Fiche du document numéro 35210

Num
35210
Date
Juillet 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
2455898
Pages
3
Titre
Rwanda : la programmation d'un génocide
Sous titre
Les événements qui déchirent le Rwanda depuis le mois d'avril dernier, avec ses images de charniers, rappellent tristement au monde occidental les souvenirs des camps de concentration. Horreur d'autant plus insoutenable que les organisateurs de ce que l'on doit appeler désormais un génocide avaient tout prévu. Analyse de Jean-Michel Yung, sociologue au CIRAD (Montpellier) et excellent connaisseur du Rwanda.
Mot-clé
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Cote
No 37 été 1994
Source
Type
Langue
FR
Citation
Le génocide et la liqui-
dation des démo-
crates, programmés
de longue date par les diri-
geants les plus extrémistes
de l’ancien parti unique le
MRND, ont réussi.

Rares sont les Tutsi survi-
vants. Peu nombreux sont
les démocrates, leaders,
militants, sympathisants,
qui ont échappé à la cam-
pagne d'élimination systé-
matique commencée le jour
même de la mort du prési-
dent. Cette double opéra-
tion, de génocide et de mas-
sacre, a été réalisée par la
Garde présidentielle, les
milices armées de l’ancien
parti unique et les forces
armées rwandaises — les
FAR — avec l’appui dans
beaucoup de régions de
l'appareil administratif
départemental et local.

Certes les forces armées
rwandaises ont essuyé de
sérieux revers. Ses troupes
ainsi que les milices tout en
continuant les massacres se
replient, voire s’enfuient.

Mais il faut bien reconnaître
que quel que soit les résul-
tats des combats en cours.
ce coup totalitaire constitue
un sinistre succès des nazis
rwandais.

Les raisons de cette victoire
sont de plusieurs ordres :

+ La construction patiente
d’une idéologie raciste fon-
dée sur la pureté de la race
hutu (cf. les dix commande-
ments du Hutu), la diaboli-
sation des Tutsi, et des
démocrates hutu considérés
dès lors comme collabora-
teurs des Tutsi et traîtres à
la cause hutu.

+ La diffusion durant plus
de quatre ans par des
moyens de propagande de
masse — permettant de réa-
liser un véritable viol des
foules — de cette idéologie
raciste.

Ce rôle de diffusion a été
assuré, notamment par le
journal “officieux” Kan-
gura dépendant du noyau le
plus dur du clan du prési-
dent au pouvoir — l'Akasu
— et par la radio Mille col-
lines dont les appels au
meurtre ont joué un rôle
décisif dans l’entreprise de
massacres de masse réalisée.

* La réalisation d'un qua-
drillage politico-administra-
tif très serré permettant
d'une part de ficher et loca-
liser tous les Tutsi et les
membres des partis démocra-
tiques, de l'autre de disposer

de milices bien organisées,
présentes pratiquement dans
toutes les préfectures et
communes du pays.

Les préfets, bourgmestres,
conseillers, responsables du
parti ont été les auteurs de
ce minutieux quadrillage.

+ L'aide de la Garde prési-
dentielle et des Forces
armées rwandaises à la for-
mation technique et organi-
sationnelle de ces milices
ainsi que ces derniers mois
à leur armement.

+ L'assurance technique et
en armement fourni à la
Garde présidentielle et aux
Forces armées rwandaises
par certains gouvernants
occidentaux et jusqu’à une
date peut-être récente par
les autorités politiques fran-
çaises.

Ce qui explique la vue à la
télévision de ces scènes sur-
prenantes. Les assassins de
milices applaudissent les
convois français et faisant
part de leur amitié et de leur
reconnaissance vis-à-vis de
la France.

* Le comportement de la
communauté internationale
fait de retraits et d'ater-
moiements :

— le retrait de 2 000 observateurs de
la Minuar, dès les premiers jours des
massacres, à joué un rôle incitatif
décisif dans leur accélération ;

— les atermoiements actuels des
grandes puissances occidentales à
financer et fournir un appui logistique
aux troupes mises à la disposition de
l'ONU par le Ghana, l'Ethiopie, le
Sénégal, etc., rendent possible l’achè-
vement du génocide en cours.

+ Ajoutons à cela, jusqu'à une période
récente, que la présentation relevant
de l’exotisme sociologique — luttes
inter-ethniques, haines ataviques —
des massacres en cours par de nom-
breux médias a constitué une véritable
opération de désinformation des lec-
teurs, des auditeurs et des téléspecta-
teurs peu propice à la mobilisation de
la vigilance démocratique des
citoyens.

Reconnaissons-le, à des degrés divers,
nous sommes tous où presque cou-
pables. L'action des uns, l’absence
d’action des autres, ont rendu possible
la réalisation en cette fin du XX°
siècle de ce coup totalitaire.

Nous pouvons certes continuer à
essayer de faire pression sur nos auto-
rités politiques pour que la Minuar soit
renforcée, pour que des rescapés
soient accueillies. Nous devons conti-
nuer à le faire même si nos efforts se
sont jusqu’à ce jour révélés — soyons
honnêtes — parfaitement vains.

Le génocide est
pratiquement achevé,
alors que faire ?

La création immédiate d’une Cour
pénale internationale, pour génoci-
de et crimes contre l'humanité,
comme le propose la Fédération inter-
nationale des ligues des droits de
l’homme (FIDH), devrait permettre de
précisément identifier et juger les ins-
tigations, les auteurs de ces crimes, de
mieux élucider les mécanismes qui ont
rendu possible leur accomplissement.

Plusieurs raisons justifient la création
d’un tel tribunal.

+ Le martyre des enfants des femmes
et des hommes qui ont été exécutés
avec la plus extrême barbarie par
familles entières, ne doit pas être
oublié. Leurs auteurs doivent être
punis.

+ Les survivants de ces massacres doi-
vent savoir que justice sera rendue aux
membres de leur famille disparue.

+ La reconstitution d’une société civile
au Rwanda ne sera possible que si la
justice permet que l’on en finisse avec
ces “cycles de violence” et que les res-
ponsables soient appréhendés.

C’est ce que demande des respon-
sables politiques rwandais tels Alexis
Kalyarengwe (FPR) et Fautin
Twagiramungu, Premier ministre,
désigné pour la période transitoire par
les accords d’Arusha.

+ En l’absence de l'instauration d’un
tel tribunal, il est à craindre qu’une
justice expéditive ne se mette en place

qui ne fusse pas le départ entre les ins-
tigateurs des massacres et leurs
auteurs d’une part et ceux qui ont été
obligés de tuer sous peine d’être liqui-
dés à leur tour.

+ Dans de nombreuses régions du
monde et plus particulièrement en
Afrique, le risque d’occurrence de tels
massacres existe bel et bien. Il faut
que leurs auteurs possibles — certains
chefs d'Etat, de partis, officiers —
sachent bien que le recours au génoci-
de et au massacre des démocrates peut
se révéler dangereux pour leur propre
sécurité personnelle.

Il est nécessaire que la communauté
internationale envoie un message clair
aux criminels potentiels, qu’ils sachent

que partout dans le monde, ils seront
poursuivis et jugés à l’instar des
acteurs du génocide perpétré au
Rwanda.

Toutes ces raisons rendent nécessaire
la mobilisation des démocrates pour
que soit créé un tel tribunal.

Si là, aussi, nous échouons, il est bien
clair que la Communauté internationa-
le qui à d'ores et déjà témoigné de son
indifférence vis-à-vis du génocide
rwandais, participe — par l’oubli du
martyr des innocents — d’un “néga-
tionisme au présent” et ainsi que par
sa passivité, prépare objectivement le
terrain de “coups totalitaires” de géno-
cides à venir.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024