Fiche du document numéro 34028

Num
34028
Date
Dimanche 7 avril 2024
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1192340
Pages
1
Titre
Trente ans après le génocide au Rwanda, le souvenir à tout prix
Sous titre
Trois décennies après le génocide qui fit jusqu’à un million de morts parmi la minorité tutsie, le petit pays d’Afrique centrale continue de puiser dans la douleur de sa mémoire pour avancer.
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
PAS MÊME les chants religieux, habituellement entonnés avec énergie à la première heure, ne résonneront dans les églises ce dimanche matin. Le silence qui s’installe sur le pays, comme une chape de chagrin en ce premier jour de commémorations, durera une semaine. Sept jours durant lesquels la musique et les célébrations se tairont, pour commémorer à l’unisson la mort d’un million (sur une population totale d’environ 8 millions !) de Rwandais membres de la minorité tutsi, traqués puis tués entre le 7 avril et le 17 juillet 1994 par le pouvoir extrémiste hutu.

Des bars aux restaurants, jusqu’aux églises, lieux de louanges habituellement sonores, toute mélodie autre que la musique mémorielle sera proscrite à travers le pays durant cette première semaine de « Kwibuka », « se souvenir » en kinyarwanda. Même les allées du marché d’alimentation et de textiles de Kimironko à Kigali, immense hangar blindé d’étales ou raisonnent le reste de l’année un joyeux chaos de cris et de négociations, sont vides ce samedi. « Tous les ans le marché se vide à l’approche des commémorations. Les gens restent chez eux avec les leurs », explique Déborah, couturière de 21 ans. Elle-même fermera à clé les panneaux de son échoppe en bois, pour rejoindre sa famille ce dimanche de 30e anniversaire. « Pour mes parents qui ont vécu le génocide, c’est un moment difficile, je dois être présente, juge la jeune entrepreneuse aux longues tresses blondes ramenées sur l’épaule. C’est aussi le moment où ils parlent, où ils nous racontent leur histoire et celle du Rwanda. Les jeunes doivent apprendre si on ne veut pas que ça recommence. »

« Les mémoriaux ont servi de preuves »

Selon les chiffres du ministère de l’Institut national de la santé, jusqu’à 25 % de la population souffrent d’une forme de choc post-traumatique lié au génocide. Trois décennies après, la mémoire des Rwandais est toujours à vif, brûlante, à l’échelle de la violence qui s’était alors déchaînée. Elle est aussi omniprésente, dans un pays où survivants et génocidaires cohabitent. Où un voisin, un inconnu croisé au marché ou dans le bus peut avoir pris la machette aux côtés des milices hutues extrémistes, durant les cent jours de traque et de tuerie qui débutèrent le 7 avril 1994.

C’est ce jour-là que le Rwanda apprenait le crash, la veille, de l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, abattu selon le gouvernement de l’époque par le Front patriotique rwandais (créé par les exilés tutsis en Ouganda). Et que les familles tutsies, tapies dans leurs maisons, se passaient le mot, terrorisés, quand les exécutions de masse commençaient à Kigali.

Les monuments commémoratifs sont des appels permanents de l’horreur vécue dans chaque recoin du pays. Il en existe environ 250, essaimés dans les bâtiments communaux, les stades, églises ou universités. Six sites mémoriaux principaux quadrillent aussi ce pays de la taille de la Bretagne. Situés sur les lieux des massacres d’ampleur, ils offrent aux victimes une sépulture digne, et un lieu de recueil pour les survivants.

Avec, à l’appui, des images crues de corps découpés jonchant les rues. Dans l’ancienne école et mémorial de Murambi, dans la province de Gikongoro, au sud du pays, des dizaines de corps, adultes et enfants, sont exposés à l’air libre, démonstration tangible de l’horreur face à laquelle la communauté internationale a un temps détourné le regard.

La déclaration de Macron saluée par les rescapés

La France « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains », mais « n’en a pas eu la volonté », a reconnu Emmanuel Macron jeudi, dans une vidéo qui devrait être diffusée ce dimanche sur ses réseaux sociaux. Une déclaration saluée par les associations de rescapés. La responsabilité française avait finalement été reconnue pour la première fois de l’histoire en 2021 dans le rapport Duclert. Le document de 900 pages, rédigé par une commission d’historiens, avait été critiqué pour ne pas avoir admis de « complicité ». Après des années de brouille diplomatique, il a néanmoins servi de point de départ à la reprise des échanges commerciaux entre les deux pays. La France a annoncé samedi 400 millions d’euros d’aide au développement pour le Rwanda jusqu’en 2028.

Arme de reconnaissance auprès de la communauté internationale, cette incitation au souvenir est aussi un outil pour la reconstruction et la transformation économique du pays, qui effectue depuis plus d’une décennie une mue économique fulgurante, avec une croissance moyenne de 7,2 % au cours de la dernière décennie. « La transmission de notre histoire est la seule chose qui nous permettra de construire un pays sûr et plein d’opportunités pour les générations rwandaises futures », estime Audace Mudahemuka, survivant de 32 ans et coordinateur national de l’Association des étudiants rescapés.

En 1996, cette association crée dans les universités des « familles » de substitution pour les jeunes orphelins. Il en existe aujourd’hui 1500 qui permettent aux jeunes nés après le génocide d’étudier l’histoire du Rwanda, d’échanger autour du pardon et de l’unité. Comme nombre de jeunes Rwandais, Audace décrit la mémoire, même douloureuse, comme une nécessité. « C’est ce qui nous permet d’avancer et de pardonner collectivement là où on en serait incapable individuellement. On ne parle plus ni de Tutsi ni de Hutu dans ce pays, mais de Rwandais. »
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024