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Dafroza est née au Rwanda, dans une famille d'éleveurs Tutsi installés dans la ville de Butare. Elle est témoin, dès son enfance, de la violence à l'égard de personnes de son ethnie : "On avait intégré qu'à un moment ou à un autre, on pouvait partir, aller en prison, mourir. Dès 1959, on a commencé à chasser les Tutsis, à les emprisonner et les tuer." Dafroza. Lorsque l'instituteur de Dafroza est décapité, sa mère décide d'aller se cacher chez un cousin. Puis, quelques années plus tard, de partir du Rwanda avec ses filles pour rejoindre le Burundi, avec l'aide du curé de la paroisse.
Dafroza ne reste pas longtemps au Burundi : elle part rapidement en Belgique rejoindre son frère aîné, tandis que sa mère rentre au Rwanda. Dafroza retourne régulièrement la voir. La dernière fois, c'est juste avant le génocide. Dafroza se rappelle les assassinats politiques, les grenades qui explosent de toutes parts, et la radio "machette" qui encourage les tueries de Tutsi. En retournant en Belgique, elle sait qu'elle ne reverra sûrement pas sa famille restée au Rwanda.
C'est Alain, qu'elle connaît déjà depuis une dizaine d'années, qui lui apprend l'assassinat de sa mère au lendemain de l'attentat ayant visé le président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994.
Alain est allé pour la première fois au Rwanda en 1970. Avec Dafroza, ils se battent pour que le génocide en cours soit médiatisé. Tous deux retournent au Rwanda en 1996, à la recherche de rescapés de la famille de Dafroza. Ils y rencontrent une cousine, et de fil en aiguille, commencent à recueillir des témoignages.
"On a commencé par se constituer parties civiles de plaintes qu'on disait "dormantes", en amenant de nouveaux éléments, obligeant le juge d'instruction à travailler."
Le premier procès auquel les époux Gauthier participent, c'est celui des "Quatre de Butare" en Belgique. Tous les accusés sont reconnus coupables de crimes de guerre et de génocide. "C'est là qu'on s'est véritablement engagé en créant à notre tour, en France, un collectif des parties civiles qui a pour objectif de poursuivre en justice les personnes soupçonnées d'avoir participé au génocide des Tutsis et qui vivent sur le sol français." Alain.
Le couple met en place une méthodologie qu'ils ont régulièrement l'occasion d'expliciter : chaque fois qu'ils apprennent la présence, en France, d'une personne soupçonnée d'avoir participé au génocide des Tutsi, ils partent au Rwanda pour y rencontrer témoins, rescapés ou tueurs.
"Les tueurs condamnés au Rwanda ont du mal à accepter que d'autres coulent de jours heureux en France, alors ils acceptent de nous parler."
Dafroza et Alain Gauthier remettent les témoignages récoltés à des avocats, afin de fournir suffisamment d'éléments, lors de la plainte, pour ouvrir une enquête. L'une des premières plaintes qu'ils déposent, avec leur collectif, vise le docteur Rwamucyo, jugé en octobre 2024 devant la cour d'assises de Paris pour sa participation au génocide. Ils réunissent des centaines de personnes prêtes à se constituer parties civiles.
"Pour moi, rendre justice aux morts qui ne la réclameront jamais, c'est la clé de la mémoire."
Dafroza est la dernière survivante de sa famille maternelle. "Ça donne le vertige de penser à des choses comme ça. Mais il ne faut pas penser, il faut agir, faire quelque chose de cette hécatombe." Dafroza.
Merci aux époux Gauthier, ainsi qu'à Violaine Colmet Dâage.
Reportage : Adila Bennedjaï-Zou
Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Musique de fin : "Nkwihoreze", Chantal Habyalimana
Pour aller plus loin
Retrouvez ici toutes les émissions diffusées par France Culture dans le cadre de la commémoration des trente ans du génocide des Tutsis.
Sur les époux Gauthier :
"La traque des génocidaires du Rwanda : vie et confessions des époux Gauthier", France Bleu Champagne-Ardenne, 12 décembre 2023.
"Rwanda : à la poursuite des génocidaires avec les époux Gauthier, déterminés à obtenir justice", France 24, 2024 (documentaire de Thomas Zribi et Stéphane Jobert).
Retrouvez ici le site web du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR), créé par les époux Gauthier en 2001.
Sur le procès du docteur Rwamucyo :
"Rwanda : les actes du docteur Eugène Rwamucyo pendant le génocide des Tutsi devant la cour d'assises de Paris", Le Monde Afrique, 1ᵉʳ octobre 2024.
"Génocide des Tutsi au Rwanda : le procès du Dr Eugène Rwamucyo, ex-médecin et fossoyeur présumé, s'ouvre à Paris", Le Parisien, 1ᵉʳ octobre 2024.
Une revue de presse du procès est mise à disposition sur le site web du CPCR. On trouve aussi le détail des audiences quotidiennes.
Sur la compétence universelle et les procès de génocidaires rwandais devant les juridictions françaises :
"Qu'est-ce que la compétence universelle ?", Amnesty International France.
"30 ans après le génocide des Tutsi au Rwanda : où en est la justice ? La faillite des autorités françaises.", Fédération internationale pour les droits humains, 8 avril 2024.
"La lente évolution de la justice française pour juger le génocide des Tutsi au Rwanda", Le Monde, 5 avril 2024.