Fiche du document numéro 32428

Num
32428
Date
Jeudi 25 mai 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
39104
Pages
6
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Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 9ème jour - Compte rendu de l’audience du 24 mai 2023
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Type
Page web
Langue
FR
Citation
Ce mercredi 24 mai, l’audience s’ouvre à 9h. Le Président ouvre l’audience en notifiant aux parties le départ d’une des jurés. Il ne reste plus qu’un seul juré complémentaire. Monsieur Lavergne fait part de son inquiétude et fait savoir à la Cour qu’il a longuement discuté avec la personne concernée la veille après les audiences, ne parvenant cependant pas à lui faire changer d’avis, cette dernière soutenant ne plus être apte à suivre les audiences. La situation est particulièrement inquiétante. Premièrement car la jurée était celle qui semblait le plus investie dans le procès, posant souvent des questions. Deuxièmement car s’il ne reste plus suffisamment de jurés pour constituer un jury de 6 personnes, le procès devra être ajourné.

Le premier témoin, Damascène Bukuba est entendu en visioconférence depuis Kigali. Ce dernier ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée. Le Président commence donc son interrogatoire. Monsieur Bukuba explique comment le génocide a commencé dans le secteur de Rwesero. Il déclare que les barrières ont été mises en place sur décision des autorités locales, notamment le conseiller de secteur et en collaboration avec les gendarmes et « cet adjoint ». Il poursuit en confirmant connaître l’accusé, du fait de son statut de « militaire ». Il dit également que ce dernier se rendait souvent sur cette barrière [la barrière de Bugaba] pour discuter avec le conseiller, responsable du barrage. Pour autant, Monsieur Bukuba n’a jamais eu l’occasion de parler avec lui. Les questions se poursuivent et le témoin déclare que les barrières servaient à « arrêter les Tutsi qui passaient par là ». Cependant, il n’a « jamais entendu les autorités dire qu’il fallait tuer les Tutsi ». Il confirme également qu’il n’y avait qu’une seule personne dénommée « Biguma » et dit n’avoir jamais entendu le nom de Philippe Hategekimana. Le Président listera ensuite plusieurs noms afin de demander au témoin s’il connaît ces personnes. Il ne donnera pas d’informations claires, disant parfois qu’il a entendu ces noms. Les parties civiles ne souhaiteront pas poser de questions. Le Ministère public reviendra sur les auditions précédentes de Monsieur Bukuba afin de lui demander quelques éclaircissements. Le témoin ne répondra pas très clairement, il ne se souvient plus de beaucoup d’éléments. Il sera seulement affirmatif au moment où l’avocate générale lui demandera s’il est possible qu’il ait confondu Biguma avec une autre personne à la barrière. Ce dernier répondra, « non c’est lui ». Maître Guedj prendra ensuite la parole pour la défense. Il demandera à l’intéressé quel était son rôle à la barrière, celui-ci dira simplement qu’« il y avait beaucoup de gens, je n’étais pas un meneur. Je m’asseyais à la barrière et quand l’heure arrivait je rentrais chez moi ».

Finalement, l’audition se termine. Le Président fait entrer le second témoin de la matinée, Monsieur Lameck Nizeyimana. Comme les autres avant lui, il ne fera pas de déclaration spontanée. Ce dernier déclarera avoir été présent à différentes réunions politiques, notamment au stade de Nyanza. Il ajoutera cependant que plusieurs réunions se sont tenues dans les « ménages », peu avant le génocide. Monsieur Nizeyimana soutiendra également à la Cour que « si la gendarmerie et ses dirigeants ne s’étaient pas montrés actifs pour soutenir les Hutu, les Tutsi n’auraient pas été tués chez eux. […] C’est au départ le capitaine Birikunzira et l’adjudant-chef qui nous ont incité à tuer les Tutsi. Ce sont eux qui ont donné le premier exemple de comment on tue ». Après quelques questions concernant le discours du Président Sindikubwabo à Butare, entraînant le début du génocide dans cette préfecture, le témoin est interrogé sur sa présence aux autres barrières. Il dira ne s’être jamais rendu sur d’autres barrières mais avoir bien observé qu’il en existait lorsqu’il se déplaçait. Le Président cite plusieurs lieux et demande au témoin s’il a pu constater la présence de barrages. Ce dernier confirmera à chaque fois. Monsieur Lavergne demande ensuite à l’intéressé s’il a pu voir l’accusé à la barrière dite des « Burundais ». Il dit que, n’ayant pas de papier d’identité, il est allé voir le conseiller de secteur pour avoir une attestation d’identité et qu’à ce moment, il a pu voir « Biguma à cette barrière et avec des Tutsi, dire d’aller les tuer dans un café qui était à côté. […] Il a ordonné aux gendarmes de les tuer par balles. […] Ces faits ont eu lieu dans un champs d’avocatiers appartenant aux gendarmes, situé tout près de la barrière des Burundais ». Interrogé ensuite sur le véhicule utilisé par Monsieur Hategekimana pendant le génocide, il confirme, comme beaucoup d’autres personnes, que c’est un « Toyota Stout rouge ». Le Président poursuit son interrogatoire et demande au témoin de présenter à la Cour les faits qui se sont déroulés au stade de Nyanza et dans une forêt. Ce dernier évoque notamment les viols de plusieurs femmes. Par la suite, quand Monsieur Lavergne lui demande quand il a vu Biguma, ce dernier déclare : « Je l’ai vu le 23 avril jusqu’au moment où on a fui », confirmant directement après l’avoir vu jusqu’au 30 mai [il s’avère que c’est impossible car on sait que Monsieur Hategekimana a été muté à Kigali au cours de la seconde quinzaine de mai. Si la date exacte n’est pas avérée, son départ à cette période est confirmé]. Enfin, le témoin évoque une réunion autour du 15 mai, à laquelle Birikunzira et Biguma étaient présents. Lors de ce rassemblement, Birikunzira aurait pris la parole pour faire un proverbe. Il a dit que « quand un serpent s’est enroulé autour d’une calebasse, on doit casser les deux ». Le Président termine son interrogatoire et, au regard de l’heure, demande aux parties si elles ont beaucoup de questions. Les parties civiles et le Ministère public répondent par la négative, mais Maître Guedj confirme qu’il aura besoin d’une heure minimum. Monsieur Lavergne décide donc d’interrompre l’interrogatoire et de convoquer le témoin une nouvelle fois plus tard.

L’après-midi commence par l’audition de Monsieur Alfred Habimana. Ce témoin, cité par la Ministère public, a fait partie des assaillants de la barrière de l’Akazu K’amazi. Ne souhaitant pas faire de déclaration spontanée, il sera directement interrogé par le Président. Sur les premières questions concernant sa situation en 1994, Monsieur Habimana expliquera qu’il était agriculteur mais qu’au moment où les barrières ont été installées dans sa région, il a été obligé de s’y rendre. Il précise également que sa mémoire n’est plus bonne à cause d’un coup qu’il a reçu sur la tête lorsqu’il était réfugié à Kibeho. Il poursuit en expliquant que « les gendarmes sont arrivés, ils étaient dans un groupe qui comprenait entre autres ce gendarme dont nous sommes en train de parler et ce sont eux qui nous ont demandé d’aller à la barrière. […] Nous autres nous ignorions comment les choses se déroulaient. Ils nous ont dit à ce moment-là que les gens étaient exterminés, que nous, nous étions tranquilles et qu’il fallait aller à la barrière. […] Ils nous disaient que si nous n’y allions pas, on allait mourir ». Le Président continue son interrogatoire et Monsieur Habimana explique qu’il se rendait sur différentes barrières, notamment celle de « Kucyapa » et celle de l’Akazu K’amazi. Il explique comment, accompagné d’autres personnes, il a tué un femme nommée Epiphanie, qui était magistrate. Il présente ensuite le fonctionnement des barrières, l’existence de rotations entre les personnes qui y travaillaient, la présence de gendarmes circulant entre chaque barrière pour vérifier le déroulement du « travail ». Monsieur Habimana poursuit en disant qu’il n’a pas été témoin oculaire de beaucoup de choses. Le Président lui dit qu’il peut aussi faire part à la Cour de ce qu’il a entendu à ce moment-là. Il reconnaît donc avoir entendu parler des incendies et pillages des maisons, des viols de plusieurs femmes et d’autres massacres. Interrogé ensuite plus précisément sur l’implication de l’accusé, Monsieur Habimana répondra « tout le temps quand il y avait des gendarmes, les gens parlaient de Biguma en disant "voici Biguma". Mais moi je ne l’ai jamais vu. Je ne pourrai même pas le reconnaître aujourd’hui ». Il confirme également qu’il ne connaît qu’une seule personne portant le surnom de Biguma. Il poursuit en disant que son frère, Cyprien Nzamurambaho, a été tué par des gendarmes pour avoir refusé d’obéir à leurs ordres. Enfin, quand le Président lui demande de se tourner vers l’accusé afin de voir s’il le reconnaît ou non, Monsieur Habimana dira : « J’ai l’impression que ce visage me dit quelque chose, mais cela fait longtemps ». Maître Tapi prendra ensuite la parole. Il demandera au témoin pourquoi Biguma était si célèbre. Ce dernier répondra qu’il pense que c’est parce qu’« on disait que c’est lui qui ordonnait les tâches aux gendarmes mais ça c’est juste ce que l’on m’a dit ». Maître Paruelle prend la suite et demande à l’intéressé pourquoi ils ramenaient les Tutsi à la barrière pour les tuer. Monsieur Habimana répondra que c’est parce qu’ils devaient montrer qu’ils avaient débusqué quelqu’un, montrer qu’ils avaient « travaillé ». Maître Gisagara posera également quelques questions. Le Ministère public est invité à poser ses questions au témoin. L’avocate générale revient sur la raison pour laquelle les victimes n’étaient pas tuées sur place. Elle demande pourquoi les assaillants ont procédé à l’enfermement de plusieurs dizaines de Tutsi dans la maison de Boniface. Monsieur Habimana dit que, n’étant pas présent à ce moment, il ne peut pas savoir. Après quelques questions supplémentaires de la part du Parquet, Maître Guedj procède finalement à son contre-interrogatoire. Naturellement il posera un grand nombre de questions, revenant sur les déclarations antérieures du témoin afin de mettre en lumière les différentes incohérences. L’avocat de la défense reviendra notamment sur le fait que Monsieur Habimana dit à plusieurs reprises n’avoir jamais vu l’accusé ni entendu ce dernier donner des ordres. « Donc si je résume, vous n’avez jamais vu Biguma, vous ne l’avez jamais vu tuer quelqu’un et vous ne l’avez jamais vu donner des ordres ? ». Il rappelle également que l’intéressé n’a pas reconnu Philippe Hategekimana sur la planche photographique qui lui avait été présentée. Le témoin dira : « Ce que j’affirme, c’est que quand on voyait les voitures, les gens disaient que c’était Biguma mais je ne l’ai pas vu les yeux dans les yeux ». Sur ces propos, Maître Guedj demandera comment il est donc possible qu’aujourd’hui, devant la Cour, il puisse déclarer « son visage me dit quelque chose ». Monsieur Habimana dira qu’effectivement il ne peut pas dire qu’il le reconnaît vraiment : « Le visage me dit quelque chose parce que c’était quelqu’un d’important mais je ne le connais pas vraiment ». Sur ces derniers mots, le témoin est libéré par le Président.

Michel Mbyariyingoma, second témoin de la demi-journée, est invité à entrer dans la salle. Comme ses prédécesseurs, il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et répondra directement aux questions de Monsieur Lavergne. Ce dernier était couturier au moment du génocide et logeait à Rwesero. Sur interrogation du Président, il explique comment le génocide a commencé dans sa localité. Il soutient ainsi qu’« après l’attentat, le commandant Birikunzira a envoyé le conseiller Gervais Twagirimana rassembler la population pour qu’elle vienne à une réunion du commandant ». Lors de cette réunion, le capitaine aurait déclaré : « Gare à celui qui va cacher le Tutsi ou celui qui va cacher de donner des informations concernant les Tutsi ». Il aurait poursuivi en faisant un proverbe qui dit que, quand un serpent est enroulé autour d’une calebasse, il faut casser les deux. Ce qui signifie que « le Hutu qui cache le Tutsi, ainsi que le Tutsi, les deux doivent être tués ». Monsieur Mbyariyingoma répondra tout de même qu’il n’a pas vu Biguma à la réunion ce jour-là. Le Président poursuit ses questions en demandant différents détails, notamment sur les personne présentes à certains endroits, permettant ainsi de recouper les différentes déclarations. Le témoin déclare notamment que seule une personne portait le nom de Biguma et que généralement la population le désignait comme « adjudant Biguma ». Finalement, l’intéressé n’a jamais vu Biguma, le Président lui repose tout de même une dernière fois la question, Monsieur Mbyariyingoma dit qu’il ne se souvient plus, qu’il a peut-être vu Biguma et peut-être pas et qu’il ne peut pas le décrire. Monsieur Lavergne n’a donc plus de questions à poser. Aucune partie ne souhaitera interroger le témoin. L’audience est suspendue pour un court moment et il est décidé de projeter le film « Tuez-les tous ! » réalisé par Raphaël Glucksmann.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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