Citation
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS
N° 2407401/5-1
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M. Antoine VIEU
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Mme Lamarche
Rapporteure
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Paris
(5ème section – 1ère chambre)
Mme Kanté
Rapporteure public
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Audience du 3 juillet 2025
Décision du 17 juillet 2025
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C
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2024, M. Antoine Vieu demande au tribunal :
1°) d’annuler les décisions des 27 avril et 1er août 2023 par lesquelles le ministre des
armées a rejeté sa demande d’accès à dix (10) cotes d’archives publiques appartenant au fonds
d’archives militaires sur le Rwanda et le génocide des Tutsis, conservées au service historique de
la défense (SHD) ;
2°) d’enjoindre au ministre des armées de faire droit à sa demande et de mettre en place
une procédure concrète permettant une utilisation réelle de ces cotes aux fins de recherche et de
documentation ainsi que le droit de photographie des documents contenus dans ces cotes.
Il soutient que :
- les refus opposés par le ministre des armées méconnaissent l’article 15 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et portent une atteinte disproportionnée à sa
liberté d’expression telle que protégée par les stipulations de l’article 10 de la convention
européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- ils entrent en contradiction avec les conclusions prononcées par la rapporteure
publique dans la décision rendue par l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat le 12 juin
2020 sous les numéros n° 422327 et 4301026 ;
- la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a reconnu l’intérêt
légitime de sa demande de consultation anticipée mais n’a pas pris la mesure de l’intérêt de sa
demande ;
- le ministre des armées oppose de manière abusive le motif tiré de l’« atteinte excessive
aux intérêts protégés par la loi ».
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Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2024, le ministre des armées et des
anciens combattants conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés ;
- la demande de consultation anticipée du requérant présente un caractère abusif au sens
des dispositions de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales ;
- le code du patrimoine ;
- le code des relations entre le public et l’administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Lamarche, première conseillère,
- les conclusions de Mme Kanté, rapporteure publique,
- et les observations de Mme Potin, pour le ministre des armées,
- M. Vieu n’étant ni présent ni représenté.
Une note en délibéré, présentée par M. Vieu, a été enregistrée le 4 juillet 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. Antoine Vieu a sollicité, le 6 mars 2023, l’autorisation de consulter de manière
anticipée dix (10) cotes d’archives publiques appartenant au fonds d’archives militaires sur le
Rwanda et le génocide des Tutsis auprès du service historique de la défense (SHD). Le silence
gardé par le ministre des armées sur cette demande à fait naître une décision implicite de rejet le
6 avril suivant. Par deux courriers datés des 27 avril et 1er août 2023, le ministre des armées a
expressément confirmé son refus. M. Vieu a saisi la commission d’accès aux documents
administratifs (CADA) par un courrier enregistré à son secrétariat le 27 juin 2023. La
commission a émis un avis défavorable à la demande de consultation anticipée présentée par le
requérant le 14 décembre 2023. Le silence gardé par l’administration pendant deux mois à
compter de l’enregistrement de la demande de M. Vieu par la CADA a fait naître une nouvelle
décision implicite de refus en application des dispositions de l’article R. 343-5 du code des
relations entre le public et l’administration. Par sa requête, M. Vieu doit être regardé comme
sollicitant l’annulation de cette dernière décision.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Aux termes de l’article L. 213-1 du code du patrimoine : « Les archives publiques
sont, sous réserve des dispositions de l'article L. 213-2, communicables de plein droit. ».
L’article L. 213-2 du même code précise : « Par dérogation aux dispositions de l'article
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L. 213-1 : / I. Les archives publiques sont communicables de plein droit à l'expiration d'un délai
de : / (…) 3° Cinquante ans à compter de la date du document ou du document le plus récent
inclus dans le dossier, pour les documents dont la communication porte atteinte au secret de la
défense nationale, et qui ont pour ce motif fait l'objet d'une mesure de classification mentionnée
à l'article 413-9 du code pénal, ou porte atteinte (…) à la sécurité des personnes ou à la
protection de la vie privée, à l'exception des documents mentionnés aux 4° et 5° du présent I.
(…) / 5° Cent ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le
dossier, (…) / Les mêmes délais s'appliquent aux documents dont la communication est de nature
à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables
impliquées dans des activités de renseignement, que ces documents aient fait ou ne fassent pas
l'objet d'une mesure de classification. (…) ». Aux termes de l’article L. 213-3 de ce code :
« I. L'autorisation de consultation de documents d'archives publiques avant l'expiration des
délais fixés au I de l'article L. 213-2 peut être accordée aux personnes qui en font la demande
dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à
porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. (…) l'autorisation est
accordée par l'administration des archives aux personnes qui en font la demande après accord
de l'autorité dont émanent les documents. (…) ». Enfin, l’article R. 213-11 du code du
patrimoine prévoit que : « Toute demande de dérogation aux conditions de communication des
archives de la défense est soumise : / 1° Au Premier ministre, en ce qui concerne les archives
provenant du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale ; / 2° Au ministre de la
défense, en ce qui concerne les autres archives. / (…). / L'accord de l'autorité dont émanent les
documents, mentionné à l'article L. 213-3, est donné par le Premier ministre en ce qui concerne
les fonds d'archives publiques provenant du secrétariat général de la défense et de la sécurité
nationale, par le ministre de la défense en ce qui concerne les autres fonds. »
3. En application de ces dispositions, l'autorisation de consultation anticipée des
documents d'archives publiques est accordée aux personnes qui en font la demande dans la
mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation de ces documents ne conduit pas à porter une
atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Il appartient au juge de l’excès de
pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de contrôler la régularité et le bien-fondé d’une décision de
refus de consultation anticipée d’archives de la défense prise par le ministre des armées. Il lui
revient, en particulier, d’exercer un entier contrôle sur l’appréciation portée, dans le cadre de la
mise en œuvre des dispositions de l’article L. 213-3 du code du patrimoine, sur la
proportionnalité de la limitation qu’apporte à l’exercice du droit d’accès aux documents
d’archives publiques le refus opposé à une demande de consultation anticipée, par dérogation
aux délais fixés par la loi. Pour ce faire, par exception au principe selon lequel le juge de l’excès
de pouvoir apprécie la légalité d'un acte administratif à la date de son édiction, il appartient au
juge, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l’écoulement
du temps et l’évolution des circonstances de droit et de fait afin de conférer un effet pleinement
utile à son intervention, de se placer à la date à laquelle il statue.
4. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il
entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques,
de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui
doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, en
particulier le secret de la défense nationale, la sûreté de l'Etat, la sécurité publique, la sécurité des
personnes et la protection de la vie privée. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant
compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du
temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une
autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
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5. En l’espèce, la demande de consultation anticipée formulée par M. Vieu porte sur dix
(10) cotes d’archives publiques appartenant au fonds d’archives militaires sur le Rwanda et le
génocide des Tutsis conservées au service historique de la défense (SHD).
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Vieu est membre, depuis
plusieurs années, de l’association « Survie » qui se présente comme dénonçant toute forme
d’intervention néocoloniale en Afrique et comme militant pour une refonte de la politique
étrangère de la France. Toutefois, à la différence des demandes tendant à la communication de
documents administratifs ou d’archives librement accessibles en application du code du
patrimoine, la demande en litige tend à la mise en œuvre d’un dispositif dérogatoire dans le cadre
duquel il appartient au requérant de justifier de l’intérêt qui s’attache à la consultation demandée.
Or, M. Vieu n’apporte aucune précision quant au but de sa demande, à la démarche dans laquelle
elle s’inscrit, ni aucun élément permettant d’éclairer l’objet de sa recherche. Dans ces conditions,
l’adhésion à l’association « Survie » ne permet pas, à elle seule, de justifier l’intérêt légitime qui
s’attache à la demande de consultation anticipée formulée par M. Vieu, alors-même que l’intérêt
intrinsèque des documents en cause n’est pas sérieusement contesté.
7. En second lieu, les archives publiques ayant fait l’objet du refus de consultation en
litige concernent deux affaires traitées par la justice française relatives, d’une part, à l'attentat du
6 avril 1994 dirigé contre l'avion du président rwandais, et d’autre part, au massacre des Tutsis
de Bisesero. Il ressort tant des écritures du ministre des armées en défense que de l’inventaire des
différents fonds d’archives relatifs au Rwanda et au génocide des Tutsis, notamment rendu
public le 7 avril 2021 par la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au
Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994) présidée par M. Vincent Duclert sous la forme
d’un « État des sources dans les fonds d’archives français pour la recherche sur la France au
Rwanda et le génocide des Tutsis (1990-1994) » librement accessible sur le site internet
vie-publique.fr, que l’intégralité des cotes sollicitées comprennent des documents couverts par le
secret de la défense nationale, alors classifiés au niveau « confidentiel défense ». Par ailleurs, il
ressort du libellé des dossiers contenus dans ces cotes que les documents en cause sont
susceptibles de comporter des informations sensibles se rapportant à la vie privée de personnels
toujours en vie ou de nature à compromettre leur sécurité.
8. En outre, le ministre des armées indique que de nombreux documents comportent des
informations relatives aux procédures opérationnelles ou aux capacités techniques des forces
armées françaises ou des services de renseignement toujours en vigueur aujourd’hui ainsi que
des informations sensibles susceptibles de compromettre la sécurité de personnels encore en vie.
Par ailleurs, il ne ressort d’aucune des pièces du dossier que la consultation anticipée des
archives en litige ait déjà été autorisée ni que tout ou partie des informations qu’elles contiennent
aient été rendues publiques. S’il est constant que les membres de la commission dite « Duclert »
ont pu y accéder dans leur cadre de la mission qui leur avait été confiée par le Président de la
République le 5 avril 2019, ce n’est qu’après avoir bénéficié d’une décision d’habilitation à
connaître d’informations et supports classifiés.
9. Ainsi, eu égard, d’une part, à l’absence de toute explication et de toute justification du
but poursuivi par M. Vieu et, d’autre part, à la nature et à l’objet des documents litigieux ainsi
qu’aux informations qu’ils comportent, le ministre des armées était fondé à refuser de faire droit
à la demande de consultation anticipée des dix (10) cotes d’archives présentée par le requérant.
Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l’article 15 de la Déclaration des droits de
l’homme et du citoyen, de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales et de l’article L. 213-3 du code du patrimoine ne peuvent
qu’être écartés.
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10. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation
présentées par M. Vieu doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
11. Le présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d’annulation présentées par le
requérant, n’appelle, par lui-même, aucune mesure d’exécution. Par suite, les conclusions à fin
d’injonction doivent être rejetées.
DECIDE:
Article 1er : La requête de M. Vieu est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. Antoine Vieu et au ministre des
armées.
Délibéré après l'audience du 3 juillet 2025 à laquelle siégeaient :
M. Davesne, président,
Mme Lamarche, première conseillère,
M. Tanzarella Hartmann, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,
Le président,
M. Lamarche
S. Davesne
La greffière,
V. Lagrède
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne ou à tous
commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les
parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.