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Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
L’auteur et polémiste Charles Onana et son éditeur viennent d’être condamnés par la 17ᵉ chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Par ce verdict, dont l’accusé a fait appel, la justice a confirmé un point important pour la protection de la mémoire du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda : nier l’existence de sa phase préparatoire relève purement et simplement de faits négationnistes. Ce procès nous rappelle cependant que les mécanismes de vigilance collective en France restent fragiles face à la falsification historique du génocide des Tutsi, perpétré au Rwanda en 1994.
Analyser l’ampleur du problème posé par la révision complotiste de ce génocide implique de revenir à l’essentiel : l’enjeu principal du procès de Charles Onana ne portait pas sur les contours de la liberté d’expression, mais sur les limites que nous devons collectivement poser pour protéger notre société de la falsification de l’histoire.
Aussi précieuses qu’elles soient, les lois mémorielles ne peuvent à elles seules constituer des remparts efficaces contre les atteintes au devoir de mémoire. Un niveau d’éducation suffisant de la population et un réflexe de fact-checking rigoureux et systématique de la part des médias sont absolument nécessaires pour enrayer ces mécaniques complotistes mortifères. Bien que le génocide des Tutsi au Rwanda soit une vérité juridique et historique, le long parcours médiatique de Charles Onana et de nombreux idéologues aux profils similaires souligne une triste réalité : malgré les alertes des historiens et des associations, aucun mécanisme efficace n’a été mis en place pour démonter ces thèses et freiner leur propagation.
Des tentatives délibérées pour réécrire l’histoire
Charles Onana pourrait incarner un cas d’école du révisionnisme du génocide des Tutsi au Rwanda. S’appuyant sur des éléments de propagande extrémiste hutu, il s’efforce de minimiser, voire de nier, la planification systématique et idéologique du génocide qui a conduit à l’extermination de près d’un million de Tutsi au Rwanda en 1994. Ces récits ne sont pas de simples divergences d’opinions : ils constituent des tentatives délibérées pour réécrire l’histoire.
Avant même d’être sanctionné pour son livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent, Charles Onana avait multiplié les interventions médiatiques et les écrits controversés. En 2005, il affirmait sur RFI que le Tribunal pénal international ne disposait pas de preuves du génocide des Tutsi au Rwanda. Depuis, il n’a cessé de reprendre à son compte la propagande extrémiste hutu, qualifiant les Tutsi « d’envahisseurs » ou les femmes tutsi de « missiles à tête chercheuse » qui « utilisent leur charme pour faire triompher le tutsisme ». Ce champ lexical est loin d’être anodin, car il reprend les éléments de la propagande utilisée pour préparer puis pour exécuter les violences commises contre les femmes tutsi lors du génocide.
Malgré la gravité de ses propos, les interventions publiques de Charles Onana n’ont pas été accompagnées d’une condamnation ou, a minima, d’une mise en perspective suffisamment ferme et unanime par tous les médias. Les critiques sur le contenu complotiste et négationniste des déclarations de Charles Onana formulées par des experts reconnus du Rwanda n’ont pas empêché l’université Lyon-III de lui attribuer le titre de docteur. En 2019, il pouvait encore nier l’existence du génocide sur LCI sans que cela ne donne lieu à une indignation collective de grande ampleur. Pire encore, certains médias généralistes grand public continuaient de le qualifier cette année de politologue, sans évoquer son affiliation idéologique.
Ce manque de vigilance de la part des institutions académiques, médiatiques et politiques a conduit à une situation intenable : les victimes du génocide des Tutsi au Rwanda sont aujourd’hui confrontées à une diffusion quasi-impunie des thèses qui ont conduit à l’extermination de leurs proches.
Au-delà de la violence morale infligée aux victimes, cette passivité face aux thèses négationnistes entrave gravement la réflexion sur les génocides. Elle freine la compréhension des processus idéologiques et institutionnels ayant permis ce crime contre l’humanité.
Le complotisme, péril pour la recherche et le devoir de mémoire
Les auteurs de thèses complotistes continuent à s’appuyer depuis près de trente ans sur un argument fallacieux : ce génocide serait la conséquence d’une violence spontanée, commise indistinctement à l’égard des Hutu et des Tutsi. Les personnes qui s’élèvent contre cette vision complotiste, qui va pourtant entièrement à l’encontre des milliers de témoignages et travaux de recherche, sont quasiment et de manière constante qualifiées de censeurs au service de la version « officielle et politique du FPR » [le Front patriotique rwandais, mouvement commandé par Paul Kagame ayant mis fin aux massacres et désormais au pouvoir]. Ce procédé rhétorique, utilisé pour discréditer tout travail scientifique ou mémoriel, repose sur une double stratégie : détourner l’attention des faits historiques établis et alimenter une méfiance généralisée envers des faits indiscutablement avérés.
Dès les années 2000, des figures comme le colonel Bagosora, l’un des principaux cerveaux et acteurs du génocide, utilisaient déjà cet argument, en évoquant notamment « l’histoire officielle » de la planification du génocide devant le Tribunal pénal international pour se dédouaner de leurs responsabilités. Assimiler la recherche sur le génocide à une manœuvre politique, c’est non seulement nier la rigueur des travaux scientifiques, mais aussi porter atteinte à l’intégrité des milliers de témoignages qui corroborent la réalité de ce crime. Ce procédé sape la crédibilité des chercheurs et empêche toute condamnation morale des responsables du génocide. S’il faut encore le rappeler, les condamnations pour négation de la Shoah n’ont en aucun cas freiné le travail de recherche sur le sujet. Elles ont au contraire permis aux chercheurs de travailler dans de bonnes conditions.
La démonstration de l’absence de crédibilité de la thèse de Charles Onana, qui politise historiens et rescapés sans preuves ni arguments scientifiques sérieux, se limite encore trop aux débats des salles d’audience, comme celle du procès Onana, où historiens, juristes et experts de terrain reconnus se sont succédé pour rappeler l’existence de la préparation du génocide des Tutsi au Rwanda, face à un polémiste incapable de donner la définition d’un génocide tout en s’appuyant uniquement sur des témoins de contexte aux profils politiques et militaires, venus dénoncer un procès prétendument orchestré par Kigali ou bien vanter les bienfaits de l’opération Turquoise…
L’urgence d’une vigilance collective
A ceux qui semblent encore, malheureusement, considérer que les procès en France relatifs au génocide des Tutsi relèveraient de manipulations politiques ou d’atteintes à la liberté d’expression, nous devons rappeler avec force que la Convention internationale pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide, ratifiée il y a soixante-seize ans, a entériné un fait dont toute la société gagnerait à se souvenir : le crime de génocide est un crime contre l’humanité.
Ne pas laisser des thèses complotistes s’exprimer sans aucune remise en perspective historique est donc le devoir de toute l’humanité. La lutte contre le négationnisme passera nécessairement par un renforcement à l’école de l’éducation sur le génocide des Tutsi au Rwanda et par un changement des mentalités et des positionnements éditoriaux qui ont permis, pendant des années, à des profils comme celui de Charles Onana de débattre avec légèreté et sans le moindre crédit scientifique sur le génocide des Tutsi au Rwanda. La vigilance collective contre la révision complotiste du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 est un devoir intellectuel, juridique et moral universel auquel il est aujourd’hui urgent de ne plus déroger.
Marcel Kabanda est historien. Il est le président d’Ibuka-France, principale organisation de mémoire, justice et soutien aux rescapés du génocide des Tutsis au Rwanda.