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Du Niger au Burkina-Faso en passant par le Mali, au Sahel, Paris doit faire face à l'émergence de juntes militaires arrivées au pouvoir sur un discours antifrançais. Une série de putschs qui affaiblit l'ancienne puissance coloniale : assiste-t-on à la fin de la Françafrique ? Avec : Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef du Monde Afrique, intervenant à Sciences Po Paris et spécialiste du continent africain ; Thomas Borrel, porte-parole de l'association Survie ; Mathilde Beaufils, doctorante en sciences politiques à l’Institut des sciences sociales et du politique et à l’université de Nanterre.
Citation
“Il n’y a plus de politique africaine de la France”, martelait Emmanuel Macron lors d’un discours prononcé à Ouagadougou le 28 novembre 2017. Le président revendique alors appartenir à une “génération” qui n’a connu ni la colonisation, ni le système Foccart, âge d’or d’une Françafrique où les valises de billets partaient des palais africains pour financer les campagnes électorales françaises, et où l'armée française intervenait pour maintenir des autocrates.
Depuis 2020, France et Sahel ont bien connu une rupture dans leur relation, mais pas celle qu’espérait Emmanuel Macron : cinq coups d’État, deux au Mali, deux au Burkina-Faso et un au Niger. Le chiffre monte à sept si l’on étend le constat à l’Afrique de l’Ouest avec la Guinée-Conakry, et tout récemment le Gabon. Si ces putschs répondent à des réalités sociopolitiques propres à chacun de ces pays, ils s’inscrivent cependant tous dans une même logique : la chute d’un pouvoir très proche de l’Élysée au profit d’une junte à la rhétorique souverainiste et antifrançaise. Face à cette nouvelle réalité, la classe politique française, mais aussi les élites diplomatiques et militaires du pays, oscillent entre discours incantatoires appelant au changement et vieux réflexes paternalistes dont elles peinent à se départir.
Derrière le discours de rupture tenu par l'Etat français vis-à-vis de ses politiques passées, quel écart mesure-t-on avec ses actes ? Quelle responsabilité imputer à Paris dans l’instabilité politique et la chute de plusieurs régimes au Sahel ? Enfin, comment renouveler les relations entre la France et ses anciennes colonies, et quels bénéfices les deux parties pourraient-elles en retirer ?
Pour Thomas Borrel, la présence de grands groupes français reste déterminante : "On a bien évidemment la présence de Total pour le pétrole, mais on peut citer aussi Areva pour le Niger et le Gabon, où il y a toujours des déchets contaminés qui restent sur place. On note donc une activité économique qui est encore marquée par un maillage assez français".
Cependant, Thomas Borrel rappelle qu'il ne faut pas tout résumer au prisme économique : "Ce qu'on voit beaucoup dans la politique africaine de la France et de manière constante sur des décennies, c'est un enjeu de puissance, un enjeu de rayonnement et d'affirmation sur la scène internationale de la place que la France est supposée avoir, ou croit devoir avoir".
C'est ainsi que Francis Kpatindé revient sur la tonalité antifrançaise des récentes manifestations : "Dans ces rassemblements, ils ne s'en prennent pas aux communautés françaises travaillant et vivant en Afrique. Mais ils indexent et pointent du doigt un système politique : le système français. Je pense donc que l'Afrique est en pleine mutation, et que la France doit quitter son piédestal et se mettre à l'écoute des peuples africains."
Focus - Génocide rwandais : construire une repentance consensuelle
Le président rwandais Paul Kagame reçoit le rapport Duclert des mains de Vincent Duclert, historien français et président de la Commission sur le Rwanda, le 9 avril 2021.Le président rwandais Paul Kagame reçoit le rapport Duclert des mains de Vincent Duclert, historien français et président de la Commission sur le Rwanda, le 9 avril 2021. © AFP
Avec Mathilde Beaufils, doctorante en sciences politiques à l’Institut des sciences sociales et du politique et à l’université de Nanterre.
Pour nouer une “nouvelle relation” avec l'Afrique, la France tente de solder son passé. Au-delà de l’oppression coloniale, cette entreprise mémorielle touche aussi au rôle de Paris au Rwanda. Un sujet abordé frontalement par la commission Duclert, mandatée par l’Élysée pour établir le degré de responsabilité de l’État français dans ce génocide qui a fait au moins 800 000 morts. Entre commande politique et démarche académique, comment la commission a-t-elle louvoyé pour construire un consensus, autour d’une question qui polarise les opinions ?
Selon Mathilde Beaufils : "Le rapport a été largement salué, notamment pour son sérieux, mais aussi parce que ces conclusions ont constitué une avancée dans la reconnaissance d'une responsabilité française. Cependant, le fait de reconnaître une responsabilité sans la qualifier juridiquement a permis à un certain nombre de politiques"
Références sonores et musicales
Lors de son discours aux ambassadeurs prononcé le 28 août dernier, Emmanuel Macron rappelle la position française face au coup d’Etat nigérien. (LeHuffPost - 28 août 2023)
Lors d’un discours prononcé à Libreville en mars 2023, Emmanuel Macron déplore les intentions néo-coloniales prêtées à la France (AFP - 2 mars 2023)
Lors d’un déplacement en 2017 à Ouagadougou, Emmanuel Macron affirme qu’il “n’y a plus de politique africaine de la France” (BFTM - 28 novembre 2017)
En 2019, Emmanuel Macron annonce une réforme du franc CFA aux côtés d’Alassane Ouattara lors d’un déplacement en Côte d’Ivoire (France 24 - 22 décembre 2019)
Vincent Duclert, historien mandaté par l’Elysée pour mener l’enquête sur le rôle de la France dans le génocide au Rwanda, revient sur les conclusions de sa commission (TV5 monde - mars 2021)
Musique : Alpha Blondy - "La France à fric". Extrait de l'album "Mystique Power" (Wagram Music / Test - 2013)