Fiche du document numéro 32377

Num
32377
Date
Jeudi 11 mai 2023
Amj
Auteur
Fichier
Taille
36790
Pages
6
Urlorg
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 1er jour - Compte rendu de l’audience du 10 mai 2023
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Mercredi matin, à 9h30, le procès de Monsieur Philippe Hategekimana, naturalisé sous le nom de Manier, est ouvert. Après avoir procédé au tirage au sort des six jurés principaux et des six jurés suppléants, les avocats de la défense demandent la parole au Président. Ces derniers décident de demander le renvoi du procès afin d’obtenir des compléments d’informations. Cette demande s’assoie sur cinq moyens. Tout d’abord, Maître Altit développe la nécessité de procéder à des enquêtes supplémentaires, soutenant que Monsieur Philippe Hategekimana et la personne connue sous le nom de « Biguma » sont deux individus distincts, l’accusé étant ainsi poursuivi pour des faits commis par une autre personne. Il poursuit sur le second moyen, reposant sur le principe de non bis in idem, soit l’impossibilité de juger deux fois une personne pour les mêmes faits. Ici, il fait référence à deux décisions, celle de la Gacaca de Nyanza, et celle du Tribunal de Butare, soutenant que ces dernières ne permettent pas de déterminer précisément quelles sont les accusations portées à l’égard de Monsieur Hategekimana et donc de savoir s’il est possible de le juger pour les faits d’espèce, sans contrevenir à ce principe fondamental. Il rappelle ainsi que c’est à l’accusation de déterminer ces faits et qu’en l’absence de tels éléments, cette ignorance doit profiter à l’accusé.

Le second conseil de la défense, Maître Guedj, prend la parole afin de présenter les derniers moyens. Dans un premier temps, il soutient que, selon l’article 379 du Code de procédure pénale, les transcrits de cette audience sont indispensables afin de permettre à la défense d’assurer une défense convenable à Monsieur Manier, l’accusation étant majoritairement fondée sur des témoignages.

Enfin, le conseil demande le rejet des témoignages prononcés par les personnes détenues au Rwanda, soutenant que rien ne permet de garantir que ces derniers aient été libres et éclairés, les prisonniers rwandais étant sous pression et soumis à des pratiques de torture. Il retient que s’il s’avère impossible d’entendre ces témoins en France, il conviendra alors de ne pas procéder à leurs auditions.

Pour terminer, Maître Guedj rappelle que la défense n’a pas pu se rendre sur les différents sites retenus, sa demande en ce sens ayant été refusée, ne permettant ainsi pas de remplir les conditions nécessaires pour assurer un procès équitable.

Maître Philippart prend la parole et déclare que ces différentes demandes sont réalisées sous la forme d’une exception alors qu’elles auraient pu être prononcées après l’ouverture des débats. Elle poursuit en soutenant que l’argument de l’exception de la chose jugée, prévu par les articles 113-6 et 113-7 du Code pénal, a déjà été évoqué devant la Chambre de l’instruction qui l’a rejeté pour différents motifs et qu’il ne saurait être retenu ici, la situation d’espèce ne remplissant pas les conditions d’application de cette disposition. En ce qui concerne la confusion d’identité, l’avocate du CPCR rappelle que cette incertitude représente précisément l’objet des débats et que ce procès sert principalement à éclairer ce point. Aussi, sur l’existence de pressions à l’encontre des témoins détenus au Rwanda, elle rappelle que seules les questions posées aux témoins et les réponses qui y seront apportées permettront d’évaluer la véracité des témoignages. De même, sur ce point, le TPIR a déjà apporté une réponse, considérant qu’en l’absence de preuves effectives d’influence du témoin, il n’y a pas lieu d’écarter automatiquement ces déclarations. Enfin, sur l’absence de déplacement des conseils de la défense sur les lieux, Maître Philippart déclare que, si les avocats des parties civiles ont en effet pu se rendre sur place, ils n’ont cependant pas eu la possibilité de contre-interroger les témoins, retenant donc que le principe du contradictoire n’a pas ici été violé. Le Ministère public prend finalement la parole pour demander une suspension d’audience afin de respecter ce même principe du contradictoire, les dernières pièces communiquées par la défense n’ayant pas pu être consultées. Aussi, l’avocate générale soutient qu’au regard de l’organisation nécessaire pour un tel procès, un renvoi apparaît inenvisageable. Finalement, elle déclare rejoindre Maître Philippart sur le fait que l’objectif de la défense en réalisant une telle manœuvre consiste surtout à mettre en avant le manque de fiabilité des témoins. Le Ministère public demande donc le rejet de l’ensemble des demandes formulées par la défense de Monsieur Hategekimana et ainsi de la demande de renvoi sur le motif que ces questions ont déjà été tranchées par la Chambre de l’instruction. L’audience est donc suspendue.

Il convient ici de rappeler que, lors du procès de Monsieur Bucyibaruta ayant eu lieu entre mai et juillet 2022, les avocats de la défense avaient déjà décidé de plaider une annulation du procès dès son ouverture. Si dans ces deux cas les fondements de ces arguments sont juridiquement questionnables, tant dans leur fond que sur la forme, le réel intérêt de telles manœuvres est tout autre. En effet, de telles interventions permettent aux avocats de la défense de prendre la parole en premier et d’insérer des éléments de lecture des auditions à venir, portant notamment sur la véracité et la fiabilité des témoignages. Par ce biais, ils s’adressent donc directement au jury l’invitant, implicitement, à porter un regard critique sur ces derniers.

L’après-midi s’ouvre, à 15 heures, par la lecture des différentes décisions de la Cour, sur les demandes de renvoi prononcées le matin. Tout d’abord, sur la demande de supplément d’informations visant à s’assurer que le principe de non bis in idem ne s’applique effectivement pas à la procédure d’espèce, et que l’accusé, Monsieur Philippe Hategekimana ne bénéficie pas de l’exception de la chose jugée, au regard des jugements prononcés par le tribunal de première instance de Butare et par les Gacaca de Nyanza, la Cour considère que, au regard du droit applicable, cette exception ne s’applique pas. En effet, dans leur décision, les juges rappellent que cette dernière ne s’applique que dans les cas où l’intéressé a été jugé définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, si la peine a été effectivement subie ou prescrite. Or, en l’espèce, les éléments soulevés par la défense ont déjà été examinés par la Chambre de l’instruction et aucun nouvel élément n’est apporté. Il convient donc de considérer que, l’accusé n’ayant purgé aucune peine au Rwanda, le principe d’exception susmentionné ne s’applique pas en l’espèce. La Cour rejette donc cette première demande.

Dans un deuxième temps, les conseils de Monsieur Hategekimana avaient demandé un autre complément d’information afin de procéder aux vérifications nécessaires sur une possible confusion d’identité entre l’accusé et une personne tierce. La Cour considère que les débats au fond durant les audiences permettront de questionner ces éléments et rejette ainsi cette deuxième demande de renvoi. Aussi, dans une troisième décision, relative à la demande de transcription de l’ensemble des débats ou, à titre subsidiaire, de toutes les déclarations faites à l’audience par toutes les personnes n’ayant pas été entendues lors de l’instruction, la Cour la rejette également, considérant que cette dernière est contraire aux dispositions pertinentes du Code de procédure pénale. Enfin, dans une quatrième et dernière décision, la Cour rejette la demande faite par la défense de procéder à l’audition, en présentiel, ou à défaut, de ne pas procéder à ces auditions, des témoins détenus au Rwanda, alléguant que ces derniers subiraient des pressions. Les magistrats ont en effet considéré qu’aucun élément suffisamment précis ne permettait d’étayer ces risques de pression.

Après ces différentes lectures, le Président Lavergne procède à la vérification des différentes constitutions de partie civile et à l’appel de différents témoins et experts. A ce moment, les parties sont informées que Laurent Rutayisire, domicilié en Belgique, cité par le Ministère public, a fait parvenir un courrier au Président dans lequel il informe de son souhait d’être dispensé de son audition. La Cour a, la semaine précédente, répondu à cette demande, et est, pour l’heure, toujours sans réponse. Le courrier est versé au débat et la Cour déclare surseoir à statuer sur cette demande. La défense demande simplement à ce que, si l’intéressé ne témoigne pas, il soit fait lecture de son procès-verbal d’audition. Madame la greffière rappelle également que la femme de l’accusé, Madame Manier, n’a pas répondu à sa demande de citation.

Aussi, il est rappelé que plusieurs témoins sont décédés (Assiel Bakundukize, Innocent Munyankindi Kayiranga, Yobo kayiranga et Charles Nkomeje), les différents actes de décès étant versés au débat. De même, il est annoncé que, le 9 mai 2023, un autre témoin, Damien Rwegera, est également décédé. Maître Karongozi a annoncé avoir communiqué l’acte de décès et propose que le témoin, ayant enregistré diverses vidéos de témoignage, que ces dernières soient visionnées en lieu et place de son audition.

Par la suite, la défense fait part de sa volonté d’entendre un nouveau témoin, Éros (…), pour lequel une demande d’entraide internationale doit être envoyée dans la journée aux autorités italiennes. L’audition de ce témoin est prévue le lundi 20 juin à 16h.

Enfin, l’audition de Madame Régine Waintrater, citée par Ibuka France, a dû être déplacée, compte tenu de l’emploi du temps de cette dernière, et est donc prévue le mardi 21 juin à 9h30. Le Président annonce ensuite avoir procédé au versement de différentes pièces au débat, puis, il entreprend de lire son rapport.

En fin d’après-midi, le premier témoin est appelé à la barre. Il s’agit de Monsieur Grégory Kalita, enquêteur de personnalité du SJCE qui a rendu son rapport sur l’accusé le 23 mars 2020. L’intéressé commence par présenter le parcours professionnel de Monsieur Hategekimana, rappelant que ce dernier a changé d’orientation universitaire afin de devenir militaire. Il poursuit donc une carrière de sous-officier et devient sergent. Après une formation en Belgique, il est affecté à la gendarmerie nationale rwandaise jusqu’en 1987. Enfin, en 1990, suite à la première offensive du FPR, il est affecté dans le Nord du pays. Après trois années sur la ligne de front, il sera finalement muté dans la ville de Nyanza, à la brigade territoriale. L’expert poursuit ses déclarations en présentant la vie familiale de l’accusé. Malgré l’absence de contact à l’heure actuelle, ce dernier a bénéficié d’une vie familiale stable. Il s’est par la suite marié avec Madame Jacqueline Manier, avec laquelle il a eu trois enfants. En 1994, durant les vacances de Pâques, sa famille fuit le pays et trouve refuge dans un camp de réfugiés en République démocratique du Congo (RDC), où plusieurs membres de sa famille trouvent la mort. Cependant, Monsieur Kalita rappelle que le récit de cette fuite n’est pas clair et que plusieurs éléments restent sans réponse. Enfin, sur la vie actuelle de Monsieur Hategekimana, l’expert déclare que ce dernier n’a aucune famille en France, qu’il n’a occupé qu’un seul travail, à savoir, agent de sécurité pour l’université de Rennes 2. Il termine en déclarant que l’accusé se décrit comme un homme « droit, correct, présentable, sentimental et affable ».

La déclaration spontanée se termine et le Président commence donc à interroger Monsieur Kalita. Il rappelle ainsi que l’accusé est maintenu à l’isolement, le seul contact qu’il a est donc celui de son épouse, qui se déplace à la maison d’arrêt une fois par semaine. L’avocate générale prend ensuite la parole et demande si l’accusé a pu, lors de son entretien, mentionner des problèmes avec la gendarmerie de Nyanza, ce à quoi l’expert répond que non, qu’il n’a jamais parlé de tels faits. Les conseils de la défense lui demandent de préciser la qualité du discours de Monsieur Hategekimana sur les Hutu et les Tutsi, ce à quoi il répond que, « pour lui, les difficultés qu’il y a eues entre eux viennent de personnalités politiques qui se servent des communautés pour les monter les unes contre les autres ».

Enfin, Monsieur Lavergne décide de poser quelques questions de personnalité à l’accusé. Ce dernier revient donc sur son parcours au sein de la gendarmerie et notamment sur son départ de la brigade de Nyanza pour rejoindre le colonel Rutayisire à Kigali, déclarant que cette mutation a eu lieu lors de la seconde quinzaine du mois d’avril 1994, sans pour autant pouvoir donner plus de précisions. Concernant son départ du Rwanda, il affirme que ce dernier a eu lieu le 7 ou 8 juillet 1994, et que c’est une fois arrivé en RDC qu’il a décidé de changer de nom et d’utiliser le patronyme de Hazikimana. Il poursuit en décrivant l’attaque du camp de Kashusha en 1996 et en détaillant son arrivée en France. Le Président lui demande pourquoi il décide de conserver sa fausse identité une fois arrivé en France, la nécessité de se protéger d’éventuelles attaques contre d’anciens militaires étant inexistante. Ce dernier lui répond qu’il n’a procédé ainsi que parce que c’était son identité officielle et qu’il ne souhaitait en aucun cas tromper les administrations françaises. Il confirme cependant avoir menti à l’OFPRA sur sa qualité d’ancien sous-officier de la gendarmerie rwandaise car sinon, sa demande d’asile aurait automatiquement été rejetée.

Enfin, il déclare n’être parti au Cameroun que pour s’installer définitivement là-bas et aider sa fille dans son projet professionnel.

L’audience est finalement suspendue.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France
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