Fiche du document numéro 35578

Num
35578
Date
Dimanche 21 septembre 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
331996
Pages
27
Urlorg
Titre
Procès en appel de Sosthène Munyemana à la Cour d’Assises de Paris - Jour 1
Sous titre
Compte rendu de l’audience du 16 septembre 2025
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce 16 septembre 2025, l’audience s’est ouverte à 10h30 par la constitution du jury par le Président de la Cour :

La Cour (Président, 2 Magistrates, 1 magistrate à titres supplémentaire, greffier, huissier, procureur général) et les jurés : 9 titulaires, 5 supplémentaires. Il a aussi présenté:
Les parties : Parties civiles, Défense
Les avocats : Parties civiles, Défense
Les 3 interprètes
L’accusé
Le planning : liste des comparutions des témoins.
Ensuite s’est suivi une discussion à propos de la comparution du témoin Fabrice Ishimwe :

Le témoin aurait accepté de comparaitre en visioconférence dû à un empêchement professionnel ne lui permettant pas de se rendre à Paris. Il n’aurait jamais demandé à être entendu en visioconférence et aurait toujours affirmé souhaiter comparaître en présentiel au palais de Justice à Paris. Il refuserait catégoriquement à comparaître en visioconférence. Les avocats de la défense affirment une constante interférence des autorités rwandaises contre les témoins de la défense. En l’occurrence, ce témoin qui est important pour la défense. Est soulevé l’insécurité du témoin face aux autorités et l’ingérence de certains agents rwandais pour influer sur le procès. Les avocats des parties civiles rebondissent pour prévenir d’une rengaine faite par la défense concernant cette supposée ingérence des autorités rwandaises. Le témoin, puisqu’il peut se déplacer pour se rendre en France, disposerait d’une certaine liberté donc pas tant de crainte à l’égard de ces autorités. Il peut y avoir des incompréhensions sans que ce ne soit forcément une ingérence des autorités rwandaises.

Ensuite, après avoir présenté les faits historiques et le contexte, le Président de la Cour a exposé les faits reprochés à l’accusé :

La participation à la mise en œuvre de la politique génocidaire au niveau local
La proximité avec le gouvernement :
Lien avec les autorités ; amitié avec le premier ministre intérimaire, amitié avec le ministre de l’Agriculture qui n’ont jamais été contestées. Son engagement au sein du parti MDR (Mouvement Démocratique Républicain) également reconnu, sans précision sur la branche à laquelle il appartenait. Plusieurs témoins l’ont qualifié comme quelqu’un de raisonnable et modéré, sans attitudes anti-tutsis. Une proximité avec Jean Kambanda chef local de la MDR Power, l’accusé n’a évoqué qu’une seule visite et un échange en juin 1994.
La signature d’une motion de soutien au gouvernement le 16 avril 1994
Le génocide est déjà en cours dans le pays lors de la diffusion de la motion de soutien à la Radio Rwanda. La persistance des massacres, la diffusion de la motion coïncidait avec le déplacement du Président et du premier ministre Jean Kambanda, visant à faire débuter le génocide dans la préfecture rebelle en imposant un nouveau préfet et forçant la population locale à se positionner. Le Président fera un appel au meurtre des Tutsi. L’accusé, Sosthène Munyemana nie un soutien à la politique de Jean Kambanda lors de la signature de la motion et déclare n’avait perçu son évolution qu’en 1994, selon lui il n’y avait pas de violences lancées par le gouvernement. Selon la chambre d’instruction, au vu de la date de signature alors que la période de massacre des Tutsi était déjà largement répandue, l’accusé (personnalité intellectuelle de Butare) ne pouvait ignorer au vu des appels à la violence, le gouvernement incitant à la chasse aux complices du FPR (Front Patriotique Rwandais). La chambre d’instruction soutient que la diffusion de cette motion s’insérait logiquement dans la stratégie de basculer dans une politique génocidaire. Selon la chambre d’instruction, ces éléments couplés avec la diffusion publique de la motion et la connaissance effective des massacres constituent des charges suffisantes contre Sosthène Munyemana pour avoir publiquement soutenu un gouvernement génocidaire.

La participation de l’accusé à certaines réunions locales est susceptible d’entrer dans le champ pénal dès lors que ces rencontres avaient pour objectif de préparer, mettre en œuvre le génocide, se tenait des réunions dans des bureaux de secteur pendant le génocide, dans plusieurs communes des comités se tenaient afin de relayer la politique du gouvernement intérimaire, ces comités regroupaient des responsables politiques et des notables locaux capable de mobiliser l’opinion publique pour imposer leur décision, selon ce constat certains comités sont apparus dès avril 1994. L’accusé soutient la préexistence d’un comité de sécurité, à la demande de citoyens cherchant un équilibre moins extrémiste, il avait accepté de rejoindre ce comité en qualité de sage. L’accusé avait pris la parole confirmant la mise en place de ronde et de barrières pour sécuriser le secteur, l’accusé reconnait que ces structures avaient par la suite servi au génocide. Des réunions se sont tenues pour décider du sort des Tutsi détenus dans des bureaux de secteur, l’accusé a été vu détenant un groupe de Tutsi sans qu’il ne participe à la tuerie. Sosthène Munyemana a admis la tenue en sa présence de quatre à cinq réunions sans intervenir pour statuer du sort des réfugiés se trouvant au bureau du secteur. Selon la chambre d’instruction, l’ensemble de l’étude de différents témoignages, la tenue d’un comité de crise organisant des rondes et des barrières qui ont servis à identifier et cibler les Tutsi, l’accusé a soutenu qu’il pensait à une défense commune Hutu-Tutsi, la chambre a relevé que compte tenu du contexte national, de son niveau intellectuel, de son engagement politique, il ne pouvait ignorer leur usage réel d’autant que la date coïncidait avec la destitution du préfet de Butare et la reprise en main de ce territoire par les autorités politiques et administratives. Des témoins crédibles rapportent que Sosthène Munyemana disait que les Hutu réfugiés chez lui faisaient l’objet de menaces et appelaient à lutter contre l’insécurité laissant l’initiative aux extrémistes. Selon la chambre d’instruction, il existe ainsi des éléments de son implication dans des réunions au service de responsabilité à l’échelon local, qui a décidé que la mise en place de ronde et barrières contribuait à la mise en place de la politique génocidaire de Tumba.

Le prétexte officiel des rondes était la lutte contre la criminalité mais à en réalité servit à la recherche des cachettes des Tutsi, ceux qui ne participaient pas, étaient des ennemis, l’accusé n’a jamais nié avoir participé aux rondes mais a toujours nié la participation aux barrières, La détention et l’usage de la clé du bureau de secteur pour enfermer des personnes Tutsi: l’accusé détenait les clés du bureau de secteur de Tumba dans lesquels ont été détenus plusieurs semaines des Tutsi, l’accusé soutient que la détention de la clé permettait aux Tutsi de s’y réfugier, lors de cette détention, il n’y avait une absence de soin, une absence d’eau, une absence de toilettes, la seule aide apportée provenait de bénévoles extérieurs. Une surveillance armée des détenus avait lieu, lors du transfert des détenus Tutsi, ils étaient invités à monter dans un camion à destination de la gendarmerie de Butare, à la suite de quoi ils n’étaient jamais retrouvés. L’accusé dit ne jamais s’être renseigner du sort des personnes détenues car il faisait confiance aux autorités sur ce que devenait les réfugiés. La chambre d’instruction a retenu les éléments suivants :

La signature d’une motion de soutien au gouvernement
La participation aux réunions du comité de crise ayant mis en place des dispositifs de barrières et de ronde
La détention et l’usage de la clé de secteur pour enfermer des Tutsis
La chambre n’a pas retenu par manque de charges suffisantes :

La participation et responsabilité de l’accusé dans les différentes attaques mentionnées (colline, église, site des abattoirs)
La chambre d’instruction retient sur la qualification de génocide, de crimes contre l’humanité à la charge de Sosthène Munyemana: Les conditions de détentions des Tutsi dans le bureau de secteur, sans prise en charge, ni soins, pouvant être privés d’eau et de nourriture pendant 2 à 3 jours ne pouvaient avoir que pour but l’extermination.
Le Président de la Cour fait usage de son pouvoir discrétionnaire, aucun des témoins ne fait serment, ils témoignent à titre de renseignement.

Comparution du 1er témoin : Colonel Chevalier : Attaché de sécurité intérieur à l’ambassade de France au Rwanda.

La mission prioritaire est d’appuyer les enquêteurs et la justice dans les processus conduits en France et au Rwanda. Principalement au travers de demande d’entraide internationale qu’il reçoit et transmet aux autorités rwandaises compétentes en l’occurrence le National Public Prosecution Authority (NPPA). Le bureau du procureur général du Rwanda a autorité sur tous les procureurs dans les différentes régions. Il effectue un traitement de ces demandes d’entraide par un dialogue direct, il est dans leur bureau fréquemment. Il transmet des réponses notamment pour les convocations de témoin vers le service. Sur le plan matériel, il est installé dans une salle des bureaux du NPPA mise à la disposition de la justice français pour les procès dont il est le seul à avoir accès, avec le témoin, l’interprète si nécessaire (les 3 seules personnes autorisées).

Président de la Cour : Entre le moment où la demande d’entraide pénale internationale est adressée au moment où il y a remise de convocation au jour du procès. Quel est le processus ? Qui dépose concrètement la convocation aux témoins ? Quelle interaction il y a ? Comment ça se fait ?

Colonel : Au Rwanda une unité particulière appelé le PVT (unité de protection des victimes et des témoins) d’environ 18-20 agents répartis en région. Lorsque les convocations leur arrivent, ils vont chercher grâce aux informations connues tous ces témoins et se rendent à leur domicile pour leur transmettre la convocation.

À l’issue de cela, certain seront entendu dans le tribunal en présentiel, leur déplacement sera organisé jusqu’à Paris. D’autres seront entendu en distanciel par visioconférence donc ils seront entendus dans la salle du NPPA.

Président de la Cour : Est-ce que vous avez déjà rencontré des obstacles, des difficultés particulières pour la réalisation des procédures concernant l’organisation de ce procès ? Si oui, comment l’expliquez-vous ? Qu’avez-vous mis en place ? Si non, que ressentez-vous dans cette collaboration avec les autorités rwandaises ?

Colonel : Hormis quelques difficultés matérielles, dans cette salle il peut arriver de perdre la liaison, il peut y avoir des difficultés dues à des coupures électriques, de coupures de réseaux, ce sont les principales difficultés qui vont perturber le débat quand il est fait en visioconférence. Concernant les échanges avec les services du procureur général, il n’y en a aucune, ce sont des personnes professionnelles et réactives, on ressent une bonne volonté dans l’exécution de la mission, ils se tracassent pour identifier et localiser les témoins afin qu’ils puissent être présent à Paris ou en visioconférence.

Avocat civil : François

Est-il déjà arrivé de faire venir à la fois des témoins des parties civiles et des témoins de la défense ? Si oui, est-ce qu’il y a des différences de traitement ?

Colonel : Oui, on voit passer les témoins de la partie civile et de la Défense, je n’ai jamais vu de différences de traitement entre les personnes. Dans cette salle (NPPA), il n’y a aucune différence de traitement non plus.

Avocat civil : Michel

Quand est-ce que vous avez pris vos fonctions ?

Colonel : Le service de sécurité intérieur a été créé au sein de l’ambassade de France le 1er janvier 2023. Pour ma part, j’ai été mis en place le 1er septembre 2024.

Avocat : Il vous est donc déjà arrivé de faire ce que vous faites aujourd’hui dans ce procès ?

Colonel : Dans les deux procès précédents qui ont eu lieu en octobre dernier

Avocat : Est-ce que vous avez déjà eu connaissance d’interférences quelconque des autorités rwandaises dans le cadre de votre mission ?

Colonel : Des interférences non, des interactions oui puisqu’au cours d’un précédent procès un des témoins qui avait pris part au procès a décidé de ne pas rentrer au Rwanda et a disparu en France.

Avocat : Intervenez-vous aussi auprès d’enquêteurs pour les assister ?

Colonel : Oui, j’assure l’élément précurseur à la fois des magistrats et des enquêteurs dans le CNCH dans les différents dossiers qu’ils ont à leur charge. Pour assurer la fluidité avec les autorités rwandaises selon le même principe que la localisation des témoins, les enquêteurs demandent à localiser un certain nombre de témoins qui vont avoir à entendre.

Avocat : Est-ce que dans ce cadre-là vous auriez également entendu parler d’interférences des autorités rwandaises ?

Colonel : C’est peut-être arrivé mais je n’en ai jamais eu la connaissance.

Avocat : Sylvain

Est-ce que vous avez connaissance de difficultés, de risques pour les avocats de la partie civile ou de la défense de se rendre au Rwanda ?

Colonel : Non, même s’ils ne prennent pas contact avec moi, je sais qu’il y a des avocats des parties civiles ainsi que de la Défense qui se rendent au Rwanda. En matière de sécurité, je dirais que le Rwanda est un pays sûr, il n’y a pas d’insécurité chronique au Rwanda, je n’en ai jamais eu connaissance de fait qui pourrait motiver leur non venu.

Avocat général : Dans les procès de génocide ou des crimes contre l’humanité, il y a une habitude de systématiquement mettre en cause le gouvernement Rwandais alors que ce n’est pas l’objet du procès, on juge un homme et pas un gouvernement. On juge un homme pour un fait qualifié universellement de génocide, de crimes contre l’humanité. Ce matin encore, on a pu remettre en cause le régime. Dans notre procès, est-ce que vous avez eu vent des difficultés pour remettre une convocation pour permettre à un témoin de déposer soit à Paris, soit au bureau où vous vous trouvez ?

Colonel : Non, de plus comme nous sommes en appel, la plupart des témoins ont déjà été entendus donc leur identité et leur adresse étaient plus ou moins déjà connues, c’est allé assez rapidement.

Avocat général : Il se trouve qu’un nouveau témoin a été cité en appel qui semble-t-il aurait des difficultés à pouvoir venir en France. Est-ce que cela vous dit quelque chose ?

Colonel : Si vous me le dites peut-être que je pourrais vous répondre.

Avocat général : M. Ishimwe Fabrice

Colonel : En effet, j’en ai entendu parler, il aurait demandé à être entendu au travers du système de visioconférence à cause d’un empêchement professionnel. Visiblement, il a changé d’avis, et il se rend en présentiel à Paris. Aujourd’hui, la seule difficulté que son passeport de service n’est pas encore prêt, mais il devrait l’être avant la fin de la semaine ce qui laisse un délai suffisant pour qu’il se rende à Paris normalement.

Avocat général : Vous dites que c’est un problème d’agenda simplement. Alors que ce matin a été énoncé un problème selon vous, d’où pourrait provenir cette différence de perception ?

Colonel : Il n’y a aucun problème pour qu’il vienne témoigner en présentiel à Paris.

Avocat de la défense : Là-bas, vous êtes dans les locaux du parquet à Kigali n’est-ce pas ?

Colonel : Oui, je confirme qu’on est dans les locaux du NPPA

Avocat : Bâtiment bien identifié comme appartement à l’administration de la justice rwandaise

Colonel : Oui maître

Avocat : C’est dans ses locaux que sont entendu en visioconférence les témoins qui n’ont pu se rendre en France

Colonel : Oui, maître

Avocat : Avant d’arriver dans cette salle comment ça se passe ? Où est-ce qu’il se présente ?

Colonel : Ils viennent souvent accompagnés par les agents mentionnés tout à l’heure afin qu’ils n’aient pas de frais pour se déplacer jusqu’ici. Il y a une salle d’attente en bas, où ils attendent et une fois que c’est l’heure, à ce moment-là, il y a quelqu’un du PVT qui l’amène dans la salle et là je le prends en compte et il s’assoit soit à ma place soit à côté avec l’assistance d’un interprète.

Avocat : Le PVT est un service purement rwandais pour l’acheminement des témoins n’est-ce pas ?

Colonel : Oui avec le ministère de la justice français, le relais de l’ambassade et leur service.

Avocat : Ce sont des agents rwandais qui vont les chercher en bas de chez eux, c’est ça ?

Colonel : Oui

Avocat : En ce qui concerne les convocations, que ce soit en présentiel ou en visioconférence qui adresse la convocation, citation à comparaître ?

Colonel : Ça arrive chez moi, je la transmets au NOPA et au PVT, les agents du PVT selon le lieu de résidence du témoin porte la convocation à son adresse.

Avocat : Donc là encore ce sont des agents rwandais qui font ce service, au niveau du NPPA, du parquet ?

Colonel : Oui maître

Avocat : Est-ce que lors de la remise d’une convocation à comparaître on fait signer quelque chose ? On remet une copie de la convocation ?Colonel : On la fait signer et il y a un récépissé, une fois la liste faite le PVT fait un PV et le renvoie

Avocat : Est-ce qu’un exemplaire de la citation est remis à l’intéressé ?

Colonel : Il me semble mais je ne suis pas affirmatif à 100%

Avocat : Pour le témoin dont on parlait tout à l’heure il semble qu’aucun exemplaire de la citation ne lui ait été remis. Ça arrive de temps en temps ?

Colonel : Je pourrai le vérifier.

Avocat : Lorsqu’un témoin vient témoigner en visioconférence, le PVT l’a amené au NPPA, est-ce qu’il y a un moment quelconque où le témoin avec ou sans interprète peut avoir un entretien avec un membre de la salle sans qu’il n’y ait à ses côtés un membre du parquet rwandais ou du PVT ? Un moment où il pourrait évoquer ses peurs et inquiétudes ? Ou alors il y a toujours quelqu’un ?

Colonel : Non, comme expliqué en début d’audition quand il arrive dans cette salle il y a un temps de latence où le témoin est seul avec moi et parfois un interprète. Il est parfaitement libre de s’exprimer comme il le souhaite.

Avocat : Le témoin dont on parlait tout à l’heure figurait sur votre liste des témoins à comparaître en présentiel à Paris. Selon ce que vous auriez appris, il aurait changé d’avis mais comment vous le savez ?

Colonel : Par la communication des agents du PVT

Avocat : Cette communication a pris quelle forme ?

Colonel : Par mail

Avocat : Que disait ce mail ?

Colonel : Ce que j’ai dit précédemment, il demandait à être entendu en visioconférence depuis Kigali. Je n’ai pas les mots exacts en tête mais il aurait eu un séminaire de basket dans le moment où il aurait dû être à Paris mais il souhaitait rester. Visiblement il a changé d’avis et sera entendu en présentiel à Paris.

Avocat : Son avis au départ était d’être entendu à Paris n’est-ce pas ?

Colonel : Ce n’était pas son avis, il était prévu comme ça.

Avocat : Selon vous, le Rwanda est un pays sûr, à proportion de ses habitants, les Rwandais représentent la plus grande proportion de réfugiés ayant le statut en France c’est-à-dire qu’ils obtiennent ce statut difficilement mais les institutions montrent que ce n’est pas un pays sûr pour les Rwandais.

Président de la Cour : Lorsqu’il est indiqué ou donné une statistique soit elle est versée au débat et on peut en discuter soit elle n’est pas versée au débat, la partie peut l’évoquer mais c’est un élément apporté par la partie, non étayé sans pièces objectives ou sans éléments débattus contradictoirement

Avocat : Mon colonel.

Colonel : Bien, je ne sais pas.

Autre avocat de la défense : Par rapport au cas de M.Ishimwe, une citation à comparaître vous a été remise, normalement l’agent du PVT doit remettre ce document à la personne convoquée qui dit ne pas l’avoir reçu. Avez-vous un retour lorsque ces agents transmettent la convocation ?

Colonel : Le principal retour, c’est la présence des témoins dans le tribunal en présentiel ou dans la salle du NPPA. Après comme dit tout à l’heure je n’ai pas de retour de PV et de la remise de la convocation.

Avocat : Ce PV on pourrait en disposer et de ce mail vous indiquant le changement d’avis du témoin. Pourriez-vous transmettre cela ?

Colonel : C’est déjà à la disposition de M. Le Président.

Avocat : Si vous n’avez pas de retour comment savez-vous que les témoins ont été touchés ?

Colonel : Par rapport au planning les gens sont physiquement présents à leur audition, alors il n’y a pas de difficultés.

Avocat : Vous donnez la convocation à ces agents, est-ce que vous avez encore un rôle dans le suivi avant qu’il n’arrive chez vous ? Ou bien se sont les autorités rwandaises qui s’occupent de tout ?

Colonel : Se sont les autorités rwandaises qui s’occupent de tout.

Avocat : De qui dépendent les agents rwandais ?

Colonel : Du procureur général du Rwanda

Avocat : Vous avez conscience qu’être témoin de la défense n’est pas la même chose qu’être témoin de l’accusation. Concernant le génocide au niveau du Rwanda, ce n’est pas évident d’être témoin de la défense. Comment vous gérez ça ?

Colonel : Il n’y a pas de différence de traitement que se soit de la partie civile ou de la défense.

Avocat : Y’a-t-il une séparation des témoins entre la défense et la partie civile ?

Colonel : L’organisation des groupes en matière des témoins qui voyagent fait en sorte qu’il n’y ait pas en même temps des témoins de la défense avec ceux de l’accusation.

Autre avocat de la défense : Pour nous avocats de la défense ce n’est pas toujours facile d’arriver au Rwanda. C’est les services rwandais qui vont chercher les témoins et les ramènent chez eux ? Ils les prennent en charge à l’aller et au retour c’est ça ?

Colonel : Oui.

Avocat : Vous avez dit que lorsque les citations étaient délivrées, elles sont délivrées à domicile ?

Colonel : Oui.

Avocat : Ce sont les services rwandais qui se rendent au domicile du témoin pour remettre une citation ?

Colonel : Oui maître.

Avocat : Ce qui est curieux est qu’on laisse un récépissé de sa citation. S’il n’en a pas c’est qu’il y a un petit problème d’organisation non ?

Colonel : Le récépissé pour moi est donné mais je ne peux l’affirmer puisque je ne suis pas présent lors de la remise mais je peux vous apporter une réponse lors d’une prochaine audience.

Avocat : Il se trouve que le témoin en question n’a pas été cité à son domicile, on lui a demandé de se déplacer directement à votre service. Est-ce que ça arrive souvent ?

Colonel : Je ne sais pas.

Avocat : On aimerait pouvoir examiner ce mail envoyé par les autorités rwandaises disant que le témoin avait un empêchement professionnel. Comment avez-vous appris que M. Ishimwe avait changé d’avis ?

Colonel : Par mail.

Avocat : Les autorités vous ont envoyé un mail en disant quoi ?

Colonel : Il faut que je consulte le mail mais il me disait qu’il avait changé d’avis.

Avocat : Ça date de quand ?

Colonel : De quelque jour.

Avocat : Je ne reviendrai pas sur la sécurité, mon colonel mais ce sont des sources ouvertes, vous savez quand même que le Rwanda est placé à la 148e place des classements en termes de liberté d’expression et de sécurité par Reporter Sans Frontières donc j’ai du mal à penser que vous soyez complètement hermétique aux soucis de sécurité par rapport au Rwanda.

Président de la Cour : Il ne s’agit pas d’une question, souhaitez-vous qu’il réagisse ? Allez-y mon colonel si vous souhaitez réagir sur ce dernier point.

Colonel : Oui, sur l’aspect sécurité deux points : le premier, je fonde ce que je dis sur l’indice de Global Organized Crime Index, qui est également une source ouverte. Le Rwanda est placé parmi les 30 pays les plus sûrs au monde. Deuxièmement, je ne témoigne que de ce que je constate au quotidien et à travers le week-end avec ma famille, nous n’avons jamais été témoin de difficultés ou d’agression, ou quoi que ce soit.

Précédent avocat : Le témoin a dit qu’il était d’accord d’adresser les documents, le mail des agents, pouvez-vous (Président) demander de le faire ?

Président de la Cour : Cela m’appartient, j’ai bien compris que vous étiez intéressé, je prendrai contact avec le colonel cela vous va ?

Avocat : Oui.

Comparution du 2ème témoin : Dr Chaury, médecin à Villeneuve-sur-Lot, ancien collègue de monsieur MUNYEMANA, cité par la défense, en visioconférence.

Docteur : J’ai été amené à rencontrer le Dr Munyemana pour la première fois en septembre 2012, date à laquelle j’ai intégré le centre hospitalier de Villeneuve-sur-Lot en tant que médecin gériatre. Les rapports que nous avons en premier temps étaient ceux de gériatre d’astreinte avec médecin urgentiste dans le cadre de la prise en charge des patients âgés présents aux urgences. Ce qui caractérisait dès le départ le Dr Munyemana c’était une très grande compétence médicale il connaissait parfaitement ses dossiers et était capable de synthétiser ces dossiers. Cela mettait en avant sa capacité d’écoute, de prendre en considération le patient dans toute globalité et fragilité. C’est un des éléments principaux du professionnalisme de Dr Munyemana qui était un docteur compétent et quelqu’un d’humain vis-à-vis de ces patients d’une population souvent mise de côté et dont la parole n’est pas forcément entendue. Le sermon d’Hippocrate pour moi n’est pas vain chez ce docteur qui a toujours répondu auprès des patients, auprès des familles, rapportait leur volonté, même en se mettant à l’encontre de certains médecins spécialistes ou des familles, ce malgré des propos parfois racistes de la part de certains de nos ruraux. Je l’ai également côtoyé quand il est devenu mon médecin, sur la prise en charge d’un de mes maux. Il s’est occupé de moi tout au long d’une nuit, qui m’a interdit de sortir alors que la douleur finissait par disparaitre, il n’a pas obtempéré à mes demandes de rentrer chez moi et a attendu que l’ensemble du bilan soit fait. De mars à septembre 2018, il intègre le groupe de gériatrie dont j’avais pris la tête et la renforce à 50%, les autres 50% étant dédié au service des urgences parce qu’il avait donné sa parole au Dr Bartou pour ne pas la laisser tomber complètement malgré la fatigue qui s’accumulait avec l’âge et peu de temps de récupération. La parole donnée est primordiale pour ce docteur et ce que je voulais mettre en avant. Malgré mon insistance, il a refusé de rejoindre rapidement et totalement mon service au vu de sa promesse au Dr Bartou pour l’accompagner dans la transition. C’est en octobre 2018 qu’il a intégré définitivement le pôle de gériatrie. Il a participé à l’essor et à l’amélioration de ce service en proposant des innovations toujours dans le but de rendre service à cette population gériatrique. Il a également joué le rôle de sage au sein de l’équipe médical, malgré les égos qu’il pouvait y avoir son but était de désamorcé tous conflits qu’il pouvait y avoir par le dialogue. Il a pris sa retraite en décembre 2022, il a accompagné son successeur pour faire en sorte que le suivi se fasse normalement avec toujours cette idée de soin aux plus démunis et fragiles. Nous nous sommes côtoyés pendant 10 ans et avons travaillé ensemble main dans la main.

Président de la Cour : Merci pour ces éléments. Dans le cadre de votre service, il a reçu le soutien de sa cheffe de service, Dr Bartou, ainsi que du directeur de l’hôpital, est-ce que ce point de vue vous le partagez aussi ?

Docteur : Oui, pour nous la justice n’étant pas passé nous ne pouvions pas le laisser tomber c’en était hors de question.

Président de la Cour : Etiez-vous informé qu’il avait été par la première cour d’appel condamné coupable, est-ce que cette décision vous a ébranlé ou est-ce que vous avez gardé la même position en dépit de ce jugement ?

Docteur : Il serait faux de dire que je n’ai pas été ébranlé mais automatiquement après mon collègue a fait appel et on attend quelque chose qui aille un peu plus dans le sens de ce qu’on connait de notre collègue. On a du mal, on n’a pas suivi les débats, le peu qu’on a pu suivre ne nous a pas donné beaucoup d’éléments pour bien nous positionner, on espère que ce jugement sera plus important pour mieux comprendre ce qu’il s’est passé.

Président de la Cour : Dernière question, continuez-vous d’avoir des relations avec l’épouse de M. Munyemana ?

Docteur : Fébronie travaillait jusqu’à peu au sein du centre hospitalier donc j’avais des contacts réguliers dans le cadre professionnel, en sachant que nous avons gardé avec l’équipe un contact épistolaire avec le Dr Munyemana au sein de la prison de Fleury où il était.

Avocat : François

Vous dites que vous attendiez beaucoup car vous voulez une décision qui va dans le sens de ce que vous ne connaissez rien de votre collègue

Docteur : Oui.

Avocat : Mais vous avez dit dans votre propos préliminaire que vous ne connaissez rien d’intime de sa vie, est-ce qu’il vous a parlé de sa vie au Rwanda ? de ce qu’il s’est passé dans son pays à ce moment-là ?

Docteur : Je me souviens d’une ou deux discussions mais difficile qu’on a pu avoir avec le docteur qui parlait de l’absence de son épouse, de ses enfants en bas âge et des atrocités qui avaient pu être réalisées dans un pays pour lequel nous n’avions aucune connaissance réelle de ce qui s’était passé. Au vu des difficultés qu’il pouvait y avoir à évoquer une période difficile j’ai respecté la pudeur de mon collègue en n’allant pas plus loin.

Avocat : Donc vous ne connaissez rien de sa vie ?

Docteur : Pas suffisamment pour pouvoir en parler.

Avocat : Alors la décision de la cour d’appel ne sera pas une surprise pour vous.

Docteur : Je ne peux regarder le Dr qu’à l’aune des années que j’ai pu passer avec lui, c’est mon collègue malgré sa retraite, il reste à l’heure actuelle mon collègue et le gériatre avec qui j’ai travaillé pendant 10 ans.

Avocat : Tapis

Vous devriez assister à ce procès qui vient de commencer vous apprendrez sûrement beaucoup de choses.

Président de la Cour : Ce n’était pas une question.

Avocat : C’était une invitation.

Autre avocat : Il y a une phrase que vous avez dites qui m’a interpelé « il était hors de question de laisser tomber notre collègue » pour vous ça suffisait à croire que tout ce qui se disait à propos de M. Munyemana n’était pas vrai ?

Docteur : Non, je fais confiance à la justice de mon pays, M. Munyemana a fait appel donc jusqu’à la fin de l’appel, je considère que le jugement n’est pas donné et je n’ai pas a changé ma position vis-à-vis d’une personne avec lequel j’ai travaillé et avec lequel j’ai passé 10 années de ma vie.

Autre avocat : vous avez dit que vous n’aviez pas discuté des faits au Rwanda est-ce que dans une perspective plus large vous avez parlé de politique ?

Docteur : Jamais, c’est quelque chose de tabou en médecine. On ne parle pas de politique française et encore moins étrangère.

Avocat : Je me demande parce que vous avez eu une relation qui a durée des dizaines d’années, que vous êtes toujours en contact, si vous saviez si M. Munyemana était engagé politiquement ?

Docteur : Non, on ne s’est pas intéresser à la politique ou quelconque mouvance politique.

Avocat : est-il venu à vos oreilles qu’il ait pu se présenter comme un opposant au nouveau régime politique rwandais ou cela vous est totalement inconnu ?

Docteur : Cela m’est totalement inconnu.

Avocat général : vous ne savez pas ce qui a été reproché à votre collègue pourtant si on tape sur internet on trouve le récit des faits qui lui sont reprochés, n’avez-vous pas eu cette curiosité de trouver une information fiable ?

Docteur : Je me suis intéressée avant même le procès à ce qui s’était passé au Rwanda, j’ai été embêté en termes de contenu car je n’avais pas d’articles autres que ceux issue de l’Afrique et du Rwanda. J’ai lu par la suite des articles du Monde, du Point, qui étaient vagues et ne m’apportaient toutes les informations dont j’aurai pu avoir besoin et avoir au moins deux versions différentes. Peut-être que ces deux versions vont dans le même sens mais je reste dubitatif quant au contenu qu’on peut trouver sur internet.

Avocat général : Vous êtes médecin, vous avez prêtés le sermon d’Hippocrate, pour vous est-il inenvisageable qu’un médecin puisse se livrer à des actes qualifiés de crime contre l’humanité ou de génocide en tant qu’auteur principal ou comme complice ? Est-ce l’opposition de base qui ne vous permet pas de trouver satisfaction sur les informations données ?

Docteur : Non l’histoire nous a montré notamment durant la Shoah que nombreux médecins au sein de l’Allemagne nazie se sont mis à commettre des actes qui rentrent dans les crimes contre l’humanité.

Avocat : Intervenir en gériatrie c’est être confronté à des conflits avec les patients, les familles, les équipes, M. Munyemana avait-il la capacité à comprendre ces enjeux et comment réagissait-il ?

Docteur : Je vous répète ce que j’ai dit, on le considérait, par son âge et de sa position antérieure d’urgentiste comme le sage de l’équipe et qui réussissait à limiter drastiquement les échanges plus ou moins difficiles au sein d’une équipe. Il nous a servi de manière récurrente de médiateur, de diplomate.

Avocat général : Le sage est un peu celui doté de sang-froid ?

Docteur : Oui.

Avocat général : Capable de réfléchir ?

Docteur : Oui.

Avocat général : Qui a l’intelligence des situations ?

Docteur : Oui.

Avocat de la défense : Je vais revenir sur une réponse que vous avez donnée, vous avez dit que pour M. Munyemana c’était très difficile d’évoquer la période du génocide ? Il parlait de la mise en danger permanent de ses enfants ? Il vous a également parlé des atrocités commises au Rwanda ?

Docteur : Oui.

Avocat : Est-ce qu’on peut dire qu’il était dans un état traumatique en évoquant cela pouvant expliquer l’absence de développement sur le sujet ?

Docteur : Traumatique je ne peux l’affirmer complètement, il était ému, c’était difficile pour lui d’en parler, ce qui était mis en avant c’était un climat de peur notamment pour ses enfants donc j’ai coupé court pour revenir sur de sujets quotidiens du service.

Avocat : Est-ce que dans votre esprit le mot sage signifie modérateur ?

Docteur : Oui.

Avocat : Aussi faire attention aux uns et aux autres ?

Docteur : ce sont les qualités du docteur Munyemana et c’est ce qui m’avait plus marqué quand je l’ai rencontré, cette attention portée à tous ceux qui en ont besoin notamment les plus fragiles.

Avocat : Est-ce que c’était quelqu’un porté sur le dialogue avec les autres ?

Docteur : Complètement.

Avocat : Est-ce que c’était quelqu’un d’excessif ou de pondéré dans ses propos ?

Docteur : Très pondéré, je ne l’ai pas vu une fois s’emporter malgré les attitudes frisant le racisme en particulier aux urgences.

Comparution du 3ème témoin : Dr Bartou : ancienne collègue de l’accusé

Docteur : Je suis médecin au pôle de santé de Villeneuve-sur-Lot depuis 30 ans et je suis chef de service depuis 20 ans. En pratique c’est en 2001, que je fais la connaissance du Dr Sosthène Munyemana. Une collaboration de 17 ans puisque j’ai travaillé à ses côtés jusqu’en 2018. Il fait une formation de gériatrie en 2018. Ça a été 17 ans de collaboration avec un collègue exemplaire, irréprochable. En tant que chef de service, j’ai comme mission très ingrate : la constitution du planning du service, avec le souci de manque de soignants aux postes médicaux en France. Régulièrement, j’ai eu à solliciter le Dr Munyemana pour au pied levé prendre une garde. C’est quelqu’un qui a toujours été fidèle dans cette mission pour la continuité des soins. C’est un médecin très valeureux, qui n’a jamais compté les heures supplémentaires, il faisait partie des médecins avec le plus de gardes de 24h. Il était une ressource, quelqu’un d’extrêmement agréable, valeureux qui a le sens des responsabilités. Il aimait énormément son travail, on aimait être de garde avec Sosthène. On ne l’appelait pas Dr Munyemana c’était Sosthène. Il suscitait auprès des patients la confiance, un médecin empathique et bienveillant. Il savait les écouter. Face à de la violence, il savait trouver les mots c’était un modérateur pondéré qui savait apaiser le patient. Il avait suscité beaucoup de confiance à mon égard et à qui j’avais demandé la responsabilité de responsable de l’unité d’hospitalisation de courte durée dont je parlais au début. C’était une mission importante, il était reconnu par ses paires. Il a reçu à deux reprises avec la mention certification avec haut niveau de qualité par la haute autorité de santé. C’est quelqu’un de confiance pour qui j’ai beaucoup d’estime. Initialement quand il a rejoint le service de gériatrie j’étais attristée et l’équipe également mais quand bien même dans sa loyauté il m’avait averti suffisamment tôt et j’ai pu m’organiser. Le chef de son service qui l’a accueilli lui a donné une mission de médecin coordonnateur. En pratique cette mission est d’aller au sein du service des urgences donc on a eu le bonheur de le voir tous les jours. Il donnait alors son expertise de gériatre. Sosthène a pris sa retraite, à cette occasion il a organisé une fête, où on lui a rendu hommage. Il y a 2 ans après la décision de sa condamnation, nous étions sous le choc donc avec d’autres médecins, plus de 50, on a écrit une lettre pour le soutenir, le directeur de l’hôpital a rédigé une promesse d’embauche pour essayer de favoriser cette lettre pour son retour.

Président de la Cour : Fréquentiez-vous M. Munyemana en dehors de l’hôpital ? avez-vous déjà été invitée chez lui ?

Docteur : Oui, j’ai déjà été invitée à son domicile. Également, je suis déjà partie en formation avec lui ce qui peut être considéré comme le cadre professionnel mais c’est un peu plus détendu.

Président de la Cour : Vous connaissez sa famille ?

Docteur : Oui

Président de la Cour : Et lui il connait la vôtre ?

Docteur : Il a rencontré mon fils

Président de la Cour : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre réaction, celle du service de la direction à la suite du jugement ? Est-ce que vous vous souvenez comment ça s’est passé ?

Docteur : Sosthène nous parlait de son passé, nous expliquait ce qu’il avait vécu de difficile.

Président de la Cour : Est-ce que vous pourriez nous dire plus précisément ce qu’il disait ?

Docteur : Sosthène était dans son pays avec ses trois enfants, son épouse elle faisait des études d’anthropologie en France. En pratique, ce qu’il nous disait était que lui-même avait eu à plusieurs reprises peur car il avait ouvert la porte de sa maison à des personnes en danger donc il s’exposait au danger. Il avait laissé la porte du bureau de secteur afin que des personnes s’y réfugient et que cela avait eu un effet opposé que celui qu’il avait voulu mettre en place avec des personnes qui en sont décédées. Son épouse étant Tutsi donc ils ont vécu des drames familiaux.

Président de la Cour : Il n’a pas parlé de ces choses avec le Dr Chaury donc il devait être plus en confiance avec vous ou alors était-ce vous qui posiez des questions ? Il vous explique ça avant les manifestations/accusations ou vous raconte-t-il cela pour vous expliquer sa position au regard des accusations ?

Docteur : Par ailleurs, dans les manifestations, on nous avait expliqué qu’il n’était pas libre de circuler librement.

Président de la Cour : Vous parlez de son contrôle judiciaire ?

Docteur : Oui. Je ne me rappelle plus s’il enchainait sur les faits, effectivement il avait confiance en moi et plusieurs personnes de l’équipe. Je ressentais beaucoup de sincérité dans ce qu’il me disait. J’ai aussi communiqué avec sa femme. Je n’avais pas de doute il avait un discours limpide. Au vu de sa personnalité je ne vois pas comment il aurait pu tuer.

Magistrate : Est-ce que vous vous êtes intéressée à ce que s’est dit dans la presse ?

Docteur : Oui j’ai suivi, il a été accusé d’avoir participé aux meurtres de certaines personnes. Il y a toujours une incertitude autour de cette clé. Certains pensent que c’est dans le but de faire du mal.

Avocat : Docteur vous avez indiqué qu’il était inimaginable que l’accusé ait eu à participer au fait qui lui sont reprochés. Vous ne vous êtes pas interrogé sur le fait qu’il a quitté le Rwanda tout ce temps et qu’il n’a jamais essayé d’y retourner ?

Docteur : Dans ces pays-là, on n’y va pas par quatre chemins dès qu’il y a un doute ça peut être la mort. Il arrive que sans fondement on tue.

Avocat : Qu’entendez par « ces pays-là » ?

Docteur : Les pays d’Afrique noire, il peut y avoir des règlements de compte, des injustices.

Avocat : Vous nous avez parlé de la clé du bureau de secteur et du fait qu’il entendait des gens à l’extérieur ?

Docteur : Il a entendu dire qu’il y avait des gens à l’extérieur qui étaient en danger donc il a ouvert le bureau pour qu’elles s’y réfugient.

Autre avocat : Sachez que dans ces pays il y a la présomption d’innocence donc même en étant accusé, ils ne sont pas tués mais bien jugés.

Autre avocat : Quand il vous a parlé de ce qu’il se passait au Rwanda, le mot génocide a-t-il été utilisé ?

Docteur : Oui, il avait conscience que ce n’était pas une simple guerre mais bien un génocide.

Avocat de la défense : Confirmez-vous que quand M. Munyemana vous a parlé, c’était avant la publicité de toutes ces accusations.

Docteur : Oui, je pense que c’est moi qui lui avais demandé et il m’avait expliqué.

Avocat : Le mot génocide a bien été employé ?

Docteur : Oui.

Comparution du 4ème témoin : Mickaël Munyemana : le fils de l’accusé

Le témoin ne pouvait pas témoigner d’évènements au vu de son jeune âge. Il se souvient d’un jour où il y a eu des coups de feu qui ont causé de la peur puis un soulagement et de la joie une fois l’évènement passé. Il a majoritairement témoigné du caractère de son père. Il évoque son père comme une personne qui prend soin de sa famille et qui cherche à la préserver. Ainsi, il n’a jamais parlé avec lui des évènements au Rwanda, ni même de quelconque fait politique. De même, avec sa mère cela n’a jamais été abordé. Il leur a inculqué une bonne éducation et a toujours été présent, malgré une grande charge de travail. Il évoque que dans la famille de sa mère il y a des Tutsi. Il ne se considère pas comme un Hutu ou un Tutsi mais comme un Rwandais avant tout selon ce que ses parents lui ont appris. Il n’a aucune volonté de retourner au Rwanda, peut-être lorsqu’il sera père avec ses enfants. Il n’a aucun doute sur l’innocence de son père raison pour laquelle il n’a jamais posé de question. Il était persuadé que son père allait être innocenté notamment car il a connaissance d’un autre procès antérieurs dans lequel de documents qui auraient été falsifiés donc il ne comprenait pas pourquoi ils étaient encore là. Il ne pense pas que son père soit capable de ce dont il a été accusé.

Comparution du 5ème témoin : Fébronie Muhongayire : la femme de l’accusé

Elle affirme son origine Tutsi qui provient de son arrière-grand-père. Grand-père qui au vu des évènements qui se produisaient à l’époque a souhaité renier son ethnicité, ce qui était possible à l’époque car il n’y avait pas encore de papiers, de documents et il avait migré dans une région où ne le connaissait pas ce qui a facilité la chose. Lorsqu’il y a eu les premières pièces d’identité, son père a indiqué comme origine Hutu. Elle dit n’être ni Hutu ni Tutsi. Au Rwanda, il n’est pas anodin pour les gens de changer d’ethnicité ou d’avoir deux cartes d’identité (une avec l’ethnie Tutsi et une autre avec celle Hutu), en fonction de la période et du traitement auxquels les Tutsi pouvaient faire face (afin de pouvoir y échapper). Elle affirme que son visage, son apparence la trahissait et que son mari a failli en mourir lors d’un contrôle. Durant ce contrôle, la police a vu dans le portefeuille de l’accusé, la photo de sa femme et a dit « On essaie d’exterminer ces cafards pendant que toi tu les tiens près de ton cœur ». Elle soutient qu’ils ont perdu beaucoup de personnes dans leur entourage à cause de ce génocide. Elle relate les discriminations auxquelles elle a pu faire face, qu’elle a vues et dont elle a pu être victime. Notamment une mutation de son mari qui a été faite parce qu’elle avait été accusée d’embaucher trop de Tutsi dans l’établissement dans lequel elle travaillait. Ainsi pour l’écarter, ne pouvant pas la renvoyer, son mari a été muté et elle l’a suivi selon les coutumes de la femme qui suit son mari. Elle témoigne de l’honnêteté de son mari, du fait qu’il pense aux autres

Carla-Ylan Doualla-Esso, Étudiante en droit.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024