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Identifier, soigner, réparer” : telle est la devise officielle du Fonds national de réparation des victimes de violences sexuelles et des crimes de guerre (FONAREV). Créé en 2022 par le régime de Félix Tshisekedi, il devait être un geste historique en direction des survivantes, un symbole de justice et de dignité, la promesse d’un pays qui regarde enfin ses blessures en face.
Deux ans plus tard, l’outil de mémoire et de réparation s’est transformé, une fois encore, en caisse noire au profit du premier cercle du pouvoir.
Des miettes pour les victimes
Un décret présidentiel de 2023 avait décidé (sans trop se soucier du code minier) que 11 % des redevances minières seraient versés à ce fonds. Entre janvier 2024 et juin 2025, plus de 212 millions de dollars ont été collectés. Or, sur cette somme colossale, à peine cinq millions ont atteint les survivantes, moins de 2,5 % du total.
Le reste s’est évaporé dans des circuits opaques, alimentant projets de prestige et poches privées. Le bilan concret pour les victimes est dérisoire : trois forages, une école rénovée, un mémorial à Kisangani. Pour celles et ceux qui attendaient réparation, c’est une gifle.
Le réquisitoire du rapport financier
Le rapport financier du deuxième trimestre 2025 constitue à lui seul un réquisitoire. Sur près de 61 millions de dollars recouvrés en trois mois, plus de la moitié a été absorbée par les frais de fonctionnement, salaires, dépenses administratives et de communication, tandis que moins d’un cinquième seulement était affecté aux réparations. Certaines directions ont littéralement explosé leurs crédits, comme la direction financière qui a consommé 130 % du budget prévu.
On retrouve aussi des frais de mission extravagants, des campagnes de communication démesurées, des achats non planifiés. Un fonctionnaire du ministère des Droits humains congolais, qui exerce officiellement la tutelle sur le fonds, a pu ironiser : “
Le FONAREV dépense plus pour ses photocopieurs que pour ses victimes.”
Quatorze millions retirés en cash
Mais c’est en février 2025 que la dérive a atteint son paroxysme. Le conseil d’administration a décidé d’appliquer rétroactivement une prime de 8 % sur toutes les sommes collectées depuis janvier 2024. Ce tour de passe-passe a permis de dégager une enveloppe de 14 millions de dollars, distribuée… en cash.
Le comité bénéficiaire n’était autre qu’un petit cercle de dirigeants du fonds, déjà rémunérés pour leurs fonctions. Aucune justification n’a été fournie, aucun contrôle n’a été exercé. Un diplomate africain, amer, résume la scène d’une phrase : “
À Kinshasa, la réparation commence par réparer les poches des gestionnaires.”
Le vernis onusien
Comme si cela ne suffisait pas, le FONAREV s’est offert une caution internationale. En juin 2025, il a signé un protocole d’accord avec le système des Nations unies, comptabilisé à hauteur de douze millions de dollars, destiné officiellement au financement de cliniques mobiles et à l’assistance aux déplacés. Le directeur général du fonds, Patrick Fata, s’en est publiquement félicité : “
Grâce à nos financements, des aides indirectes peuvent être apportées aux victimes dans l’est du pays.”
En réalité, ces cofinancements servent de paravent à un système prédateur. L’Onu, en y apposant son logo, donne une respectabilité à une structure qui détourne massivement ses ressources. Un expert onusien, sous couvert d’anonymat, s’interroge déjà : “
Combien de temps le PNUD acceptera-t-il de voir ses conventions utilisées comme alibi d’une caisse noire présidentielle ?”
Des fonds détournés jusqu’au Burundi
La prédation ne s’arrête pas aux frontières congolaises. En violation flagrante de son mandat, le FONAREV a consacré 15 millions de dollars à la Fondation Denise Nyakeru Tshisekedi, rebaptisée Fondation LONA, pour une opération d’aide humanitaire destinée aux réfugiés burundais du Sud-Kivu. La valeur réelle de l’aide distribuée, essentiellement 612 tonnes de vivres et quelques biens de première nécessité, ne dépassait pas 500 000 $, selon les prix du marché régional ; 14,5 millions de dollars se sont évaporés.
Pendant que les victimes congolaises attendent réparation, leurs fonds financent la vitrine humanitaire de la Première Dame et achètent une légitimité politique internationale.
Le Génocost transformé en propagande
L’autre scandale, plus insidieux encore, réside dans l’instrumentalisation de la mémoire. En août 2025, le FONAREV a financé la campagne dite du “
Génocost”, une commémoration visant à faire reconnaître le “
génocide à but économique” en RDC. Une initiative qui aurait pu être légitime, mais qui a été immédiatement détournée : pointer le Rwanda et la communauté tutsie, mobiliser la mémoire nationale à des fins politiques, et engloutir des fonds publics.
La seule journée commémorative du 2 août a coûté plus de 1 600 000 dollars. Des dépenses extravagantes, non budgétisées, qui portent tous les signes d’un nouveau détournement. Sous couvert d’honorer les victimes, le régime a transformé la mémoire en instrument de propagande et en source de rente.
Un système verrouillé par le clan Tshisekedi
La gouvernance du fonds illustre cette dérive systémique. Les postes clés du conseil d’administration sont occupés par des conseillers financiers de la Première Dame, d’anciens collaborateurs de la présidence et même des membres de la belle-famille. Le ministère des Droits humains, pourtant tutelle officielle, se voit refuser l’accès aux rapports financiers. Le FONAREV est devenu une entreprise familiale.
Quand la réparation devient propagande
Pendant que les survivantes continuent de vivre dans l’oubli et la misère, le fonds finance concerts, campagnes digitales et voyages de prestige. Le décalage entre la promesse et la réalité est abyssal. Un observateur résume cruellement : “
Au Congo, on a inventé le fonds de réparation… pour réparer le régime.”
Silence, on pille
Le scandale du FONAREV illustre un double échec. Celui d’un régime qui a transformé un instrument de justice en caisse noire. Et celui d’une communauté internationale qui, par naïveté ou complaisance, a offert son sceau à une imposture. Le PNUD et l’ensemble des partenaires de la RDC doivent s’interroger : combien de temps continueront-ils à financer, sous couvert d’humanitaire, la corruption d’État au Congo ?
La République démocratique du Congo mérite mieux que des fossoyeurs déguisés en bienfaiteurs. Les victimes méritent justice, pas des slogans. La communauté internationale, elle, doit choisir : soutenir les survivantes ou cautionner leur spoliation.