels rwandais qui ont lieu en
plein air et qui, malgré son caractère sommaire et tous les défauts que cela implique, a
néanmoins très souvent permis de faire avancer la justice).
Des échanges ont lieu sur les moyens qui permettraient d’impliquer d’avantage les
responsables politiques. Une anecdote raconte qu’interrogée l’année dernière sur l’inventaire
des années MITTERRAND en Afrique, Catherine TASCA (sénatrice PS) a répondu que « le
PS n’est pas prêt ». La question du partage de responsabilités entre hauts responsables
politiques et militaires est également posée.
Conclusion
Jean-Luc GALABERT invite les personnes intéressées par la perspective de continuer le
travail entamé à se retrouver le lendemain.
Journée du 13 novembre
Les présentations et débats se sont ainsi poursuivis le dimanche 13 novembre avec près d’une
cinquantaine de personnes venues travailler pour faire avancer les choses. Alors que les
travaux devaient s’interrompre à 12 heures 30, les participants ont choisi de continuer à
élaborer des perspectives concrètes de collaboration jusqu’à 18 h.
Après une phase d'échanges en assemblée plénière, des groupes thématiques ont précisé des
souhaits et des orientations de travail qu’il reste maintenant à mettre en oeuvre :
Les thèmes retenus ont été :
−
−
−
−
CEC - Justice ;
Pédagogie - Transmission ;
Lutte contre le négationnisme ;
Recueil de témoignage - soutien aux témoins rescapés - construction d’outils
d’indexation et recoupement des témoignages ;
Le compte-rendu de cette journée et des réflexions et propositions de travail des groupes sera
bientôt prêt. Les actes des deux journées du 12 et 13 novembre sont en cours de réalisation
Le film de la journée du 12 novembre est consultable sur internet à l'adresse suivante :
http://www.dailymotion.com/widget/jukebox?list[]=%2Fplaylist%2Fx1tiww_La-cabane-aux-fees_colloque-frgejr%2F1&skin=slayer&autoplay=
Le module vidéo peut être intégré sur une page web, avec l’ensemble des vidéos,
Pour opérer cette intégration il faut copier-coller ceci:
marginheight="0"
src="http://www.dailymotion.com/widget/jukebox?list[]=%2Fplaylist%2Fx1tiww_La-cabaneaux-fees_colloque-frg-ejr%2F1&skin=slayer&autoplay=">
Powered by DailymotionCordialement vôtre
FRG-EJR