Titre
Responsabilités françaises dans le génocide des Tutsis au Rwanda : les rescapé-es tutsi-es, Survie, la LDH et la FIDH se pourvoient en cassation dans l’enquête menée sur les faits de Bisesero
Sous titre
Mettant fin aux investigations et blanchissant les militaires témoins assistés d’une quelconque infraction à Bisesero du 27 au 30 juin 1994, la confirmation, le 11 décembre 2024, du non-lieu dans ce dossier emblématique du double jeu de Paris au Rwanda est fondée sur des arguments très contestables. Elle appelle un pourvoi en cassation de la part des parties civiles, qui regrettent que certains documents clefs rendus accessibles aux historien-nes de la Commission dite Duclert n’aient pas été transmis aux juges d’instruction.
Citation
La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris confirme, dans son arrêt, le refus des juges d’instruction d’auditionner l’amiral Lanxade, le général Quesnot et Hubert Védrine, respectivement chef d’état-major des armées, chef d’état-major particulier du président Mitterrand et secrétaire général de l’Élysée en 1994, afin de dégager de possibles responsabilités pénales à Paris.
Tout juste l’arrêt concède-t-il une possible « responsabilité historique de la France ». Renonçant à ses obligations d’enquêter et de lutter contre l’impunité, la Cour d’appel accepte donc de trancher une affaire de complicité de génocide, sans avoir entendu les plus hautes autorités militaires et civiles. Et sans que soit communiqué au dossier d’instruction l’ensemble des archives militaires rendues accessibles aux seul-es historien-nes de la commission présidée par Vincent Duclert. Ces documents ont conduit la commission à conclure à des responsabilités lourdes et accablantes des autorités françaises, mais également, pour le cas précis de Bisesero, à mettre directement en cause le commandement militaire et la ligne politique de la présidence française dans le choix de ne pas porter secours aux victimes tutsies du 27 au 30 juin 1994.
La Cour d’appel a par ailleurs confirmé l’ordonnance de non-lieu sur l’ensemble du dossier. La demande de renvoi devant la Cour d’assises de Jean-Claude Lafourcade, Jacques Rosier, Marin Gillier et Jean-Rémi Duval pour s’être abstenus de secourir les Tutsis de Bisesero entre le 27 et le 30 juin 1994 est par conséquent rejetée.
Enfin, la cour d’appel estime nécessaire, pour qualifier juridiquement l’inaction de complicité de génocide, que « l’abstention soit intervenue de manière consciente afin d’aider ou d’assister à la préparation ou à la consommation de l’infraction, c’est-à-dire dans l’intention de s’associer au comportement de l’auteur principal de l’infraction ». Cette interprétation de la cour d’appel justifie le pourvoi en cassation des parties civiles pour qui la jurisprudence Papon (23 octobre 1997) indique au contraire que « le dernier alinéa de l’article 6 du statut du Tribunal militaire international de Nuremberg n’exige pas que le complice de crimes contre l’humanité ait adhéré à la politique d’hégémonie idéologique des auteurs principaux ». Dans l’affaire Lafarge (7 septembre 2021), la chambre criminelle de la Cour de cassation le confirme en précisant : « l’article 121-7 du code pénal n’exige ni que le complice […] adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu’il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité. Il suffit qu’il ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation. ».
Selon Me Éric Plouvier (Survie), « Sur la base des arrêts de la Cour de cassation rendus dans les affaires Papon et Lafarge, nous contestons cette interprétation de la complicité de crime contre l’humanité conditionnée à l’intention d’aider ou d’assister l’auteur principal. La Cour de cassation dira si la Cour d’appel de Paris a bien appliqué le droit. Il n’est pas bon qu’une décision laisse le goût amer du déni de justice. Le contrôle juridictionnel pénal de l’activité militaire française à l’étranger ne doit pas être un tabou. »