Fiche du document numéro 34725

Num
34725
Date
Mercredi 11 décembre 2024
Amj
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Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 25
Sous titre
Compte rendu de l’audience du lundi 9 décembre 2024
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Langue
FR
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La sixième semaine d’audience du procès en appel à l’encontre de Monsieur Philippe HATEGEKIMANA a commencé avec la présentation des conclusions de la défense visant à demander à la Cour la citation de deux témoins au titre du pouvoir discrétionnaire de Monsieur le Président, car les dix témoins cités par la défense n’ont pas été entendus par la Cour, certains n’ont pas été retrouvés et d’autres sont décédés. Maître GUEDJ argue que le principe de l’équilibre des parties n’est pas respecté, et que la citation de ces témoins est nécessaire à la manifestation de la vérité.

Maître PHILIPPART, avocate de parties civiles, demande le rejet de la demande. L’accusation aussi, soulignant que cela impacterait le délai raisonnable. Monsieur le Président rejette la demande, il estime que la citation de ces témoins n’est pas nécessaire à la manifestation de la vérité.

Monsieur Alain GAUTHIER, président du CPCR, a témoigné devant le Cour. Il commence sa déclaration en expliquant en quoi son histoire est liée au Rwanda, d’où est originaire son épouse. Il résume comment le génocide des Tutsi a impacté sa famille en 1994, et comment ils en sont arrivés, avec son épouse, à créer l’association du CPCR. De plus, il explique qu’ils ont commencé à enquêter sur l’accusé lorsqu’ils ont reçu une lettre anonyme en 2013 signalant que l’accusé travaillait comme agent de sécurité à l’université de Rennes et qu’il se moquait des Tutsi. Ils se sont alors rendus au Rwanda afin de rencontrer des témoins, rescapés ou génocidaires. Il précise qu’il leur est nécessaire de demander l’autorisation du directeur général des prisons afin de rencontrer les détenus lorsqu’ils mènent des enquêtes. Il ajoute que les attestations des témoins, qu’ils récupèrent, sont retraduites par des traducteurs assermentés. Il indique ne jamais avoir été témoin de torture en prison. Il affirme que l’association est financée par les donations et l’adhésion des membres, et qu’ils ont reçu dans le passé deux financements d’une fondation danoise ainsi que 20 000 euros du ministère public du Rwanda.

Enfin, il souligne le nombre important de victimes, nombre croissant dû à la découverte constante de fosses. Interrogé par le Président, Monsieur GAUTHIER indique n’avoir jamais eu le sentiment que les témoins étaient préparés ou sous pression, il ajoute qu’il est « aberrant » d’entendre que les témoignages sont stéréotypés et préparés devant la machine à café. Il soutient que « la défense se trompe de combat » en arguant que les témoignages seraient utilisés par les autorités rwandaises car il ne s’agit pas juger le régime du Rwanda mais de juger l’accusé.

Questionné par la défense, il précise de nouveau le fonctionnement financier de l’association et la manière d’obtenir l’autorisation de se rendre en prison. L’avocat de la défense s’étonne et reproche au Président de l’association de ne pas avoir demandé aux Gacaca des pièces concernant l’accusé, celui-ci aurait selon l’avocat la « responsabilité juridique et morale » de le faire. Monsieur GAUTHIER rétorque qu’il n’est pas juge d’instruction, ni juré, et qu’il a de plus demandé un jugement au parquet. Enfin, la défense déforme les propos du représentant en parlant de mensonges formulés par les témoins, alors que ce dernier parlait de contradictions. Il soutient que les contradictions existent et que c’est à la Cour de juger si ces contradictions permettront d’innocenter l’accusé.

Ensuite, Monsieur René-Gaspard BIZIMANA, témoin cité par la défense, a été entendu par la Cour. Il explique avoir connu l’accusé en 1978, 1979 à l’école des sous-officiers. Il affirme ne pas avoir vu l’accusé en 1994. Il soutient que l’accusé ne faisait pas de distinction entre Tutsi et Hutu dans le cadre du travail. Il explique avoir été de passage à Nyanza quelques heures durant le génocide, mais ajoute ne pas avoir vu de morts sur son trajet. Interrogé sur son parcours après le génocide, il précise ne pas avoir changé d’identité, ni n’avoir menti sur sa carrière militaire lors de sa demande d’asile en France.

Le début d’après-midi a ensuite été consacré à l’audition de deux experts. Le premier est Daniel ZAGURY, expert psychiatre, qui a rencontré l’accusé lorsqu’il était détenu à Nanterre. Selon Philippe Hategekimana, ce sont les gendarmes qui auraient empêché les miliciens et extrémistes de tuer. Étant considéré à l’époque comme un modéré, il s’est dit menacé de mort après la mort du président et que c’est sûrement pour cela qu’il a été muté à Kigali, quinze jours après l’attentat. En France, monsieur Hategekimana était fier de son passif de prof d’EPS de la gendarmerie au Rwanda. Installé à Rennes, il faisait partie d’une association de rwandais en Bretagne. L’expert psychiatre dit avoir eu un très bon contact avec lui, il semblait assez optimiste et prenait son mal en patience. Il a d’emblée nié les charges pesant contre lui. Il parlait de jalousie, de malveillance, liée à son engagement associatif. Toutefois, il a toujours été très calme durant les entretiens. Il n’exprime pas ou peu ses émotions. Sur le plan psychiatrique, il n’y a rien à retenir. Son récit « se superpose » avec celui des autres rwandais accusé du génocide qu’il a rencontrés. Le discernement de Philippe Hategekimana n’est ni altéré ni aboli.

Monsieur Zagury a également expliqué à la Cour que le génocide était toujours un « acte de légitime défense anticipé ». Il y a une inversion de l’interdit en injonction : ce n’est plus « tu ne tueras pas » mais « tu tueras ». Il n’y a aucune culpabilité dans ce contexte, car on agit pour le bien. Les cibles, les ennemis, sont chosifiés. Ce sont les victimes qui vivent de façon terrible leur survie, car les génocidaires n’ont jamais été exclus de la chose humaine. Ils vieillissent et meurent sans culpabilité, sauf quand la justice vient interrompre un parcours devenu banal depuis des décennies. Il y a un tel écart entre l’horreur des massacres et la banalité de leur personnalité. Un certain nombre de conditions psychiques vont être réunies pour que tuer devienne aisé.

Philippe OUDY, l’expert psychologue qui a auditionné Monsieur Philippe Hategekimana, a ensuite été entendu. Le contact a rapidement été établi avec l’accusé, qui n’a manifesté aucune opposition ou réticence. Sur les faits reprochés, il a fait des déclarations assez longues. Lors de leur entretien, il a commencé en disant : « je ne reconnais pas du tout les faits ». Il a déclaré ne pas avoir pris part aux faits qui lui sont reprochés et être lui-même une victime du FPR. Sur le plan psychologique, Philippe Hategekimana est un homme intelligent, stable, équilibré. L’expert n’a soulevé aucune arriération mentale ou dysfonctionnement. Malgré un récit dramatique, il ne présente pas de syndrome psycho-traumatique. Se posant plus en victime qu’en auteur, l’expert n’a pas pu étudier ses éventuelles motivations.

Le Président a terminé cette journée par la lecture des déclarations du fils de Philippe Hategekimana, Philibert, dix ans au moment du génocide. En vacances scolaires à ce moment-là, il les a passées dans le camp de la gendarmerie de Nyanza. Il n’a ainsi vu aucun massacre car il n’est pas sorti du camp. Au bout de trois semaines, sa mère leur a dit de ne plus sortir. Son père était parti depuis un moment. Il serait parti une ou deux semaines après la mort du président. Quand il était au camp de la gendarmerie pendant le génocide, il était souvent menacé par des militaires qui lui pointaient leur arme dessus en lui disant « fils de Biguma » ou « fils de Philippe ». Il affirme également que son père ne ferait pas de mal à une mouche, il n’aurait rien à voir avec tout ça.

Par Ella Grappin et Léna Jaouen, Stagiaires Commission Juridique Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024