Fiche du document numéro 32614

Num
32614
Date
Mercredi 28 juin 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
58009
Pages
10
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 26ème jour - Compte rendu de l’audience du 19 juin 2023
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
La septième semaine du procès de Philippe Hategekimana s’ouvre, ce lundi 19 juin à 9 heures. Cette journée sera consacrée notamment à l’audition des différents représentants des associations parties civiles. Tout d’abord, Madame Laurence Dawidowicz interviendra pour l’association Survie. Elle rappelle tout d’abord la raison d’être de l’association, à savoir « rétablir les relations entre l’Afrique francophone et la France ». Survie a été créée dans les années 1980, avant le génocide donc, et a œuvré notamment pour la réforme des institutions africaines. L’ONG s’intéresse au Rwanda à partir de 1993, au moment où les associations de protection des droits humains telles que Human Rights Watch commencent à documenter les massacres. Très rapidement, les représentants de Survie comprennent que rien ne sera fait par les autorités françaises car « le gouvernement français continuait à soutenir le gouvernement Habyarimana ». Aussi, Madame Dawidowicz explique que, durant le génocide, l’association dont elle est adhérente s’est beaucoup mobilisée pour documenter les évènements en occident. Enfin, après les massacres, Survie s’est beaucoup investie dans le plaidoyer pour la création d’un Tribunal pénal international et, par la suite, d’une Cour pénale internationale permanente. Le témoin conclut à propos des procès en France en disant : « Ce n’est pas une vengeance mais une exigence de vérité ou de justice, et pour que les enfants de victimes ne tremblent plus, pour que les enfants des tueurs sachent que ça s’arrête là. Le génocide des Tutsi est entré dans la conscience des citoyens ».

C’est ensuite Marcel Kabanda, président d’Ibuka France, qui sera invité à s’approcher de la barre. Avant de lui laisser la parole pour qu’il puisse présenter sa déclaration spontanée, le Président lui demande si Ibuka France et Ibuka Rwanda ont un lien. Monsieur Kabanda lui répondra qu’il y a des Ibuka dans plusieurs pays et que le lien qui existe entre eux est « par leur objet, la mémoire du génocide. Chaque section s’organise selon le pays et les lois du pays. Nous sommes indépendants mais nous avons le même objet et il nous arrive d’échanger et de discuter ». Il sera ensuite invité à poursuivre par une déclaration spontanée dans laquelle il explique le sens, la raison d’être de l’association. Il explique que le génocide n’a épargné personne, les massacres ont touché les hommes, les femmes, les enfants, les personnes âgées… « A la fin de ce cauchemar, il y avait des centaines de rescapés, traumatisés. Ibuka est née pour les aider et pour nous aider nous-mêmes à nous reconstituer ». Monsieur Kabanda aborde ensuite la question de la justice et explique qu’il y a plusieurs difficultés. « D’abord, les témoins, ceux qui pourraient en parler ne sont plus. Les femmes et les hommes qui ont rencontré les personnes que nous accusons ne sont plus ». Aussi, parce que les responsables du génocide ont quitté le territoire et se sont réfugiés dans plusieurs pays différents en essayant d’être le plus discret possible. « Aujourd’hui, ils ont vieilli, ils ont changé. Quand les rescapés sont mis en face, ils peuvent ne pas les reconnaître. Ils savent mieux que nous qui accuser mais notre rôle c’est d’assurer cette justice ». Le Président de la Cour prend ensuite la parole et demande au président d’Ibuka comment, considérant que le souvenir est une épreuve très difficile pour les rescapés, la Cour doit analyser leurs témoignages et apprécier leurs déclarations. Le témoin lui répond en disant que « les rescapés ont souffert, mais ils se souviennent ». Il confirme qu’il y a effectivement de grandes difficultés, à cause du temps écoulé, à se rappeler de certains détails, mais « quand on parle des morts, du meurtre de son père, on ne ment pas ». Il faut analyser les témoignages en les comparant entre eux. Monsieur Lavergne poursuit en lui demandant si, finalement, « ce qui importe ce ne sont pas les détails parce que ça peut être compliqué, mais c’est de voir s’il y a une cohérence ? ». Monsieur Kabanda confirme. Ni les avocats des parties civiles ni le Ministère public ne souhaiteront prendre la parole et Maître Guedj sera donc invité à se lever pour la défense. Il demandera d'emblée s’il y a des liens entre Ibuka et Hélène Dumas. Le témoin lui dira qu’elle travaille effectivement sur des sujets de recherche au Rwanda et sur l’archivage des documents d’Ibuka mais que, pour autant, il n’y a pas de lien et que c’est davantage une coopération. Les questions continuent et, face à la mauvaise foi de l’avocat de la défense, Maître Rachel Lindon, l’avocate d’Ibuka, se lève et s’adresse à son confrère, lui reprochant de ne pas poser des questions honnêtes et de tirer des conclusions. Le Président interfère et déclare que, de son côté, il n’a pas compris « qu’il y ait des liens d’ordre juridique entre les différents Ibuka ». Monsieur Kabanda confirme, encore une fois, que les deux organisations « partagent l’objectif de la mémoire du génocide des Tutsi », sans avoir de lien juridique. Ibuka France ne dépend pas d’Ibuka Rwanda. L’avocat de Monsieur Manier poursuit et demande si l’association que représente le témoin est « une association politique ». Ce dernier lui répond que, comme beaucoup d’associations d’intérêt général, Ibuka peut être amenée à communiquer avec des personnes politiques : « Nous ne sommes pas politique, mais nous nous adressons à la politique ». Continuant sur sa lancée, Maître Guedj demande à l’intéressé d’où proviennent les apports financiers de son organisation, « du gouvernement rwandais ? ». Monsieur Kabanda explique que les ressources sont diverses, « les bénévoles, […] les subventions des collectivités territoriales, par exemple la mairie de Paris, […]. Pour l’Etat français, il est arrivé qu’il vienne à notre secours parce que nous nous sommes trouvés dans la difficulté, sans local, sans rien ». L’avocat poursuit ses questions sur les financements et change de sujet. Ce contre-interrogatoire est assez laborieux, Maître Guedj ne semblant pas comprendre la raison d’être de l’association et paraissant confondre Ibuka et le CPCR. En effet, il déclare : « Votre association recueille la parole des victimes du génocide. Il vous est arrivé de rencontrer ces témoins en prison ? […] Vous n’avez jamais été confronté à des problèmes de détenu dans une instruction ? […] Les personnes que vous avez rencontrées, elles étaient libres ? ». Monsieur Kabanda lui explique qu’il ne comprend pas de quoi il parle, Ibuka « recueille la parole des victimes de génocide », ces derniers n’ont aucune raison particulière d’être emprisonnés. Maître Guedj continue de tirer un fil que personne ne comprend. Il cite des rapports que les professeurs Reyntjens et Guichaoua ont soumis au TPIR et dans lesquels ils évoquent les témoignages construits de toute pièce. Le président d’Ibuka lui répond : « Vous pensez honnêtement que l’on peut mettre dans la tête d’une femme de dire qu’elle a été violée ? Vous pensez que ceux qui se trouvaient sur cette colline ont menti ? Je suis moi-même victime, ma famille a disparu, vous pensez que j’ai envie de mentir ? Je mets au défi le professeur que vous citez de venir convaincre la Cour que les témoins ont été contraints de témoigner. Ils n’ont pas été contraints de porter plainte. Quand on a perdu sa famille, c’est un manque de respect pour les rescapés ». Après quelques questions supplémentaires, Maître Lindon intervient de nouveau pour souligner la mauvaise foi du conseil de Monsieur Hategekimana. Monsieur Kabanda ajoute, à propos de la crédibilité des témoignages et de la préparation des témoins, que dans tous les cas, « c’est à la Cour d’apprécier. C’est l’analyse de ce que l’on dit par les juges et les jurés ». Maître Guedj lui répond en disant : « Donc c’est à la Cour d’apprécier un dossier que vous apportez ? Vous connaissez le délit de dénonciation calomnieuse ? C’est le fait de porter consciemment des faits délictueux quand ils ne le sont pas. Cela peut faire l’objet de mesures ». Le Président intervient en demandant à l’avocat s’il est en train de prononcer des accusations à l’encontre du témoin, puis il se tourne vers Monsieur Kabanda et lui demande s’il a déposé plainte. Ce dernier répondra par la négative en rappelant qu’Ibuka s’est constitué partie civile pendant l’instruction, la plainte avait déjà été déposée depuis un certain temps et une information judiciaire a été ouverte. L’audition s’arrête sur ce point.

Le troisième témoin de la journée, Monsieur Alain Gauthier, est finalement invité à s’approcher de la barre. Après avoir posé les questions prévues par la procédure, le Président rappellera que l’association représentée par le témoin, le CPCR, a déposé plainte et est maintenant constituée partie civile. Monsieur Gauthier est ensuite invité à faire des déclarations spontanées. Il rappelle que l’association a été créée en 2001 et qu’elle « a pour but de poursuivre les personnes suspectées d’avoir participé au génocide des Tutsi ». Il commence sa déposition en remontant assez loin. Il parle de son lycée, puis de son premier voyage au Rwanda, en 1968, afin de faire son service militaire. Il est envoyé à Butare, auprès de Monseigneur Gahamanyi. Il parle donc de cette expérience. Il évoque ensuite sa rencontre avec Dafroza, qui deviendra sa femme et avec laquelle il aura trois enfants. Pendant les premières années, ils se rendent fréquemment au Rwanda, jusqu’au dernier voyage familial en 1989. En effet, après cela, les attaques du FPR rendent les visites difficiles. En janvier 1993, Jean Carbonare prend la parole au journal télévisé. C’est l’élément déclencheur du premier engagement de Monsieur Gauthier et de sa femme. Un an après, en février 1994, Dafroza Gauthier part rendre visite à sa mère à Kigali. Très rapidement après son arrivée, cette dernière « lui dit de rentrer en France et dit “on ne se reverra probablement jamais” ». Le Président du CPCR poursuit ses déclarations en exposant le déroulé du génocide et notamment les pertes au sein de sa belle-famille. Il explique ensuite comment les activités du Collectif ont commencé. Ainsi, quelques années après le dépôt d'une plainte contre l’abbé Munyeshyaka, un premier procès s’ouvre à Bruxelles, celui des « Quatre de Butare ». C’est à cette occasion que les époux Gauthier décident de créer le CPCR et de se constituer partie civile dans six dossiers dont l’instruction était alors endormie. L’intéressé explique alors le fonctionnement du Collectif. « Nous nous rendons souvent au Rwanda. […] Nous rencontrons des prisonniers en détention ou qui ont été libérés ». En 2012, le Pôle crimes contre l’humanité est créé au sein du Parquet national antiterroriste de Paris. Enfin, Monsieur Gauthier explique qu’en 2013, il reçoit une lettre anonyme dénonçant Monsieur Philippe Hategekimana, travaillant à l’Université de Rennes II. Il donne lecture de ce document.

Finalement, Monsieur Eric Gillet doit être entendu en visioconférence. Le Président Lavergne décide donc de reporter l’interrogatoire de Monsieur Gauthier et d’entendre la quatrième personne de la journée. Monsieur Gillet souhaite donc commencer sa déposition par une déclaration spontanée. Il se rend au Rwanda pour la première fois en 1991, « à la demande d’un comité de défense des droits de l’Homme de parties civiles. A la suite d’une attaque réalisée par le FPR, de nombreuses personnes avaient en effet été emprisonnées à tort. J’ai donc été avocat pour des journalistes qui avaient été emprisonnés ». Par la suite, il se rend dans le pays des mille collines avec la Fédération internationale des droits de l’Homme afin d’enquêter sur les massacres ayant « lieu dans le Nord du pays à l’encontre de Tutsi ». Un rapport est publié en 1993, « il décrit déjà ce qui sera le mode opératoire du génocide ». A la suite de cela, différents engagements sont pris par le gouvernement rwandais et, finalement, en octobre 1993, « un mouvement pour le multipartisme s’organise ». Des discussions débutent donc à Arusha afin de conclure des accords. Monsieur Gillet explique qu’en janvier 1994, « un haut gradé des Interahamwe prend contact avec la MINUAR en disant “moi je veux bien fonctionner dans le cadre de l’autodéfense civile contre le FPR, mais je me rends compte que ce n’est pas de ça dont il s’agit et que je suis pris dans une machine. C’est un génocide qui est en train de se dérouler” ». Le 7 avril, premier jour du génocide, des soldats belges de la mission onusienne sont assassinés. Le gouvernement de Bruxelles décide de retirer ses forces. Outre une absence de volonté politique, cette diminution du contingent sera un des éléments empêchant la MINUAR d’intervenir pendant les massacres. Finalement, l’ancien avocat conclu en disant : « Il ne s’agit pas seulement de massacres de grande ampleur mais d'un crime avec un objet précis : tuer les Tutsi et détruire tout ce qui pouvait rappeler un souvenir des Tutsi ». Le Président prend la parole et pose différentes questions à l’intéressé sur les travaux d’enquête et de recherche qu’il a pu mener au Rwanda, avant et après le génocide, notamment sur les crimes commis par le FPR. Monsieur Gillet confirme cependant que ces massacres, perpétrés spontanément par des éléments de l’APR, ne sont fondamentalement pas de la même nature que « les massacres sur une population civile pour son origine », le génocide. L’avocat est ensuite interrogé sur «  les accusations miroir », à savoir accuser les Tutsi de commettre des crimes pour justifier ses propres exactions. Il répond qu’effectivement, ce discours était une stratégie pour légitimer, mettre en place et répandre l’idéologie génocidaire. « Pendant cette période pré-génocidaire, on disait que les maisons qui brûlaient c’était les Tutsi. Les Rwandais ont repris une systématisation de cette technique qui avait été utilisée par les Nazis. […] Ils disaient : “Nous n’avons fait qu’un génocide préventif, parce que le FPR prévoyait un génocide contre les Hutu” ». Pour les parties civiles, seule Maître Aublé posera une question au témoin, portant sur l’instrumentalisation de la parole des rescapés. Monsieur Gillet répondra : « Je n’ai jamais été mis en difficulté par des témoins qui mentaient, il faut confronter les témoignages ». Les représentantes du Parquet prendront la suite et poseront plusieurs questions au témoin. Enfin, Maître Guedj se lève pour la défense. Il évoque le fait que le témoin a participé à une commission sur l’étude des conditions carcérales au Rwanda, en ne précisant pas tout de suite, sciemment ou non, que le rapport de ce groupe d’étude a été publié en août 1991. L’intéressé rappelle également que s’il a bien été amené à se rendre dans les prisons rwandaises, il « n’a jamais enquêté sur les conditions de détention ». Maître Guedj poursuit ses questions sur les conditions carcérales, mélangeant manifestement beaucoup de choses. Finalement, il terminera son interrogatoire en demandant à Monsieur Gillet si, ayant été avocat de parties civiles lors des procès en Belgique, il est possible de croire en l’objectivité de ses propos ?. L’avocat honoraire lui dira qu’il peut penser ce qu’il souhaite. La matinée se termine ainsi et le Président suspend les audiences pour une pause méridienne.

Lorsque les audiences reprennent, Monsieur Lavergne procède à l’interrogatoire de Monsieur Gauthier. Il ne posera qu’une seule question. Ni les avocats des parties civiles ni les représentantes du Parquet ne souhaiteront prendre la parole. Maître Altit entamera alors une longue liste de questions. Il reviendra dans un premier temps sur la lettre de dénonciation anonyme reçue par le CPCR et étant à l’origine de l’intérêt de l’association pour Monsieur Hategekimana. Sur ce point, il demande à Monsieur Gauthier, s’il n’est pas « dangereux » de poursuivre des gens à cause de dénonciations de cette nature. L’intéressé lui répond que non, « pas plus que quand on découvre une personne par d’autres moyens. Nous nous déplaçons rapidement sur les lieux des massacres au Rwanda, nous recueillons les témoignages. Une fois qu’on a ces témoignages, on essaye de les regrouper, puis ils nous servent à rédiger la plainte. Nous n’avons pas trop de raisons de douter. Cela nous est arrivé de rejeter des témoignages peu crédibles ». L’avocat de l’accusé poursuit son idée et lui demande s’il n’a pas peur d’être « manipulé » et que ces dénonciations soient « écrites par des représentants des services du Rwanda ». Le président du CPCR lui répond qu’« en quatorze ans de travail et d’expérience, toutes nos plaintes ont été suivies par un juge d’instruction. Je ne comprends pas votre question sur l’accès du dossier ». Maître Altit décide finalement de tourner cette page et interroge le témoin sur l’article sorti dans le journal Libération, quelques jours plus tôt, à propos de Jean-Marie Vianney Munsi, venu témoigner devant la Cour d’assises et présenté par le périodique comme « soupçonné d’avoir organisé l’extermination de 2 000 Tutsi dans une église en 1994 ». Il lui demande notamment si ce dernier a parlé avec les journalistes et leur a donné des informations après la première audition de ce témoin. On comprend que le conseil de la défense sous-entend ici que Monsieur Gauthier a parlé à la presse afin de dissuader le témoin de revenir déposer devant la Cour d’assises. Par la suite, tout comme pour Marcel Kabanda le matin, l’avocat de Monsieur Manier demandera à l’intéressé quel est le budget annuel de son association et quels frais sont pris en charge par cette dernière. Le président du CPCR lui donnera quelques détails. Enfin, le conseil de Monsieur Manier évoquera les recueils de témoignages réalisés par les époux Gauthier lors de leurs voyages au Rwanda et notamment leurs visites dans les prisons afin d’interroger les témoins détenus pour des faits de génocide. Il fait cela sur autorisation du Parquet du Rwanda « au titre de président du CPCR ». Toujours sur interrogation de la défense, Monsieur Gauthier confirme qu’il a obtenu la nationalité rwandaise, que son épouse a des liens avec des membres du gouvernement, qu’il a reçu une décoration, à la fois par le Président Kagamé et le maire de la ville de Reims…

Ce long contre-interrogatoire se termine finalement et c’est l’épouse de Monsieur Gauthier, Madame Dafroza Gauthier, qui s’approchera de la barre. Elle expliquera son histoire, l’histoire de sa famille qui est aussi celle de tous les Tutsi du Rwanda. Les premières persécutions en 1959, puis en 1963 et en 1973. Elle poursuivra en expliquant comment, après sa fuite en 1973, elle a construit sa vie en France. En février 1994, elle fait un ultime voyage, seule, pour aller visiter sa mère habitant à Kigali. Les tensions sont déjà très présentes dans la capitale. Elle avancera son départ sur conseil de sa famille. Après avoir appelé les membres de sa famille élargie pour leur intimer de fuir le pays, elle rentre en France. Lorsque l’avion de Juvénal Habyarimana s’écrase, le 6 avril 1994, les mauvaises nouvelles ne se font pas attendre. Quelques jours plus tard, elle apprend le meurtre de sa mère. Madame Gauthier expliquera à la Cour les conditions de décès des différents membres de sa famille, proche et élargie. Finalement, elle montrera plusieurs photographies de certains d’entre eux. Aucune question ne lui sera posée.

L’après-midi continue par l’audition, toujours en présentiel, de Monsieur Ignace Munyemanzi, témoin de personnalité cité par la défense. Lorsque le Président l’invite à faire une déclaration spontanée, il expliquera simplement avoir accepté de témoigner pour Monsieur Hategekimana pour trois raisons : sa qualité d’enquêteur pour la défense devant le TPIR, sa position de témoin de l’histoire tragique du Rwanda et le fait qu’il connaisse l’accusé depuis 1999, ce qui lui a permis d’apprécier son humanité. Quand le Président lui demande ce que ses missions d’enquêteur au Tribunal d’Arusha peuvent apporter en l’espèce, il déclare que, dans ces procès, il a pu observer que, « c’est humain, l’émotion prend et dans notre logique, portée par la souffrance des victimes, on a tendance à chercher rapidement la personne accusée ». Il met ainsi en garde le jury en lui disant de ne pas juger sous l’émotion. Toujours sur question du Président, il explique qu’il est ingénieur agronome de formation et qu’il a pu travailler sur différents projets au Rwanda. Quand le génocide commence, il est domicilié à Kigali. Il parvient à fuir très rapidement la capitale, en compagnie de sa femme et de ses trois enfants, pour se rendre dans sa région d’origine, à Cyangugu. Lors de ce voyage, il déclarera n’avoir aucune difficulté à passer les barrières. Selon lui, cela est possible car le véhicule qui le transporte a une immatriculation d’expatrié et parce qu’il y a des enfants dans la voiture, permettant donc de gagner la sympathie des personnes tenant les barrages. Quand le Président lui demande s’il voit des cadavres, il répondra : « C’était le 12 avril 1994, donc pas partout, on ne les voyait pas tout le temps ». Par la suite, il restera à Cyangugu jusqu’au mois de juillet, avant de fuir au Zaïre. Interrogé par Monsieur Lavergne, il nie avoir eu besoin de faux papiers pour pouvoir se rendre et rester au Congo. Aussi, ce dernier s’étonne fortement des déclarations du témoin. Il confirme être resté trois mois à Cyangugu, mais pourtant il ne dit pas un mot à propos de cette période. En réalité cela semble très flou, Monsieur Munyemanzi ne paraît pas vouloir donner plus de détails sur ses activités durant cette période. Le Président en profite pour faire savoir à ce dernier que, dans le fax anonyme envoyé pour dénoncer Philippe Hategekimana, son nom apparaît également, l’auteur de la lettre soutenant que ce dernier, tant dans son quartier de Kigali que, plus tard lorsqu’il part à Cyangugu, « contrôlait les barrières avec des milices originaires de Cyangugu », tuait et pillait dans son quartier. Ce dernier dit qu’il a fait l’objet de menaces de cette nature lorsqu’il était enquêteur pour des équipes de défense à Arusha, mais déclare ne pas être au courant de telles déclarations en France. Quelques questions supplémentaires sont posées par la Cour, puis la parole est laissée aux avocats des parties civiles. Maître Epoma lui demande pourquoi, après que ce dernier ait dit ne pas être persécuté au Rwanda, il a sollicité l’asile en France. En effet, une des conditions de l’octroi d’une protection internationale est l’existence de craintes de persécution en cas de retour dans le pays d’origine. Monsieur Munyemanzi ne souhaitera pas répondre à cette question. L’avocat posera diverses questions sur le parcours du témoin afin de comprendre les raisons de cette demande d’asile, sans parvenir à ses fins. Maître Karongozi prend la suite et interroge l’intéressé. Cependant, il sera assez rapidement coupé par le Président qui lui reprochera le manque de pertinence de ses questions. C’est ensuite Maître Quinquis, conseil de la LICRA, qui s’avancera vers le micro. Il demandera à Monsieur Munyemanzi si l’association dont il faisait partie avec Philippe Manier a déjà, en tant qu’organisation rwandaise, organisé des commémorations, comme c’est fréquemment le cas en France et à travers le monde. Ce dernier lui répondra que, « nous à Rennes, on avait dit que chacun faisait la commémoration dans son cœur et avec ses proches. Nous, à notre niveau, on a dit que ce n’était pas une action politique mais mémorielle et que chacun devait le faire dans son intimité mais on n’a jamais empêché les gens de le faire. On laissait chacun son libre arbitre ». L’avocat lui demande ensuite si, à sa connaissance, l’accusé a déjà participé à des cérémonies commémoratives, ce à quoi il répond qu’il n’en sait rien car ils n’en discutaient pas : « On ne voulait créer de tensions inutiles donc on n’en parlait pas. Moi, ma position c’était qu’on n’en parle pas ». Après quelques questions supplémentaires de Maître Tapi, les avocates générales prennent la suite. Ces dernières rappellent que, lors de son audition par les gendarmes français, il a déclaré : « J’ai été contacté il y a quelques semaines par l’épouse de Philippe Hategekimana qui m’a demandé des coordonnées téléphoniques en disant que je serai contacté par son avocat ». Elles lui demandent donc des explications sur cette prise de contact. Il explique qu’il s’est toujours porté volontaire pour aider l’accusé et que c’est pour cela qu’il a accepté de donner ses coordonnées. Finalement, Maître Duque prendra la parole pour la défense. Elle lui posera différentes questions sur son association, lui demandant notamment si « les Tutsi étaient aussi les bienvenus », ce qu’il confirmera. Elle revient aussi sur la lettre de dénonciation, sous-entendant que cette dernière aurait pu être écrite par un ancien membre de l’association qui avait détourné des fonds et avait été condamné devant les juridictions civiles à payer des dommages et intérêts. Monsieur Munyemanzi dit que « c’est possible mais je ne suis pas sûr », confirmant tout de même que cette personne en voulait à Monsieur Hategekimana et aux autres membres de l’association de façon plus générale. Enfin, elle lui demande si, lors de son expérience d’enquêteur au TPIR, il a pu auditionner des témoins détenus et s’il considère que les conditions sont optimales pour entendre des témoins incarcérés au Rwanda. Il déclare que « ça doit être compliqué ». Son audition se termine sur ces propos. Après la lecture de pièces présentes au dossier, les audiences se terminent.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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