Twibuke, Twiyubaka.
Il y a de cela trente ans, le Rwanda sombra dans un abîme qui à l’époque, semblait sans fond.
Trois décennies plus tard, le fait que les Rwandais aient à porter le fardeau d’enseigner au reste du monde notre histoire pourtant bien documentée, est d’une ironie si cinglante qu’elle transperce le cœur.
Aujourd’hui, notre souffrance ne vient pas de l’incompréhension des uns et des autres, autour de nous.
Notre souffrance, trente ans plus tard, vient du fait que les victimes du génocide perpétré contre les Tutsis soient toujours soumises à des mensonges haineux et à des distorsions de l’histoire, venant de ceux qui choisissent la cruauté, par leurs mots et leurs actions, plutôt que la décence d’un silence respectueux.
Hélas, il semble qu’à chaque commémoration, certains nous exigent de réitérer une vérité par ailleurs acceptée de tous, lorsqu’il s’agit d’autres génocides de l’Histoire.
Cette injustice, bien que décevante, n’est plus surprenante.
Cependant soyez assurés que même endeuillés… les Rwandais ne se lasseront jamais de dire la vérité, car nous savons combien les mensonges de la sorte, qui se propagent encore dans notre région, ont des conséquences fatales.
En effet, un génocide nécessite une cible, un oppresseur et un opprimé, un tourmenteur et un tourmenté. La correcte appellation du « Génocide perpétré contre les Tutsis » est donc évidente, comme le reconnaît l’ONU.
Sous la 1ère et la 2ème République – alors que certains dignitaires à la tête du gouvernement rwandais de l’époque se prévalaient avec fierté des titres « Parmehutu » et de « Hutu-Power » – et ce, bien avant le génocide, la « minorité Tutsi » était vilipendée par tous les moyens possibles.
Les Tutsis étaient simultanément accusés d’être des tyrans élitistes, mais aussi la vermine de notre société. Ils étaient accusés d’agir comme des pions coloniaux tout en étant, selon les mêmes colonisateurs, la plus grande menace à la nation du Rwanda.
Pourquoi est-ce qu’évoquer ces faits pourtant établis semble si contentieux pour beaucoup aujourd’hui ? N’était-ce pas cette même indifférence complice, qui condamna tant de personnes à des décennies de haine viscérale et de discrimination systémique ?
La violence qui en résulta fut récurrente.
En effet, le « Tutsi » était censé devenir « impuissant » face à une extermination méticuleusement orchestrée, étant abandonné par tous pour être mutilé, violé, assassiné et enfin « annihilé du monde ».
En 1994, une grande partie de ce monde observait attentivement alors que les collines du Rwanda étaient réduites en hécatombes, mais ce public refusa de voir, de reconnaître notre humanité.
Aujourd’hui, ce même public qui estimait que les Rwandais n’avaient pas tous le même droit à la vie, rejette encore le droit de ces rwandais à leur propre histoire, dans son entièreté.
Alors pourquoi, sur ces rwandais autrefois abandonnés – ces « indignes d’être vus » – reste fixé ce regard secrètement complice ?
Les mots me manquent… Comment décrire cette frénésie étrange : l’enthousiasme envers les récits fictifs et divisionnistes à chaque commémoration, la réticence à chaque fois que le Rwanda ose assumer son histoire et ses choix, et l’obsession à contester l’authenticité des Libérateurs qui ont arrêté le génocide.
Rappelons-nous que ce public fut spectateur de la déshumanisation et l’aliénation sociale systématique des Tutsis, dans un silence assourdissant!
Ainsi, face à cet éclat sonore, ce soulèvement de voix plutôt contradictoire, je m’interroge :
Où se trouvait cette indignation lorsque la classification ethnique, inscrite sur les cartes d’identité, facilita une violence primitive à l’encontre de ceux présumés Tutsis depuis des décennies, contraignant des centaines de milliers d’entre eux à l’exil ?
Pourquoi cette indignation ne se manifeste-t-elle que lorsqu’un gouvernement d’unité nationale est formé ?
À ceux qui se plient en quatre, dans des acrobaties linguistiques, évitant soigneusement l’objet visé du génocide qui a ravagé le Rwanda il y a 30 ans, êtes-vous vraiment prêts à sacrifier ce minimum d’humanité, de peur que cela ne « renforce » le leadership du Rwanda, qui semble déranger tant ?
Mais il existe plus déroutant encore : un amalgame tordu entre les « vols de minerais », « l’épuration ethnique » et la détermination des génocidaires en exil à « achever le travail » qu’ils avaient commencé ici.
Les individus qui reconnaissent ceux qui sont véritablement persécutés dans notre région, pensent néanmoins justifier l’irrationalité de la haine sauvage derrière le génocide, en prétextant que ces victimes sont diabolisées du seul fait d’être « rwandophones ».
Quel est le véritable dessein ici ? Qui gagne à semer délibérément la confusion sur des sujets distincts et indépendants ?
Nous discernons cette rhétorique haineuse pour ce qu’elle représente vraiment. À travers des publications et forums extrémistes, nous entendons et lisons les honteuses descriptions, attribuées a tout ceux qui sont victimisés.
« Une classe dirigeante ethniciste et prédatrice, qui pille les démunis ». « Meurtre de masse pour des
minerais »… Quel chaotique mélange de paresse, malveillance, et inconscience !
Si l’épuration ethnique était une conséquence naturelle du vol de ressources minières, ce riche continent compterait le moins de victimes.
Je soupçonne que les eaux sont si troubles, parce que sous la surface, de nombreuses dynamiques sont intentionnellement brouillées.
Je reste préoccupée par bien d’autres questions, car il y a trop de « trous » dans cette histoire.
À qui profite cette sombre machination ?
Notre conscience collective est-elle irrémédiablement mutilée au point d’accepter d’être divisés pour être vaincus, si facilement, si négligemment ?
Alors que nous sommes confrontés à des usines de contre-vérités flagrantes concernant l’histoire et l’actualité du Rwanda – propagées notamment pendant la période de commémoration, comme si le couteau n’était jamais assez remué dans nos plaies – nous nous devons de dénoncer cette déplorable guerre d’usure !
Cela me semble en effet si piteux que quiconque soit nostalgique des « bons vieux jours », lorsque la haine et la division gouvernaient notre pays à travers un état défaillant, plus préoccupé par l’idée de planter des machettes dans la chair, que de les utiliser pour leur but initial : faire fructifier les terres qui nourrissaient tous nos enfants.
Qu’avons-nous retenu de l’Histoire ?
À quel point est-il vital pour vous de rester prisonnier de cette idéologie ethniciste ?
Une chose est certaine : nous savons et n’oublierons jamais qui fut la cible du génocide. Mais ce dont nous sommes convaincus, c’est que le Rwanda actuel, le Rwanda résilient, ce Rwanda qui avance, ne peut se permettre d’être divisé par des questions aussi dérisoires pour notre reconstruction, que les « identités ethniques » de ceux qui bâtissent notre nouvelle nation.
Ndi Umunyarwanda; Turi Abanyarwanda.
Nous sommes TOUS rwandais : ces collines nous appartiennent à TOUS.
Plus jamais seront-elles recouvertes de notre sang !
Ce Kwibuka 30, la cicatrice reste toute aussi profonde, et j’avoue toute aussi douloureuse.
Cependant, notre espoir est ancré plus profondément encore, et la perspective de ce que les nouvelles générations accompliront dans ce Rwanda affranchi, transcende la douleur.
« Plus jamais » est plus qu’une prière, c’est une promesse !
Miser contre la capacité du Rwanda à surmonter les défis, serait se fourvoyer. Trente ans après, après trois décennies de paix, il est grand temps pour « certains » de faire preuve de plus de discernement.
Ceux qui proclament tant se soucier de notre destin, trouveraient certainement un investissement plus judicieux de leur temps, et de leur attention, dans la prévention du génocide et l’éradication de l’idéologie génocidaire.
À vous, Chers Survivants,
Nous saluons votre détermination à vous relever, et votre refus de succomber sous le poids de cette douleur insurmontable. Que la préservation de notre mémoire témoigne de notre profonde gratitude de vous avoir aujourd’hui, à nos côtés, luttant, toujours.
Mpore, Rwanda.
Son Excellence Première Dame Jeannette Kagame