Rencontre
«
Un génocide, ça remplit, ça traverse, ça torture. » Laure de Vulpian a longtemps été journaliste justice à France Culture. Dans le cadre de son travail, elle a pu suivre le procès Papon, se rendre au Cambodge ou en ex-Yougoslavie, agissant sur le temps long de la justice. Elle le dit : «
Je n’aurais pas pu être reporter de guerre. »
Ainsi, en 2001, à travers le procès de quatre personnes (1) devant la cour d’assises de Bruxelles (Belgique), elle va s’intéresser au dernier génocide du XX
e siècle, commis au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994.
«
A chaque grand moment du procès (250 heures d’enregistrement), il fallait dégager des problématiques, thématiser afin de prendre de la hauteur. » Pour la fabrication d’émissions quotidiennes, elle fera appel à des témoins, des experts. Et elle se rendra sur place, entre Arusha et la capitale Kigali. Ce sera le premier de onze séjours dans le pays aux mille collines.
Une avalanche de mails
L’été 2003, à l’issue des premières diffusions radiophoniques de ce travail de fond incroyable – où sont abordés les germes de la haine, la machine à tuer, l’immobilisme de la communauté internationale, la question du pardon… – elle reçoit une avalanche de mails.
A l’affût, telle une investigatrice, elle va creuser le dossier rwandais. «
C’est un mystère, un génocide ». Avec Thierry Prungnaud, dès 2012, elle publie un livre,
Silence Turquoise (éditions Don Quichotte), dont le sous-titre est évocateur :
Rwanda, 1992-1994, responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsi.
Son travail et ses enquêtes sont soulignés dans le dernier ouvrage de l’historien Vincent Duclert. Au nom de la présidence de la République, ce spécialiste des génocides a présidé, dès 2019, une commission de recherche qui a conclu dans son rapport [à] la responsabilité «
lourde et accablante » dans la tenue du génocide au Rwanda. Un rapport sur lequel s’est appuyé le président Emmanuel Macron lors d’une visite au Rwanda, en 2021, ouvrant à un rapprochement des liens entre les deux pays. Aujourd’hui à la retraite, installée à Auray, Laure de Vulpian essaie de «
s’abstraire » des tourments rwandais.
« Plus le temps passe, moins on oublie »
Mais naturellement, une telle expérience remue corps et âme. Dans sa maison, toute une bibliothèque est consacrée à des ouvrages sur le Rwanda. Il reste des choses, liées au génocide, qui hantent : «
Les mystères habitent, des secrets sont à lever. » En attendant – c’est une réelle mine d’informations –, les émissions de Laure de Vulpian sont consultables depuis mardi sur la plateforme de podcasts de France Culture. Leur écoute est la meilleure façon de ne jamais oublier. Elle aime à citer l’auteur sénégalais Boubacar Boris Diop : «
Plus le temps passe, moins on oublie. »
(1) Les accusés étaient un universitaire (Vincent Ntezimana), un ancien ministre (Alphonse Higaniro) et deux religieuses (sœurs Gertrude et Kizito).