Fiche du document numéro 32424

Num
32424
Date
Mercredi 24 mai 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
50930
Pages
9
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 8ème jour - Compte rendu de l’audience du 23 mai 2023
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le huitième jour du procès de Monsieur Hategekimana s’ouvre ce mardi 23 mai à 9h. C’est tout d’abord Monsieur Jean-Baptiste Muhirwa qui sera entendu par visioconférence depuis Kigali. Ce dernier commencera par une courte déclaration spontanée dans laquelle il dira à la Cour, « cet homme est passé aux barrières. Lorsqu’il est arrivé, il y a installé des gendarmes qui étaient sous ses ordres. Il a ordonné à ces gendarmes d’arrêter les Tutsi de cette localité et après qu’ils furent arrêtés, ils ont été mis dans une maisonnette et enfermés. Après, les gendarmes sont restés à la barrière et réclamaient les documents d’identité à toutes les personnes qui passaient par là ». Le Président commence donc son interrogatoire. Après plusieurs questions sur le parcours du témoin et sa situation en 1994, il lui demande s’il a été condamné après le génocide, ce que Monsieur Muhirwa confirme. Il a été condamné à treize années de prison par la Gacaca de Rwesero. Il poursuit en affirmant que les gendarmes et les militaires étaient facilement distinguables par leurs bérets, ceux des premiers étant rouges et les autres noirs. Le témoin déclare également qu’il a été obligé de se rendre sur la barrière, expliquant qu’un « gendarme portant un fusil » est venu chez lui et lui a dit d’aller travailler. Questionné ensuite sur le fonctionnement de la barrière, Monsieur Muhirwa va soutenir que « Biguma » tenait la barrière, il remplaçait un autre gendarme. Il poursuivra en disant que ce dernier était « responsable de cellule » (à savoir que ce n’est pas le cas, Philippe Hategekimana n’a jamais exercé de fonctions politiques ni avant ni pendant le génocide). Le Président poursuit en lui posant plusieurs questions sur les personnes potentiellement présentes avec lui à la barrière. L’interrogatoire continue et le témoin déclare : « personnellement je suis resté environ 2h à la barrière. Les Tutsi ne passaient déjà plus par là car la barrière était là depuis longtemps, ils le savaient ». Il sera ensuite questionné sur l’arrestation du groupe de Tutsi qui ont été enfermés dans une maison d’un certain « Boniface », située à côté du barrage puis tués dans le bois localisé à 50 mètres. Monsieur Muhirwa situe cet épisode au 23 ou 24 avril 1994. Monsieur Lavergne décide de revenir sur l’implication de Biguma et le témoin lui déclare que ce dernier « a simplement donné des ordres en leur [les responsables de la barrière] disant comment ils devaient faire pour tenir la barrière. Il disait qu’aucun Tutsi ne devait franchir une barrière et chacun devait être arrêté ». Le Président l’interrogera ensuite sur toutes ses contradictions. En effet, les différentes déclarations faites par Monsieur Muhirwa vont dans des sens différents. Il ressort de tous ces éléments que le témoin n’est pas fiable, il module l’histoire à son bon vouloir. Il confirme tout de même l’existence d’un véhicule Toyota Stout Rouge dans lequel circulaient les gendarmes et de l’appui des responsables de la laiterie de Nyanza dans les massacres. Enfin, le témoin reconnaît l’accusé dans le box, il dit : « je pense que le visage est celui-là, Biguma. Il lui ressemble ». Après quelques questions de précision de la part de deux assesseurs et d’une jurée, la parole est laissée aux conseils des parties civiles. Maître Tapi commence et demande à l’intéressé quelle était l’image de Philippe Hategekimana en 1994. Il répond que « quand on parlait de Biguma, les gens fuyaient, les autres avaient peur. Il avait la réputation d’un criminel ». Maître Quinquis posera également quelques questions, puis les avocates générales seront invitées à interroger le témoin. Elles ne poseront que quelques questions sur les Tutsi enfermés à la maison de Boniface. Maître Guedj, l’un des avocats de la défense, se charge ensuite du contre-interrogatoire. Il commence par demander à Monsieur Muhirwa pourquoi ce dernier n’a pas fait appel de la peine prononcée à son encontre par les Gacaca. Il déclare qu’il a « trouvé que cela correspondait à ses actes ». Il poursuit en expliquant que plusieurs personnes avec lesquelles il a été jugé sont également présentes dans ce dossier, Damascène Bukaba, Albert Kabera… Maître Guedj est étonné et demande au témoin s’il a parlé du dossier avant de témoigner aujourd’hui. Ce dernier lui répond par la négative. Par la suite, l’avocat de Monsieur Hategekimana vient souligner, à son tour, toutes les contradictions présentes dans les différentes auditions du témoin. Maître Guedj lui demande ensuite s’il peut identifier un certain « Azarias ». L’intéressé lui répond que, ne l’ayant vu que deux fois, cela lui est impossible. Le conseil de Monsieur Manier rebondit sur cette question et lui demande donc combien de fois il a vu Biguma. Deux fois. Logiquement, Maître Guedj lui demande comment il lui est donc possible d’identifier formellement l’accusé. Monsieur Muhirwa hésitera et ne répondra pas à la question. Il dira simplement : « Essayez de me comprendre ». L’avocat terminera en déclarant, « dans ce dossier il y a beaucoup d’erreurs finalement Monsieur ». Le Président procèdera ensuite à la lecture de la déposition de Straton Ruhagunga.

Après une pause méridienne, le Président Lavergne invite le deuxième témoin de la journée, Monsieur Nathaniel Ntigurirwa à entrer dans la salle et à s’approcher de la barre. Ce dernier déclare connaître la personne qui se faisait appeler « Biguma », sans pour autant savoir quel était son nom officiel. Il souhaitera commencer par une courte déclaration spontanée dans laquelle il expliquera la façon dont le génocide a commencé pour lui. Il décrira donc une série de faits auxquels il a pris part, incluant la chasse des Tutsi de sa localité et leur assassinat par une personne se nommant Karege, à laquelle, selon lui, l’accusé aurait donné un fusil. Le Président commence son interrogatoire en demandant à Monsieur Ntigurirwa quel âge il avait pendant le génocide. Il répond qu’il avait « 15 ans » et qu’il « venait à peine de terminer les études primaires ». Il s’explique sur le dénommé Karege et dit que c’était le chef de la CDR, un ancien militaire devenu gardien de prison qui, à l’époque du génocide, travaillait à la laiterie de Nyanza. Le Président Lavergne demande au témoin s’il était engagé politiquement, ce à quoi il répond qu’à la chute de l’avion présidentiel, il a adhéré à la CDR et qu’il se qualifierait de Interahamwe. Il confirme avoir participé à des attaques mais nie avoir tué des gens. Toujours sur questions du Président, il confirme avoir été condamné par les Gacaca et avoir plaidé coupable. Il confirme qu’avant avril 1994, il connaissait vaguement les gendarmes de Nyanza car, faisant ses études dans la ville, il était amené à les croiser de temps à autre. Le Président l’interroge ensuite plus précisément sur les faits qu’il a exposés et fait ressortir les incohérences existantes entre ces déclarations et les précédentes auditions dont il a fait l’objet. Tout d’abord, sur une première réunion qui se serait tenue au stade de Nyanza, lors de ses auditions par les enquêteurs du TPIR, l’intéressé a modifié plusieurs fois sa version, soutenant soit qu’il avait été lui-même présent, soit que c’est Karege qui lui avait rapporté les faits. Le Président Lavergne relit cet entretien qui a été versé au dossier. Aussi, Monsieur Ntigurirwa a rapporté ce jour avoir vu Biguma donner, en main propre, une arme à feu à Karege, il dit en effet : « quand nous étions à la carrière, c’est là que je l’ai vu. Il était dans une voiture, il a appelé Karege. Karege est parti et l’autre lui a donné une arme. Quand il est revenu, il nous a dit qu’il venait de recevoir l’arme de Biguma ». Aussi, le témoin évoque la chasse, l’arrestation et le meurtre du conseiller de secteur Hazaria Birwa. Il soutient qu’après une défaite des Interahamwe pour arrêter ce dernier, ils sont allés voir les gendarmes de Nyanza, Biguma et Birikunzira sont intervenus, ont arrêté Birwa à Butare et l’ont emmené « là où nous étions réfugiés ». Par la suite, sur demande du Président, le témoin précisera ses propos et dira que le conseiller de secteur a été emmené à Gikongoro, où beaucoup de gens de Nyanza avaient fui car la commune n’était pas encore prise par le FPR. Hazaria Birwa aurait ainsi été tué, sur ordre de Philippe Hategekimana, par une tierce personne. Le Président Lavergne souligne encore une fois que Monsieur Ntigurirwa n’a jamais parlé de cet épisode auparavant. Il reprend en effet l’audition par les enquêteurs français de juin 2017 dans laquelle l’intéressé soutient n’avoir rencontré Biguma qu’à deux reprises. Au début du génocide, quand ils étaient encore à la recherche de Birwa, et le jour où il a donné le fusil à Karege, à la carrière. Logiquement, Monsieur Lavergne lui demande pourquoi il n’a pas mentionné plus tôt cette troisième rencontre, lorsque l’accusé vient leur livrer le conseiller Birwa. Le témoin se justifie très difficilement et la crédibilité de son témoignage est mise à mal. Finalement, le Président terminera en demandant à Monsieur Ntigurirwa si quelqu’un lui a « rafraîchi la mémoire » avant qu’il ne vienne aujourd’hui, ce à quoi ce dernier répondra par la négative. Avant de laisser la parole aux parties, il demandera au témoin de se tourner vers le box et de regarder l’accusé. Il dira reconnaître effectivement Biguma, même s’il était plus jeune quand il l’a connu. De son côté, l’accusé déclare ne pas connaître la personne en face de lui. Ni les membres de la Cour ni les avocats des parties civiles ne souhaiteront poser de questions. La parole est donc laissée aux représentantes du Parquet. Ces dernières lui poseront quelques questions sur le déroulement de ce que Monsieur Ntigurirwa appelle la « chasse au Tutsi », afin de savoir quelles armes étaient utilisées et qui étaient les personnes visées. Il répondra que la population civile utilisait des machettes pour débusquer les « femmes, les vieillards, les jeunes gens et les enfants » afin de les amener ensuite à Karege pour qu’il les tue. Enfin, la collaboratrice de Maître Guedj prend la parole pour la défense. Cette dernière reviendra logiquement sur les incohérences entre les différentes déclarations du témoin. Elle soulève notamment que lors des auditions réalisées quand il était encore incarcéré, le témoin déclare avoir été présent à la réunion du stade de Nyanza, mais qu’en 2016, quand il est entendu de nouveau, libre cette fois, il nie avoir été présent et soutient que cette réunion lui a été rapportée par Karege. Il dira notamment que les différences entre les déclarations peuvent être dues notamment à de mauvaises traductions. La jeune avocate retient également que lors de précédents entretiens, Monsieur Ntigurirwa avait été incapable de reconnaître Monsieur Hategekimana sur une planche photographique et de le décrire. Le témoin déclare que les photos n’étaient pas claires et que l’accusé ayant vieilli, il est plus difficile de le reconnaître. Enfin, l’avocate poursuivra en lui demandant s’il a échangé avec des avocats des parties civiles, ce qu’il niera. Elle insistera et lui demandera avec qui il a déjeuné durant la pause méridienne. Monsieur Ntigurirwa répondra qu’il « partagé le repas avec la personne avec laquelle il est venu ». Enfin elle dira simplement « il m’a semblé vous voir devant les escaliers avec les parties civiles ». Face à de telles déclarations, les avocates générales interviennent en disant que ce qui est suggéré ici est grave, que cela s’appelle de la subordination de témoin et que de telles accusations doivent se reposer sur des observations concrètes. Les avocats des parties civiles commencent à lever la voix. Maître Guedj intervient et soutient qu’ils sont trois avocats à avoir constaté que le témoin discutait avec les parties civiles. Maitre Gisagara soutient que ce sont des accusations très graves et que ses confrères de la défense se doivent de préciser de qui ils parlent. Maître Guedj suggère de vérifier les caméras de vidéosurveillance du palais. Le Président intervient et déclare qu’il ne mènera pas d’enquête. Finalement, Monsieur Hategekimana demandera la parole et dira qu’il ne peut pas avoir tué le conseiller de secteur dont le témoin parle car il n’était plus à la gendarmerie de Nyanza à ce moment précis. Le Président Lavergne libère Monsieur Ntigurirwa et demande de faire entrer le dernier témoin de la journée.

Monsieur Jacques Musabyimana entre dans la salle d’audience et s’approche de la barre. Il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée. Il dit connaître l’accusé depuis 1987, à l’époque où lui-même exerçait comme électricien à Nyanza. Il déclare également que l’accusé venait souvent dans un des deux bars de la ville de Nyanza qui appartenaient à sa famille, le « Café Carrefour » et le « Café Bon Accueil ». Quand le Président lui demande de quelle ethnie étaient les gens qui disparaissaient, il répond : « je ne regardais pas leurs cartes d’identité donc je ne savais pas ». Monsieur Musabyimana était affilié au MDR depuis l’arrivée du multipartisme. Les questions se poursuivent et le témoin confirme avoir été présent à la barrière de Trafipro située dans le centre-ville de Nyanza et à celle dite de « chez Kaziga », du nom de la personne qui habitait à coté, située en direction de Mugonzi. Il confirme également avoir participé à la « chasse aux Tutsi ». Le Président Lavergne poursuit son interrogatoire et demande à Monsieur Muhirwa quelles paroles tenait Biguma quand il venait aux barrières. Ce dernier répond qu’il « disait d’être vigilant, méfiant, que les Inyenzi sont parmi nous ». Ces paroles étaient comprises par ceux qui tenaient la barrière comme une incitation à tuer. Enfin, dans ses déclarations antérieures et actuelles, Monsieur Muhirwa soutient que Biguma a été impliqué dans l’assassinat du père Matthieu. Il explique que le prêtre a été tué par un gendarme possédant un fusil. Or, à ce moment, seul deux d’entre eux avaient ce type d’arme, Biguma et un autre. Le Président poursuit en interrogeant l’intéressé sur sa fuite de Nyanza et sur son parcours après le génocide. Après avoir été invité à se lever et à regarder le box, Monsieur Muhirwa confirme que l’accusé est bien Biguma. Cependant, ce dernier dit ne pas se rappeler du témoin. L’intéressé répond que « malgré le temps qui s’est écoulé, il ne peut pas ne pas me reconnaître. J’étais électricien, j’ai été chauffeur, il venait dans le bar, il ne peut pas ne pas me reconnaître ». Maître Paruelle prend ensuite la parole. Il pose plusieurs questions sur les armes traditionnelles utilisées par les civils pendant le génocide. Maître Gisagara prend la suite et demande notamment à l’intéressé de confirmer qu’ayant purgé sa peine, personne n’a pu lui promettre une réduction de peine et qu’il n’a pas été menacé d’être renvoyé en prison s’il ne témoignait pas. Monsieur Musabyimana déclare ainsi, « non, j’ai terminé ma peine, j’ai effectué toutes mes années de prison et je peux rentrer chez moi ». Les représentantes du Ministère public sont ensuite invitées à poursuivre l’interrogatoire. La première avocate générale souhaite revenir sur les déclarations antérieures de l’intéressé. Elle demande ainsi plusieurs précisions que le témoin lui donne. La magistrate termine en demandant à ce dernier de confirmer que les massacres n’ont jamais cessés entre le 22 avril 1994 et l’arrivée du FPR. Monsieur Musabyimana déclare : « depuis le début des massacres, ils n’ont jamais cessé. Quand ils ne les tuaient pas, vous comprenez vous-même qu’ils ne pouvaient pas survivre. Jusqu’au moment où nous avons fui ». Enfin, Maître Lhote se lève. L’avocat de la défense commence par interroger le témoin sur sa condamnation à 25 années d’emprisonnement par la Gacaca de Nyanza. Il lui demande notamment si ce dernier trouve cette peine « juste », ce à quoi il répond que « non, ce n’était pas une peine lourde ». Toujours sur ce point, le conseil de Monsieur Manier lui demande dans combien de procès rwandais il a témoigné. Monsieur Musabyimana répond qu’il a « d’abord comparu devant une juridiction pour l’affaire qui me concernait, j’ai écrit un plaidoyer. J’ai également donné des informations sur les faits survenus, j’ai aussi témoigné dans une autre affaire. J’ai parlé de Biguma lors de la phase de collecte d’informations, avec d’autres personnes. Nous l’avons fait pour demander une réduction de peine […] ». L’avocat réagi naturellement à cette déclaration en demandant au témoin s’il confirme bien avoir donné certains témoignages afin d’obtenir une réduction de peine. Ce dernier répond par l’affirmative disant, « on nous avait promis que nous aurions une réduction de peine si nous disions la vérité ». Maître Lhote poursuit son interrogatoire en abordant l’assassinat du père Matthieu. Il souligne notamment les contradictions entre ses différentes déclarations. Le témoin persistant à déclarer Monsieur Manier responsable de ce meurtre, son avocat rappelle tout de même que ce dernier a bénéficié d’un non-lieu concernant ces faits.

Après quelques questions supplémentaires, Monsieur Musabyimana est remercié et le Président invite Hamza Minani, le dernier témoin de la journée à entrer dans la salle. Il ne fera pas de déclaration spontanée et dira simplement à la Cour « ce que je dis, ce que mon témoignage dit, ce sont des choses que j’ai vues moi-même, de mes yeux ». Le Président commence donc à l’interroger sur son parcours avant et pendant le génocide. Ce dernier vendait des beignets sur le carrefour Bigega à 3 kilomètres de Nyanza. Il déclare qu’il connaissait Biguma avant le génocide car « un voisin, Moussa Kabega, avait épousé une femme originaire de la même ville que Biguma. Il venait donc souvent le voir et c’est comme cela que je l’ai connu ». Sur interrogation du Président, Monsieur Minani évoque les différentes barrières qu’il a pu voir et les différents meurtres auxquels il a assisté ou dont il a entendu parler. Il parle ainsi du meurtre d’une famille de Tutsi, d’un certain Yusuf et de sa fille Toto à Muganandamure. Le témoin avait déjà évoqué ces éléments lors de ses précédentes auditions. Il a d’ailleurs été le seul à impliquer Monsieur Hategekimana dans ces faits. En réalité, le témoin déclare qu’il n’a pas assisté en personne aux meurtres de Yusuf et de sa fille mais qu’il a vu le véhicule des gendarmes partir et revenir vers le lieu des assassinats, une voiture Toyota Stout Rouge dans laquelle était présent Biguma. Monsieur Minani poursuit et affirme que c’est également Biguma qui a appelé la population à tuer les Tutsi à la barrière. Le Président Lavergne continue de l’interroger et évoque une réunion s’étant tenue le 8 avril, « deux jours après l’attentat » à laquelle le témoin déclare ne pas avoir assisté, mais simplement avoir entendu parler. Il explique cependant que les massacres n’ont pas commencé directement après cette réunion car la population dans son ensemble avait peur. Le témoin évoque également la présence et l’implication d’un certain adjudant Cytso aux barrières. Il est d’ailleurs le seul à mentionner cette personne. Enfin, le Président demande à Monsieur Minani pourquoi, contrairement aux autres personnes présentes à la barrière, lui n’a pas été poursuivi, ni par les juridictions rwandaises ordinaires, ni par les Gacaca. Le témoin répond que « les personnes qui ont été poursuivies c’est parce qu’elles tenaient une barrière, c’est parce qu’elles ont commis des actes répréhensibles. Comme moi j’étais simplement présent, je n’ai pas été poursuivi parce que je n’ai rien fait ». Monsieur Lavergne lui demande tout de même, avant de donner la parole aux conseils des parties civiles, si ce dernier souhaite ajouter quelque chose. Monsieur Minani dira simplement : « Je voudrais rajouter que ces gens nous ont fait du tort, ils ont tué nos amis et nos frères. Jusqu’à aujourd’hui ils n’acceptent pas d’aller au Rwanda pour témoigner. Dans votre ultime conviction, vous devez leur donner ce qu’ils méritent ». Maître Karongozi s’approche du micro et commence à demander des précisions géographiques sur la barrière de Bigega. Maître Gisagara prendra la suite et questionnera l’intéressé sur des faits précis relatifs à des parties civiles qu’il représente. Finalement, Maître Guedj prendra la parole pour la défense. Il commence son interrogatoire et est très rapidement interrompu par le Président qui lui demande, manifestement agacé, de ne pas poser des questions répétitives. Maître Guedj réagi en disant qu’il a 14 pages de questions et qu’il compte bien toutes les poser. Il soutient en effet que ce n’est pas parce que la défense passe en dernier qu’elle doit être pénalisée par le temps qui a été pris par les autres parties précédemment. Les droits de la défense sont fondamentaux et ils doivent impérativement être respectés. Le Président fait un geste de la main et lui dit de continuer. Maître Guedj poursuit. Il va revenir pendant presque une heure sur toutes les contradictions que comportent les différentes déclarations de l’accusé. Il reprendra minutieusement chacune des auditions de Monsieur Minani. Ce dernier donnera comme unique explication des « problèmes de traduction ou de transcription ». Les personnes présentes n’ont pas bien compris ce qu’il voulait dire. Même quand l’avocat lui opposera le fait qu’il ait signé chacune de ses déclarations, l’intéressé n’en démentira pas. Une des questions amènera encore une fois de la tension dans la Cour, les magistrates du Parquet reprochant à l’avocat de ne pas poser de questions mais de plaider. Le Président, assez énervé, suspend l’audience. Il est 20h50. Dix minutes plus tard, les membres de la Cour et les parties reviennent dans la salle, les esprits se sont calmés et le contre-interrogatoire reprend. Maître Guedj continue de démontrer le manque de fiabilité du témoin. Il termine en disant que c’est très étonnant car Monsieur Minani se souvient de certains éléments 22 ans après les faits alors qu’il ne s’en rappelait pas en 2002. L’audience est définitivement suspendue à 21h22. Elle reprendra le lendemain à 9h.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024