Citation
LE BURUNDI APRÈS LA SIGNATURE DE L'ACCORD D'ARUSHA
Jean-Pierre Chrétien
Editions Karthala | « Politique africaine »
2000/4 N° 80 | pages 136 à 151
ISSN 0244-7827
ISBN 9782811100599
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Jean-Pierre Chrétien
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Considéré par la communauté internationale comme un
laboratoire de la résolution des conflits, le Burundi fait
l’objet d’intenses efforts diplomatiques. La signature
des accords d’Arusha, obtenue aux forceps par le médiateur
Mandela, peut-elle mener à la paix et à la stabilité ? Rien
n’est moins sûr. Inscrivant la question burundaise dans
l’écheveau des conflits régionaux, cet article analyse la
position des divers acteurs et les obstacles à la pacification.
Il montre notamment que les solutions proposées reposent
sur des interprétations partiellement erronées de la crise
burundaise.
Depuis que Nelson Mandela a obtenu la signature d’un accord le 28 août
dernier, doit-on être optimiste pour le Burundi? La guerre civile ouverte en
octobre 1993 par le putsch qui a coûté la vie au président hutu Melchior
Ndadaye et par les tueries systématiques de paysans tutsi qui ont suivi a
connu une nouvelle virulence depuis juin 1999: embuscades sur les routes,
assassinats de cadres administratifs, attaques dans des quartiers périphériques de la capitale, tueries de Tutsi et représailles contre des Hutu. L’opinion publique attend toujours une justice réelle pour les putschistes comme
pour les «génocidaires» de 1993. L’économie est dans le marasme le plus
complet, à la suite du blocus imposé par les États de la région entre juillet
1996 et janvier 1999, la misère est à son comble, contrastant avec l’enrichissement des profiteurs du blocus (dans les pays voisins et au Burundi même),
la scolarisation, la santé, la nutrition ont fait un bond en arrière de plus de
dix ans, la démocratisation politique et l’ouverture ethnique amorcées depuis
1988 et qui semblaient triompher en 1992-1993 ont échoué, laissant un
goût amer à une société sans perspective d’avenir claire. Le nombre des
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Le Burundi après
la signature de l’accord
d’Arusha
Politique africaine n° 80 - décembre 2000
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exilés a crû de manière significative dans tous les milieux et la fuite des cerveaux (médecins, professeurs, juristes, ingénieurs…) frappe un pays qui
n’avait pratiquement jamais connu cela.
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La place accordée au Burundi par les partenaires extérieurs apparaît
comme celle d’un cobaye de la conflict resolution, comme si l’échec majeur
éprouvé au Rwanda devait être compensé par une réussite dans ce cas jugée
plus flexible. L’ONG International Crisis Group (ICG) l’observe sans
ambages dans son rapport d’avril dernier: la communauté internationale et
la région «avaient dans l’esprit de faire du Burundi un laboratoire d’expérimentation pour les solutions africaines aux problèmes africains dans la
région des Grands Lacs1». Mais le désir de réussir à tout prix a fait oublier
la complexité spécifique d’une situation historique.
Un autre Rwanda?
Tout se passe comme si, depuis 1994, on envisageait, en guise d’issue partagée, un «Burundi hutu» face à un «Rwanda tutsi», en figure inversée de
la situation antérieure. Cette tendance apparaît dans une formulation que
résume ICG à propos de la maladresse supposée purement diplomatique des
propos agressifs tenus à Arusha en février 2000 par Nelson Mandela contre
le régime de Buyoya: il avait «critiqué les Tutsi, alors que ce sont eux qui ont
tout à céder». Si le retour à la paix au Burundi est vu en termes de concessions
unilatérales d’un camp ethnique à l’autre, laissant supposer qu’il n’y a pas
de torts partagés, d’engagements réciproques forts et aussi de subdivisions
et de recoupements plus subtils des intérêts, le processus en cours ne peut
que buter sur l’inquiétude ou le scepticisme. Les quotas ethniques évoqués
dans les négociations pour le nouveau Burundi sonnent étrangement comme
un retour au modèle de la république hutu rwandaise sous Habyarimana.
1. ICG, L’Effet Mandela. Évaluation et perspective du processus de paix burundais, avril 2000. Voir aussi:
HRW (Human Rights Watch), Burundi. La justice doit faire partie du processus de paix, avril 2000;
HRW, Burundi. Vider les collines. Camps de regroupement au Burundi, juin 2000; S. R. Weissman (USIP),
Preventing Genocide in Burundi. Lessons for International Diplomacy, juillet 1998; L. Reychler et al.
(université de Leuven), Le Défi de la paix au Burundi. Théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 1999.
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Un pion sur un échiquier régional
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Le rapprochement avec la situation rwandaise est évidemment incontournable. On observe dans les deux cas un écho permanent des événements du
pays voisin 2, mais plutôt sous la forme d’un chassé-croisé depuis les années 50.
Le Burundi part d’une situation où le clivage hutu-tutsi ne jouait pas un rôle
décisif, en fonction de ses héritages tant anciens que coloniaux. C’est au fil
des crises que la vie politique et, progressivement de haut en bas, tout le corps
social ont été touchés par une ethnisation de plus en plus virulente au profit
d’une couche dirigeante tutsi. Au Rwanda, l’antagonisme était extrême à la
fin des années 50; il a inspiré l’idéologie du régime républicain au profit
d’une bourgeoisie hutu, et c’est à la fin des années 80 qu’une nouvelle génération prend conscience des limites de cette obsession et du blocage qu’elle
représente sur la voie de la démocratisation. C’est donc au moment où le
Rwanda secouait le fétichisme ethnique que le Burundi s’est mis à songer
à une solution «démocratique» à la rwandaise. Le parti Frodebu, vainqueur
aux élections de juin 1993, était parcouru de courants contradictoires sur
ce plan, mais son arrivée au pouvoir a été menée par beaucoup de leaders
formés dans le Rwanda de Habyarimana et a été en outre aiguillonnée en
sous-main par le parti ultra-ethniste Palipehutu. Si bien que le Burundi s’est
peu ou prou retrouvé à la case départ de la «révolution sociale» rwandaise:
l’ouverture politique et le rééquilibrage «ethnique» de la société ont été
menés en toute méconnaissance de l’échec du régime rwandais. Paradoxes
d’une démocratisation nécessaire piégée par une histoire régionale et empêtrée dans le repliement ethniste.
Ce mélange de changement et de régression explique ces situations déroutantes où l’on voit des participants au génocide du Rwanda en 1994 se présenter en tenants de la démocratie au Burundi en 2000 et en «combattants de
la liberté» (pour reprendre une expression discutable de Nelson Mandela).
Géopolitique régionale et réseaux internationaux
Depuis le printemps de 1996 (donc avant le retour de Buyoya au pouvoir) s’est cristallisée une concertation régionale des États de l’Afrique centrale et orientale. Dix sommets sur le Burundi ont eu lieu de juin 1996 à
août 2000. Ils accompagnent l’action du médiateur, d’abord Julius Nyerere,
choisi en mars 1996 à l’issue des réunions du Caire et de Tunis initiées par
la fondation Carter, puis Nelson Mandela, choisi lors du 8e sommet en
décembre 1999. À l’arrière plan, ce que l’on appelle la «communauté inter-
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Politique africaine
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nationale» est présente, moralement et aussi financièrement: l’Union européenne, les États-Unis, l’OUA, l’Onu elle-même suivent l’évolution des
choses. Il est significatif de voir, quatre jours après le décès de Nyerere en
octobre 1999, se tenir à New York une réunion restreinte de huit envoyés
spéciaux d’instances internationales concernées pour discuter de l’avenir de
la médiation au Burundi. Mais cette ébauche de tutelle internationale ne doit
pas cacher les intérêts particuliers qui font du Burundi un enjeu et pas seulement un pupille.
La Tanzanie a accueilli l’essentiel des sommets régionaux et des rencontres
de négociateurs burundais à Mwanza en avril-juin 1996, puis à Arusha
entre décembre 1996 et août 2000. L’administration de la médiation, menée
par le juge Mark Bomani, dans le cadre de la fondation Nyerere, n’a pas été
modifiée sous le mandat de Mandela. Pour ce pays pauvre, difficilement
sorti des pesanteurs de son ancienne dictature socialisante, mais auréolé du
prestige d’ancien leader de la Ligne de front contre l’apartheid, ce rôle diplomatique a des avantages moraux, financiers, éventuellement militaires. À
plusieurs reprises depuis juin 1996 la Tanzanie est apparue comme un gendarme potentiel de la crise burundaise. À Dar es-Salaam, dans le cadre des
rivalités politiques internes entre l’ancien parti unique CCM et l’opposition,
certains n’hésitent pas à évoquer l’ancienne grande Tanzanie, celle de la
Deutsch-Ostafrika sous protectorat allemand, incluant le Burundi et le
Rwanda. Un lobby pro-hutu existe, illustré par des propos virulents tenus
autrefois par le ministre des Affaires étrangères Kikwete ou par le secrétaire
général du CCM, l’ancien Premier ministre Malecela. Certes, des intérêts
locaux bien placés ont couvert une contrebande non négligeable vers le
Burundi en plein embargo, notamment celle du carburant, mais à plusieurs
reprises des incidents de frontière ont éclaté entre forces militaires des deux
pays, et l’administration de la région de Kigoma a manifestement fermé les
yeux sur les attaques menées depuis la série de camps de réfugiés hutu situés
à 20 ou 30 kilomètres de la frontière burundaise: ce fut le cas durant le
deuxième semestre de 1997, alors que les rebelles des FDD s’y étaient repliés
du Zaïre après la chute du régime Mobutu, et de nouveau depuis juin 1999
2. Voir J.-P. Chrétien, «Ethnicité et politique: les crises du Rwanda et du Burundi depuis l’Indépendance», Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 181, Paris, PUF, printemps 1996, pp. 111-124.
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139 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
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où un afflux d’éléments FDD venus du Congo a généré des attaques dans
l’est et le centre du pays. Encore en octobre 2000 des troupes tanzaniennes
ont été déployées sur la frontière burundaise, sous prétexte de protéger les
camps de réfugiés.
D’autre part, on ne peut traiter la question burundaise en oubliant les
déchirements du Congo. ICG le notait bien dans son rapport d’avril: «On
peut douter que le petit Burundi réussisse seul le pari de la paix dans une
région où tous les conflits internes se sont exportés en RDC.» Même observation le 16 août dernier dans le Berliner Tageszeitung sous la plume avertie de Dominic Johnson: «Tous les terrains de crise s’articulent les uns aux
autres et un échec à un endroit engendre des crises dans les autres […] selon
une spirale de la violence.» De fait, depuis juillet 1998, les FDD (représentant environ 15 000 hommes) dirigées par Jean-Bosco Ndayikengurukiye,
en rupture avec son ancien patron Léonard Nyangoma, ont rejoint les forces
de Kabila dans le cadre de la deuxième guerre du Congo et elles ont reçu
des soutiens matériels du Zimbabwe. Les accords de Lusaka de juillet 1999
les ont en principe disqualifiées, mais la non-application de ces accords garde
toute son actualité au désir de Kabila de les utiliser pour déstabiliser le
Rwanda par le sud. Enfin, le conflit congolais a renforcé les liens entre rébellions burundaise et rwandaise.
Cela conduit à réfléchir sur l’attitude de l’Ouganda et du Rwanda. Ces
deux pays ont appliqué en son temps l’embargo de manière souple. Yoweri
Museveni, qui reprochait à Pierre Buyoya d’avoir hâtivement introduit le
multipartisme en 1992 et qui n’oubliait pas l’aide apportée jadis à son mouvement (la NRA) par l’ancien président Bagaza, a une préférence pour ce
dernier. Cela étant, l’armée burundaise est intervenue au Sud-Kivu depuis
la fin d’août 1998 et a étendu son contrôle sur la rive sud-ouest du lac
Tanganyika. Elle représente donc un élément du dispositif des forces rebelles
au pouvoir de Kabila et, à ce titre, elle ne peut échapper à la sollicitude de
ses alliés de fait, Rwanda et Ouganda, comme l’attestent la commission
mixte burundo-rwandaise de juillet 1999 et les visites de Buyoya à Kigali et
à Kampala en septembre suivant. Cependant, les rapports ne sont pas simples,
contrairement à ce que suggèrent les slogans sur le projet d’«empire hima»,
censé unir diaboliquement les dirigeants des trois pays. Les relations des
Burundais avec les Tutsi rwandophones du Sud-Kivu dits «Banyamulenge»
sont bien plus cordiales que celles assurées de gré ou de force par les
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Politique africaine
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Rwandais, qui les instrumentalisent. Surtout, depuis l’été 1999, les affrontements entre Rwandais et Ougandais en région de Kisangani ont rendu la
position du Burundi délicate, mais finalement l’ont plutôt avantagée, les
deux frères ennemis ayant tendance à courtiser ce partenaire. Cela a été sensible lors des pourparlers ultimes tenus à Arusha le 28 août dernier.
La situation régionale est donc loin d’être figée sur des clivages simples,
mais à tout moment des drames mal contrôlables peuvent éclater. En effet
l’atmosphère générale est lourde de passions ethniques qui atteignent la
dimension d’un racisme continental opposant «Bantous» et «Nilotes»,
selon la logomachie qui envahit aujourd’hui les médias congolais.
Reste l’Afrique du Sud à qui l’on attribuerait volontiers le rôle de nouveau parrain de la région, en fonction de sa pénétration commerciale et
financière et du prestige personnel de Nelson Mandela. Mais cette influence
est évidemment contestée par le Congo de Kabila et par le Zimbabwe.
Museveni se réserve toujours, malgré ses ennuis au Congo et en Ouganda
même, le rôle de nouvelle autorité morale de la région après la mort de
Nyerere. Enfin, il n’est pas sûr que les positions idéologiques de Mandela
et les positions politiques du gouvernement de son successeur soient automatiquement alignées.
On ne peut terminer ce tour d’horizon de l’échiquier des partenaires de
la crise burundaise sans évoquer les forces qui s’y sont fortement impliquées
hors d’Afrique, notamment sur le plan idéologique:
– les réseaux chrétiens-sociaux belges, implantés essentiellement en
Flandre, incarnés par des ONG liées au parti CVP et qui ont déterminé les
positions de l’Internationale démocrate-chrétienne dans les années 90 3. Ils
agissent par des périodiques, des bourses d’études, des activités caritatives,
mais aussi du lobbying politique. Il ne faut pas oublier que, dans son agenda
initial, le médiateur Julius Nyerere s’est rendu à Bruxelles en mai 1996 où
il a rencontré longuement une coordination des représentants de ce réseau
d’ONG structurées à l’époque en un cartel intitulé «Action Burundi» et qui
militait sans nuances pour une intervention étrangère en faveur du Frodebu.
Leur influence a été affaiblie par l’alternance politique actuelle en Belgique;
3. L. Saur, Influences parallèles. L’Internationale démocrate-chrétienne au Rwanda, Bruxelles, Luc Pire,
1998.
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141 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
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– des réseaux implantés en Rhénanie et qui, à l’instar des précédents, sont
surtout en phase avec des milieux chrétiens nostalgiques de l’ancien régime
rwandais (un partenariat actif existait entre le Land de Rhénanie-Palatinat
et le Rwanda sous Habyarimana). Ils s’expriment surtout à travers le site Internet Burundi-Bureau, édité par l’association Aktion-Courage en allemand,
français et néerlandais. Il est géré par des réfugiés burundais liés étroitement
au CNDD, y compris l’ancien ambassadeur à Bonn Albert Mbonerane,
récemment proposé à Arusha par cette formation pour gérer la transition 4;
– un réseau protestant abritant au Danemark l’équipe dirigeante du parti
Palipehutu depuis les années 70 et qui s’est signalé en avril 1994 par son attitude négationniste à l’égard du génocide rwandais.
On n’observe pas de réseaux politico-idéologiques aussi structurés en France,
même si un populisme ethnique diffus conduit certains observateurs à assimiler les mouvements hutu à un 1789 africain. Aux États-Unis, on rencontre
plutôt un discours réduisant la situation burundaise à celle de l’Afrique du
Sud sous l’apartheid. Ce rapprochement vise-t-il à mobiliser la communauté noire ou correspond-il à la tentation d’agir pour un «Burundi hutu»
autant que l’on soutient un «Rwanda tutsi»?
Un conflit «politico-ethnique» démultiplié
Parallèlement aux violences sélectives qui sèment périodiquement la mort
dans le pays, les négociations elles-mêmes ont contribué à mettre en scène
le duel «interethnique», notamment à partir de mai 1999 quand Julius
Nyerere favorisa la cristallisation des «groupes» à base ethnique, le G7 hutu,
auquel répondit le G8 (puis le G10) tutsi. Le discours musclé de Mandela
a apparemment suivi la même logique et, lors de la signature de l’accord du
28 août 2000, on voit les formations à dominante tutsi (l’Uprona de Buyoya,
de petits partis et le Parena de Bagaza) se mettre d’accord sur des réserves.
Les cibles et les victimes
Cela étant, la situation burundaise n’a pas la limpidité d’une bande dessinée. Historiquement, les torts sont éminemment partagés: ni ange ni démon,
chaque composante peut se reprocher des crimes au cours de toutes les crises
qui se succèdent de 1965 à 1993, avec deux moments tragiques de passage
au génocide, en mai-juin 1972 contre les Hutu, en octobre 1993 contre les
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Politique africaine
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Tutsi. Mais on ne peut opposer sans nuances deux blocs homogènes. Le
Burundi n’a pas connu le clivage officiel du Rwanda et l’antagonisme a toujours été ressenti comme honteux. Les liens entre Hutu et Tutsi restent
nombreux au sein de cette société meurtrie, mais pas totalement disloquée,
et les divisions sont également très réelles au sein de chaque prétendue
«communauté».
Les leaders et la majorité des députés du «parti tutsi» Uprona sont des
Hutu (pour les deux fractions de ce parti scindé depuis octobre 1998, ailes
Rukingama et Mukasi). La majorité des victimes des forces rebelles sont ces
derniers temps des Hutu, pillés, malmenés ou tués quand ils refusent de
contribuer à leur action. De nombreux cadres administratifs hutu se font tuer.
Près de 40 % des soldats sont d’ores et déjà des Hutu et, parmi les 27 élèves
officiers de l’Iscam victimes de la rébellion en août dernier, 5 étaient des
Hutu. Lors des massacres qui ont suivi la mort du président Ndadaye en
octobre 1993 au titre de la «colère populaire», des familles entières ont été
tuées aussi en milieu hutu parce qu’un de leurs membres appartenait à l’armée ou au parti Uprona.
Les forces rebelles, quant à elles, sont réparties en trois formations au
moins: le FNL, issu du Palipehutu, dans l’ouest du pays, les FDD issues du
CNDD dans l’est et le centre, le Frolina au sud. Durant l’été 1997, les
maquisards FNL ont terrorisé des populations de la province de Bubanza
ralliées aux FDD. Plus récemment, en février 2000, le même FNL a massacré des miliciens rwandais qui avaient rejoint ses rangs. Par ailleurs, il y a
la scission entre le CNDD dirigé par Léonard Nyangoma et les FDD menées
par Jean-Bosco Ndayikengurukiye (un ancien officier de l’armée 5) depuis
1998. La même division entre «politiques» et «militaires» existe au Palipehutu, où le vieux leader Étienne Karatasi n’est plus suivi par Kossan
Kabura. Enfin, le Frodebu a éclaté en deux tendances également depuis
1998, les uns acceptant le «partenariat» avec le président Buyoya (la tendance d’Augustin Nzojibwami), les autres restant fidèles au leader en exil,
le docteur Jean Minani, président d’un éphémère gouvernement à Kigali en
octobre 1993.
4. En mai 1997 Burundi-Bureau justifie par exemple le massacre de 40 écoliers au petit séminaire de
Buta en reprenant la thèse CNDD d’une prétendue «position militaire».
5. En outre frère du leader du Frodebu modéré, Augustin Nzojibwami!
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143 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
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Du côté tutsi, l’unanimité n’est pas plus de règle. Les groupes favorables
à la politique de partenariat et de négociation de Buyoya apparaissent
comme minoritaires face à la méfiance de nombreux Tutsi. L’Uprona de
Charles Mukasi trouve écho dans les associations de lutte contre le génocide
AC-génocide-Cirimoso, présidée par le professeur Venant Bamboneyeho, et
PA (Puissance d’autodéfense) Amasekanya, fondée en 1995 par Diomède
Rutamuceru, qui commémorent le 21 de chaque mois les victimes du génocide de 1993 (notamment les collégiens de Kibimba brûlés vifs le 21 octobre).
Leurs manifestations se sont souvent heurtées à la police et leurs leaders ont
effectué plusieurs séjours en prison.
Face aux tentatives de rapprochement des modérés à l’ombre de Buyoya,
on observe des calculs d’alliance des extrêmes (tutsi et hutu) sous l’égide de
l’ancien président Bagaza, exilé en Ouganda depuis 1998, chacun pensant
tirer son épingle du jeu. Les crispations ethniques peuvent donc répondre
à des logiques très différentes: tribalismes fondés sur des calculs politiques
ou ethnismes inspirés par la peur. Ces logiques se retrouvent enchevêtrées
dans chacune des entreprises de regroupement destinées en principe à reconstruire la vie nationale. La convention de gouvernement de septembre 1994
s’est effondrée sous l’effet des extrémismes, mais aussi des doubles langages
des parties contractantes. Le «partenariat» mis en place en juin 1998 ne
fonctionne guère mieux. Mis en difficulté par la logique des «groupes» G7
et G8 en 1999, il a resurgi d’une certaine façon avec la «Convergence nationale pour la paix et la réconciliation», renégociée entre Uprona et Frodebu
(tendances Rukingama et Nzojibwami) en octobre 1999 pour se trouver
confrontée à partir de décembre à l’Anac (Alliance nationale pour le changement) bricolée entre Bagaza et Minani.
Cependant, à l’occasion de la signature de l’accord d’Arusha, on a vu s’exprimer aussi une solidarité des responsables de l’intérieur face aux leaders en
exil. Les parlementaires du Frodebu, toutes tendances confondues, se retrouvèrent pour refuser l’éventualité d’être remplacés par des élus partis en exil
depuis 1994. D’autre part, les responsables politiques, quels qu’ils soient,
ont du mal à dissimuler leur méfiance à l’égard des revendications virtuelles
des maquisards et de leurs cadres.
Il faut enfin souligner un autre clivage susceptible de compliquer la situation (ou au contraire de lui donner plus de flexibilité?), celui des «régionalismes», qui déchire le pays depuis la fin des années 60 de manière presque
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144 CONJONCTURE
Politique africaine
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aussi grave que le clivage dit «ethnique». Le pouvoir est dominé sans conteste
depuis 1971 par des groupes tutsi issus de la province méridionale de Bururi.
Ce lobby, auquel ont appartenu les trois présidents militaires (Micombero,
Bagaza et Buyoya), contrôle la majorité des officiers ainsi que des secteurs
importants du monde des affaires et de la vie politique. Le changement de
1993 avec l’élection de Ndadaye représentait un tournant sur le plan ethnique, mais aussi sur le plan régional, le nouveau président étant de la commune de Nyabihanga, au centre du pays. Les événements de 1993 et des
années suivantes peuvent aussi se déchiffrer selon cette grille (comme au
Rwanda avec l’antagonisme entre Nord et Sud): les responsables du putsch
étaient clairement des éléments durs du Sud. Les Tutsi du nord, du centre
et de l’est du pays se plaignent des lenteurs de l’armée lors des massacres
d’octobre 1993. Les éléments dits «tutsi extrémistes», tels les jeunes qui
organisèrent les «journées ville morte» à Bujumbura en 1994-1995 ou les
militants des associations antigénocidaires, sont majoritairement issus de
ces régions éprouvées.
Ce contentieux est assez grave pour qu’à plusieurs reprises des leaders du
Frodebu aient tenté de les opposer à l’armée. Mais la question régionaliste
se retrouve aussi dans les rangs des formations hutu avec l’existence, tant au
Frodebu légal que dans les rangs du CNDD, d’un lobby du Sud, dont les
principaux leaders viennent de la commune de Songa. Ce groupe s’est rendu
célèbre autant par son activité financière et commerciale que par son activisme politique. Les scissions des formations hutu reposent en partie sur ce
clivage. Pour couronner le tout, un décompte des origines régionales des
délégués aux négociations d’Arusha, toutes formations confondues, fait
apparaître que près des deux tiers sont originaires de Bururi. Cela amène
nombre de Burundais, tutsi ou hutu, à se demander s’il est de bon augure
que l’avenir de leur pays soit réglé de la sorte par leurs compatriotes issus
d’une seule province 6.
Donc, comme dans la plupart des guerres civiles, si les cibles réelles sont
politiques (les détenteurs du pouvoir ou leurs compétiteurs), les victimes
sont des civils pris comme des cibles de substitution plus faciles à atteindre.
6. Rappelons (car ce cliché a la vie dure) que le lobby de Bururi n’est pas un «groupe hima», que les
Bahima sont présents dans toutes les régions du pays et que la plupart des leaders tutsi de Bururi sont
de clans non hima.
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145 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
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Les dizaines de milliers de paysans tutsi (et hutu) massacrés en guise de
«vengeance» de la mort de Ndadaye, pour «accompagner celui-ci dans sa
tombe» (selon un slogan du moment), ont peut-être été les boucs émissaires d’une «colère populaire», plus sûrement (vu l’organisation des massacres) les otages délibérés d’une politique consistant à viser un «pouvoir tutsi»
en y impliquant globalement tous les Tutsi et en exerçant ainsi, en principe,
une pression intolérable sur les dirigeants. De même, dans leurs représailles,
les forces armées à dominante tutsi, confrontées à des groupes de tueurs
insaisissables, ont pris très souvent en otage toute la population hutu d’un
secteur considéré comme «rebelle», et les massacres étaient alors conçus
comme une punition collective destinée à faire réfléchir les leaders hutu. On
est au cœur de la dimension qui ouvre sur les génocides. On en retrouve
l’esprit évidemment dans les regroupements de populations entrepris par
l’armée pour réduire la rébellion en 1997-1998 et de nouveau entre septembre 1999 et le printemps de 2000.
L’embargo aussi a visé des «cibles» à travers des victimes innocentes. La
régression sanitaire, scolaire, agricole, l’extension du chômage en ville, la
hausse vertigineuse des prix, tout cela a frappé durement la masse rurale,
mais aussi la petite bourgeoisie urbaine. Un euro valait 382 francs burundais en septembre 1997, il en vaut 819 en juin 2000. Plus concrètement,
imaginons le niveau de vie d’un instituteur qui, en juin dernier, reçoit un
salaire mensuel d’environ 20 000 FBu et qui doit payer 500 FBu pour un
kilo de riz ou pour une bouteille de bière. Seuls se sont enrichis quelques
dizaines de spéculateurs. Les résultats sociopolitiques de l’embargo ont
donc été largement contre-productifs, nourrissant la misère, les fossés
sociaux et le terreau de tous les extrémismes. Sa levée en janvier 1999, non
suivie d’une reprise réelle des coopérations, n’a eu pour le moment presque
aucun effet. Il est étonnant que le pays ne soit pas tombé dans un chaos
encore plus grave.
Syndrome socioracial à la rwandaise
Le Burundi est confronté au même syndrome socioracial que le Rwanda:
les Hutu et les Tutsi seraient, d’une part, deux peuples naturellement distincts, avec des origines radicalement différentes, l’un étant autochtone et
l’autre envahisseur; d’autre part, les Hutu se trouvant majoritaires auraient
légitimement le droit d’exclure les Tutsi de l’ensemble des responsabilités du
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146 CONJONCTURE
Politique africaine
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pays, et le projet démocratique est coextensif à cette idée. Tel est le modèle
clairement résumé à Kigali en 1993 par l’expression hutu power, le pouvoir
du «peuple majoritaire 7».
Tout marche ensuite selon les arguments majoritaires ou sécuritaires,
pour justifier les pires violences. La vie politique se poursuit depuis les
années 60 à coups de procès d’intention, de prédictions a priori qui finissent par prendre corps, de «propagandes en miroir» attribuant à l’autre ce
que l’on concocte, de provocations où précisément les cibles ne sont pas les
victimes. La population civile devient chaque fois un bouclier humain voué
à la position de victime, pour mieux dénoncer ensuite l’autre camp et légitimer une nouvelle vague de massacres. La recherche de mises en scène macabres se manifeste aux approches de chaque échéance politique (négociations,
remaniements gouvernementaux…) et de chaque visite de personnalités
étrangères: les armes à feu se font alors entendre, les cadavres sont étalés,
etc. La dernière occasion d’observer ce phénomène fut à la mi-juin 2000,
lorsque Nelson Mandela s’est rendu sur place et en particulier à Gitega, au
centre du pays: sa venue a été précédée et accompagnée d’une vague d’attaques rebelles précisément en province de Gitega, comme un message à bon
entendeur.
Or, les deux médiateurs successifs ont adhéré à la mise en scène sans
nuances de l’opposition ethnique en termes de majorité et de minorité, de
peuple combattant pour sa liberté et de féodaux ou de groupe militarofinancier accroché au pouvoir (voir les déclarations de Mandela à Arusha en
février et en août, à Bujumbura en juin). Le débat entre ethnicité et citoyenneté est béant. La ligue de défense des droits de l’homme Iteka le rappelait
le 21 juin dernier, après la visite de Nelson Mandela à la prison de Bujumbura, où il avait traité des suspects de crimes contre l’humanité de «prisonniers politiques»: «Accepter des crimes comme mode de revendication
politique reviendrait en fin de compte à légitimer la nature et la logique
des crimes commis depuis quatre décennies au Burundi et à perpétuer à
jamais le contentieux.»
7. Voir J.-P. Chrétien, Le Défi de l’ethnisme. Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala, 1997;
et aussi J.-P. Chrétien, A. Guichaoua et G. Le Jeune, «La crise d’août 1988 au Burundi», Cahiers du
CRA, n° 6, Afera-Karthala, 1989.
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147 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
148 CONJONCTURE
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Ce qui a frappé tout le monde, c’est la hâte avec laquelle Nelson Mandela
a tenu à régler la question. L’accord a été signé au forceps, sous une pression
internationale intense, le médiateur ayant réussi à convaincre les grandes
puissances de la nécessité d’accélérer des pourparlers qui n’avaient déjà que
trop coûté. Il a porté sur un texte élaboré en juillet par les bureaux de la
médiation à Arusha, qui n’était en fait qu’une compilation des résultats
(encore partiels) obtenus par les cinq commissions des négociations. Après
des pourparlers sans fin où on passait le temps à régler les questions du
passé le plus lointain à la place des historiens, on a assisté à un marathon
de quelques jours, voire de quelques heures, débouchant sur des signatures
dans la confusion et avec des réserves dans la nuit du 26 au 29 août, sans
que les branches armées elles-mêmes aient encore signé (malgré une nouvelle
rencontre à Nairobi le 20 septembre).
Les acteurs de la négociation
Après Nyerere, l’homme de la Ligne de front, l’espoir mis en Mandela,
le vainqueur de l’apartheid, était légitime. C’est maintenant un homme âgé
qui joue son jeu personnel, parallèlement au travail des bureaux d’Arusha.
Il a manifestement calqué sur le Burundi la situation sud-africaine en faisant tenir aux Tutsi le rôle des Blancs (voir son discours du 21 février 2000).
Mais, à partir de son intervention, la négociation au sens strict a cédé le
pas à des démarches croisées auprès de lui pour quêter son appui.
La facilitation tanzanienne a donc poursuivi son travail selon la ligne tracée par Nyerere, et elle a joué un rôle décisif dans la rédaction du texte diffusé en juillet 2000 en comblant les vides qui restaient sur des secteurs
essentiels de la négociation. Les conseillers sud-africains du nouveau médiateur et les présidents (de nationalités diverses) des cinq commissions ne semblent pas être réellement intervenus dans cette rédaction. En outre, comme
le notait International Crisis Group dans son rapport d’avril dernier, les
Burundais sont kirundophones et francophones, la facilitation est en majorité
swahilophone et anglophone, obstacle structurel à la qualité des dialogues.
Les négociateurs burundais étaient composés de 19 «parties», à savoir le
gouvernement et l’Assemblée nationale, et 17 formations politiques: l’Uprona
(tendance Rukingama), le Frodebu (tendance Minani), les deux formations
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Un processus de paix accéléré : acteurs et perspectives
Politique africaine
149 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
rebelles CNDD et Palipehutu, le Parena de Bagaza, et 12 autres petits partis
(Abasa, Anadde, Av-intwari, Inkinzo, Pit, PL, PP, PRP, PSD, Raddes et
RPB). La plupart de ces factions, pro- ou antigouvernementales, tournent
autour d’une ou deux personnalités de Bujumbura et n’ont pratiquement
recueilli aucun suffrage lors des élections de 1993. Les mauvaises langues
disent que l’allocation per diem de 150 dollars (le salaire mensuel d’un universitaire est d’environ 100 dollars à Bujumbura) faisait d’Arusha un lieu très
rentable. Ce que l’on appelle la société civile est absente de ces pourparlers.
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Le texte s’ordonne selon les travaux des cinq commissions.
1) Nature du conflit et des responsabilités, demande d’une Commission
internationale d’enquête judiciaire et projet de Commission nationale pour
la vérité et la réconciliation.
2) Démocratie et bonne gouvernance: principes d’une nouvelle Constitution reconnaissant les trois entités ethniques (Bahutu, Batutsi, Batwa),
Parlement subdivisé en une Assemblée nationale et un Sénat de deux délégués par province issus chacun de l’une des deux principales ethnies, exécutif
dirigé par un président flanqué de deux vice-présidents d’ethnies et de partis
différents, réforme de la justice, correction des déséquilibres au sein de la
fonction publique, création d’un ombudsman, période de transition de
trente-six mois (dont six mois de mise en place), avec un corps législatif
provisoire élargi chargé d’élaborer la Constitution, un exécutif chapeauté par
un président et un vice-président et enfin une Commission de suivi internationale qui exercerait une tutelle étroite sur le pays.
3) Paix et sécurité pour tous: réforme de l’armée à raison de 50 % pour
chaque ethnie, intégration des combattants de la rébellion, épuration des éléments responsables de crimes de guerre, présence d’une force de paix étrangère, procédure de désengagement par cantonnement des forces des deux
camps, en commençant par l’armée gouvernementale et en prévoyant l’entrée au Burundi des combattants de l’opposition, amnistie pour les crimes
commis lors du conflit 8.
8. Ces deux clauses sont étonnantes: vu l’absence actuelle de véritable front (contrairement à ce qui se présentait au Rwanda en 1993), la première permettrait aux mouvements rebelles de se constituer in extremis
des zones dites «libérées»; quant à l’amnistie, elle va à l’encontre du refus de l’impunité exprimé par ailleurs.
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Les accords et leurs lacunes
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4) Reconstruction et développement: catalogue de projets économiques,
commençant par le sort de tous les sinistrés.
5) Garanties pour l’application de l’accord de paix: définition de la Commission de suivi, émanant de pays amis choisis par les deux camps et de trois
instances internationales, l’Onu, l’OUA et l’Initiative régionale de paix.
Le texte signé avait subi quelques amendements 9: la prise en compte du
rapport de l’Onu de 1996 sur le génocide de 1993, la séparation des pouvoirs en ce qui concerne la magistrature, la limitation à 67 % de la représentation d’une ethnie chez les administrateurs communaux, le maintien en
place des parlementaires actuels dans le cadre de l’élargissement prévu, l’instauration d’un Sénat de transition, la limitation des compétences de la Commission de suivi, enfin la mise en demeure des parties en conflit de cesser
les hostilités. Par ailleurs le gouvernement et les partis à dominante tutsi (G10)
ont émis des réserves sur la définition du système électoral, sur l’appel à des
étrangers dans le système judiciaire, sur le problème de l’amnistie, sur la
part du G7 et du G10 dans les autorités de transition, sur la possibilité de
ratifier l’accord sans qu’il y ait cessez-le feu.
Comme le disait déjà en avril l’ONG ICG, «ce n’est que récemment que
les vraies questions ont commencé à être abordées». La plupart n’ont pas
été résolues:
– l’absence de cessez-le-feu et la poursuite des activités militaires dans les
camps de réfugiés, ce qui entretient automatiquement des positions ethniques extrêmes 10;
– la question de l’impunité et l’occultation de l’hypothèque du génocide,
qui rappellent l’accord sans issue en Sierra Leone. Human Rights Watch écrivait
en mars 2000: «Une amnistie au Burundi est la direction qu’il ne faut pas
prendre […]. Comment peut-il y avoir le moindre espoir de justice et d’ordre
[…] si des crimes de cette importance sont laissés impunis. Si une paix est
concoctée sans justice pour le Burundi, cela sera ressenti dans toute la région 11»;
– l’absence d’accord finalisé sur les principes de relance d’une démocratisation qui tienne compte de trente ans d’expériences dramatiques 12 fondées
sur une réduction de la citoyenneté au schéma de la majorité ethnique. L’horlogerie institutionnelle à la belge ou la libanaise tient certes compte du pluralisme de naissance inscrit maintenant dans la société, mais sans réelle percée
conceptuelle. C’est, dit-on à Bujumbura, «mêler de la pâte fraîchement
cuite à de la pâte réchauffée» (guhakurira ku bwaraye);
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150 CONJONCTURE
Politique africaine
151 Le Burundi après la signature de l’accord d’Arusha
– le flou concernant la réforme de l’armée, en particulier le sort des 30 à
40 % de Hutu figurant déjà dans cette armée par rapport aux combattants
rebelles à intégrer;
– le contenu de la période de transition et la nature de la tutelle extérieure,
compte tenu du caractère hypothétique d’une intervention étrangère sur le
plan de l’ordre public;
– la reconstruction économique et financière d’un pays sinistré et la
recherche de logiques plus performantes que le seul «développement rural
intégré 13»;
– la remise en confiance, matérielle et morale, de la société civile ■
Jean-Pierre Chrétien
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9. Contestés par les forces rebelles le 24 septembre.
10. Une déclaration de l’Union européenne du 19 octobre va en ce sens.
11. Le responsable de l’Afrique à Human Rights Watch, Peter Takirambudde. Le 16 août dernier, un
éditorial du Monde évoquait la même analogie entre Burundi et Sierra Leone en dénonçant la nouvelle
tendance internationale à prétendre régler les conflits à coups d’amnistie.
12. Comme dans la Constitution ougandaise de 1995, qui mentionne dans son préambule l’expérience
de dix ans de guerre civile.
13. L’État est empêtré dans la montée de la corruption liée à une économie de guerre et dans sa disqualification face aux ONG (en 1997 le budget total des ONG en activité au Burundi équivalait à 36 %
du budget de l’État).
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CNRS/MALD, université Paris-I