Fiche du document numéro 35570

Num
35570
Date
Vendredi 26 septembre 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
708023
Pages
3
Urlorg
Titre
Félicien Kabuga, considéré comme le « grand argentier » du génocide contre les Tutsi, veut aller en France
Sous titre
Arrêté en 2020 en banlieue parisienne après vingt-six ans de cavale, toujours détenu aux Pays-Bas bien qu’il ait été déclaré inapte à être jugé lors de son procès, en 2023, le nonagénaire devrait être libéré. Mais aucun Etat européen ne souhaite l’accueillir.
Nom cité
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Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Une affiche de recherche représentant une photographie de Félicien Kabuga, à Paris, le 19 mai 2020. BENOIT TESSIER/REUTERS

Revoir Paris et mourir, c’est en somme la requête de Félicien Kabuga aux juges du mécanisme des Nations unies chargé de clore les derniers dossiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Selon Emmanuel Altit, son avocat, M. Kabuga, 92 ans, souhaite retourner en France « parce que ses enfants s’y trouvent et qu’il veut passer ses derniers instants auprès d’eux. » Trop souffrant pour se déplacer jusqu’au tribunal, c’est depuis la prison néerlandaise de Scheveningen que le nonagénaire a suivi l’audience du jeudi 25 septembre, en visioconférence.

Il ne s’agissait pas d’une comparution destinée à faire la lumière sur le rôle de cet ancien homme d’affaires rwandais durant le génocide de 1994, alors même que celui qui était suspecté d’être le « grand argentier » du régime de Kigali et d’avoir créé, cette année-là, un fonds destiné à soutenir l’armée du Rwanda et les milices qui ont massacré entre 800 000 et 1 million de personnes en une centaine de jours dans ce pays.

Sa culpabilité ne pourra jamais être établie par la justice. En effet, un an après le début de son procès – il s’était ouvert en 2023 après une cavale de vingt-six ans –, les juges ont constaté son « inaptitude » à être jugé du fait d’une « démence d’origine cardiovasculaire ».

Désormais, que faire de Félicien Kabuga ? Celui qui est suspecté d’avoir été un des hommes qui ont orchestré le génocide des Tutsi ne peut être libéré aux Pays-Bas, où il est jugé. Les Néerlandais, qui accueillent aussi la Cour pénale internationale, refusent généralement d’autoriser d’ex-détenus à résider chez eux. Les pays limitrophes ne sont pas plus disposés à accueillir cet encombrant nonagénaire. Lors de l’audience, jeudi, le juge Iain Bonomy a souligné que la libération de Félicien Kabuga s’éternise face à la « réticence des Etats européens » où résident certains de ses treize enfants à l’accueillir.

La France ne s’est pas portée volontaire, mais les avocats ont enclenché une procédure devant un tribunal administratif. Si la décision est positive, il faudra ensuite l’aval du ministère des affaires étrangères et de l’intérieur, a indiqué l’avocat parisien de l’homme d’affaires, M. Altit. Une procédure qui pourrait encore prendre huit à dix mois, a-t-il dit au juge chargé du dossier, Iain Bonomy. L’issue de cette procédure-là est incertaine. Paris a longtemps s’est vu reproché d’avoir offert l’asile aux criminels rwandais après le génocide et n’a sans doute pas envie de renouer avec des accusations qui se sont estompées avec le temps.

Le Rwanda prêt à accueillir M. Kabuga



Pour le substitut du procureur du mécanisme des Nations unies, Rupert Helderkin, c’est au Rwanda que M. Kabuga doit être renvoyé. « [Ce pays] est le seul qui a manifesté sa volonté de l’accueillir », a-t-il expliqué, produisant une expertise sur les transferts aéromédicaux montrant que des avions aménagés pourraient permettre son transfèrement. Kigali, dit M. Helderkin, a promis sa coopération, et s’est engagé à assurer le respect « de ses droits et libertés », y compris un soutien médical.

Mais cette option est catégoriquement rejetée par la défense. « Nous nous opposons absolument à tout transfert au Rwanda », répond cette dernière, qui estime que « le Rwanda est une dictature où [les] droits [de M. Kabuga] ne pourraient être protégés ». Maître Altit ajoute que « les propriétés de M. Kabuga y ont été confisquées par des membres du premier cercle du régime [de Paul Kagame] et que sa sécurité ne pourrait pas être assurée ».

Le richissime homme d’affaires avait quitté le Rwanda dès la fin avril 1994, vers le Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) puis vers la Suisse. Il avait été expulsé de la Confédération vers Kinshasa. Avant de partir, il avait juste eu le temps de passer au siège de la banque UBS, à Genève, dont il était le client.

En attendant une solution, la santé de Félicien Kabuga se dégrade. Selon les documents publics du dossier, il passe le plus clair de son temps à l’hôpital de la prison de Scheveningen.

A New York, l’ONU, qui avait créé le TPIR en novembre 1994, trois mois après le génocide au Rwanda, s’impatiente. Les Etats du Conseil de sécurité demandent au Tribunal de boucler ses dossiers et de fermer enfin ses portes.

Stéphanie Maupas (La Haye, correspondance)
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024