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Sur les affiches appelant à l’arrestation des fugitifs rwandais inculpés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le portrait de Fulgence Kayishema peut désormais être marqué d’une croix. Les vingt-deux ans de cavale de cet ancien policier ont pris fin mercredi 24 mai, dans une exploitation viticole proche de Paarl, à une soixantaine de kilomètres du Cap, en Afrique du Sud. Le Rwandais habitait dans une maisonnette sous le faux nom de Donatien Nibashumba et possédait un faux passeport burundais. Vendredi, deux jours après son interpellation, Fulgence Kayishema, qui a reconnu sa véritable identité, a comparu devant un tribunal du Cap.
Depuis 2001, Fulgence Kayishema est recherché pour génocide et crimes contre l’humanité par le TPIR. Il est soupçonné d’avoir participé à l’attaque contre l’église de Nyange, dans le sud-ouest du Rwanda en plein génocide, en avril 1994. Selon l’acte d’accusation, le policier, alors âgé de 32 ans, aurait épaulé les gendarmes et miliciens interahamwes venus « en finir ». Il aurait fourni de l’essence pour incendier l’église où s’étaient réfugiés près de 2 000 tutsis, puis aider à déplacer les cadavres dans des fosses communes. Début avril 1994, la petite ville de Kivumu comptait 6 000 Tutsis pour 50 000 Hutus. Trois mois plus tard, pas un seul Tutsi n’avait survécu.
Le procureur du mécanisme chargé de la traque des derniers fugitifs inculpés par le TPIR, Serge Brammertz, a dédié cette arrestation à la « mémoire des victimes et des survivants du génocide contre les Tutsis au Rwanda en 1994 » et il a salué « la coopération de l’Afrique du Sud ». Pendant des années, Serge Brammertz avait dénoncé l’absence de coopération des autorités de Pretoria. Mais tout a changé il y a un an.
Au printemps 2022, Serge Brammertz rencontre les autorités. Le président Cyril Ramaphosa ordonne alors la mise sur pied d’une équipe spéciale. Formée d’une vingtaine d’enquêteurs, elle travaille main dans la main avec la « tracking team » du Mécanisme de l’ONU. Les équipes identifient les membres de la famille, analysent les déplacements des proches et les mouvements financiers.
« Nous sommes parvenus à reconstituer tout son parcours, depuis qu’il a quitté le Rwanda », explique le procureur Serge Brammertz, joint par téléphone par Le Monde. En 1994, Fulgence Kayishema fuit d’abord en République démocratique du Congo (RDC), puis dans un camp de réfugiés en Tanzanie, avant de rejoindre le Mozambique, le Swaziland, le Kenya, et enfin l’Afrique du Sud. Il possédait plusieurs faux passeports, un du Malawi, deux du Burundi et un d’Eswatini
(ex-Swaziland).
Une nouvelle victoire
Pour comprendre le revirement de l’Afrique du Sud, il faut sans doute revenir à 2012. A l’époque, les juges du TPIR décident de se dessaisir et de renvoyer l’affaire Kayishema à la justice rwandaise. Avec ce renvoi, un nouveau mandat d’arrêt est émis, qui précise que l’accusé devra être extradé vers le Rwanda en cas d’arrestation. Or l’Afrique du Sud refuse d’extrader qui que ce soit vers le Rwanda. Est-ce pour cela que Pretoria a refusé de coopérer avec le TPIR pendant plusieurs années ? Récemment, à la demande du procureur, les juges ont émis un nouveau mandat d’arrêt prévoyant le transfèrement de M. Kayishema au Mécanisme de l’ONU (TPIR) à Arusha, en Tanzanie. De là, il pourrait être ensuite remis à Kigali.
Cette arrestation est une nouvelle victoire pour la « tracking team ». Depuis 2020, cinq accusés ont été retrouvés, trois morts et deux vivants. Il reste trois fugitifs. « Nous avons de fortes raisons de croire qu’ils ne sont probablement plus en vie, mais nous continuons de travailler », dit Serge Brammertz.