Ils sont placés au centre d’un échiquier judiciaire et diplomatique. Sept Rwandais ayant comparu devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), une juridiction créée en 1995 par l’ONU à Arusha (Tanzanie) afin de juger les hauts responsables du génocide des Tutsi, vivent actuellement au Niger sous la menace d’une expulsion. Bien qu’ils soient aujourd’hui affranchis de toute poursuite par la justice onusienne, leur lourd passé les rend indésirables.
Protais Zigiranyirazo (frère de l’ancienne première dame Agathe Habyarimana et considéré comme une figure du régime extrémiste hutu), François-Xavier Nzuwonemeye (ancien commandant d’une unité d’élite), Alphonse Nteziryayo (ex-préfet), André Ntageruda (ministre des transports en 1994) ont été acquittés en appel par le TPIR. Quant à Prosper Mugiraneza (ministre de la fonction publique pendant le génocide), Anatole Nsengiyumva (ancien patron du renseignement militaire) et Innocent Sagahutu (ex-capitaine de l’armée rwandaise), ils ont fini de purger leur peine.
Arrêté au Danemark en février 2000, ce dernier avait été condamné à quinze ans de prison pour avoir
« aidé et encouragé » au meurtre d’au moins deux casques bleus belges, au début des massacres qui ont fait près d’un million de morts entre avril et juillet 1994. Après avoir obtenu sa libération anticipée en 2017, l’ancien capitaine a tenté de rejoindre le Burundi, mais il n’a pas pu quitter le territoire tanzanien faute de documents officiels. Il est donc retourné à Arusha où il a cohabité avec d’autres Rwandais dans une résidence perchée sur les hauteurs de Themi Hill, un quartier chic de la ville. Certains y ont vécu plus de dix ans.
Logés, nourris et blanchis, ils coûtaient 1 200 euros par personne et par mois aux Nations unies. Le 25 juin 2020, le Conseil de sécurité de l’ONU a finalement adopté une résolution indiquant qu’il importait
« de trouver des solutions rapides et durables à la question de leur réinstallation ». Un engagement en ce sens a été trouvé avec le Niger en novembre 2021. Dans cet accord, l’article 5 précisait que les autorités nigériennes devaient s’engager à leur offrir
« sans exiger de paiement, le statut de résident permanent et leur délivrer des pièces d’identité dans les trois mois suivant leur entrée sur le territoire ».
« Pas du menu fretin »
A Niamey, les Rwandais, âgés aujourd’hui entre 61 et 85 ans, sont placés en résidence surveillée. Leur destin bascule une nouvelle fois le 27 décembre 2021, lorsqu’un arrêté signé du ministre nigérien de l’intérieur annonce que les anciens accusés du TPIR doivent être
« définitivement expulsés du territoire du Niger avec interdiction permanente de séjour pour des raisons diplomatiques ». Bien qu’ils n’aient aucun document de voyage, une semaine leur est donnée pour quitter le pays.
« Le Mécanisme chargé des fonctions résiduelles du tribunal d’Arusha ne nous a pas dit la vérité avant leur arrivée. Il nous avait été signalé que le Rwanda était d’accord pour ce transfert mais un mois plus tard, quand l’accord a été publié, ce n’était pas le cas. Jusqu’ici, on attend qu’on leur trouve un point de chute, ce qui n’est pas simple. Ces gens sont des responsables du génocide, pas du menu fretin », justifie Hassoumi Massaoudou, le chef de la diplomatie nigérienne.
« Le gouvernement ne les a pas expulsés mais ils continuent de vivre en prison puisqu’ils sont en permanence sous contrôle policier, dénonce Kadidiatou Hamadou, leur avocate.
Ils vivent dans une grande maison assiégée, n’ont pas le droit de sortir. Ces hommes sont âgés et la plupart souffrent de diabète, d’hypertension artérielle… La semaine dernière, Tharcisse Muvunyi [un ancien lieutenant-colonel de l’armée rwandaise, condamné à quinze ans de prison en 2010 et qui faisait partie du groupe]
a été retrouvé mort dans sa salle de bains. Il est décédé loin des siens. »
Leur famille vit majoritairement en Europe (Belgique, Grande-Bretagne et France) mais l’Union européenne refuse de les accueillir. Protais Zigiranyirazo s’est ainsi vu refuser son visa en 2012 au motif qu’il présentait
« une menace à l’ordre public ».
Crainte de représailles au Rwanda
Leur trouver une nouvelle terre d’asile est devenu un véritable casse-tête.
« Cette situation risque de les transformer en apatride alors que le Niger s’est engagé à ne pas les extrader », s’inquiète Kadidiatou Hamadou. Du côté des autorités nigériennes, on rétorque que ces personnalités demeurent sous la responsabilité du Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles du TPIR, dans l’attente que leur soit trouvée une nouvelle terre d’accueil.
Le seul pays à s’être proposé n’est autre que… le Rwanda.
« Il ne sert à rien d’avoir été acquitté ou d’avoir purgé sa peine si c’est pour ensuite être condamné à ne pas avoir un endroit où s’installer, assure Marcel Kabanda, président d’Ibuka France, principale association de rescapés du génocide des Tutsi.
Ce retour sera psychologiquement difficile à cause des crimes monstrueux qu’ils y ont commis, mais ce serait pour eux la seule façon de rentrer dans la communauté des Rwandais, de renaître définitivement dans l’histoire. S’ils en faisaient clairement la demande, l’ONU, qui a failli au moment du génocide, devrait faciliter leur réinsertion. Leur situation est un appel au retour à la maison, à venir participer à la reconstruction d’un pays qu’ils ont contribué à détruire. »
Mais ces anciens dignitaires craignent des représailles dans leur pays. Beaucoup, parmi les acquittés, ont peur de devoir être rejugés par un tribunal de Kigali.
« Le Rwanda est loin d’être un modèle en matière de libertés fondamentales et de droits humains, signale leur conseil.
Pourtant, ces Rwandais ont payé leur dette à la société. »
Les autorités rwandaises ainsi que le Mécanisme international, la structure onusienne chargée d’achever les travaux du TPIR, n’ont pas souhaité répondre aux sollicitations du
Monde.