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Dans Muganga, celui qui soigne, film coproduit par Cynthia Pinet (Petites Poupées Production) et l’actrice américaine Angelina Jolie, la caméra de la réalisatrice Marie-Hélène Roux célèbre le Docteur Denis Mukwege. Le pitch est simple : le Prix Nobel de la paix serait un grand humaniste. Avant d’expliquer en quoi cette image relève de la mise en scène, rappelons les principales étapes de cette réputation médiatique, digne d’un film à l’eau de rose.
Le Docteur Denis Mukwege, présenté dans la presse française et internationale comme un ardent combattant des violences sexuelles à l’encontre des femmes congolaises à l’Est du Congo, atteint la notoriété en 2015. Cette consécration vient notamment du documentaire belge L’homme qui répare les femmes, que le réalisateur Thierry Michel et la journaliste Colette Braeckman avaient écrit à sa gloire. Depuis, le médecin congolais s’est construit une réputation internationale indéboulonnable.
Une simple recherche Google permettra à quiconque le découvrirait encore de mesurer combien Denis Mukwege est devenu le gynécologue le plus célèbre du monde. En 2024, à défaut de voir son buste trôner comme un monument dans une rue de Paris, le médecin congolais voit « une histoire inspirée de faits réels » projetée à sa gloire sur les écrans de cinéma de la France entière.
À l’occasion de la sortie du film Muganga, dans son émission Le Grand Portrait, Sonia Devillers le reçoit même au micro de France Inter. Puis, sur Instagram, la journaliste poste un cliché avec le célèbre gynécologue accompagné de ce commentaire plein de recul critique : « l’homme qui répare les femmes ». En un mot, Denis Mukwege est devenu une figure consensuelle. Il est célébré à tous les bords du champ politique, extrême-droites française et africaine comprises.
L’envers du décor
Loin de l’image mièvre relayée par la presse française et portée à l’écran par le film de Marie-Hélène Roux, le Docteur Mukwege est connu des rescapés du génocide des Tutsi au Rwanda, des familles de victimes et des historiens spécialistes de l’Afrique des Grands Lacs pour ses amitiés sulfureuses. À titre d’exemple, citons son soutien public à Charles Onana.
Le 11 octobre 2024, deux mois avant la condamnation de Charles Onana, une des principales voix des discours de négation du génocide des Tutsi au Rwanda, le Docteur Mukwege choisit de prendre publiquement position en sa faveur. Sur le réseau social X, il déclare : « Nous exprimons notre soutien à M. Charles Onana : la vérité finit toujours par triompher. » (sic). À l’issue de son procès, le pamphlétaire camerounais est pourtant bien condamné par la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris pour contestation de crimes contre l’humanité.
Insistons sur ce point. Il n’y a même pas un an, le Dr Mukwege, dépeint à l’occasion de la sortie du film Muganga dans la presse française comme un grand humaniste, a soutenu publiquement un pamphlétaire désormais condamné pour contestation de crime contre l’humanité et « déploiement sans frein de l’idéologie négationniste ». Il y a moins d’un an, Charles Onana, soutenu par Denis Mukwege, qui déclarait alors « Le peuple congolais (...) est avec vous », a été condamné par la justice française pour contestation du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda.
Que faudrait-il penser d’un film qui célèbrerait un gynécologue français connu pour son soutien public à Robert Faurisson, l’homme qui contestait l’existence des chambres à gaz ?
Autrement dit, comment ne pas voir que le portrait du Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la paix, brossé par Muganga, celui qui soigne et célébré par la presse française comme un film « bouleversant », est une imposture ? Le film célèbre l’un des plus fervents partisans des acteurs de la négation du génocide perpétré contre les Tutsi. Un génocide qui a entraîné un million de morts en trois mois, au Rwanda, en 1994. Un génocide dont l’idéologie, instrumentalisée depuis par les autorités de Kinshasa, continue de sévir dans la région de l’Afrique des Grands Lacs, notamment contre les Tutsi congolais, les Hema et les Banyamulenge, traités en « étrangers envahisseurs », sur le modèle de l’antisémitisme. Or, contrairement à l’image qu’il peut renvoyer à l’international, le Dr Mukwege, soutien public de Charles Onana, ne se place pas du côté des victimes…
Faut-il en déduire que, pour l’équipe du film et pour les journalistes qui se livrent à une couverture médiatique dithyrambique, le soutien du Dr Denis Mukwege à Charles Onana n’est qu’un « détail » du scénario de Muganga, celui qui soutient les négationnistes du génocide des Tutsi au Rwanda ?
Yoan Gwilman
Journaliste, étudiant à l’EHESS
PS : Quiconque voudrait en apprendre davantage sur la réalité de la situation à l’Est du Congo pourra lire la tribune « Rwanda, Congo, M23 : les ressorts du conspirationnisme et du négationnisme » cosignée avec Jessica Mwiza, doctorante à CUNY, et publiée le 17 mars 2025, dans AOC média.