Fiche du document numéro 34316

Num
34316
Date
Septembre 1997
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1420805
Pages
4
Titre
Un souvenir du Rwanda [Extraits pp. 30-31, 60-61, 72-73 et 76-77]
Sous titre
Préface de Bernard Debré
Nom cité
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Source
Type
Livre (extrait)
Langue
FR
Citation
Un souvenir du Rwanda Milleliri

soit contrainte de rester au Rwanda en cas d'évacuation des Français. Elle est Tutsi, et a raison de se faire du souci avec ce qui se passe dans la ville. Je la rassure. Je m’inquiétais d'ailleurs pour elle et pour Pierre, car je savais qu'ils étaient bloqués à la case de passage des volontaires, non loin de l'hôtel Méridien vers le quartier de Remera, zone où les combats semblent se focaliser. Bien sûr, je me porterai garant pour elle, mais pour l'instant je leur dis surtout de faire attention à eux. Cette certitude d'un appui futur potentiel semble leur donner plus d'espoir, et à la voix d'Yvonne avant qu'elle ne raccroche, je devine qu'elle va se mettre à pleurer.

Joël prend des nouvelles de Claire, une infirmière française qui travaille avec lui au CHK sur le suivi d’une cohorte de femmes enceintes afin d’étudier entre autre la transmission du virus du SIDA de la mère à l’enfant. Claire vit avec un Rwandais qui se prénomme Virgile. Elle se fait bien du souci pour lui car il est Tutsi. Elle a décidé de le cacher dans le faux plafond de la maison. Elle n'est pas rassurée, d'autant que de la fenêtre de sa maison, elle voit des cadavres dans la rue. Heureusement pour elle Xavier, un médecin français qui est venu en mission à Kigali est avec elle. Cette présence masculine est rassurante pour elle et pour nous. Il nous dit qu'il essaiera d’aller demain au CHK voir s'il peut être utile. Henri, un professeur belge de médecine qui y travaille devrait y aller aussi. La maison de Claire étant suffisamment proche de l’hôpital, Xavier nous assure qu'il ne devrait y avoir aucun risque dans ce déplacement.

Valériane, un autre médecin qui travaille avec l'Université de Bordeaux 2, sur un programme de recherche sur le SIDA nous contacte. Elle est chez un ami canadien, Philippe, qui dirige le Projet de Marketing Social (PSI), visant à promouvoir l’usage du préservatif au Rwanda. La marque de ces bonnets de latex porte un nom qui est à lui seul un programme : « Prudence ». Faire adopter ce moyen de protection contre la contamination possible par le VIH n’est pas facile au Rwanda, pays marqué par de fortes

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barrières socio-religieuses et culturelles élevées contre l’usage du condom. Lors de sa visite dans le pays, le pape Jean-Paul II s’est gardé d’aborder le sujet. Autant dire que Philippe, dont les locaux du projet sont dans le même couloir que le nôtre, dans un immeuble cossu du centre-ville, a du pain sur la planche. Normalement, Valériane habite dans le quartier de Nyamirambo, semble-t-il le plus touché par les exactions qui se passent dans la ville. Son hébergement chez Philippe est là aussi une chance.

Didier, le pharmacien français de l'hôpital de Ruhengeri, originaire de Marseille, téléphone également. Il est à Kigali car son frère en vacances au Rwanda depuis une semaine, devait reprendre l'avion pour l'Europe samedi… Il loge chez un commandant de gendarmerie, un coopérant français, Michel. Michel et Didier ont déjà connu les évacuations de Ruhengeri de février 1993, et ne se font guère d'illusion quant à l'évolution de notre sort. Pour eux une évacuation générale est à prévoir. Didier, partenaire hebdomadaire de football, avec Bruno, l’anesthésiste avec lequel il travaille au nord du pays, mais qui est actuellement absent du Rwanda, essaie de lancer une plaisanterie : « Je ne suis pas certain que notre prochain match aura lieu au Cercle Sportif de Kigali ! ». Mais le cœur n’y est pas.

Une soirée commence. Nous sommes pendus aux informations de Canal France International. Heureusement, la télévision n'est pas coupée, ce qui nous permet d'être rattachés aux nouvelles de la métropole. On parle du Rwanda et de la mort des deux présidents. Quelques images d'archives illustrent les propos du commentateur très détaché. Il faut dire qu'avec ce qui se passe en Bosnie, et avec la grève des transports parisiens, le Rwanda est loin pour l'instant d'être la préoccupation majeure en France. Ce qui est le plus frappant pour notre communauté pendue aux nouvelles de l’extérieur, c’est la déception du traitement médiatique de ces évènements en ce 7 avril. Il faut attendre le milieu du journal télévisé pour avoir à peine trente secondes d’informations sur le sujet. Avec ce qui se déroule juste sous nos yeux,

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avant-hier au téléphone. Il a récupéré un pistolet automatique, qu’il porte au côté. Il me dit « à demain » sachant que notre tour de regagner ce point de rassemblement est programmé pour le dimanche. En fait, nous ne nous attardons pas. Et désormais sûrs que nos familles sont totalement prises en charge, nous retournons vers le village avant qu’il ne fasse trop noir.

Demain, le 10 avril, ma fille Jeanne fêtera ses 9 ans…

En remontant vers le Village Français, les cœurs serrés, nous croisons d’autres véhicules qui vont à leur tour s’arrêter au bas de l’avenue.

La nuit est tombée. Le village est maintenant peuplé presque exclusivement d’hommes, hormis Catherine l’épouse de Yves qui a laissé sa place à d’autres pour rester avec son mari. Nous nous sentons tout à coup soulagés, mais chacun éprouve un sentiment bizarre de solitude. Alors, nous improvisons un dîner chez Paul. Joseph nous a rejoint, et de savoir qu’il s’est rangé à nos conseils nous fait plaisir. Le repas se met en place, prétexte d’un rassemblement avant l’abandon annoncé demain. Une veillée d’armes en quelque sorte. Gilles, dont le congélateur recèle de mille bonnes choses nous fait les honneurs de gambas grillées. Mais l’ambiance aux agapes n’y est pas. Nous préférons encore oublier dans les effluves de bons crus bordelais cet environnement qui nous effraie.

La soirée est occupée à développer les hypothèses que les uns et les autres font sur l’origine de l’attentat et sur les conséquences qui depuis déjà trois jours en découlent. Je me mêle peu aux débats, préférant écouter les arguments qui se déploient, me sentant depuis trop peu de temps au Rwanda pour me faire un avis.

« Avec ces listes qui circulent, c’est sûr, les caciques du Président tué vont s’en donner à cœur joie. Pour moi, c’est une façon qu’ont eu les extrêmistes présidentiels de traiter le problème des accords d’Arusha. Qui voulait réellement de l’entrée du FPR dans le gouvernement ?

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— Même la MINUAR ne peut rien faire. C’est fou tout de même. Avec deux mille cinq cent hommes ? Dallaire aurait dû prendre la radio, imposer le couvre-feu, et tenir les accès aux collines de la ville en interdisant à quiconque de circuler. Quitte à employer la force.

— Mais son mandat le lui interdit.

— Tant pis, il fallait qu’il entre dans l’illégalité onusienne. D’autres l’ont fait dans l’ex-Yougoslavie. Vous vous rendez compte de ce qui se déroule en ce moment ? Personne ne me fera croire que la force de la MINUAR n'aurait pas suffi à contenir quelques militaires rwandais et une bande de miliciens ?

— Peut être, mais le FPR aurait-il été d’accord qu’une interposition ait lieu ? Ils sont passés à l’attaque maintenant.

— Je me demande même si ce ne sont pas eux qui ont descendu l’avion présidentiel ? Après tout, Habyarimana était un frein à l’application des accords.

— Non, mais en tuant Habyarimana, il n’y a plus d’accord. C’est ouvrir le pays à la guerre.

— Et alors ? Les soldats du FPR sont bien plus puissants
militairement que les forces armées rwandaises. Ils ont été formés à la guerilla dans la prise de pouvoir de Museveni en
Ouganda. Et en 1993, ils ont été bien prêts de prendre Kigali…

— Mais enfin, si ce sont eux qui ont perpétré cet attentat, ils doivent bien savoir où cela va conduire le pays. Les listes des opposants et des sympathisants circulent. Ce sont d’ailleurs les premières victimes. Et je ne parle même pas des Tutsis.

— Bien sûr, mais si l’on veut être cynique, cela arrange le FPR de faire faire le sale travail par d’autres. Les opposants actuels au régime d'Habyarimana se retrouveront dans l’opposition du FPR s’il arrive à prendre le pouvoir par la force.

— Tu crois cela toi ? Et tous les Tutsis qui sont en train de se faire massacrer. Tu penses que dans ce plan diabolique les gens du FPR ont passé sous pertes et profits leurs frères d’ethnie ?

— Et après, pourquoi pas ? Ils ne devaient peut être pas songer que cela serait si systématique, mais ceux qui n’ont pas quitté le [...]

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pieds, tapie dans un fourré, une famille rwandaise apeurée, ne bouge pas. À notre retour, ils ne sont plus là.

De nouveau à l'école française, toujours la même activité de regroupement. Je revois Joël et Joseph, mes deux confrères français qui attendent leur avion pour Bangui. Des Belges commençent à arriver ainsi que des Italiens, des Pakistanais… Tous sont marqués par la fatigue des derniers jours. Certains viennent de vivre des heures très difficiles, reclus chez eux dans un cagibi sans eau et sans électricité, au milieu du bruit des tirs environnants. Dans un coin, une femme pleure, indifférente à l'agitation qui régne autour d'elle.

Dative, la fiancée rwandaise du professeur de Français de l’école, est effondrée. Elle vient d’apprendre que sa famille aurait été décimée, victime de cette folie généralisée. Je la fais allonger sur un des matelas de mousse de la salle médicalisée. Il est bien difficile dans ces moments de trouver des mots de réconfort, de soutien moral. Mais je m’y essaie, et cherche à la rassurer en évoquant la possibilité que les membres de sa famille aient pu échapper aux massacres, et que cette annonce cruelle ne soit en fait qu’une fausse nouvelle. La jeune Tustsie semble se raccrocher à cet espoir, et Cyril la reprend sous son bras après quelques minutes de repos dans le rare endroit un peu calme de l’école.

La soirée tombe sur une journée dominicale où aucune messe n’a été dite. En public tout au moins. Sans doute quelques prêtres ont pu faire l’eucharistie, mais pour quels fidèles ?

Tandis que chez Jean se succèdent des militaires français venus profiter de la ligne téléphonique toujours fonctionnelle pour appeler la France, je repasse la clôture pour rejoindre les groupes de connaissances qui bavardent devant le bureau du directeur de l’école. Sur la petite parcelle de gazon que longe le couloir à claire-voie, des tables ont été posées et un repas informel s’organise.

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Sous la garde de parachutistes veillant avec d'autant plus de vigilance que la nuit est là, les discussions se développent. Elles portent sur les activités de la journée, sur celles qui sont prévues demain. Michel, gendarme de Ruhengeri qui a connu avec mon ami Didier le pharmacien, les évacuations de 1993, est soucieux de pouvoir aller récupérer les corps de deux militaires fançais qui ont été tués, dont celui de Didot avec son épouse. Mais l’endroit est sur la ligne de front entre les FAR et le FPR, ou tout au moins dans une zone peu sécurisée. Pour lui, il doit être possible d’accéder à cette zone sous couvert d’une bannière médicale non gouvernementale. Il est prêt à jouer le logisticien, et me demande si je suis partant pour l’accompagner en tant que médecin que je suis. Je lui réponds par l’affirmative cela va de soi. Il me dit qu’il essaiera de monter le transfert demain matin. Il sait où nos malheureux compatriotes habitaient et dès qu’il aura récupéré quelques habits civilisés et un véhicule de même facture, nous pourrons nous y rendre.

Je regagne la villa de mon confrère où toutes les chambres sont occupées. Dans le salon, les coussins du canapé ont été posés le sol pour offrir un lit supplémentaire. Une des employées du village français qui nous a accompagné ici s’y repose. Elle est enceinte et vient de refuser le confort relativement meilleur de mon matelas, préférant sans doute la fraîcheur qui règne dans la salle principale de la maison.

Petit à petit, tandis que des tirs se font entendre derrière notre colline, la maison plonge dans un silence tranchant, et j'ai — à une heure pourtant déjà tardive — bien du mal à trouver le sommeil.

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Le matin s’est levé avant nous. La maison de Jean reprend rapidement ses bruits au gré des levers de chacun.

Je repasse à l’école française, dans laquelle les rassemblements continuent. Peu de Français désormais, car la majorité d’entre eux a été évacuée hier qui sur Bangui, qui sur Bujumbura.

Michel, le gendarme français de Ruhengeri, avec lequel je discutais hier soir m’apprend que son idée a été ébruitée, et que le commandement militaire lui a interdit de faire quoi que ce soit pour aller récupérer les corps des camarades d’armes tombés vers le Méridien. Rien ne sert de faire prendre des risques à des vivants pour aller relever des morts. Les hommes de la MINUAR s’en chargeront, car ils ne sont pas loin. Et leur mandat les y autorise.

Attendant sur le parking de l’école un véhicule avec des hommes d’Amyrillis qui doivent me conduire à l’Ambassade, des enfants rwandais viennent vers moi pour essayer de me vendre — comme au temps où je venais attendre mon épouse et mes enfants à la sortie des classes — quelques fruits. Il ne semblent pas effrayés plus que cela par ce qui se passe, et je m’en étonne.

Un Français, la quarantaine, m’interpelle tandis que je refuse l’offre des enfants. « Vous allez à l’Ambassade ? — Oui, je dois remettre un document, lui dis-je sans me présenter, en faisant allusion au rapport du massacre du village que nous avons rédigé avant de quitter notre résidence dimanche matin.

— Écoutez, me répond mon interlocuteur à la moustache, et qui se présente comme un universitaire. Il faut prévenir l’Ambassadeur. Il y a à l’Hôtel des Mille Collines le procureur de la république de Kigali, François-Xavier Nsanzumvera, qui demande l’asile politique en Europe. Pouvez vous lui transmettre ce papier. Nous avons déjà appelé l’Ambassade hier pour le signaler ?

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— Il n’y a aucun problème, je le ferai. »
Et tandis qu’il me tend le document, le véhicule que j'attendais
arrive.

Sur le chemin de l’Ambassade, peu de mouvement humain. Seul un cadavre au carrefour de la rue du député Kamunzinzi et de l’avenue de la Jeunesse, finit de se faire hideusement manger par un chien. Notre véhicule écarte la bête au passage.

En attendant de pouvoir remettre mes documents aux services de l’Ambassadeur, croisant un des membres de la Mission de Coopération, je prête la main au brûlement de quelques archives. Dans le jardin, un foyer a été installé, et régulièrement, il est approvisionné par l’arrivage de cartons desquels, avec d’autres, j'extrais des papiers pour les brûler. Le spectacle paradoxalement beau de ce feu matinal hypnotise mes pensées dans les gestes machinaux que je fais pour jeter ces archives dans les flammes. A nos côtés, un cameraman de l’Etablissement Central de Photographie des Armées filme consciencieusement la scène.

Ne pouvant être reçu, je donne à un homme qui entre dans les bureaux de l’Ambassadeur les documents que je transporte, en insistant sur leur importance.

Abordé par un commandant que je connais à la Mission, je le suis dans les locaux militaires. Un colonel qui dirige les opérations et auquel je me présente s’inquiète à son voisinage des approvisionnements pour les hommes qui ne sont venus qu’avec le lot de ration réglementaire. Dans le chaos régnant, impossible de se ravitailler en ville. Je me permets alors de signaler que le Village Français vidé de ses occupants expatriés possèdent des congélateurs et des garde-manger dans les maisons. Il se trouve que j’ai avec moi toutés les clés des villas.

Rapidement une mission impromptue de ravitaillement est montée. Un des membres de l’équipe de commandement me désigne un groupe pour acheminer un pick-up de récupération vers le village. Avec une escouade de protection, dont les hommes sont
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024