Fiche du document numéro 34913

Num
34913
Date
Samedi 15 mars 2025
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1595997
Pages
10
Urlorg
Titre
Rwanda, interview avec Jessica Mwiza : une analyse de la politique rwandaise au-delà des prismes occidentaux
Sous titre
Interview exclusive de Jessica Mwiza : une perspective critique sur la politique du Rwanda, les tensions avec la RDCongo et le rôle du néocolonialisme dans les narrations occidentales sur l'Afrique.
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
Jessica Mwiza est une chercheuse et militante franco-rwandaise qui a consacré ses travaux à la compréhension des vulnérabilités sociales, du racisme et de l’idéologie du génocide. Actuellement doctorante en sociologie au Graduate Center de la City University of New York, elle est membre d’un groupe de recherche franco-rwandais en pédopsychiatrie transculturelle et a participé à de nombreuses conférences sur le colonialisme et l’idéologie anti-Tutsi dans la région des Grands Lacs africains.

Dans cette interview, Mwiza offre une perspective lucide et radicale sur la politique rwandaise, déconstruisant certaines des narrations dominantes en Occident. Avec un regard critique, elle remet en question la manière dont le Rwanda est analysé à travers des grilles de lecture eurocentrées, souvent incapables de saisir la complexité de son contexte historique et social. Mwiza souligne combien le pays reste profondément marqué par le génocide de 1994 et combien la stabilité politique et le modèle de développement actuel sont perçus, au niveau national, comme une nécessité vitale, plutôt que comme un système imposé d’en haut.

L’interview aborde certains des thèmes les plus controversés du débat international : la définition du Rwanda comme une « dictature », les accusations d’exploitation des minerais congolais, le rôle du président Paul Kagame et les tensions avec les pays voisins, en particulier la République Démocratique du Congo. Mwiza déconstruit de nombreuses critiques occidentales adressées au gouvernement rwandais, mettant en évidence le fait qu’elles reflètent souvent une méconnaissance des dynamiques régionales et un héritage colonial encore profondément ancré dans la manière dont l’Afrique est perçue et analysée.

Avec une analyse incisive et sans concession, cette conversation avec Jessica Mwiza représente une occasion précieuse de comprendre le Rwanda à travers la voix de quelqu’un qui connaît intimement son histoire et ses défis, sans filtre et sans simplification.

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Quelle est votre analyse de la situation politique au Rwanda ? Peut-on la définir comme une dictature ou cette définition est-elle trompeuse ?

Je suis toujours perplexe face à cette question. Parce-que je ressens une tendance en Europe, à imposer aux rwandais des grilles de lectures teintées de paternalisme. Jamais je ne me suis posé cette question de la supposée nature « dictatoriale » de notre leadership. Pas plus que mes amis au Rwanda, ni mes connaissances plus élargies.

Il y a un principe de recherche, que j’affectionne tout particulièrement en tant qu’universitaire. Si les questions posées sur le terrain n’inspirent pas les populations concernées, et que cela se manifeste à plusieurs reprises, il y a une raison à cela. C’est probablement parce qu’elles reflètent les projections du monde interne du chercheur sur les populations ou phénomènes étudiés et qu’elles ne portent en elles aucun élément lié à une quelconque réalité.

Nous ne débattons pas de cela, tout simplement parce que ce n’est pas pertinent. Les Rwandais ne sont pas des acteur passifs de leur histoire, attendant avec mélancolie de graduer au niveau des démocratie blanches. Ceci n’est pas non plus à analyser dans une sorte de réaction de défense conspirationniste, impliquant de notre part une tentative de tromper quiconque essaierait de comprendre notre système politique. Collectivement, nous savons d’où nous venons et où nous en sommes en tant que nation et en tant que peuple. Surtout dans le contexte présent ; celui des conflits et de l’instabilité économique régionale.

Le Rwanda se situe toujours dans un contexte post-génocide. Que les observateurs étrangers le comprennent, l’acceptent, ou non. Notre économie est toujours en construction. Notre système de santé est aux prises avec les conséquences du génocide comme l’indiquent les taux d’addiction, de dépression et les traumatismes. Les rescapés ont témoigné de la profondeur de leur blessures aggravées par le poids des années, lors de la 30ème commémoration en avril 2024. Le temps semble aggraver les souffrances, et la génération suivante doit reprendre le flambeau, sans frémir ni faire porter la charge de leurs propres émotions et douleurs à leurs ainés qui ont tant pris sur eux.

Prenons mon exemple, du côté de ma famille rwandaise immédiate. Je n’ai plus de grands-parents, plus de parent. Au sens strict de la famille directe, il me reste deux personnes au sein des générations me précédant, trop mal en point pour socialiser. Est-ce normal ? Est-ce que les observateurs internationaux se rendent compte de leur insensibilité lorsqu’ils nous demandent de « passer à autre chose » ? De « revenir à la normale » ? D’ailleurs, en quoi revenir à la normale devrait signifier copier les mêmes normes et fragiles décorums qui ont mené à notre perte ?

Le fait que nous allons mieux – psychiquement économiquement et politiquement – ne signifie pas que nous allons parfaitement bien et que la stabilité politique ne constitue plus un besoin vital à l’instant où nous parlons. Elle se trouve être plus vitale que jamais.

Alors que nous ressentons les progrès réalisés au sein de notre société – sur tous les plans au cours des 30 dernières années – nous savons que les choix se présentant à nous sont plus ou moins de deux ordres : soit de continuer sur cette voie, soit de revenir en arrière. Lorsque l’on étudie les données, et non les perceptions ou opinions d’autrui, nous savons que tout ce que nous avons ; nous le devons à une symbiose spécifique entre le peuple et ses dirigeants. Le Président Paul Kagamé travaille d’arrache-pied et possède une impeccable vision politique vers l’émancipation et une réelle indépendance. Non pas pour rester au pouvoir, mais justement pour le quitter en laissant un Rwanda en paix, en sécurité et prospère.

Chaque membre de son cabinet, chaque ministre, les chefs d’institutions publiques, leurs cabinets et ainsi de suite, agissent selon son modèle. Le tout est pensé afin que les fruits de ce dur labeur ne se perdent pas dans la corruption, les violences ou l’inefficacité. Ainsi, l’opinion générale des Rwandais est que pour le moment, il est critique, fondamental, que cette configuration reste la même.

Il est très troublant d’assister à des débats internationaux autour – par exemple – d’une soi-disant « censure » de la candidature de Victoire Ingabire Umuhoza en amont des différentes périodes de campagne. Il s’agit d’une personnalité qui fut positionnée comme le visage acceptable de l’organisation génocidaire dans sa configuration post-fuite au Congo. Pour nous, elle est le visage à peine masqué de la mort. Se rangeant fièrement aux côtés des tueurs de nos familles et représentant une idéologie qui souhaitait la disparition brutale, l’anéantissement de chaque Tutsi. Cependant, en Europe et aux États-Unis, elle reste célébrée comme une femme courageuse « osant s’opposer » à celui que ces mêmes personnes souhaitent appeler un dictateur. Et pour quelle raison ? Parce qu’il aurait été décidé pour nous et sans nous, que notre président ne serait pas le bon. Au Rwanda, nous observons les occidentaux qui se rangent du côté de Victoire Ingabire comme des alliés objectifs des génocidaires, qui souhaitent finalement que nous retournions dans l’abîme. Alors, nous passons outre et restons concentrés sur l’essentiel, car si les Occidentaux veulent choisir ce futur pour le Rwanda par la voix de leurs politiciens, parlements ou ONG, nous dirons quand même non. Et c’est dans cet état d’esprit que nous nous sommes rendus aux urnes, dans une ambiance de fête, en juillet dernier.

Selon vous, quelles sont les principales forces et faiblesses de votre leadership et de son action ?

Les principaux points forts de notre leadership résident en la capacité à détecter les talents et surtout à donner toutes ses chances à la jeunesse. Au sein de chaque institution, il est possible de trouver des personnes compétentes de 22 à 35 ans à des niveaux de responsabilités élevés.

Certes, le Président de la République est important, car il s’impose à lui-même une rigueur, un travail acharné, une cohérence des idées et une ferme lutte contre la corruption. Il s’agit de la base de tout ce qu’il peut être accompli par la suite, au sein de la société. Le même niveau de rigueur et de temps passé au travail qu’il s’impose est celui que les fonctionnaires s’imposent pour eux-mêmes, du moins en théorie. Personne n’est au service de l’État pour gagner de l’argent (les salaires sont bien trop bas dans tous les cas) ou encore pour devenir célèbre. Les défis restent immenses, car le Rwanda reste un pays pauvre.

Personne n’est irremplaçable, dans la hiérarchie des responsabilités. Dans le cas où un ministre resterait confortablement assis pendant plusieurs mois et que rien de significatif ne se passe au sein de son portefeuille, il sera probablement interrogé par les citoyens (comme c’est le cas lors des traditionnels débats Umushyikirano) puis démis de ses fonctions. Il s’agit d’une autre force de notre système politique ; l’organisation constante de consultations entre le peuple, ses nombreux organes représentatifs – des personnes âgées, des femmes, de la jeunesse etc… – et les dirigeants. Ce système fonctionne et offre une possibilité d’expression citoyenne à un niveau que je n’ai jamais expérimenté en France par exemple.

La principale faiblesse quant à l’action politique du leadership rwandais reste liée au contexte post-génocide et ne doit pas être imputée aux seuls élus et nommés. Même si la sécurité est garantie à l’intérieur des frontières du Rwanda, subsistent toujours des groupes d’influence qui visent à troubler la paix depuis l’extérieur. Ces derniers mois par exemple, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, a multiplié les invitations envers des chefs de guerre et génocidaires, admettant publiquement soutenir des projets de coups d’État au Rwanda. Les dirigeants burundais ont également choisi de s’allier avec ces groupes néfastes, commettant des attaques aux frontières.

Être le seul pays à porter le poids des conséquences du génocide, alors que les responsabilités furent partagées, puis à lutter contre l’idéologie du génocide n’est pas chose aisée. Les spécialistes de la région n’ignorent pas que les pays voisins ne peuvent gouverner et conquérir le pouvoir sans diviser leurs propres populations entre soi-disant « Bantus » et « Nilotiques – Hamitiques » [Madame fait référence à une classification ethnique et raciale d’origine coloniale, appliquée en particulier en Afrique des Grands Lacs (Rwanda, Burundi, Ouganda, République Démocratique du Congo), ndr]. Les pères du racisme Européen n’auraient pu rêver de meilleurs héritiers.

Alors que l’on observe la manière dont les citoyens du Burundi et du Congo naviguent la vie quotidienne : sans infrastructures de base, sans sécurité et avec des niveaux de corruption inégalés et le retour de maladies moyenâgeuses, il serait malhonnête de prétendre que les progrès du Rwanda ne s’en trouvent pas mécaniquement freinés. Nous aidons nos voisins, en témoignent le nombre d’entre eux qui possèdent des business ou travaillent au Rwanda, un pays où ils ne seront pas extorqués par les autorités publiques en cas de réussite, mais l’inverse n’est pas toujours vrai. Un rappel constant que nous vivons dans un monde plus interconnecté que jamais.

Le Rwanda est souvent accusé de soutenir son économie grâce au commerce illégal de minerais congolais. Dans quelle mesure ces accusations sont-elles exactes ? Comment expliquer le développement économique et infrastructurel rapide du pays ? Quels modèles de croissance Kigali a-t-elle adoptés ?

L’économie du Rwanda repose sur bien des aspects, sans revenir sur le contexte et les difficultés développées précédemment. Au-delà des problématiques post-génocide, il faut noter que le modèle colonial Belge fut conçu afin de maintenir les populations sous constante dépendance et perfusion d’aide. Ainsi, certaines institutions n’ont pas simplement dû être reconstruites, elles ont été repensées et recréées. Certains besoins essentiels, permettant à une économie de prospérer, tel l’accès à l’électricité, ont connu un bond en avant sans précédent ces deux dernières décennies. Alors qu’en 2009 encore, quiconque atterrissait de nuit, survolant un Rwanda dans la nuit noire, était frappé par le contraste avec l’Ouganda voisin, la connexion l’électricité est passée de 6 à 75%.

Dans ce contexte, le Rwanda a construit une économie basée sur le tourisme et l’évènementiel. Des conférences, colloques et autres évènements de premiers plans, qu’ils soient continentaux, ou internationaux se déroulent désormais avec brio au sein de ses nombreuses infrastructures. Il s’agit d’un beau pari, faisant sens compte tenu de la position géographique du Rwanda sur la carte de l’Afrique et du monde. Accompagnant ce mouvement, la compagnie aérienne rwandair cherche à normaliser les voyages intra-africains, afin que le continent se développe sur la base d’une solidarité et d’échanges entre les Sud, tout en poursuivant les échanges Nord-Sud. De nombreux autres secteurs de l’économie rwandaise se font une place dans la cour des grands, à l’image de l’industrie de la mode. À titre d’exemple, Moshion est devenue une marque respectée. Sans oublier bien sûr l’activité de bon nombre de rwandais vivant en dehors des grandes villes, l’agriculture. Enfin, le Rwanda possède également du gaz ainsi que des minerais et des métaux : l’étain, le tantale, le tungstène, les saphirs, l’or, pour ne citer que ceux-ci.

Ce modèle économique repose avant tout sur une grande capacité de discipline et de travail – en termes de volume horaire et annuel strict – puis sur des mécanismes de solidarité uniques en leur genre. Le Rwanda est un pays pauvre, il n’est pas toujours si aisé d’y vivre et de s’y maintenir en bonne santé financière, à moins de bénéficier d’un excellent revenu. La vie est devenue chère, du fait de la pression exercé par un capitalisme dérégulé, œuvrant à maintenir les pays africains dans une constante quête d’aide tandis que leurs ressources sont ponctionnées. C’est la raison pour laquelle en interne, le gouvernement a instauré des impôts et taxes liés à des programmes de redistribution sociale sans équivalent. Ce n’est un secret pour personne au Rwanda, mais il s’agit d’un angle mort du regard occidental sur la politique Rwandaise, qui devrait pourtant inspirer le respect. Je pense à mes pairs. S’affairant de 7 heures du matin à 10 heures du soir, voyant tous les mois une grande part de leur salaire ponctionnée pour les programmes de lutte contre la grande pauvreté. Pour tous les Rwandais, sans distinction de race : parce-que je veux être très claire sur ce point. Les groupes de pression et de lobby liés aux génocidaires ayant fui en Belgique, en France, aux États-Unis, en Afrique du Sud (et ailleurs) se lamentent bruyamment à propos de soi-distantes atteintes aux droits de leurs familles et amis au Rwanda (ils veulent dire « les Hutu », un label qui n’est plus accepté aujourd’hui car c’est la colonisation qui a créé ces races factices, qui n’étaient que des catégories sociales mouvantes et inégalement utilisées et acceptées au Rwanda – suivant les époques et les régions). Ils aimeraient que nous restions racialisés ad vitam eternam, en guerre, jaloux les uns des autres, que le pays stagne ou se meure afin de préparer leur retour aux affaires. La vérité est que les enfants de familles ayant subi de lourdes pertes pendant le génocide permettent à ceux des tueurs de manger trois repas par jours. Et inversement. Nous ne sommes pas encore au miracle économique mais nous sommes assurément au stade de l’écrasante réussite morale et politique.

Le discours du Président de la République – qui de sa position d’ancien exilé connait l’extrême pauvreté – nous va constamment droit au cœur : le travail fait mal, mais la pauvreté fait encore plus mal. Ainsi, les Rwandais mettent du cœur à la tâche, qu’ils soient dans les administrations ou encore dans le bâtiment, afin que la sortie de la pauvreté soit collective et rapide. Je ne souhaite pas ici dépeindre un tableau trompeur. Comme partout dans le monde, il y a des malfrats, des fainéants, des personnes qui profitent du système ou de la valeur de leur nom (ou de leurs actions passées). Mais ces cas sont minoritaires et il suffit d’être au cœur de Kigali pour ressentir le pouls de la ville : la hâte de passer au stade supérieur du développement est collective.

En attendant, la pauvreté heurte encore. Je suis toujours stupéfaite lorsque je lis ou j’entends des commentateurs politiques déclarer depuis la France ou la Belgique, que le Rwanda cacherait ce paramètre « sous le tapis ». Il n’en est rien. Le Président, les ministres, les leaders d’institutions publiques et privées adressent le problème des faibles revenus et du taux de citoyens exclus de l’emploi, constamment. Pas une âme ne s’en contente, ou considère cet état de fait avec fatalisme. Je pense qu’il y a une forme de dédain occidental envers nos efforts, comme s’ils étaient perçus comme de l’arrogance. Ce sont les occidentaux qui pérorent sur le « miracle rwandais », bien plus que les citoyens rwandais, qui eux sont occupés à autre chose que de construire le narratif de leur propre vie.

Ce que les autres n’ont pas, ils l’envient et le jalousent. Je pense que certains commentateurs préfèrent parfois croire en un mensonge ou une théorie du complot que de se mettre à penser qu’ils devraient eux-aussi se hisser à la hauteur du courage des Rwandais.

Puisqu’il faut en venir à ce sujet : non, le Rwanda ne pille pas le Congo. Il n’y a aucune trace des revenus du commerce des minerais voisins sur nos collines. Nos ministres n’ont pas de rolex, ni de manoirs, ni de biens de luxe contrairement à nos voisins. Nous ne payons pas des fortunes en lobbyistes expérimentés et agissant dans la plupart des États les plus influents pour détruire la réputation de nos voisins, comme le fait le Congo. Même si nous le voulions, nous n’en avons pas les moyens. Cela me met en colère qu’une propagande si aisée à déconstruire, fonctionne avec tant de force de persuasion. Je dirais bien, comme de nombreux de mes compatriotes, qu’il suffit de se rendre au Rwanda pour balayer ces vieux refrains. Mais en tant qu’experte de la race, du racisme et du fonctionnement des idéologies, je sais bien qu’il s’agit d’un vœux pieu. Les journalistes se déplacent parfois chez nous, ne trouvent aucune trace du pillage des minerais congolais, puis rentrent dans leur capitale occidentale écrire les mêmes – redondants – récits accusatoires, sans avancer la moindre preuve autre que « tout le monde le dit ». Au plus profond de leur psyché, résiste la conviction coloniale que de simples « nègres » ne peuvent avoir la dignité et l’intelligence nécessaire pour construire un avenir meilleur pour eux-mêmes. « Cela cache quelque chose ».

Alors ils se retournent vers le Congo, s’y rendent, s’arrêtent dans ses hôtels cossus et écrivent – malgré le délabrement voire l’inexistence des services publics, l’indigence généralisées, l’opulence et le vol outrancier des classes dirigeantes – que le Rwanda voisin est coupable de tous leurs maux. Depuis une Afrique qui se meurt, qui se vend et donc les rassure. Je crois que nombre d’entre eux ont du mal à accepter que le Rwanda sonne la fin de cette récréation.

Il y a beaucoup de colère parmi les citoyens congolais envers le Rwanda/les Rwandais, ce qui est particulièrement perceptible sur les réseaux sociaux. Comment l’analysez-vous ?

Il y a quelques jours, le journal « La Libre Belgique » a dévoilé – dans une minutieuse enquête de terrain – le montant des revenus des minerais congolais du Katanga détourné par la famille du Président Tshisekedi. Il s’agit d’un détournement pour près de 320 milliards de dollars depuis 2019. Ce chiffre ne fera sans doute aucun sens pour le commun des mortels, certainement pas pour un public bien souvent avide d’explications simplistes face à la cruauté sans nom du système capitaliste ultra-libéral. Un système qui prospère sur les corps sans vie des enfants qui s’épuisent dans les mines ou manient des armes contre quelques pièces. Sur les psychés brisés des femmes qui subissent viols et instrumentalisations cruelles de leurs calvaires. Sur la malheureuse survie des populations accusées d’être des agents de l’internationale Tutsi-Hamite ; les Hema, Banyamulenge et Tutsi Congolais. Les seules populations visées aujourd’hui par un risque génocidaire dans le sens propre du terme.

Le gouvernement Congolais semble en compétition d’indécence avec lui-même et le monde blanc peine à les juger, comme si cela était un comportement attendu – je me permet de me répéter – pour de simples africains. Au début du mois de janvier 2025, le Ministre de la Justice Constant Mutamba a menacé les journalistes congolais de la peine de mort en cas de « soutien médiatique au M23 ». Le politicien Justin Bitakwira enchaine les provocations génocidaires à l’encontre des Tutsi, Hema et Banyamulenge, organisant des réunions visant à mettre fin au problème des « infiltrés ». Le Ministre des médias Patrick Muyaya communique à l’aide de cris de guerres racistes tels que « tout pour la patrie !!!! » et encore « le poison rwandais !!! ».

La République Démocratique du Congo, construite telle la propriété coloniale et personnelle d’un Roi Belge mégalomane, n’est jamais parvenue à offrir un socle identitaire cohérent, positif et souple à ses citoyens. Ils sont les éternels prisonniers et acteurs zélés d’un débat public nauséabond, ponctué de « chasses aux nationalités douteuses ».

En diaspora, les ressortissants congolais organisent des manifestations aux rythmes de slogans tels que « Congolais jusqu’à la mort ! ». Ils oscillent entre percevoir les malversations de leurs dirigeants, et se plonger dans une haine bien plus aisée que combattre un système mafieux de cette ampleur.

En ce sens, le nationalisme congolais se rapproche résolument de celui de l’Allemagne pré-nazie : un État compensant son absence de cohérence politique et sociale par une insécurité raciale et raciste, et imputant aux Juifs, à l’autre, ici aux Tutsi, ses propres incapacités, malversations économiques et perversions morales.

Des organes de presse et médias populaires, aux grandes ONG internationales en passant par les parlementaires nationaux et régionaux, chacun ferme les yeux sur la tendance de plus en plus fascisante du régime congolais. Les responsables politiques et diplomatiques Américains, Belges, Britannique, ou encore Allemands se précipitent au chevet de la RDC, dans un soutien aveugle et conditionnel ; en l’échange des mêmes minerais prétendument volés. En occident tout comme dans les Grands Lacs Africains, si l’idéologie anti-Tutsi est constamment à l’œuvre – et de façon de plus en plus puissante par la force du temps – une négrophobie classique la renforce avec ferveur.

Du « New York Times » à l’enquête du 2 mars du journal « La Libre Belgique » – ou plutôt son étouffement – les compromissions de la communauté internationale, aux côtés des coupables de l’insécurité régionale sont des faits parfaitement observables. Comme si le monde n’apprenait rien et ne trouvait de réconfort que dans des postures d’éternels regrets, après coup. Il est encore temps de voir le Rwanda pour ce qu’il est, et de condamner le néo-colonialisme et ses idiot utiles africains.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024