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FILE – In this Monday, Oct. 3, 2005 file photo, Protais Zigiranyirazo,
former brother-in-law of assassinated Rwandan President Juvenal Habyarimana,
sits before the UN’s international Criminal Tribunal for Rwanda (ICTR) in Arusha, Tanzania. A United Nations court on Monday, Nov. 16, 2009 overturned a 20-year sentence faced by Zigiranyirazo for organizing a massacre during Rwanda’s 1994 genocide. © Sukhdev Chhatbar/AP-SIPA © Sukhdev Chhatbar/AP-SIPA
Interdite d’inhumation par un arrêté du maire d’Orléans, Serge Grouard (divers droite), la dépouille mortelle du Rwandais Protais Zigiranyirazo, alias Monsieur Z, attend toujours, dans un établissement de pompes funèbres de Saran, dans la banlieue d’Orléans, l’issue d’un feuilleton macabre dont le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 est la toile de fond.
Mi-septembre, saisi d’une procédure en appel par la veuve et les deux filles de Zigiranyirazo, décédé le 3 août à Niamey, au Niger (où il avait été contraint de demeurer durablement en exil), le Conseil d’État sera amené à statuer sur l’ordonnance rendue le 28 août par le tribunal administratif d’Orléans. Celui-ci avait rejeté la requête en « référé-liberté » de la famille du défunt, qui visait à suspendre l’arrêté par lequel le maire d’Orléans venait de refuser, deux jours plus tôt, que « Monsieur Z » soit inhumé dans sa ville – alors que la mairie l’avait d’abord autorisé.
Persona non grata en France de son vivant
Dans cette affaire, jusqu’ici, une question importante n’a pas trouvé de réponse : comment le cercueil de ce personnage sulfureux, frère de l’ancienne première dame rwandaise, Agathe Habyarimana, et ouvertement soupçonné d’avoir appartenu à l’Akazu (surnom donné au cercle d’extrémistes hutu qui, au plus haut niveau de l’État, entre 1990 et 1994, ont fomenté puis encadré le génocide), a-t-il pu pénétrer sur le territoire français ? De son vivant, Protais Zigiranyirazo n’était-il pas persona non grata en France, car interdit de visa, même après son acquittement controversé, en 2009, par le Tribunal pénal international pour le Rwanda – qui l’avait lourdement condamné en première instance un an plus tôt ?
Depuis la fin de 2023, dans le contexte consécutif au putsch militaire commis quelques mois plus tôt au Niger, la France ne dispose plus à Niamey d’ambassade ni de services consulaires, rendant impossible d’effectuer sur place les formalités relatives au transfert d’un défunt vers la France. De plus, aucun vol direct ne relie plus les deux capitales. Comment, dès lors, la famille de « Monsieur Z » est-elle parvenue à rapatrier son cercueil jusqu’à Orléans ?
Selon nos informations, les autorités françaises elles-mêmes se sont retrouvées prises de court par le scandale qui a éclaté dans les médias à partir du 24 août, lorsque le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) a publié un premier communiqué exprimant sa « stupéfaction » quant à la tenue imminente des funérailles en France – dont le faire-part circulait sur les réseaux sociaux. « Nous considérons que le rendez-vous programmé des génocidaires, le 28 août, constitue un affront à la mémoire prestigieuse d’Orléans, ville de Jeanne d’Arc et de Jean Zay », écrivait alors Alain Gauthier, président du CPCR.
De Niamey à Paris, via Istanbul
À Paris, on a d’abord tenté de comprendre comment un dossier aussi sensible avait pu passer sous les radars. Contrairement aux usages découlant de la convention de Vienne, Kigali n’a pas non plus été informé par le Niger du décès de son ressortissant. En retraçant le parcours du cercueil venu de Niamey, les services français concernés découvrent que celui-ci a transité par la Turquie. Après avoir été chargé, au Niger, dans un vol Turkish Airlines à destination d’Ankara, il y a ensuite été transbordé dans un autre appareil de la même compagnie à destination de Paris.
Si l’opération s’est apparemment déroulée sans alerter les services diplomatiques français ni ceux des douanes ou de la police de l’air et des frontières, c’est en raison d’un accord portant sur le transfert des corps des personnes décédées conclu, en 1973, par les États membres du Conseil de l’Europe et dont le décret d’application n’a été publié en France qu’en octobre 2000. Tout comme la Turquie, la France est signataire de cet accord qui vise à simplifier considérablement les formalités administratives relatives au transfert, entre deux États parties, du corps d’une personne décédée.
C’est ainsi que le cercueil de Protais Zigiranyirazo a pu rallier Paris, depuis Istanbul, sans éveiller les soupçons des autorités françaises, placées devant le fait accompli puisqu’aucune instance diplomatique n’avait eu à donner son imprimatur au transfert. À ce stade, ni le Quai d’Orsay ni l’avocat de la famille Zigiranyirazo, Me Philippe Meilhac, sollicités afin de recueillir leur réaction, n’ont souhaité donner suite.