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Fabriquée par 78 producteurs dans 44 pays (1), la mine terrestre est devenue trop banale pour constituer un marché vraiment lucratif. Le futur, avec financements à la clé, c'est le déminage. Problème éthique, politique, technique... : ceux qui minent sont aussi ceux qui déminent.
Citation
Si bien qu'en mai dernier, la Direction des affaires humanitaires (DAH) de l'ONU s'est retrouvée sous le feu des critiques pour avoir confié le déminage des routes du Mozambique (28 millions de francs) à un consortium britannnique et sud-africain comprenant la société Mechem basée à Pretoria. Cette dernière, en effet, est une filiale de Denel Ltd, qui produit des armes pour l'état sud-africain, et possède par ailleurs une autre filiale, Naschem, qui vante dans un catalogue ses mines A/C et tous types de munitions.
«Surtout, que l'on ne nous reproche pas d'utiliser ce matériel. C'est désolant à dire, mais c'est la technique la plus économique et la plus sûre pour les démineurs des Nations-Unies, plaide-t-on à la DAH. Justifier le choix d'un contractant sur des bases éthiques rendrait notre mission encore plus difficile.»
En France, l'exportation de mines anti-personnel est interdite depuis 1986. Cela n'a pas empêché, en juin dernier, la société d'armement et d'études Alsetex d'en faire la promotion lors du salon de l'armement Eurosatory au Bourget.
La collusion entre minage et déminage
A cette occasion, le bureau français de Greenpeace (2) avait d'ailleurs publié une liste d'une dizaine de sociétés françaises œuvrant dans le secteur, notamment dans la vente de «dispositifs de dispersion», capables de disséminer des milliers de mines à la minute : selon des experts militaires que nous avons consultés, GIAT Industries et ses filiales, Luchaire et Manurhin, Thomson Brandt Armement avec sa filiale TRT défense, de même que la SNPE (pour les composants) sont actives dans le secteur.
Quant à la collusion entre minage et déminage, elle est inhérente à l'activité d'une armée.
Les démineurs militaires français sont formés aussi bien à poser qu'à relever des explosifs. Il s'agit d'un groupe d'élite, le 17e régiment du génie parachutiste (RGP) de Montauban. Sous les couleurs de l'ONU, ils sont détachés dans le cadre d'opérations de déminage humanitaire. Mais la France n'hésite pas à les utiliser dans des activités plus offensives. Ainsi, selon nos informations, dans le cadre des détachements d'assistance militaire (DAMI) au Rwanda, des membres du RGP auraient servi, jusqu'en 1993, d'instructeurs au sein de l'armée gouvernementale, pour la former, notamment, au maniement et à la pose de mines anti-personnel. Les entreprises aussi pratiquent le mélange des genres : exemple, la Cofras, société anonyme semi-privée sous contrôle du ministère de la Défense. Elle répond aux appels d'offre de déminage de l'ONU. Mais elle est depuis sa création en 1972 une sorte de «SOS formation/dépannage» pour l'armement terrestre français à l'étranger. La Cofras compte Giat Industries et ses chars Leclerc parmi ses plus gros clients.
Giat, d'ailleurs, n'est pas en reste : ce fabricant a déjà dans ses cartons des mines anti-chars capables de résister aux systèmes de déminage moderne qu'elle développe avec l'aide la DGA.
Quant au groupe Thomson, si sa filiale TRT Défense reste active dans le secteur des mines, elle est citée par la DGA, mais cette fois dans le domaine du déminage, pour ses recherches en détection aérienne par infrarouge. Une autre filiale, Thomson CSF-Radant, travaille par ailleurs sur les radars micro-ondes.
En Allemagne, (de source officielle américaine) (3), le géant Daimler-Benz continue, via sa filiale MBB, de produire des engins de dispersion de mines, alors qu'il a créé aux États-Unis la société de déminage CMS Inc., plus gros contractant au Koweït pour ce genre de marché... Deutsche Aerospace, autre filiale de Daimler-Benz, cherche à devenir la championne du déminage moderne (micro-ondes, infrarouge, blindés robotisés).
J.T.
(1) Comité international de la Croix-Rouge, avril 1993.
(2) Greenpeace magazine, été 1994.
(3) Rapport de la Defense Intelligence Agency (DIA), décembre 1992, cité par Human Rights Watch, 1993.