Fiche du document numéro 35237

Num
35237
Date
Jeudi 31 juillet 2025
Amj
Auteur
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Taille
8336707
Pages
7
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Titre
Rue des Rosiers : révélations sur le « pacte secret » entre Mitterrand, la DST et le groupe terroriste Abou Nidal
Sous titre
Six personnes sont renvoyées devant la cour d’assises spéciale pour l’attentat contre le restaurant Goldenberg en 1982. Les notes déclassifiées de la présidence de la République et de la Direction de la surveillance du territoire prouvent qu’un « marché » a été conclu par l’État français avec Abou Nidal après l’attentat.
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Article de journal
Langue
FR
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« M’en« M’en parler », « Me consulter », signé « FM ». C’est ainsi que le président de la République François Mitterrand a posé son visa, entre 1983 et 1987, sur des notes de Gilles Ménage, son directeur de cabinet adjoint, qui formalisent un « pacte secret » entre la France et le groupe Abou Nidal, qui vient de commettre l’attaque du restaurant Jo Goldenberg, ayant fait six morts et vingt-deux blessés, rue des Rosiers à Paris, le 9 août 1982.

Alors que l’enquête judiciaire montre rapidement l’implication dans l’attentat du Fatah-Conseil révolutionnaire (CR), l’organisation de Sabri al-Banna – alias Abou Nidal –, les chefs de la division antiterroriste de la Direction de la surveillance du territoire (DST, aujourd’hui DGSI) reçoivent la consigne de négocier avec le groupe terroriste, selon les notes déclassifiées obtenues par les juges chargés de l’enquête sur l’attentat de la rue des Rosiers.

Moyennant la promesse de ne plus frapper la France, le groupe Abou Nidal obtient beaucoup : la libération anticipée de deux de ses membres condamnés pour l’assassinat en 1978 du représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris ; la possibilité pour un représentant d’avoir un bureau secret, voire d’y gérer des sociétés commerciales ; et l’assurance de sa sécurité.

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De gauche à droite, François Mitterrand, le général Philippe Rondot, l'ancien patron de la DST Yves Bonnet, et le chef du Fatah-CR, Abou Nidal. © Photomontage Mediapart avec AFP et Sipa

Un « mémoire » du 10 octobre 1984 signé d’Abou Nidal est remis par un membre du groupe aux Français à Toulouse. En réponse, une « note » à entête de la « République française » est transmise à Abou Nidal, le 29 janvier 1985, validant la présence en France d’un de ses émissaires, qui certifie que « les autorités françaises attachent la plus grande importance au développement harmonieux [sic] de la relation établie avec [son] organisation ».

Le « pacte » n’a pas été sans conséquence pour l’enquête sur l’attentat de la rue des Rosiers.

Dix-neuf ans d’attente

Quarante-trois ans après l’attentat, les juges d’instruction ont signé, le 31 juillet 2025, l’ordonnance de mise en accusation de trois membres présumés du commando pour « assassinats » et « tentative d’assassinats », ainsi que celle de trois complices présumés, afin qu’ils soient jugés devant la cour d’assises spécialement composée. Un seul de ces hommes, Walid Abou Zayed, est incarcéré depuis le mois de décembre 2020, après son extradition de Norvège. Un deuxième homme, Hazza Taha, est sous contrôle judiciaire depuis le 10 avril 2025.

Dans ses réquisitions, signées le 9 juillet, le Parquet national antiterroriste (Pnat) avait déploré la collaboration bien trop tardive de la DST à l’information judiciaire, et ce, au moins jusqu’en 2001, en raison du « marché secret » entre la France et Abou Nidal.

Abou Nidal, l’histoire d’une dissidence

L’Organisation de libération de la Palestine est fondée en 1964, avec sa branche politique appelée Fatah, qui signifie « la conquête ». Elle a été dirigée par Yasser Arafat jusqu’à son décès en 2004. Après la guerre du Kippour de 1973, l’OLP se prononce en faveur d’un règlement politique, ce qui provoque des scissions.

En 1974, Sabri Khalil al-Banna, alias Abou Nidal, palestinien né à Jaffa en 1937, crée une formation dissidente, le Fatah-Conseil révolutionnaire en rupture avec la ligne d’Arafat. Abou Nidal fustige tout compromis et s’en prend autant à des cibles israéliennes qu’aux dirigeants de l’OLP et à tous les pays, y compris arabes, qui soutiennent des négociations avec Israël. Hébergé un temps en Pologne, Abou Nidal est d’abord aidé par l’Irak (1974-1983), puis par la Syrie (1983-1987), avant de trouver de l’appui en Libye (1987-1994).

En 1985, le groupe Abou Nidal est considéré par les Américains comme l’une des organisations terroristes les plus dangereuses au monde. Il a multiplié les attaques et attentats : détournements d’avion à Tunis, Dubaï ou Karachi ; prises d’otages à Damas et Amman ; attentats à Londres, Anvers, Athènes, Paris (rue des Rosiers en 1982), Rome et Vienne (1985) ; assassinats à Paris, Madrid, Bruxelles, Ankara, New Delhi. La liste de ses opérations est interminable.

Abou Nidal meurt en août 2002 en Irak, vraisemblablement exécuté par les services irakiens, ainsi que trois de ses lieutenants.

En effet, ce n’est qu’en août 2001, soit dix-neuf ans après l’attentat, que la DST a transmis aux juges d’instruction un premier rapport « mentionnant l’identité de plusieurs individus », suivi en 2006 et 2008 de différents rapports relatifs à la localisation de différents suspects.

Ces procès-verbaux de renseignement ont été établis « sur la base de nombreuses notes à l’époque encore classifiées de la DST, contenant des informations déterminantes pour la résolution de l’enquête », « à une époque où ce service avait conduit des échanges secrets avec le groupe Abou Nidal visant à éviter de nouvelles attaques sur le sol français », a relevé le Pnat, dans son réquisitoire.

« Il avait ainsi fallu attendre de nombreuses années, l’affaiblissement de la menace représentée par le groupe Abou Nidal, pour que le matériel contenu dans ces notes soit porté à la connaissance de l’autorité judiciaire », souligne le parquet.

Ce n’est ensuite qu’en 2011, dix ans plus tard, que les juges obtiennent d’interroger plusieurs sources clés du contre-espionnage français, notamment l’ancien porte-parole du groupe, Atef Abubaker, qui leur permet d’identifier les auteurs de l’attaque de la rue des Rosiers.

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Après l'attaque du restaurant Jo Goldenberg, rue des Rosiers à Paris, le 9 août 1982. © Photo Jacques Demarthon / AFP

En février 2020, dans une note de synthèse au ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, Nicolas Lerner, alors patron de la DGSI, défend ses prédécesseurs à la tête du contre-espionnage, en soulignant que « les échanges entre les représentants de la DST et les membres du Fatah-CR [...] n’évoquent à aucun moment une éventuelle impunité à accorder aux auteurs de l’attentat de la rue des Rosiers », et qu’ils ont permis « de recueillir des renseignements sur l’organisation et le fonctionnement interne du mouvement ».

Si aucune « impunité » n’a été signalée noir sur blanc, les comptes rendus par la DST de ses contacts avec le groupe sont vierges de tout acte d’enquête ou de renseignement de nature à clarifier ou à établir la responsabilité du groupe Abou Nidal dans l’affaire de la rue des Rosiers. Le sujet ne semble avoir été évoqué qu’une seule fois, en 1984, auprès de l’un des émissaires du groupe, qui a rejeté la paternité de l’attentat sur un autre « groupe armé ».

En 1982, dans les jours et les semaines qui suivent l’attentat parisien, les enquêteurs comme les services de sécurité français ont la conviction, puis des preuves, que l’opération terroriste est bien le fait du groupe Abou Nidal. Le mode opératoire, les cibles, un restaurant et un quartier de la communauté juive, et les armes utilisées désignent le Fatah-CR.

Ainsi les pistolets-mitrailleurs polonais WZ 63 sont du même type que ceux utilisés contre la synagogue de Vienne en Autriche en août 1981, et contre l’ambassadeur d’Israël à Londres en juin 1982, ou encore après l’attentat de la rue des Rosiers, contre la grande synagogue de Bruxelles en septembre 1982, et la synagogue de Rome en octobre 1982. Le même lot de munitions (9 mm Makarov) a été utilisé à Vienne, Bruxelles et Paris. Les mêmes grenades russes F1 ont été lancées à Vienne, Londres et Rome.

À Vienne, les deux auteurs de l’attaque de la synagogue (qui a fait deux morts et trente blessés), interpellés, ont avoué leur appartenance au groupe Al-Assifa (« la tempête »), l’une des autres signatures, avec « Juin noir », du groupe Abou Nidal. À Londres, les trois auteurs de l’attaque sont identifiés comme des membres du Fatah-CR.

« La confidentialité n’est jamais garantie »

Dès 1983, des messages parviennent à Paris selon lesquels Abou Nidal « souhaiterait entrer en contact avec les autorités françaises ». « Il désirerait s’entretenir directement ou par l’entremise d’un de ses proches collaborateurs avec un représentant du gouvernement ou “toute personne autorisée” », annonce Gilles Ménage au président Mitterrand le 1er juillet 1983. « [Il] pourrait, dit-on, donner l’assurance qu’aucun attentat ne serait perpétré sur notre territoire avec la participation de son organisation. »

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Dès juin 1983, le président Mitterrand est informé d'un message d'Abou Nidal aux autorités françaises. © Documents Mediapart.

Le secrétaire d’État à la sécurité publique Joseph Franceschi – nommé à ce poste au lendemain de l’attentat de la rue des Rosiers – se rend lui-même à Vienne accompagné par le patron de la DST Yves Bonnet, pour se faire expliquer la « proposition transmise à la DST par la Staatspolizei de Vienne, et émanant du groupe Abou Nidal, visant à l’établissement de contacts avec la France ». L’Autriche a déjà engagé un cycle de discussions secrètes avec l’organisation terroriste.

Devant les juges, Yves Bonnet, 89 ans, élu en 2021 conseiller régional de Normandie sur la liste du Rassemblement national, a justifié le « pacte » noué avec Abou Nidal.

« Ma stratégie était d’assurer la sécurité de mes compatriotes français et de faire en sorte qu’il n’y ait plus d’attentats sur le territoire, a-t-il expliqué en 2019, lors d’une audition dont le contenu avait été dévoilée à l’époque par Le Parisien. J’ai donc rencontré un certain nombre de fauteurs de troubles et d’auteurs de crimes potentiels, et on a passé une sorte de deal verbal en leur disant : “Je ne veux plus d’attentat sur le sol français et en contrepartie je vous laisse venir en France, je vous garantis qu’il ne vous arrivera rien.” »

L’ancien préfet assure qu’il n’avait « pas le pouvoir » de revenir sur ce qu’il appelle « les anciens dossiers » qui étaient « confiés à la police judiciaire ». Il précise n’avoir vu « personne du groupe Abou Nidal » lui-même. « Ce sont mes collaborateurs qui les ont vus à l’époque. »

« Franceschi était au courant, et Defferre [le ministre de l’intérieur – ndlr] également. À ce niveau-là, c’est normal qu’ils soient d’accord [...]. Je confirme le fait que l’Élysée “ne savait rien” [officiellement – ndlr] avec l’aval de Gilles Ménage à qui je disais tout. » Gilles Ménage demandait des instructions à François Mitterrand qui répondait d’un « vu », avec ses initiales.

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Le visa posé par François Mitterrand sur les notes de Gilles Ménage l'informant des contacts pris avec Aboul Nidal. © Documents Mediapart

Le 18 septembre 1984, Gilles Ménage transmet au président les premiers comptes rendus de la DST des contacts pris avec Abou Nidal, et signale qu’il a « fait part à M. Bonnet » des « précautions nécessaires » et des « limites de ce type d’initiatives ».

« Un tel dialogue peut présenter des dangers surtout lorsque, comme cela est le cas, il semble devoir prendre un tour assez nettement politique. Or ce n’est pas aux fonctionnaires de la DST de l’entreprendre, d’autant que quelles que soient les assurances données par les interlocuteurs sur la confidentialité, celle-ci n’est jamais garantie », expose Gilles Ménage.

« Tout peut être étudié »

Les premiers rendez-vous entre le Fatah-CR et la DST ont eu lieu à l’hôtel InterContinental de Vienne, en juillet 1984. « Six heures de conversation avec un minimum de temps mort », de 22 heures jusqu’à 2 heures du matin, puis de 7 h 30 à 10 heures le lendemain, dans une suite de l’hôtel placée sous surveillance. Les représentants d’Abou Nidal assurent que « le Fatah-Conseil révolutionnaire n’a jamais attaqué les intérêts français en France, ni à l’extérieur, mais seulement en France les ennemis de la Palestine ».

Selon la DST, l’objectif d’Abou Nidal est « d’obtenir du gouvernement français les moyens politiques d’améliorer l’image de marque du mouvement ». Les négociations se poursuivent durant deux jours à Lyon, les 13 et 14 août 1984, et, selon le compte rendu du contre-espionnage, elles deviennent plus concrètes. L’émissaire d’Abou Nidal, un certain Nooman, « renouvelle l’engagement déjà manifesté à Vienne : ne plus attaquer la France et plus généralement les intérêts français ». Il demande « la permission d’agir en France, comme n’importe quelle organisation d’une manière ouverte ».

Les Français questionnent : « Veulent-ils l’ouverture d’un bureau ou simplement une reconnaissance tacite ; ou le droit de distribuer un journal par exemple ? Nous demanderons à nos interlocuteurs de fournir la prochaine fois un catalogue que nos autorités examineront. Tout peut être étudié, précise la DST. Nous ajoutons qu’en effet nous “devons” convaincre une opinion publique qui est hostile [...] donc y aller progressivement par étapes. »

L’émissaire soutient que « le maintien d’une infrastructure clandestine » en France est « une affaire qui regarde l’organisation ». « Leurs méthodes sont une “chose privée” sur lesquelles ils sont seuls habilités à décider », relate la DST.

Le sujet de la libération des « camarades emprisonnés » vient sur la table. Il s’agit des deux membres du groupe Abou Nidal, Abdelkader Hatem et Kayed Assad, condamnés à quinze ans de prison pour l’assassinat d’Ezzedine Kalak, le représentant de l’OLP à Paris en 1978, et détenus à Muret (Haute-Garonne). Leur libération est « à l’étude ». Le principe d’une visite secrète aux deux hommes est validé par la DST.

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À gauche, les premières demandes formulées par Abou Nidal. À droite, la liste des premiers rendez-vous établie par la DST. © Documents Mediapart.
« Nooman désire un parloir sans barreaux. On peut le faire passer pour un avocat, mais il faudra qu’il envoie une identité à l’avance. Évidemment les avocats réels ne doivent rien savoir. Nooman remet 2 000 dollars à confier aux prisonniers pour leur argent de poche », résume la DST.

L’émissaire palestinien demande que « les problèmes réciproques » soient résolus « sans propagande ». Si « l’un de nos camarades est attaqué par les services français, il faut qu’il y ait un contact pour régler le problème avant que la justice entre en scène », expose-t-il. Pour éviter « des expulsions vers des pays hostiles », le groupe Abou Nidal demande qu’on le contacte « à chaque fois qu’il y a un doute » sur l’appartenance d’Untel ou Untel à son organisation.

Il compte sur une protection des autorités françaises pour ses activités clandestines, et celle-ci lui semble accordée.

« Un gage sur l’avenir »

Le 12 octobre 1984, l’émissaire du groupe Abou Nidal, présenté comme un avocat du Croissant-Rouge palestinien, se rend en visite secrète au centre pénitentiaire de Muret. La « bonne foi » des Français semble confortée. Un long document signé par Abou Nidal et daté du 10 octobre est remis. Outre la « libération des camarades détenus », la « présence d’un représentant quasi-officiel, résidant en France, pour faciliter les liaisons et l’échange de renseignement intéressant les deux parties », le Fatah-CR demande la réouverture d’une librairie arabe rue Saint-Victor à Paris, propriété d’anciens membres du groupe, et s’engage enfin « à préserver la sécurité de la France »...

À la toute fin de cette rencontre, un membre de la DST évoque pour la première fois le sujet de l’attentat de la rue des Rosiers.

« Nous précisons que le document qu’ils ont remis va être présenté au chef de l’État, celui-ci a été choqué par certains attentats, dont celui de la rue des Rosiers en août 1982. Dès qu’on lui en parle, le président pense que c’est le Fatah-CR qui l’a perpétré. »

Le négociateur français relève « une certaine gêne » chez l’émissaire d’Abou Nidal, qui élude cette remarque en affirmant que « c’est un groupe armé avec qui ils ont des relations qui a commis cet attentat ». Le contre-espionnage n’ira pas plus loin.

Le 29 janvier 1985, la note à entête de la « République française », en réponse au mémorandum d’Abou Nidal, achève de sceller le « pacte secret ». Les autorités françaises annoncent qu’elles ont « pris connaissance avec le plus grand intérêt » du document du chef terroriste, et « l’engagement pris par [leur] commandement que tout a été mis en œuvre de [leur] part pour assurer la sauvegarde des intérêts de la France, chez elle et ailleurs dans le monde ».

« Dès maintenant, elles acceptent la présence, sur le territoire français, d’un représentant de votre organisation, ceci afin de maintenir la permanence de la liaison établie. » « Ce représentant devra être muni de pouvoirs étendus, devra agir avec toute la discrétion que requièrent sa sécurité personnelle, celle de son organisation et celle de notre relation », précise encore la note. Laquelle insiste : « Cette relation établie doit être considérée, de part et d’autre, comme un gage sur l’avenir. »

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À gauche, le pacte avec l'organisation Abou Nidal à entête de la République française. À droite, dans une note, la DST annonce qu'elle prend en charge une recherche d'appartement pour le compte du groupe et s’occupe de la caution à récupérer. © Documents Mediapart.

L’avenir s’assombrit pourtant un peu entre les deux partenaires, en février 1985. Le général Philippe Rondot, principale figure du renseignement français dans le monde arabe, s’est rendu au quartier général du groupe Abou Nidal à Damas, où il a eu un accident de voiture sans gravité pour lui, mais une mine a explosé sur son passage et son chauffeur a été tué. En mars, dans une interview en français publiée dans une revue confidentielle – le mensuel France-Pays arabes –, Abou Nidal a annoncé que le roi de Jordanie allait être « liquidé », provoquant la panique de ses correspondants français.

« On va frapper pendant la nuit »

Lors d’un nouveau round de négociations, en juin 1985, le groupe terroriste se plaint que ses détenus n’ont pas été libérés comme promis. « Y a-t-il un recul par rapport aux promesses ? », s’inquiète l’émissaire du Fatah-CR. « En se plaçant du point de vue des responsables du Fatah-CR, on constate qu’après un an de discussions, rien de concret n’a été obtenu de la partie française sinon de vagues promesses », concède la DST dans un rapport du 12 juin 1985.

Début octobre, un message particulièrement menaçant vient rappeler aux autorités françaises les méthodes de leur partenaire.

« On va négocier avec vous et en même temps vous attaquer, annonce par téléphone un représentant du groupe Abou Nidal. Nous n’avons pas besoin de faire libérer nos camarades, vous pouvez les garder chez vous. Nous ne poserons pas ce problème une autre fois. Vous n’êtes pas sérieux avec vos promesses. [...] Nous vous confirmons que vous n’êtes pas très intelligents. On va vous prouver ça pratiquement dans quelques jours ; vous allez voir le journal allemand Der Spiegel et le contenu de l’entretien avec notre chef, qui a dit beaucoup de choses vous concernant. On va dire notre opinion en plein jour et on va frapper pendant la nuit. »

La DST rétorque que la libération conditionnelle « des deux amis » doit justement être examinée en octobre, et insiste pour que le commandement du Fatah-CR « reconsidère sa position ».

Jamais je n’ai “enterré” le dossier de l’attentat de la rue des Rosiers. Jamais je n’ai reçu d’instruction dans ce sens. Aucun attentat n’a été oublié, ni aucune victime “sacrifiée”.

Louis Caprioli, ancien sous-directeur à la DST

Dans deux notes à François Mitterrand, intitulées « Menaces de reprise des attentats en France de l’organisation Abou Nidal », Gilles Ménage signale « l’inquiétude » du nouveau patron de la DST, Rémy Pautrat, « au cas où la procédure de libération engagée n’aboutirait pas ».

« Vous aviez approuvé le schéma qui devait conduire à ces libérations conditionnelles », rappelle le directeur adjoint du cabinet à François Mitterrand. Gilles Ménage suggère de passer outre les « préoccupations » exprimées par le garde des Sceaux Robert Badinter, « visant à remettre en cause le principe même de la libération conditionnelle des assassins d’Ezzedine Kalak ».

Une « position négative » serait vue comme une « déclaration d’hostilité » par le Fatah-CR. « La riposte serait sans doute violente et rapide », avertit encore le collaborateur de François Mitterrand. Le 5 février 1986, les deux tueurs quittent finalement la prison de Muret, près de Toulouse, avant d’être exfiltrés vers la Libye.

Le « pacte secret » reste en vigueur malgré l’arrivée d’un gouvernement de cohabitation, en mars 1986. Dans ses mémoires, Gilles Ménage a rapporté que François Mitterrand avait nié devant Jacques Chirac avoir été informé du pacte avec Abou Nidal. La DST continue de transmettre les comptes rendus de ses rencontres régulières avec les représentants d’Abou Nidal aux nouveaux ministres de l’intérieur et de la sécurité publique, Charles Pasqua et Robert Pandraud.

Le Fatah-CR sert de messager aux Français dans la crise des otages du Liban, enlevés par différents groupes armés en 1985 et 1986. Les 16 et 17 juin 1987, les agents de la DST rencontrent finalement le chef du groupe terroriste lui-même à Alger. « Abou Nidal s’est déclaré très heureux de nous rencontrer. Il a regretté que cette rencontre n’ait pas eu lieu avant », signale la DST.

« Maintenant, il faut voir comment faire avancer de manière plus concrète la relation que nous considérons comme bonne. Il y a un appartement à Paris qui sert de lieu de contact et qui est discret et sûr. Nous considérons “Michel” [un pseudonyme – ndlr] comme un envoyé itinérant. Cependant à côté de cette relation avec “Michel” il est important d’avoir des contacts assez réguliers d’un haut niveau, c’est-à-dire avec Abou Nidal lui-même ou un de ses adjoints. Abou Nidal s’est montré d’accord. »

De nombreux rapports des services secrets établis après 1987 sont encore classifiés. Et plusieurs épisodes des marchandages de l’État français avec Abou Nidal restent encore dans l’ombre.

Entendus par les juges, Raymond Nart, l’ancien sous-directeur de la DST, et les anciens chefs de la division antiterroriste du contre-espionnage, Jean-François Clair et Louis Caprioli, ont opposé le secret-défense, le secret professionnel et leur « droit au silence ».

« Jamais je n’ai “enterré” le dossier de l’attentat de la rue des Rosiers. Jamais je n’ai reçu d’instruction dans ce sens. Aucun attentat n’a été oublié, ni aucune victime “sacrifiée” », s’est défendu Louis Caprioli.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024