Fiche du document numéro 32390

Num
32390
Date
Mercredi 17 mai 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
45745
Pages
7
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 5ème jour - Compte rendu de l’audience du 16 mai 2023
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Mot-clé
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Les audiences s’ouvrent, ce mardi 16 mai, à 9h10. Le premier témoin de la journée est Cyriaque Habyarabatuma. Détenu à la prison de Mageragere à Kigali au Rwanda, il sera entendu en visioconférence. Ce dernier, comme c’est fréquemment le cas pour les personnes incarcérées niant leur culpabilité, ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée, il dira simplement « ce que je dis, ce sont des choses que j’ai entendues car quand les faits se sont déroulés, je ne vivais plus à Butare, j’étais à Kigali. Des gens parlaient de la manière dont il [Philippe Hategekimana] s’était comporté au moment du génocide ».

Le Président procède donc directement à l’interrogatoire. Il aborde tout d’abord le parcours professionnel et les fonctions occupées par le témoin. Ce dernier était responsable de la gendarmerie de Butare en 1994. Il décline ensuite l’organisation des différentes forces militaires et de gendarmerie présentes dans la préfecture et les différentes personnalités pertinentes. Durant l’interrogatoire, il va répéter à plusieurs reprises que même si personne n’osait le dire en face de lui car il était chef de la gendarmerie, derrière les gens, « me pointaient du doigt et faisaient croire que j’étais un complice des Tutsi ». Par la suite, le Président l’interroge plus précisément au sujet de la brigade territoriale de Nyanza. L’ancien militaire déclarera qu’il tient ses informations de ses amis qui lui ont dit que, « sur le meurtre du bourgmestre, ce n’est pas Birikunzira [le capitaine de la brigade] qui a tué le bourgmestre, c’est l’adjudant Biguma alias Hategekimana ». Le Président lui demande ensuite de parler du préfet en place à Butare en avril 1994, Jean-Baptiste Habyarimana. Monsieur Habyarabatuma répondra que, « dans le cadre de ses attributions, il demandait aux membres de la population d’assurer la sécurité. Il ne voulait pas de confrontations entre les membres de la population ». Il déclarera aussi avoir échangé avec lui pour faire en sorte qu’il y ait une bonne entente entre les membres de la population, soutenant que « c’est la raison pour laquelle j’ai été muté à Kigali », parce qu’il essayait de maintenir la paix dans sa préfecture. Par la suite, le Président centrera ses questions sur l’accusé. Monsieur Habyarabatuma reconnaîtra ainsi que, pendant le génocide, on lui a rapporté que l’on pouvait entendre des échanges dans lesquels Monsieur Hategekimana disait ne pas aimer les Tutsi. Il sera également interrogé sur le type d’armement étant mis à la disposition des gendarmes. Il répondra qu’il y avait « des fusils individuels et aussi la mitrailleuse du camp. Il y avait aussi des petites armes qui s’appelaient mortiers de 60 mm ». L’ancien militaire confirmera que ces mortiers n’étaient pas utilisés pour du maintien de l’ordre mais bien pour la guerre. Il niera cependant que la gendarmerie ait possédé des hélicoptères. Le Président Lavergne termine son interrogatoire en demandant au témoin s’il considère que les poursuites qu’il y a eu à son encontre étaient fondées. Ce dernier ne souhaitera pas répondre à cette question. La parole est donc laissée aux parties civiles. Seul Maître Gisagara posera des questions. L’avocat de la CRF commencera par demander à Monsieur Habyarabatuma, qui a été fonctionnaire de l’Etat après le génocide, s’il y a eu une « chasse contre les militaires qui avaient servi pendant le génocide ». Le témoin confirmera n’avoir pas vu une telle politique. Maître Gisagara l’interrogera ensuite sur son salaire, lui permettant de confirmer qu’un salaire de sous-officier ne permet pas à lui seul d’acheter un mini-bus, une camionnette et une maison à Kigali, mais que cependant, il était possible de demander un prêt à la banque.

Le Ministère public prend le relai et interroge le témoin sur le document portant réglementation de la gendarmerie et procédant notamment à une distinction entre les fonctions ordinaires et extraordinaires de celle-ci. Ce dernier répond que les attributions ordinaires étaient la protection des biens et des gens et que les fonctions extraordinaires consistaient à porter main forte à l’armée en allant sur le front en cas de guerre. Sur cette réponse, l’avocate générale demande à Monsieur Habyarabatuma si, après la chute de l’avion présidentiel, les gendarmes ont commencé à exercer des fonctions extraordinaires. L’ancien militaire répond par la négative. Aussi, sur les barrières, le témoin déclarera que si effectivement « les Tutsi ont été tués et ont été victimes de leur appartenance ethnique aux barrières », celles-ci étaient « en général gardées par les Interahamwe ». Il confirme que certains barrages ont pu être érigés devant des camps de gendarmerie ou de l’armée, mais qu’ils n’étaient tenus que par les miliciens. Enfin, l’avocate générale terminera son intervention en demandant au témoin qui est « Biguma ». Ce dernier déclarera que c’est le surnom donné à l’adjudant-chef Philippe Hategekimana.

Enfin, Maître Altit prendra la parole pour la défense. Il demandera au témoin s’il y avait une hétérogénéité au sein des gendarmes de la préfecture de Butare, à savoir, des agents venant du Nord et du Sud, des Tutsi et des Hutu… L’intéressé répondra par la positive aux deux questions, ajoutant qu’il y avait effectivement un antagonisme sous-jacent entre les gendarmes du Nord et du Sud, mais que ce n’était pas rendu public. Par la suite, il lui demandera si des déplacements de population ont eu lieu dans le pays, causés par des attaques du FPR. Monsieur Habyarabatuma répondra qu’effectivement, « c’est tout à fait normal que la population se soit déplacée pendant la guerre ». Poursuivant sur ce sujet, il dira également « pendant la guerre il y avait des combats, c’était la guerre donc c’est normal que des personnes soient mortes durant ces combats ». Maître Altit posera encore plusieurs questions et terminera son contre-interrogatoire en demandant à l’intéressé si ses accusations à l’encontre de Monsieur Hategekimana ont commencé avant sa rencontre avec les enquêteurs français. L’ancien militaire répondra que la première fois qu’il en a parlé date effectivement de sa rencontre avec les enquêteurs français.

L’après-midi s’ouvre avec une déclaration du Président. Il annonce aux parties que le Greffe a reçu une réponse de la part de Monsieur Rutayisire à 11h40 : « Madame, je suis au regret de vous informer ne pas pouvoir être présent à l’audience de ce 16/05 à 16h, j’ai rendez-vous avec mon chirurgien à l’hôpital pour mon genou. Par ailleurs il a été convenu avec les policiers belges que les gendarmes français devaient venir à mon domicile. Mon opinion clarifiée reste inchangée ». Au regard de cette réponse, le Président Lavergne exprime une demande de passer outre. Les différentes parties annoncent qu’il est regrettable de ne pas pouvoir entendre ce témoin, mais, étant domicilié au Rwanda, il faudrait déposer une demande de coopération européenne pour pouvoir mettre en place un faire-amener. Il n’est donc pas possible de procéder autrement. Par conséquent, Monsieur Laurent Rutayisire, ancien directeur de la sûreté extérieure au ministère de la Défense, ne sera pas entendu par la Cour.

Le second témoin de l’après-midi, Augustin Ndindiliyimana, sera donc directement présenté aux parties. Cet ancien chef d’état-major de la gendarmerie rwandaise résidant actuellement en Belgique est entendu en visioconférence. Monsieur Ndindiliyimana n’est pas un novice des procédures pénales. En effet, il a lui-même été accusé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre et condamné en première instance le 17 mai 2011. Cependant, le 11 février 2014, les juges de la chambre d’appel ont décidé de l’acquitter, faute de preuves suffisantes permettant de reconnaître sa culpabilité. Lors des questions du Président précédant sa prestation de serment, il déclare ne pas connaître Monsieur Hategekimana et n’avoir entendu parler de lui que suite aux accusations proférées lors de son procès devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Monsieur Ndindiliyimana décide de faire une courte déposition spontanée, dans laquelle il déclare avoir eu connaissance d’une désertion du capitaine Ngaburangabo, au sein de la gendarmerie de Nyanza. Le témoin déclare que cet officier tutsi est parti rejoindre le FPR, ce qui a beaucoup marqué les esprits sur place. Il soutient que, « des infiltrés dans cette région ont eu des affrontements avec des gendarmes ». Enfin, il termine sa déclaration en affirmant avoir mené des enquêtes sur l’accusé, après avoir appris lors de son procès que ce dernier aurait tué des gens. A ce propos, il déclare : « nous n’avons pas eu d’éléments comme quoi il était sorti du camp pour aller tuer des gens ».

Le Président prend donc la parole pour poser des questions au témoin. L’interrogatoire de Monsieur Lavergne est très long, posant des questions à Monsieur Ndindiliyimana pendant environ une heure et demie. Il convient donc de ne revenir que sur les moments les plus pertinents. Tout d’abord, il lui demande s’il a entendu parler d’un échange privé entre son prédécesseur, Pierre-Célestin Rwagafilita, et le général Varret. Echange au cours duquel, selon le militaire français, son homologue rwandais aurait déclaré avoir besoin d’armes lourdes pour « régler la question tutsi ». Monsieur Ndindiliyimana soutiendra que « ces affirmations n’ont pas de fondement ». Après lui avoir posé plusieurs questions sur d’autres officiers, notamment le colonel Bagosora et Augustin Bizimana, ministre de la Défense, le Président Lavergne revient sur les déclarations du témoin qui soutient être allé à Nyanza à la mi-mai 1994. En effet, le général déclare avoir dû se déplacer à la brigade territoriale de Nyanza car « il y avait un problème avec un sous-officier, Hategekimana. Ce sous-officier, ce n’était pas quelqu’un de compréhensif. En tout cas, il n’était pas bien avec les gendarmes tutsi ». Il poursuit en disant avoir donc procédé à la mutation de l’intéressé à Kigali. Sur question du Président, il confirme que cette mutation a eu lieu à la mi-mai. L’interrogatoire continue et Augustin Ndindiliyimana évoque des éléments n’étant jamais apparus ni au dossier d’espèce ni dans les archives. Il reconnaît également ne pas avoir signé la déclaration de Kigeme, soutenant simplement qu’il n’était pas concerné car il était déjà sorti du pays. Interrogé ensuite sur le discours du Président Sindikubwabo du 19 avril à Butare, il déclare que celui-ci avait simplement pour objectif de mettre en place la lutte contre les « infiltrés », qu’il définit comme « les gens qui ont fait de la formation et qui se sont entraînés dans les terres. Ce sont tous ces gens que l’on peut dire qu’ils sont avec le FPR ». Le Président Lavergne demandera à Monsieur Ndindiliyimana si ces infiltrés correspondent à ce qui a été désigné pendant un moment comme « les ennemis de l’intérieur » et s’il existait un lien entre ces « ennemis » et les Tutsi. L’ancien militaire lui répond que c’est simplement ce que les gens ont cru mais que ce n’est pas ce qui a été expliqué. Avant de suspendre l’audience, le Président Lavergne demande une troisième fois au témoin de confirmer « avoir ordonné la mutation de Philippe Hategekimana de Nyanza à Kacyiru dans la deuxième moitié du mois de mai et s'il a décidé cette mutation pour garantir la bonne entente au sein des gendarmes de la compagnie de Nyanza ». Monsieur Ndindiliyimana déclare que c’est effectivement ce dont il se souvient.

Après une courte pause, la parole est donnée aux conseils des parties civiles. Tout d’abord, Maître Epoma lui demande de confirmer qu’il était bien, durant le génocide, la personne la plus haute gradée au sein des FAR, ce qu’il fait. Il lui demande également si, durant ses nombreux déplacements, il a pu constater des massacres sur le terrain. Le témoin reconnaîtra la présence de barrage mais déclarera que « les gendarmes étaient bien aux endroits où les autorités les avaient mis pour protéger les gens ». Interrogé par la suite par Maître Tapi sur la raison du massacre de bébés, l’intéressé répondra : « les gens ont mal compris, il y a eu des aberrations ». L’avocat poursuit en lui demandant : « pour vous, ce qui s’est passé au Rwanda entre le 7 avril et le 4 juillet vous le désignez comment ? ». L’ancien chef d’état-major hésite beaucoup avant de répondre et déclare finalement : « je parlerais de passions qui ont amenées des grandes réactions. Il y a un groupe qui se lève et à mesure que la guerre avance et que les gens se déplacent, fuyant le combat, ils font le même geste de se venger. Il y a des bandits, c’est le chaos ». Maître Tapi lui demande s’il y a eu un génocide au Rwanda, Monsieur Ndindiliyimana dira simplement que c’est ce qui a été retenu par le TPIR, mais qu’il pense que « des gens sont morts, les Tutsi sont morts, les Hutu sont morts ». Maître Gisagara prend ensuite la parole et poursuit les interrogations de son confrère, essayant de demander au témoin si oui ou non ce dernier considère qu’un génocide a eu lieu au Rwanda. L’ancien militaire se contentera de dire qu’il ne peut pas nier ce que le TPIR a reconnu. Poursuivant sur un autre sujet, le témoin confirme encore une fois l’existence de difficultés entre Monsieur Hategekimana et les gendarmes tutsi de la brigade. Il confirme également n’avoir jamais vu de meurtres aux barrières lors de ses déplacements et n’avoir appris l’existence de massacre à Nyanza que lors de son procès. Maître Philippart demande enfin à l’accusé s’il a pu constater l’existence d’un regain régionaliste dans la gendarmerie, à savoir s’il y avait des difficultés d’évolution pour les gendarmes originaires du Sud. Monsieur Ndindiliyimana répond par la négative et affirme que les agents venant du Sud exerçaient leur autorité tout à fait normalement.

Le Ministère public est invité à poursuivre l’interrogatoire. La première magistrate demande au témoin de confirmer que, lors de la mise en place du Gouvernement intérimaire, il y a effectivement eu un transfert de pouvoir de la gendarmerie vers l’armée. Ce dernier répond qu’il ne pouvait pas en être autrement, la gendarmerie étant engagée au front. Aussi, le témoin nie avoir connu le surnom de « Biguma », soutenant qu’il ne connaissait l’accusé que sous le nom de Hategekimana. Enfin, la seconde magistrate revient sur le plaider-coupable de Jean Kambanda et rappelle au témoin que l’ancien Premier ministre n’est pas revenu sur sa déclaration de culpabilité mais qu’effectivement, il a contesté sa condamnation à perpétuité considérant qu’ayant reconnu les faits, il aurait dû avoir une peine plus courte.

La défense ne souhaitera pas contre-interroger le témoin.

Le Président Lavergne procède à la lecture du courrier de Monsieur Laurent Rutayisire reçu par le Greffe le 26 avril dernier. Le colonel dit ainsi à la Cour : « J’ai bien reçu la convocation à comparaître devant la Cour d’assises de Paris. Pour vous dire la vérité, déposer la vérité sur les faits, la citation à témoin n’explique pas complètement sur quoi portent les faits, les lieux… De prime abord, je porte à votre connaissance que la famille de Philippe Hategekimana m’a contacté par le passé pour venir témoigner en sa faveur devant la Cour d’assises. J’ai su que les faits reprochés auraient été commis en avril 1994. A cette époque, bien que j’étais officier de la gendarmerie, j’avais quitté le corps de la gendarmerie nationale pour être affecté au cabinet du ministre de la Défense, Gasana. Au cours de la deuxième quinzaine de mai 1994, une demi-section de gendarmes ont été mis à ma disposition par le général Ndindiliyimana pour assurer ma sécurité. L’adjudant Philippe Hategekimana, qui entre temps avait été basé au camp de gendarmerie de Kacyiru, a rejoint cette équipe. J’ai su qu’il avait été en service à Nyabisindu [nom donné à Nyanza pendant la période du génocide]. Je signale que je ne suis jamais allé à Nyabisindu dès avril 1994. Je ne suis témoin de rien et rien n’a été porté à ma connaissance. J’ai dit à sa famille que compte tenu de ces faits, je ne peux pas témoigner. La famille m’a informé que son avocat passera à Bruxelles pour m’en parler mais je ne l’ai jamais vu. J’ai ensuite appris que la loi française interdit de telles rencontres. Comme je n’ai rien à fournir comme témoignage, ma présence est inutile et je ne répondrai pas à cette convocation ».

Le Président Lavergne propose à l’accusé de réagir à tout ce qui a été entendu ce jour. Monsieur Manier déclare n’avoir rien à ajouter.

L’audience est suspendue et reprendra ensuite par la diffusion du documentaire « Une République devenue folle », demandée par le CPCR.

Les audiences se terminent à 19h.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024