Sosthène Munyemana accueille dans une modeste maison d’un quartier pavillonnaire de Villeneuve-sur-Lot. L’ancien médecin urgentiste du Pôle de santé du Villeneuvois y a pris sa retraite voilà six mois. Une retraite bien moins paisible que l’environnement pourrait le supposer. Depuis six mois, Sosthène Munyemana consacre le plus clair de son temps à préparer sa défense dans un dossier qui le poursuit depuis presque trente ans. Pas le moindre.
Sosthène Munyemana est attendu ce lundi 13 novembre dans le box de la cour d’assises de Paris pour y répondre des accusations d’actes de génocide prétendument commis au Rwanda durant les événements du printemps 1994, au cours duquel plus de 800 000 personnes ont été massacrées. «
Je suis très serein parce que j’ai de nombreux éléments à présenter afin de démontrer mon innocence », dit d’emblée celui qui exerçait les fonctions de gynécologue obstétricien au sein de l’hôpital de Butaré, situé au sud du Rwanda.
Des témoignages peu crédibles
Selon l’accusation, Sosthène Munyemana aurait été un rouage local de la mécanique génocidaire. L’affaire remonte au 18 octobre 1995, après une première plainte déposée à Bordeaux par le Collectif girondin pour le Rwanda. Elle vise le praticien qui a fui le Rwanda en juin 1994 et rejoint à Cestas (33), avec ses enfants, son épouse qui à l’époque faisait la navette, en tant qu’anthropologue, entre son pays et l’université de Bordeaux.
Des témoignages sont produits ainsi qu’un supposé rapport de l’ONU impliquant Sosthène Munyemana dans les tueries de Tumba, un secteur de Butaré. Problème : ce document s’avère être un faux, comme le jugera plus tard la justice française saisie par Sosthène Munyemana. Un autre document produit par une ONG, qui fait de lui «
le boucher de Tumba », n’est pas non plus jugé crédible. «
Toutes les charges initiales me visant ont été abandonnées : j’avais tué des gens partout dans Butaré, j’avais distribué des armes, etc. Tout cela a été écarté, assène Sosthène Munyemana.
Le juge d’instruction a d’ailleurs procédé à une requalification des faits. Cependant les actions que j’ai menées afin de sauver des gens de la tuerie sont désormais interprétées inversement, perverties, et me valent d’être accusé aujourd’hui. » Mais c’est bien d’un crime contre l’humanité dont doit répondre l’ancien médecin villeneuvois.
Il a détenu la clé d’un bureau d’une institution dans laquelle de nombreux Tutsis ont été enfermés avant d’être massacrés. Si effectivement un certain nombre de faits ne lui sont pas reprochés en raison de l’absence de crédibilité des témoins, pour certains devenus «
des professionnels du mensonge » selon lui, l’instruction avance en revanche des éléments qui feraient de Sosthène Munyemana un acteur du génocide dans le sud du Rwanda. Le premier d’entre eux : l’ancien gynécologue a détenu la clé du bureau du secteur de Butaré, institution administrative locale, dans laquelle de très nombreux Tutsis ont été enfermés avant d’être massacrés. L’intéressé a une tout autre lecture des événements : «
C’est un élément que j’ai avancé moi-même. J’ai pris l’initiative de récupérer cette clé en ayant alerté le responsable de ce bureau, qui ignorait que les gens qui cherchaient à s’y réfugier étaient tués faute de pouvoir y rentrer et leurs corps jetés dans les fosses voisines. J’avais une vue sur la cour du bureau, je ne pouvais pas supporter ce qu’il se passait. À partir du moment où j’ai ouvert aux gens, ils ont pu se mettre à l’abri. On veut faire de ce bureau un couloir de la mort. Ce n’était pas le cas. »
« Une instrumentalisation »
On reproche aussi au médecin hutu sa proximité avec des membres du gouvernement génocidaire, formé au lendemain de l’attentat qui avait fait exploser, le 6 avril 1994, l’avion du président Juvénal Habyarimana : le Premier ministre Jean Kambanda et le ministre de l’Agriculture Straton Nsabumukunzi, grâce auquel il a pu fuir le Rwanda. Sosthène Munyemana dénonce ici «
une instrumentalisation » rappelant que c’est son épouse, une Tutsi qui était liée aux femmes des intéressés pour avoir fait ses études avec elle. Il dit être la victime «
d’un procès politique » et cite l’exemple de Paul Rusesabagina, héros du film « Hôtel Rwanda ».
«
J’ai tout faux. Aux yeux des extrémistes hutus, et ce sont eux que j’ai fuis, j’étais un suspect en raison de mon mariage mixte mais aussi de ma modération. Aux yeux du FPR [Paul Kagame, l’actuel président du Rwanda, est issu de ses rangs, NDLR]
que j’ai refusé de rejoindre avant les événements, c’était la même chose. J’incarne cette "troisième voie" prônée par l’ancien Premier ministre Dismas Nsengiyaremye [il viendra témoigner au procès].
C’est quand j’ai exposé ma vision des événements lors de réunions publiques en France, le long desquelles je n’épargnais pas plus le gouvernement provisoire que le FPR, que mes ennuis ont commencé. Le Collectif girondin pour le Rwanda était dirigé par un Rwandais, un très bon ami dont j’avais repoussé la proposition d’adhésion au FPR par le passé… »
« On a perdu 10 à 15 ans »
Alain Gauthier, fondateur du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, n’a pas la même analyse. À ses yeux, la culpabilité de Sosthène Munyemana ne fait aucun doute. «
Son rôle a été bien plus déterminant qu’il veut bien le dire, juge-t-il.
Nous avons des faits précis, des témoignages. Ce système de défense est classique. Ce sera le 7e procès d’un génocidaire en France. La mécanique est souvent la même : nous avons affaire à des élites qui espéraient des promotions en participant au génocide. »
Sosthène Munyemana rétorque que les témoins ont été pour certains «
retournés » parmi lesquels «
un Tutsi que j’ai sauvé en le recueillant chez moi ».
Les deux hommes sont toutefois d’accord sur un point : le temps passé assombrit l’éclairage judiciaire. «
On a perdu 10 à 15 ans », déplore Alain Gauthier. La mise en examen de Sosthène Munyemana est intervenue le 15 décembre 2011. Plus de dix-sept ans après le génocide, des enquêteurs sont allés mener des investigations au Rwanda, mais aussi en Belgique, aux États-Unis, en Norvège, etc. Entre-temps, des témoins clés sont morts, d’autres ont perdu la mémoire. Plusieurs centaines de dépositions ont été recueillies. La cour d’assises de Paris a jusqu’au 22 décembre pour faire le tri et apporter une vérité judiciaire au cas de Sosthène Munyemana.