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Le 6 avril 1994, l'avion qui transporte le chef de l'Etat rwandais, Juvénal Habyarimana, est abattu par un missile. Cet attentat jamais élucidé marque le début du génocide au Rwanda. Durant 100 jours, des extrémistes hutus, l'ethnie majoritaire du pays, soutenue par le gouvernement, massacre près d'un million de Tutsis, qu'ils accusent d'avoir assassiné le président. Une extermination planifiée pendant des années, tant la haine gangrène ces deux groupes depuis des décennies.
Le documentaire Rwanda, vers l'apocalypse, réalisé par Michaël Sztanke, Maria Malagardis et Seamus Haley, diffusé dimanche 7 avril sur France 5, retrace la genèse de ce génocide, dévoile ses fondements historiques, sa préparation et le rôle que la France a tenu dans cette extermination.
La France soucieuse de conserver ses intérêts en Afrique
Le Rwanda a été colonisé par l'Allemagne, puis la Belgique, qui hérite de l'administration coloniale du pays après la Première Guerre mondiale. Dans les années 1930, les autorités coloniales belges officialisent une distinction ethnique entre Tutsis et Hutus. Pour asseoir leur pouvoir, elles favorisent et protègent les Tutsis, considérés comme l'élite du pays, au détriment des Hutus. Mais à la fin des années 1950, les Hutus dénoncent leur exploitation et les Tutsis manifestent des velléités d'indépendance. La Belgique change alors d'alliance et se rallie à la cause des Hutus. La révolution rwandaise est violente, des milliers de Tutsis sont poussés à l'exil et la majorité hutue prend le pouvoir, soutenue par la Belgique. En juillet 1962, l'indépendance du Rwanda est déclarée.
En 1973, l'ancien chef des armées Juvénal Habyarimana prend le pouvoir par un coup d'Etat et met en place un régime autoritaire qui mène une politique discriminatoire envers les Tutsis. Une guerre civile éclate en 1990 entre les partisans de son gouvernement et le Front patriotique rwandais (FPR), un mouvement politique et militaire emmené par Paul Kagame et composé de Tutsis exilés en Ouganda, qui souhaitent revenir dans leur pays par la force. Le président rwandais demande alors l'aide militaire de la France, dirigée à l'époque par son ami François Mitterrand, qui souhaite peser en Afrique et qui voit dans le Rwanda un laboratoire de sa nouvelle politique africaine.
"Mitterrand m'a reçu en tête-à-tête et m'a dit : 'Je veux lutter contre la prééminence des Américains en Afrique (...) La force de la France dans l'ONU face aux Américains, nous l'avons grâce à l'Afrique.'" Le général Jean Varret, chef de mission militaire de coopération au Rwanda de 1990 à 1993, dans le documentaire "Rwanda, vers l'apocalypse"
La France envoie des instructeurs afin de former des gendarmes locaux, ainsi que du matériel militaire, à condition que le pays prenne le chemin de la démocratie. Le gouvernement du président Habyarimana persuade le gouvernement français, ainsi que le peuple rwandais, que des ennemis étrangers souhaitent semer le chaos dans le pays et prendre le pouvoir. Ces opposants venus de l'extérieur sont pourtant des Rwandais tutsis que le régime n'a pas voulu laisser revenir au pays. "Le FPR est devenu l'ennemi existentiel du régime Habyarimana, mais aussi l'ennemi de la France", affirme l'historien Vincent Duclert, qui témoigne dans le documentaire.
Le génocide en marche
A l'époque, le général Jean Varret est chargé de faciliter la coopération entre la France et le Rwanda. Lors d'une réunion avec un chef d'état-major Hutu, il comprend que des événements plus inquiétants se préparent. "Il me dit : 'J’ai besoin de mitrailleuses et de mortiers.' Je lui dis que la gendarmerie n'a pas besoin de ça", confie le général. Le militaire rwandais lui explique alors les raisons de sa requête. "On en a besoin pour la destruction de tous les Tutsis. On va tous les éliminer, les femmes, les enfants, les vieillards (...) ce sera vite fait, ils ne sont pas nombreux", lui aurait-il déclaré. Le général français, choqué, alerte l'Elysée des intentions génocidaires de l'armée rwandaise. La France reste sourde à cet avertissement et continue de soutenir militairement le gouvernement du président Juvénal Habyarimana.
A quelques jours de la commémoration des 30 ans du génocide, Emmanuel Macron a reconnu que "la France aurait pu arrêter le génocide, mais n'en a pas eu la volonté". Le chef de l'Etat avait déjà reconnu, en 2021, les "responsabilités" françaises. "On aimerait bien pouvoir aller jusqu'à la reconnaissance d'une complicité qui amènerait même des réparations", a réagi vendredi sur France Inter Alain Gauthier, cofondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR).
Le documentaire Rwanda, vers l'apocalypse, réalisé par Michaël Sztanke, Maria Malagardis et Seamus Haley est diffusé dimanche 7 avril à 21h05 sur France 5 et sur la plateforme france.tv