Comme tout bon militaire, il porte le costume aussi impeccablement que l’uniforme.
Pensée structurée, idées ordonnées, souci du but à atteindre et des moyens pour y parvenir. Le colonel Denis Roux n’a pas été chargé de la sécurité de François Mitterrand et Jacques Chirac par hasard.
Cette expérience, il la livre dans
Protéger le président (L’Archipel). Il lève le voile sur quinze années d’histoires secrètes à l’Élysée, et nous plonge au cœur d’un univers où il est chaque jour question de vie ou de mort.
Vous assurez que les militaires sont un atout pour la sécurité du président de la République. Quelle est leur spécificité par rapport aux policiers ?
Denis Roux : « Gendarmes et policiers partagent le souci de l’intérêt public. Ce qui les différencie, c’est le niveau de préparation et d’engagement, ainsi qu’une organisation de l’esprit, de la préparation et de la formation. En 1983, à la création du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), ses membres issus du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) pratiquent des techniques qui sont le résultat d’une sélection exigeante et rigoureuse. Ils sont durs à la peine, leur engagement est total, tout comme leur disponibilité. A côté, on a une police, à l’époque, qui est conduite autour du président par quelques garçons qui sont certainement de bonne volonté, mais qui n’ont pas compris qu’on a changé de contexte. C’est ce que va faire comprendre Christian Prouteau (fondateur et premier commandant du GIGN en 1974 puis du GSPR en 1982) à François Mitterrand. Le souci de ces policiers est d’être dans l’accompagnement, de porter le manteau et le chapeau du président. Leur culture est moins exigeante que celle des militaires. »
Vous aviez l’entière confiance de François Mitterrand, mais avec le clan Chirac, vous étiez contraint de jouer au chat et à la souris. Comment l’expliquez-vous ?
« Jacques Chirac, dans sa nature, était un homme qui voulait être libre de ses mouvements. C’était un homme pressé, aussi. Il était capable de descendre de la voiture sans attendre que la sécurité soit en place pour assurer sa protection. Il sortait et s’en allait, comme si le danger n’existait pas. C’était incompatible avec les fondamentaux de la sécurité. Mais il a fini par comprendre. »
Surtout dans un contexte terroriste !
« Absolument ! Marignane (la prise d’otages d’un vol Air France par quatre membres du Groupe islamique armé), c’est fin 1994, juste avant l’élection de Jacques Chirac au sommet de l’État en mai 1995. Et en 1995, Paris est suffisamment touché par les attentats terroristes pour qu’on sache qu’il y a danger et menace. Mais Jacques Chirac voulait développer l’image d’un président proche, ouvert au public. Son entourage oublie alors que la sécurité peut s’adapter. Nous l’avions pourtant fait avec François Mitterrand pendant quatorze ans. »
Ses caprices culinaires, sa double vie ?
« Oui ! Il a bénéficié d’une parfaite liberté de mouvement entre ses deux vies, dans la discrétion la plus totale. Il nous a accordé sa confiance dès le début. Il avait une vision très globale. Du fait de sa double vie, il savait qu’il avait besoin de nous et que nous allions accomplir la mission avec loyauté. »
Cette confiance est telle que les policiers perdent alors les manettes de la sécurité du président. Cela vous a valu des inimitiés, non ?
« Nécessairement. Ils ont voulu avoir leur revanche. Ils la prennent à l’arrivée de Jacques Chirac, où les militaires assurant la sécurité du président perdent 75 % de leurs effectifs. »
C’est Sarkozy, ancien ministre de l’Intérieur, qui porte le coup de grâce ?
« Oui. Avant même son arrivée à l’Élysée, il fait savoir qu’il ne veut plus voir les gendarmes. »
Et François Hollande ?
« Il a négligé sa sécurité. Son entourage aussi, et on a vu ce que ça donnait. »
Emmanuel Macron, avec l’affaire Benalla, c’est la barbouzerie qui s’installe à l’Élysée ?
« Je ne suis pas d’accord. Vous exagérez. Il est au-dessus de tout ça. En tout cas, il a compris l’importance des gendarmes dans son dispositif de sécurité et il les fait revenir. Mais une chose gênante reste et doit changer, c’est le rattachement du GSPR dans son ensemble à l’ex-service des voyages officiels - qui s’appelle maintenant le SDLP (service de la protection) - qui appartient à la police nationale. La police a instauré une organisation ternaire au sein du GSPR, très cloisonnée et rigide. Les chefs de mission préparent les missions en France et à l’étranger, les officiers de sécurité sont appelés à accompagner le président, et les chauffeurs le conduisent. Et dans la pire logique policière, ces trois missions sont séparées, ce qui est une hérésie complète ! Nous, militaires, avions décidé dès la création du GSPR que tout le monde devait être polyvalent pour assurer la continuité du service grâce à une perméabilité entre les différentes fonctions. Autre hérésie qui va elle aussi à l’encontre de la cohésion : l’organisation de la formation est revenue exclusivement à la police. Autrement dit, un membre du GIGN qui arrive au GSPR, qui a subi une formation d’élite des plus exigeantes, ne peut plus devenir formateur ! Tout cela fragilise le service et donc la sécurité du président. »
Assurer la sécurité de l’homme au sommet de l’État… Vous imaginiez, gamin, un tel destin ?
« Non ! Même si j’ai baigné dans le monde militaire. Mon père a été enseignant pendant de longues années à l’école technique de l’armée de terre à Issoire. Et donc j’ai baigné dans cette atmosphère-là dès l’âge de onze ans jusqu’à une vingtaine d’années. J’allais à l’école avec des enfants de militaires. Mon frère est très vite rentré à la gendarmerie… Mais de là à imaginer ce que j’allais devenir, non ! »
Vous racontez dans votre livre beaucoup de coulisses sidérantes, comme celle des funérailles du leader syrien Hafez el-Assad. La fin – assurer la sécurité du président – justifie-t-elle tous les moyens ?
« Je considère que, à mission ou situation exceptionnelle, moyens exceptionnels, dans le respect de l’utilisation et des canons de l’armement ! Bernadette Chirac avait envoyé un de ses conseillers pour me demander si les choses étaient calibrées pour affronter ce type de situation. Ce à quoi j’ai répondu par l’affirmative. Nous sommes partis avec un certain nombre d’armements qui n’étaient pas déclarés, car interdits par des conventions internationales. Mais c’était nécessaire. On ne peut pas laisser une sécurité ronronner quand la menace est grande. En face, on a un adversaire qui ne reculera devant rien. Il faut penser comme lui pour évaluer les risques. On apprend au GIGN que si on nous interdit d’entrer par la porte, on passe par la fenêtre. »
Bio express
> Denis Roux, colonel de gendarmerie, est né en 1954 en Haute-Loire. En 1983, cet ancien cadre du GIGN rejoint le GSPR nouvellement créé à l’Élysée. Il y servira sous François Mitterrand (1983-1991) et Jacques Chirac (1995-2002), avec un intermède comme conseiller technique auprès de la Garde présidentielle au Rwanda (1991-1993), dans le cadre d’un détachement d’assistance militaire. Il est affecté ultérieurement en Turquie comme attaché de sécurité intérieure, et quitte la gendarmerie en 2010, après avoir été commandant en second de la Garde républicaine.