Fiche du document numéro 35656

Num
35656
Date
Lundi 20 octobre 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
167275
Pages
2
Urlorg
Sur titre
Édito
Titre
Paul Kagame et l’exception rwandaise
Sous titre
Vingt-cinq ans après sa première investiture, Paul Kagame est régulièrement critiqué à l’étranger pour son exercice autoritaire du pouvoir, ainsi que pour les interventions de son armée en RDC. Lesquels sont au contraire plébiscités par la grande majorité des Rwandais, pour qui leur leader incarne la sécurité, la stabilité et le développement inclusif.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Paul Kagame, lors d’une interview accordée à Jeune Afrique, à Kigali, en 2019.
© Vincent FOURNIER/JA

Prenez ces mots : « agaciro » (« dignité », en kinyarwanda), « Ndi Umunyarwanda » (« Je suis Rwandais »), « ubushake » (« volonté »), et vous avez les trois piliers du state building version Paul Kagame. Soit un effort délibéré, à travers des politiques publiques et une idéologie basée sur la « désethnicisation », de mobiliser les 14 millions de Rwandais dans une entreprise radicale d’ingénierie sociale et de transformation économique.

Le résultat n’est pas seulement celui d’une capitale, Kigali, offerte aux millions de téléspectateurs des derniers championnats du monde de cyclisme, formidable vitrine d’un « Visit Rwanda » qui, au-delà du slogan, est le fruit d’un choix fait il y a plus d’une décennie : celui de rendre le développement lisible, donc bancable, à l’extérieur. Il est bien plus profond que cela. Au-delà des incontestables performances d’un pays qui coche la plupart des cases en hausse de l’indice de développement humain, au-delà de la réussite de son modèle de lutte contre la corruption – ce carburant des révoltes de la génération Z – qui combine les approches juridique, disciplinaire et socio-culturelle, il est une caractéristique de l’exception rwandaise que beaucoup d’observateurs ne relèvent pas.

Lorsque Paul Kagame et les dirigeants du Front patriotique rwandais (FPR) sont arrivés au pouvoir après avoir mis un terme au génocide des Tutsi, la plupart d’entre eux venaient de l’extérieur du Rwanda, un pays dans lequel ils n’avaient pas grandi. Face à eux, une population dont l’immense majorité baignait depuis l’époque coloniale dans une idéologie ethnocentriste et meurtrière de diabolisation. Mille collines, mille fosses communes : tel était le Rwanda en juillet 1994.

Souvenir d’un Rwanda précolonial



La légitimité de Kagame n’est donc pas et ne pouvait pas être le produit d’un processus démocratique « à l’occidentale » – concept dont il assume parfaitement se défier – mais d’un processus politique et psychologique de construction d’un Rwandais nouveau, débarrassé des miasmes de la haine de l’autre, entreprise sans équivalent en Afrique.

C’est pour cela, et parce que l’expérience du génocide lui a appris qu’il ne pouvait pas compter sur le monde extérieur en cas de menace, que le régime a fait le choix quasi léniniste de s’appuyer sur une élite technocratique d’avant-garde et une bureaucratie dont la qualité technique est reconnue pour placer clairement dans l’ordre de ses priorités le décollage économique et social avant la libéralisation politique. Objet d’une polarisation des jugements, là aussi sans équivalent sur le continent, autour de la personnalité hors norme de son leader, le pouvoir rwandais est un pouvoir qui apprend et qui sait adapter son mode de gouvernance à l’évolution du contexte, mais c’est aussi un pouvoir qui n’oublie rien et qui fonde sa pertinence et une partie de son inspiration dans le souvenir d’un Rwanda précolonial, pétri de patriotisme et de cohésion nationale – quitte à l’idéaliser.

Tout observateur de bonne foi doit donc reconnaître que le Rwanda a quelque chose de spécial et ceux qui ne voient dans les intentions du régime de Kigali chez son voisin congolais qu’une triviale volonté expansionniste et prédatrice ignorent – volontairement ou non – deux dimensions essentielles. Celle, ineffaçable, d’un génocide de proximité sur les communautés qui en ont été les victimes. Et la dimension d’unité culturelle et politique qui, jusqu’à l’aube de la colonisation belge, reliait les Mwami du Rwanda aux chefferies tutsi établies sur le territoire de l’actuel Nord-Kivu.

Cette double perspective explique en grande partie pourquoi la protection des populations rwandophones de l’est de la RDC, tour à tour et depuis six décennies marginalisées, discriminées, jalousées, spoliées et trompées par de fausses promesses est pour Paul Kagame et les siens une obsession existentielle. Entre le cataclysme du génocide et l’État tel qu’il existe aujourd’hui, avec ses deux piliers que sont la sécurité et le développement inclusif, il y a à la fois un abysse et un lien infrangible de causalité.

François Soudan

Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024