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Ce dimanche 7 avril marque les trente ans du dernier génocide du 20e siècle, celui des Tutsis au Rwanda. Le pays a-t-il achevé sa reconstruction après l’horreur ? Comment se passe la cohabitation entre les victimes et leurs bourreaux, en grande partie sortis de prison depuis quelques années ?
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Avec :
Hélène Dumas, historienne, chargée de recherches au CNRS au Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron
Scholastique Mukasonga, écrivaine rwandaise
Dominique Celis, écrivaine belgo-rwandaise
Dans le cadre des commémorations des trente ans du génocide des Tutsis au Rwanda, les Matins de France Culture reçoivent l'historienne Hélène Dumas, autrice de Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsis (1994-2006) publié aux éditions La Découverte, Dominique Célis, écrivaine belgo-rwandaise autrice de Ainsi pleurent nos hommes (éditions Philippe Rey, 2022) et Scholastique Mukasonga, écrivaine franco-rwandaise, autrice de Julienne (Gallimard, 2024) et prix Renaudot en 2012 pour Notre-Dame du Nil.
Les 30 ans de commémoration du génocide des Tutsis
Le génocide des Tutsis au Rwanda s'est déroulé entre le 7 avril et mi-juillet 1994. Hélène Dumas, historienne spécialiste du Rwanda, décrit la tragédie comme “une entreprise d'extermination exhaustive de ceux désignés Tutsis par une idéologie raciste qui remonte à la colonisation”. Elle précise : “ce génocide appartient à l'histoire de notre monde, puisque le racisme qui a été le terreau de cette entreprise d'extermination est le même ayant donné lieu à l'antisémitisme”. Au Rwanda, plusieurs cycles de commémorations sont prévus dans le pays. Une grande cérémonie nationale aura lieu le 7 avril, puis une série de cérémonies locales vont se décliner dans le pays.
En ce moment de recueillement, Dominique Celis est partagée, car même si la haine anti-Tutsis est canalisée dans la région des Grands Lacs, “ce n’est pas fini. Le Rwanda est en pleine expansion à plusieurs niveaux, mais la menace contre les Tutsis reste présente. Cependant, cela ne va pas nous empêcher d'avancer. La campagne génocidaire de 1990 à 1994, lorsque le monde entier nous regardait être tués en dînant, nous a appris qu'on ne pouvait compter que sur nous-mêmes. Ceci donne une force extraordinaire, notamment à la jeunesse”. Scholastique Mukasonga ajoute : “la particularité du génocide est d'avoir des morts sans corps et sans sépulture. À partir de là, ils sont toujours avec nous. Le sens même de la commémoration qui arrive chaque année est justement de prendre le temps de s’en rappeler.”
Une possible réconciliation entre victimes et bourreaux ?
La cohabitation entre victimes et bourreaux pose de grandes difficultés à la reconstruction du pays. Pour y répondre, une politique de réconciliation a été mise en place. Hélène Dumas rappelle que “c'est avant tout un choix politique posé après le génocide de 1994 pour tenter de refonder la narration nationale autour de l'identité rwandaise et non plus d'une identité de différenciation raciste ou Hutus-Tutsis. Cependant, à une échelle individuelle ou familiale, on ne peut pas répondre à la place des rescapés du génocide”. Pour Dominique Célis, il existe bien aujourd'hui un peuple rwandais : “dès le 17 juillet, nous avons banni la question de l'ethnie sur les cartes d'identité. Le projet politique d'unité et de réconciliation consiste d'abord à intégrer le fait que ces différences ne sont pas des différences. Désormais, nous pouvons dire que nous sommes des Rwandaises et des Rwandais. Nous ne parlons plus du Rwanda en termes de Tutsis et de Hutus, mais en termes de bourreaux et de victimes.”
Scholastique Mukasonga et Dominique Célis écrivent toutes deux pour diffuser une mémoire du génocide. Pour Scholastique Mukasonga, le génocide a fait d’elle une écrivaine. En 1960, alors qu’elle n’a que trois ans, elle est déportée avec sa famille à Nyamata, une région très inhospitalière : “on croyait que la nature allait faire le travail, que nous allions mourir de faim, de la maladie du sommeil ou dévorés par les animaux. Pour justifier notre survie, il fallait écrire, car j’avais un devoir de mémoire. La littérature s’est présentée à moi pour me sauver”. Dominique Célis est quant à elle retournée vivre au Rwanda depuis 11 ans. Un questionnement a déclenché l’écriture de son texte Ainsi pleurent nos hommes : est-il est encore possible d’aimer ou de s’aimer après le génocide des Tutsis ? “Il y a un discours général sur l'amour violent et terriblement désenchanté. Je me suis demandé s'il y a un lien entre la déshumanisation, c'est-à-dire la réduction de l'être à l'objet, et ce discours amer.”