Sous titre
La responsabilité de la France dans le génocide du Rwanda, quelles qu’en soient la nature et l'étendue, est depuis longtemps évoquée. Après que Bernard Granjon nous ait relaté son entrevue avec François Mitterrand au cours de laquelle celui-ci se disait « surpris » de la survenue de ce génocide, il nous a paru pertinent de demander à Michel Rocard son sentiment sur cette question.
Commentaire
Contrary to what is stated here, the Bruguière report was not released on the date of the interview, at the end of March 2004. It was published on
November 17, 2006. But an organized leak in the newspaper
Le Monde, just before the commemoration of the tenth anniversary of the genocide, accused Paul Kagame of the attack on President Habyarimana's plane. Eventually, the indictments ordered by Judge Bruguière will conclude with a
dismissal on February 15, 2022.
Citation
Humanitaire : En octobre 1990, alors que vous étiez Premier ministre, la France a envoyé des militaires au Rwanda dans le cadre de l'opération Noroît. Quels étaient les intérêts de la France dans cette opération ?
Michel Rocard : Sous la présidence de François Mitterrand, la politique étrangère était de son ressort pratiquement exclusif, il n'y avait que Roland Dumas qui pouvait exercer une certaine influence dans ce domaine. La Coopération faisait partie de ses attributions, c'est lui qui a présenté l'opération Noroît en Conseil des ministres et personne n'a discuté.
La mission était conçue comme une aide à un gouvernement en place pour lui permettre de faire face à des attaques rebelles venues de l'Ouganda. L'information passait en dehors de mes champs de compétence car les Affaires étrangères étaient, je vous le répète, le monopole de l'axe Mitterrand-Dumas et c'était pour moi un impératif de survie de me contenter de gérer les affaires intérieures qui suffisaient grandement à m'occuper !
H : Lorsque le génocide commence en 1994, vous n'êtes plus Premier ministre, quel est alors votre sentiment sur la responsabilité de la France ?
MR. : J'étais depuis revenu à l'Inspection des Finances, pour moi tout s'est arrêté là. J'étais très occupé à faire un rapport épouvantablement technique sur le passage à la monnaie unique et je n'avais aucune idée de la part relative des responsabilités de tel ou tel. J'ai commencé à apprendre le problème en 1997 lorsque je suis arrivé à la présidence de la Commission du développement du Parlement européen et que des informations embarrassantes commençaient à remonter.
Mais sur le Rwanda, je ne parlerai en rien de mes convictions, les mots sont dangereux, toute accusation doit être étayée. Mon sentiment lointain c'est que la France est allée trop loin dans la solidarité avec un régime parce qu'il était francophone. Le rapport que j'ai fait à l'époque est un témoignage. Il comporte beaucoup d'informations qu'on m'a données et que je n'ai pas vérifiées, je ne suis pas juge où enquêteur. Mon problème à moi, ce n'était pas de faire l'histoire, c'était de recoller les morceaux.
H : Depuis la sortie du rapport du juge Bruguière, on reparle beaucoup de la responsabilité du FPR dans l'attentat de l'avion du président Habyarimana. Vous avez rencontré Kagamé, pendant votre présidence à la Commission du développement, pensez-vous qu'il ait pu jouer un rôle dans le déclenchement des événements tragiques de 1994 ?
MR. : Le déclenchement du génocide, sûrement pas. De toute façon il était en Ouganda depuis son enfance et même si la communauté rwandaise connaissait sans doute des inquiétudes mortelles, elle ne pouvait pas se douter qu’un génocide se préparait.
En revanche, qu'il ait donné l'ordre d'abattre l'avion des deux chefs d'Etat, ça me paraît probable depuis le début. Je crois d'ailleurs qu'il soulagerait grandement la population et la communauté internationale en l'avouant publiquement.