Sous titre
En 2020, une enquête de Médiapart de Théo Englebert révélait que le chef des services de renseignement militaires des forces armées pendant le génocide au Rwanda, Aloys Ntiwiragabo, disparu depuis plusieurs années, résidait dans la banlieue d’Orléans… Qui est donc Aloys Ntiwiragabo ? Avec Hélène Dumas, historienne, chargée de recherches au CNRS.
Citation
Que sait-on de Aloys Ntiwiragabo à l'époque du génocide au Rwanda ?
“Aloys Ntiwiragabo a été nommé en juin 1993 à la tête de ce qu’on appelle le G2, les renseignements militaires de l’état-major des armées rwandaises” rappelle Hélène Dumas. “C’est le poste qu’il occupe au moment du génocide au printemps 1994. Les forces armées rwandaises représentent l’un des acteurs principaux du génocide des Tutsis et témoignent de l’engagement de tous les moyens de l’Etat rwandais dans cette entreprise d’extermination.”
L’historienne indique que “d’après les enquêtes menées par l’ONG African Rights, Aloys Ntiwiragabo figuerait parmi les principaux organisateurs du génocide à Kigali, aux côtés du préfet Tharcisse Renzao qui, lui, a été condamné à la prison à vie en 2011. Le rapport de cette ONG pointe également les liens de proximité qu’aurait entretenus Aloys Ntiwiragabo avec l’un des plus hauts responsables de la milice Interahamwe, particulièrement zélée dans les massacres à Kigali.”
Pourquoi n’a-t-il pas encore été jugé en France ?
“Aloys Ntiwiragabo a échappé aux différents coups de filet mis en place par le Tribunal pénal international pour le Rwanda”, affirme Hélène Dumas. “Les soupçons qui pèsent sur lui sont très lourds, mais les plus hautes autorités judiciaires françaises refusent l’extradition en vertu d’une loi postérieure au génocide. C’est une question de rétroactivité de la loi pénale, du moins c’est l’argument qui est avancé.” Pour la chercheuse, “c’est un peu étrange parce que l’on imagine mal que le régime qui préparait le génocide allait intégrer dans son code pénal la répression ce crime.” En revanche, “cette impossibilité d’extrader oblige les autorités françaises à les juger néanmoins. Les juridictions françaises ont obligation de juger sur leur territoire les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide.”
Dans ce contexte, explique Hélène Dumas, “une enquête préliminaire a été ouverte contre lui à la suite des révélations de Mediapart et cette enquête a été suivie par un dépôt de plainte avec constitution de partie civile par le collectif des parties civiles pour le Rwanda. La procédure judiciaire suit son cours.”
De la Shoah au génocide des Tutsis : une question historiographique
Aloys Ntiwiragabo a porté plainte contre la journaliste Maria Malagardis pour “injures publiques”, après qu’elle l'ait qualifié dans un tweet de “nazi africain”. Hélène Dumas pointe que “Le parallèle avec la Shoah n’est pas nouveau. Il ne s’est d'ailleurs pas imposé en 1994 : déjà, lors de pogroms particulièrement meurtriers à la Noël 1963, le souvenir de l’extermination des juifs d’Europe avait été invoqué par la presse internationale pour décrire les massacres de plusieurs dizaines de milliers de Tutsis.” Hélène Dumas rappelle également que “l'historien Jean-Pierre Chrétien, dans l’édition du Libération du 26 avril 1994, dénonçait ce qui se produit au Rwanda sous le terme de "nazisme tropical". Il s’agit pour lui de faire de la pédagogie et d’expliquer qu’au Rwanda, contrairement au cliché qui avait cours à l’époque, ce qui s’est produit n’est pas le résultat d’un atavisme interethnique en Afrique mais bien le produit de la modernité, d’une idéologie qui d’ailleurs puise aux même sources que l’antisémitisme moderne.”
Retrouvez l'article de Théo Englebert sur Médiapart : « Génocide des Tutsis : Ntiwiragabo, le colonel sans papiers toléré en France », 2022.