Fiche du document numéro 3525

Num
3525
Date
Mardi 5 juillet 1994
Amj
Hms
20:00:00
Auteur
Auteur
Auteur
Auteur
Auteur
Fichier
Taille
31840766
Pages
0
Urlorg
Sur titre
Journal de 20 heures [9:37]
Titre
Valéry Giscard d'Estaing : « On avait pris un engagement tout à fait précis de ne pas aller en profondeur dans le territoire rwandais ! On est allé trop loin ! »
Sous titre
Les troupes françaises renforcent leurs positions à l'entrée de Gikongoro. En face, les rebelles du Front patriotique sont à moins de 10 kilomètres.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Mot-clé
Mot-clé
Résumé
- French troops are strengthening their positions at the entrance to Gikongoro, that is to say in the southwest of the country. 300 legionaries and a hundred other soldiers will soon support the 150 paratroopers already present. Opposite, the rebels of the Patriotic Front are less than 10 kilometers from the French positions.

- As patrols ply the roads, armed with six 90-millimeter cannons, and eight Puma helicopters guard the outskirts of Gikongoro town, military trucks have been seen arriving with machine guns and Milan anti-tank missiles. It is the most advanced position of the French in the famous security zone they have decreed and which extends over an eighth of the territory to the south of Rwanda.

- Colonel Rosier was very clear: the French will respect strict neutrality but their mission remains to protect refugees whoever they are.

- South of Kigali, near the border between Rwanda and Burundi, the arrival of the RPF put an end to the atrocities of the Hutu militias. It was from here that the death squads launched their raids. It was from here that they left on the morning of April 12 for the neighboring village of Ntarama. The 800 inhabitants of the town had gathered in the chapel, from which they hoped for protection. Systematic extermination of Tutsi and Hutu opponents, mass exodus of populations, only one inhabitant in 20 remained alive in Bugesera.

- The new prefect of Bugesera summoned his constituents to encourage them to resume the abandoned crops of sorghum and coffee. As and when its military conquests, the RPF thus supervises its population in its own security zones. Still, the majority of the inhabitants flee from his troops. The Patriotic Front will not be able to populate the 1,000 hills of Rwanda with Tutsis alone. Sooner or later he will have to manage the return of the Hutu populations.

- During his visit to South Africa, François Mitterrand spoke about the French commitment in Rwanda. François Mitterrand: "France does not intend to conduct a military operation in Rwanda against anyone. The fate of Rwandans depends on Rwandans. The Rwandan Patriotic Front is not our adversary! We are not trying to hold back its possible success!".

- Interview with Valéry Giscard d'Estaing by Patrick Poivre d'Arvor: "Rwanda used to be a feudal system, which was ruled by a minority, which represents 10% of the population, which is a minority from the North, who are therefore nomads and who are more warlike, more sassy moreover, and who are the Tutsi. Independence arrives and naturally the Hutus take power since they are the majority. And they begin to hunt and persecuting the Tutsi The Tutsi went into exile in part in neighboring countries, in particular in Uganda, and then they tried to come back for the first time in the 1960s. They tried to come back in 1990. We sent forces to prevent them from coming back. Then comes the attack on President Habyarimana. At that time, it was the Hutus, that is to say the people we had protected until then, who began the massacres of the Tutsi minority. We witnessed the massacre, abominable, it must be said, of the Tutsi minority by the mi liciens of the regime. Regime that we had supported in recent times. So at the same time the Tutsi who were outside, that is to say in Uganda, entered the country and they are advancing. They have now occupied three-quarters of the country. So what's going on in the western part of the country? There have already been very cruel massacres in this part, of which those responsible are still there! And we don't do anything against them. Two weeks ago, we made a very specific commitment not to use an interposition force between the two camps. And especially not to go deep into Rwandan territory! We have gone too far! Because currently we are in the city of Gikongoro, it is in the interior of the country. What are we going to do ? There are Tutsis advancing. Are we going to oppose their advance? I heard the colonel who was in command say: 'But if they advance, we will shoot at them'. Shoot who? And by what right? So I think we have to go back to the initial conception of the operation. That is to say, our forces must be on the border and not in the country and engage in strictly humanitarian operations".
Source
TF1
Fonds d'archives
INA
Type
Journal télévisé
Langue
FR
Citation
[Patrick Poivre d'Arvor :] […] situation au Rwanda car les troupes françaises renforcent leurs positions à l'entrée de Gikongoro, c'est-à-dire au sud-ouest du pays. 300 légionnaires et une centaine d'autres militaires épauleront bientôt les 150 parachutistes déjà présents. En face, les rebelles du Front patriotique sont à…, à moins de 10 kilomètres des positions françaises. Reportage de nos envoyés spéciaux là-bas, Isabelle Marque et Gilles Hémart.

[Marque Isabelle :] Dernière inspection du colonel Hogard, chef des 300 légionnaires venus prêter main-forte aux 150 parachutistes déjà installés dans la ville de Gikongoro [on voit Jacques Hogard accompagné de militaires descendre un talus boisé en montrant la colline d'en face]. Le QG est dans une école désaffectée mais ses hommes se sont enterrés à 20 kilomètres en deçà de la ligne de front [une incrustation "Gikongoro, Rwanda" s'affiche à l'écran].

Alors que des patrouilles sillonnent les routes -- armées de six canons de 90 millimètres -- et que huit hélicoptères Puma surveillent les abords de la ville, on a vu arriver des camions militaires avec des mitrailleuses et des missiles antichar Milan [on voit ces missiles à l'écran]. C'est la position la plus avancée des Français dans la fameuse zone de sécurité qu'ils ont décrété et qui s'étend sur un huitième du territoire au sud du Rwanda.

Le colonel Rosier, sur place, ce soir a été très clair : les Français respecteront une stricte neutralité mais leur mission reste de protéger les réfugiés quels qu'ils soient [on voit un hélicoptère Puma décoller du QG français]. On attend donc ce soir la réaction des rebelles du FPR, toujours hostiles à cette action. Ils se sont toutefois arrêtés à 10 kilomètres de la ville.

[Patrick Poivre d'Arvor :] Si les projecteurs sont braqués sur cette ligne de front, la situation dans le reste du pays ne doit pas pour autant être ignorée. Nos envoyés spéciaux Loïck Berrou et Jean-François Monnet se sont rendus sur la frontière entre le Rwanda et le Burundi, c'est-à-dire au sud de Kigali. Une zone récemment conquise par le Front patriotique et touchée, elle aussi, par les massacres.

[Loïck Berrou :] La rivière Nwarangugu [Nyabarongo] ne charrie plus que quelques rares cadavres dans cette région [on voit à l'image un cadavre flotter sur la rivière] où l'arrivée du FPR a mis un terme aux exactions des milices hutu. La mémoire en reste pourtant toute fraîche à l'image de ces cahutes de tôles arrachées aux toits des maisons tutsi [on voit des maisons saccagées]. C'est d'ici que les escadrons de la mort lançaient leurs raids. C'est d'ici qu'ils sont partis le 12 avril au matin vers le village voisin de Ntarama. Les 800 habitants de la commune s'étaient massés dans la chapelle, dont ils espéraient protection [diffusion d'images du massacre de l'église de Ntarama]. Josiane, 12 ans, est la seule rescapée du massacre.

[Josiane Mukeshimana [elle s'exprime en kinyarwanda mais ses propos sont traduits] : "Les miliciens sont arrivés en jetant des grenades. Ceux qui s'enfuyaient étaient abattus à la machette. Moi je suis tombée évanouie. Et quand je me suis réveillée, j'étais enfouie sous le corps de mes parents. C'est comme ça que j'ai survécu".]

[Loïck Berrou, face caméra, devant l'église de Ntarama : "Pourquoi garder ces lieux en l'état ? 'Dans l'attente de la commission internationale chargée d'enquêter sur les crimes de guerre au Rwanda', répondent les responsables du FPR. En fait il s'agit d'un mausolée -- au goût certes discutable -- chargé de témoigner de l'ampleur des massacres qu'a subi la communauté tutsi".]

Extermination systématique des Tutsi et des opposants hutu, exode massif des populations [on voit des monticules de terre surmontés de croix profanées puis une maison totalement dévastée], un habitant sur 20 seulement est resté vivant à Bugesera. La rue principale pourtant est animée : des réfugiés tutsi du Burundi voisin sont revenus s'installer en ville. Mais pour l'essentiel, ce sont des personnes déplacées par le FPR des zones de combat qui vivent ici.

[Antoine Somayire, "Préfet F.P.R. - Budiesera [Bugesera]" : "Jusqu'ici on ne sait pas s'il va y avoir des combats entre… nos forces -- les forces de…, du FPR -- et… les forces d'intervention… militaro-humanitaires françaises [sourire]. Alors [le] FPR a préféré faire venir ces gens momentanément ici à Bugesera".]

Le nouveau préfet de Bugesera a convoqué ses administrés pour les inciter à reprendre les récoltes abandonnées de sorgho et de café. Au fur et à mesure de ses conquêtes militaires, le FPR encadre ainsi la population dans ses propres zones de sécurité. Reste que la majorité des habitants fuient devant ses troupes. Le Front patriotique ne pourra peupler les 1 000 collines du Rwanda avec les seuls Tutsi. Il lui faudra gérer tôt ou tard le retour des populations hutu.

[Patrick Poivre d'Arvor :] Pendant sa visite en Afrique du Sud, François Mitterrand s'est exprimé sur l'engagement français au Rwanda. Il en a réaffirmé le caractère strictement humanitaire. Écoutez-le.

[François Mitterrand, devant de nombreux journalistes [ses propos sont simultanément traduits en anglais] : "La France n'entend pas mener d'opération militaire… au Rwanda contre qui que ce soit. Le sort des Rwandais dépend des Rwandais. Le Front patriotique rwandais n'est pas notre adversaire ! Nous ne cherchons pas à retenir son éventuel succès ! Nous disons simplement : 'Il faut bien qu'il y ait quelque part un endroit où des gens en péril puissent trouver secours'. Nous tendons une main secourable. Là s'arrête notre action. Et nous sommes au regret de constater que les organisations internationales n'ont pas déjà mis en place le dispositif qui permettrait de ne pas laisser se…, supporter cette charge à la France seule".]

[Patrick Poivre d'Arvor interviewe à présent en plateau Valéry Giscard d'Estaing.]

Patrick Poivre d'Arvor : Valéry Giscard d'Estaing, bonsoir.

Valéry Giscard d'Estaing : Bonsoir.

Patrick Poivre d'Arvor : Pendant votre présidence vous avez été confronté à des problèmes de ce type. Euh, la France doit-elle rester au Rwanda en attendant une arrivée, pour l'instant assez hypothétique, euh, de l'ONU ?

Valéry Giscard d'Estaing, "Président de l'U.D.F." : Ah je crois qu'il faut rappeler en quelques mots ce que c'est que cette situation. Je crois que vous…, que vous connaissez vous-même puisque vous êtes allé sur place. Euh, le Rwanda c'est une ancienne colonie allemande et belge. Et autrefois c'était un système féodal qui était dirigé par une minorité, qui représente 10 % de la population, qui est une minorité venue du Nord -- qui sont donc des nomades et qui sont plus guerriers, plus délurés d'ailleurs --, et qui sont les Tutsi. Ils tenaient le pays, euh…, ils administraient le pays et donc les Hutu. Les Hutu, qui sont la majorité, donc 90 %, c'est une population sédentaire et qui donc, qui vivaient au bas de l'échelle politique et sociale. Arrive l'indépendance et naturellement les Hutu prennent le pouvoir puisqu'ils sont la majorité. Et ils commencent à chasser et persécuter les Tutsi, avec d'ailleurs, euh, souvent, brutalité et violence. Les Tutsi s'exilent en partie dans les pays voisins, notamment Ouganda. Puis ils essaient de revenir. Ils essaient de revenir une première fois dans les années 60. Ils essaient de revenir en 1990. Ils reviennent dans le pays. Nous envoyons des forces pour les empêcher de revenir. Avec les Belges d'ailleurs, les Zaïrois. Et puis, euh, arrive l'attentat, euh, du Président Habyarimana. C'est un Président hutu -- donc qui représente le…, la grande majorité -- qui est assassiné. Enfin, attentat contre son avion. Et à ce moment-là qu'est-ce qui se passe ? À ce moment-là ce sont les Hutu, enfin les gens que nous avions protégés jusque là, qui commencent les massacres. Qui commencent les massacres de la minorité tutsi. D'ailleurs quand dans un pays il y a 90 % d'un côté et 10 % de l'autre, quand il y a des massacres, c'est les 90 % qui massacrent évidemment les 10 %. Et on a assisté au massacre -- abominable, il faut bien dire -- de la minorité tutsi par les miliciens du régime. Régime que nous avions, euh…, soutenu, euh, dans la période récente. Alors en même temps, euh, les Tutsi qui étaient à l'extérieur, c'est-à-dire dans l'Ouganda, sont entrés dans le pays -- c'est ce qu'on appelle le Front patriotique, euh, rwandais -- et ils avancent. Et ils commencent à occuper une partie du pays et ils viennent de prendre la capitale…

Patrick Poivre d'Arvor : Et ils ont pratiquement occupé trois-quarts du pays…

Valéry Giscard d'Estaing : Ils ont maintenant occupé les trois-quarts du pays, dont les villes d'ailleurs que vous montriez tout à l'heure sur vos écrans. Alors qu'est-ce qui se passe dans la partie, euh, ouest du pays ? C'est qu'il y avait à la fois des Tutsi qui étaient là affolés parce que il y avait les Hutu qui se repliaient et qui avaient…, qui commençaient à les massacrer. Il y a déjà eu des massacres très cruels dans…, dans cette partie. Dont les responsables sont toujours sur place d'ailleurs ! Et on ne… fait rien contre eux. Et puis en même temps il y a les forces tutsi qui avancent. Alors ce que nous avions fait au début, bon, euh, c'est-à-dire il y a 15 jours… Il y a 15 jours qu'on a commencé. On est allé sur la frontière et on a dit : "On va aider les camps de réfugiés, euh, des orphelinats, des écoles. Et on va tâcher de…, de protéger les populations qui seraient menacées par les autres". Et on avait pris un engagement tout à fait précis, c'est-à-dire de ne pas se servir de forces d'interposition entre les deux camps. Et surtout de ne pas aller en profondeur dans le territoire rwandais ! Ce qui a été dit avec solennité par le Premier ministre, tout à fait à juste titre, à l'Assemblée nationale.

Patrick Poivre d'Arvor : Et là vous trouvez qu'on est allé trop loin ?

Valéry Giscard d'Estaing : On est allé trop loin ! Parce qu'actuellement on…, on est dans des villes… La fameuse ville de Gikongoro dont on parle…

Patrick Poivre d'Arvor : Gikongoro…, on était là.

Valéry Giscard d'Estaing : C'est à l'intérieur du pays, je vous ai apporté une carte. Qu'est-ce qu'on va faire ? Il y a des Tutsi qui avancent. Est-ce qu'on va s'opposer à leur avance ? J'ai entendu le colonel qui commande dire : "Mais s'ils avancent, on tirera sur eux". Tirez sur qui ? Et de quel droit ? Donc je crois qu'il faut revenir à la conception initiale de l'opération. C'est-à-dire que nos forces doivent être sur la frontière -- et non pas dans le pays -- et se livrer à des opérations strictement humanitaires : c'est-à-dire quand on apprend qu'il y a quelque part, euh, un camp qui est menacé ou une communauté religieuse ou un groupe de population, lui porter secours.

Patrick Poivre d'Arvor : De plus vous laisser entendre que la France, d'une certaine façon, euh, pour l'instant, est en train de protéger les auteurs hutu des massacres ?

Valéry Giscard d'Estaing : Pour l'instant si on regarde derrière nous, on a les Tutsi qui avancent, c'est-à-dire les victimes, et on a derrière nous une partie de ceux -- je dis bien une partie, bien sûr -- de ceux qui ont…, ont procédé aux massacres. Alors il y a deux choses qu'il faut dire aussi : aucune puissance européenne, euh, n'a décidé, euh, de venir s'associer à nous. Et en particulier on a les Allemands qui président la Communauté des 12, les anciens…, ancienne puissance coloniale, on a les Belges, ancienne puissance coloniale, personne ne vient…

Patrick Poivre d'Arvor : Les Italiens ont promis qu'ils viendraient peut-être en logistique, oui.

Valéry Giscard d'Estaing : Ils l'ont dit mais enfin ils ne l'ont pas fait encore. Et parmi les puissances africaines, une seule, qui est le…

Patrick Poivre d'Arvor : Le Sénégal.

Valéry Giscard d'Estaing : Le Sénégal.

Patrick Poivre d'Arvor : Avec le Ghana un petit peu à l'instant…

Valéry Giscard d'Estaing : Non ! Non, non. Le Ghana a annoncé qu'il participerait à ce qu'on appelle la MINUAR, c'est-à-dire la force des Nations unies -- qui n'est pas du tout notre opération à nous -- qui est la force internationale des Nations unies qui devrait venir, d'ailleurs, le plus vite possible.

Patrick Poivre d'Arvor : Donc pour vous on est beaucoup trop seuls ?

Valéry Giscard d'Estaing : Alors moi je dis ceci : il faut revenir à ce qu'on avait décidé. C'est-à-dire qu'il faut ramener nos forces sur la frontière. Et il faut qu'à partir de la frontière, pour des opérations humanitaires tout à fait précises, et sur le vu des menaces portant sur tel ou tel groupe de la population, on fasse une opération de secours soit pour les protéger, soit pour les ramener.

Patrick Poivre d'Arvor : Je vous remercie. Alors on va continuer, euh, la revue de l'actualité internationale qui est chargée aujourd'hui […].
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024