Chemise blanche à rayures bleus, veste grise et lunettes, Sosthène Munyemana, 68 ans, s’est présenté hier matin à l’audience avec quelques minutes de retard… ce dont il s’est excusé avant de décliner son identité. Le président de la cour a rappelé les faits qui lui sont reprochés : la signature, le 16 avril 1994, d’une motion de soutien au gouvernement, sa participation à une réunion d’un comité de crise le 17 avril, comité qui a mis en place des barrières et des rondes au cours desquelles des personnes ont été interpellées avant d'être tuées. Sosthène Munyemana est également mis en cause pour avoir détenu la clé du bureau de secteur de Tumba (un quartier de Butare) dans lequel étaient enfermés et détenus des civils tutsis dans des conditions inhumaines, civils qui seront ensuite exécutés.
L’après-midi, la cour s’est longuement penché sur le parcours de l’accusé, de sa naissance à Musambira en 1955, à sa carrière de gynécologue obstétrique. Après quelques années en France où il termine ses études, ce père de 3 enfants rentre au Rwanda à la fin des années 80 puis s’engage au MDR, un parti d’opposition alors que le pays vient de s’ouvrir au multipartisme. À la barre, l’accusé affirme qu’il n’était qu’un simple adhérent. Les débats se focalisent alors sur sa proximité avec un autre membre du MDR, Jean Kambanda, qui devient le 8 avril 1994 premier ministre du gouvernement intérimaire à l’origine du génocide. Sosthène Munyemana le voit à deux reprises en mai et juin 1994.
Mais à la barre, l’ancien médecin assure n’avoir entretenu avec lui que des «
relations amicales et familiales », sans qu’il ne soit question de politique. «
Pendant toute la période du génocide, il ne voit Kambanda qu’une fois une demi-heure et encore Kambanda est accompagné à ce moment-là par un garde du corps et il se défie un peu de lui parler », explique M
e Jean-Yves Dupeux, l’un de ses conseils. «
Les fois d’avant, ajoute l’avocat
, on ne sait pas très bien quand ils se sont vus, mais j’imagine que sans prendre des partis pris politique, ils avaient quand même un certain nombre de discussions, assez générales ».
À la barre, Sosthène Munyemana soutient ne pas avoir parlé politique avec le chef du gouvernement intérimaire car il n’avait pas d’ambition dans ce domaine. L’argument ne semble guère convaincre le président de la cour, ni les parties civiles. «
C’est très étonnant », confie Mathilde Aublé, une des avocates d’Ibuka France qui semble être restée quelque peu sur sa faim : «
On n’a pas encore eu toutes les réponses qu’on aurait aimé avoir notamment sur les rencontres qui ont pu être les siennes à partir du moment où celui-ci a manifesté sa radicalisation, on espère qu’on les aura au fil de l’audience avec peut-être aussi l’audition de son épouse ». Une audition qui permettra peut-être également d’y voir plus clair sur les relations que l’accusé entretenait avec le ministre de l’Agriculture, Straton Nsabumukunzi. Un ministre qui l’aidera à fuir le Rwanda le 22 juin 1994.
Ce dossier est le plus ancien instruit en France, au nom de la compétence universelle de la justice française, sur des faits liés à ce génocide qui a fait plus de 800 000 morts entre avril et juillet 1994, selon l'ONU. La première plainte contre Sosthène Munyemana, qui avait fui son pays le 22 juin 1994 et rejoint le sud-ouest de la France trois mois plus tard, avait été déposée en 1995, entraînant l'ouverture d'une information judiciaire. Visé par un mandat d'arrêt international émis par les autorités rwandaises, sa demande d'asile a été rejetée en 2008, mais la justice française a refusé en 2010 de l'extrader pour qu'il soit jugé dans son pays.