Fiche du document numéro 35548

Num
35548
Date
Mardi 21 avril 1998
Amj
Auteur
Fichier
Taille
9505455
Pages
4
Titre
Note à l'attention de Monsieur le Ministre - Objet : Réunion de la Mission parlementaire d'information sur le Rwanda. Mardi 21 avril 1998 [Audition de François Léotard, Alain Juppé, Michel Roussin et Édouard Balladur]
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Mot-clé
Cote
SHD GR 1993 Z 169:3 (470-467)
Source
Fonds d'archives
Type
Note
Langue
FR
Classification
CD
Declassification
Min. Def. N° 001287 du 19 MAR 2021
Citation
21 AVR. 1998
MINISTERE DE LA DEFENSE

LE CHARGE DE MISSION
auprès du Chef Adjoint du Cabinet Civil Paris, le 21 avril 1998
chargé des Relations avec le Parlement

Dectassitié par décision
du ministre de la Défense
N° 61287 Cu 19 HA 2021

NOTE

à l'attention
de Monsieur le Ministre

-000-

OBJET : Réunion de la mission parlementaire d'information sur le Rwanda - Mardi 21 avril 1998

Pour sa quatrième séance de travail, la mission d'information a procédé aux auditions d'Edouard
BALLADUR, d'Alain JUPPE, de François LEOTARD et de Michel ROUSSIN.

Outre le Président et le rapporteur, étaient présents : Mme Martine AURILLAC ; Jean-Louis
BERNARD ; Roland BLUM ; Pierre BRANA ; Antoine CARRE ; Bernard CAZENEUVE ;
Mme Monique COLLANGE ; Charles COVA ; Jean-Claude DECAGNY ; Patrick DELNATTE ;
Jacques DESSALANGRE ; Robert GAÏA ; René GALY-DEJLAN ; François LAMY ; François
LONCLE ; Jacques MYARD : Paul QUILES : Jean-Bernard RAIMOND ; René ROUQUET ;
Jean- Claude VIOLLET ; Michel VOISIN ; Kofi YAMGNANE.

En introduction, le président QUILES a rappelé que la mission travaillera en procédant à des auditions publiques et non publiques (selon lui, il s'agit "d'auditions à huis clos demandées par le gouvernement"), en analysant des documents et en faisant des enquêtes. Paul QUILES a précisé que tous les acteurs et témoins importants du drame rwandais seront entendus (au total plus d'une soixantaine de personnes) et qu'il était inutile de se livrer à des spéculations erronées et désobligeantes sur le travail de la mission qui ne pourrait être jugé qu'à sa conclusion. Il a enfin insisté sur le fait que les membres de la mission n'étaient ni des juges ni des avocats mais des parlementaires agissant sans complaisance ni a priori dans le cadre du contrôle de l'exécutif,

Edouard BALLADUR a précisé dans une déclaration liminaire :

- qu'il ne parlerait que des actions et décisions prises à partir d'avril 1993 :

- qu'il conviendrait d'analyser les actions menées par la France dans les années 80 et notamment de
s'interroger sur le "resserrement" des liens entre la France et le Rwanda au cours de ces années ;

- qu'il souhaitait avoir accès à tous les documents et notamment aux dossiers du SGDN sur les
livraisons d'armes ;

- qu'il désirait obtenir les procès-verbaux des personnes auditionnées "à huis clos". À ce propos, il a demandé sur quel critère il avait été décidé que certains seraient entendus en audition non publique.

Il a aussi demandé que les dates des autorisations d'exportations d'armes de 1990 à 1995 lui soient communiquées et que des études soient engagées sur l'implication potentielle de quelque pays que ce soit dans la crise rwandaise. Edouard BALLADUR a stigmatisé la campagne "haineuse" menée contre le seul pays au monde à avoir tenté quelque chose avant et après les accords d'ARUSHA, avant et après le génocide et à être intervenu pour "limiter l'horreur". Il s'est déclaré fier de notre pays et de l'action qu'il avait conduite. Il a expliqué que la France n'avait pas choisi de mener au Rwanda une opération d'interposition de type colonial, mais au contraire, une opération humamitaire pour sauver des vies humaines quelles qu'elles soient.

Il a rappelé qu'à part un certain nombre de pays africains , aucun pays n'avait voulu s'associer à
l'opération Turquoise. Celle-ci ne fut déclenchée que lorsque la France en reçu l'autorisation du conseil de sécurité des Nations-Unies.

En matière de livraison d'armes "à sa connaissance" (expression employée à de nombreuses reprises par Edouard BALLADUR), de mars 1993 à l'embargo d'avril 1994 il n'avait été livré que 7 pistolets, 160 parachutes et 1 000 projectiles pour mortier de 60 mm. La décision de suspendre la validité de toutes les exportations d'armes vers le Rwanda fut prise le 8 avril 1994 et confirmée par la CIEEMG le 21 avril 1994 ; la résolution du conseil de sécurité de l'ONU décrétant l'embargo sur les exportations d'armes n'est pour sa part intervenue que le 17 mai 1994.

Alain JUPPE a divisé en trois phases l'action menée par la diplomatie française :

1. Fin mars 1993 - 6 avril 1994 : la recherche patiente et résolue de la réconciliation ;

2. Attentat du 6 avril 1994 - Mi juin 1994 : l'effort incessant de la France pour parvenir à l'apaisement.
Selon M. JUPPE, l'un des mobiles pouvant expliquer l'attentat du 6 avril 1994 est que le processus
d'ARUSHA avait une chance de réussir. A cet égard , il a souligné qu'il convenait de se demander "à
qui profitait le crime". Il a notamment évoqué les pistes des extrémistes hutus, du FPR et de
l'Ouganda. Il à rappelé que la France avait demandé à plusieurs reprises une enquête au secrétaire
général de l'ONU.

3. L'opération Rurquoise autorisée par la résolution 929 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies, a
constitué un sursaut de la France "devant la carence de la communauté internationale". Alain JUPPE
a conclu son rapide exposé en faisant part, lui aussi, "de son admiration et de sa reconnaissance pour
les soldats et diplomates que nous ont permis de sauver l'honneur".

François LEOTARD à fait part de trois sentiments : responsabilité, fierté et amertume.

Responsabilité : sous réserve de faute personnelle de tel ou tel, le ministre de la Défense de l'époque assume l'entière responsabilité de ce qui a pu être fait.

Fierté : Pour M. LEOTARD), les soldats fancais ont fait preuve de compétence et de courage ; ils ont agi dans la dignité. Ils ont permis de sauver des dizaines de milliers de vies. Ils ont été les seuls à accepter d'enterrer les cadavres et ont procédé à 94 000 consultations médicales.

Amertume : François LEOTARD ne comprend pas que l'action de la France soit entourée d'un tel climat
de suspicion et demande que le secrétaire général de l'ONU et la responsable du haut commissariat aux.
Réfugiés soient auditionnés par la mission.

Michel ROUSSIN a défini le rôle de la Mission Militaire de Coopération (MMC) qui n'a "rien à
cacher". Il a par ailleurs rendu l'hommage "qu'un officier de carrière peut rendre à ses pairs".

Au cours des questions posées par les parlementaires, les thèmes suivants ont été abordés :

- Attentat du 6 avril 1994 :

François LEOTARD a souligné que le Président MOBUTU aurait dû prendre l'avion présidentiel
rwandais et s'était décommandé au dernier moment. A l'époque, l'aéroport de Kigali se trouvait sous
contrôle belge. La procédure d'approche imposée aux appareils donnait une grande liberté d'action au
FPR. Le fait que le Chef d'Etat-Major de l'armée rwandaise se trouvait également dans l'avion semble
exclure la responsabilité des FAR.

Monsieur LEOTARD souligne que ce sont les FAR qui ont bouclé la zone où se trouvaient les débris de l'avion et qu'il n'a pas d'élément d'information sur la boîte noire. Selon lui, il est peu crédible que les missiles ayant servi à détruire l'avion présidentiel aient pu transiter par "des mains françaises". Ces armes étaient en dotation dans l'armée ougandaise et certains membres du FPR étaient formés à leur utilisation.

° Livraisons d'armes :

Edouard BALLADUR a affirmé, qu'entre mars 1993 et avril 1994, toujours dans "l'état actuel de ses
connaissances", son gouvernement n'avait procédé qu'à des livraisons d'armes extrêmement limitées à
destination du Rwanda et ce, en application de décisions prises avant son arrivée au pouvoir.

Pour Michel ROUSSIN, la dernière cession gratuite d'armes est intervenue, également "à sa
connaissance", le 3 mars 1993. François LEOTARD a souligné de son côté que les livraisons les plus
tardives ont été faites en février et mars 1994.

Par ailleurs, l'ancien Premier ministre a souligné que certains de ses collaborateurs ont récemment été en contact avec "l'administration militaire" et qu'il ne leur a rien été dit.

° Rôle extérieur de certaines puissances :

François LEOTARD a expliqué que, selon certaines estimations, près de 10 000 soldats rwandais ont
participé à l'offensive du FPR. Il a rappelé que certains soldats du FPR ont suivi des stages aux
Etats-Unis (Phoenix, Arizona). "Sans vouloir faire de supputation", Edouard BALLADUR a pour sa part
remarqué que le FPR avait sa base en Ouganda.

En arrière-plan des propos des intervenants transparaît une mise en cause de l'Ouganda et de la "politique anglo-saxonne".

° Relations avec le Président de la République

Pour Edouard BALLADUR, il y avait accord entre le Président de la République et lui-même afin de limiter l'intervention française à l'aspect humanitaire. Si, pendant cette période, il existait effectivement une cellule africaine à l'Elysée, le gouvernement a pu néanmoins mener et assumer les actions qui relevaient de sa responsabilité. De son côté, François LEOTARD a expliqué que selon lui François MITTERRAND était la personne qui définissait avec le plus de précision les rapports de forces, les jeux. de stratégie et le poids de l'histoire dans la région.

° Politique de la France

Formation des soldats étrangers : François LEOTARD a précisé que les noms et les fonctions. des soldats
étrangers formés dans des écoles militaires françaises n'étaient pas secrets et qu'il convenait de les
demander aux autorités compétentes.

Opération Noroit :

François LEOTARD a invité la mission à interroger Pierre JOXE à ce sujet.

Opération Amaryllis :

Alain JUPPE a expliqué que les décisions d'évacuation avaient été prises sur place par l'ambassadeur de France et le responsable de l'opération Amaryllis. Il a ajouté qu'à sa connaissance il n'y avait pas eu de tris dans l'évacuation des personnes se trouvant à l'ambassade de France et qu'il était "gravissime" d'affirmer le contraire.

Opération Turquoise :

Edouard BALLADUR estime que l'opération Turquoise était "extraordinairement courageuse et risquée". C'est notamment parce qu'il voulait éviter que la France ne soit soupçonnée de vouloir prendre parti dans le conflit et de stopper l'avance du FPR, qu'en total accord avec le Président de la République, il a voulu circonscrire l'action de notre pays à une intervention humanitaire.

François LÉOTARD a expliqué que, les instructions données aux militaires étaient conformes aux
résolutions de l'ONU. L'ancien ministre de la Défense a enfin précisé que la DRM était présente au
moment de l'Opération Turquoise.

En conclusion, Edouard BALLADUR a rappelé qu'il était prêt à revenir devant la mission d'information
sous des modalités à préciser (par exemple, la communication des questions à l'avance afin de pouvoir y répondre avec précision).

Jean-Christophe LE MINH
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