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Dominique Sopo, président de SOS Racisme estime, dans une tribune au « Monde », que Serge Klarsfed qui a consacré sa vie à « poser les conditions de l’impossibilité du retour de la Shoah en en faisant vivre la mémoire » s’est trompé de combat, en s’affichant avec le maire de Perpignan, Louis Aliot (RN).
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Jeudi 13 octobre, une photo publiée sur les réseaux sociaux a causé un émoi certain : celle de Serge et Beate Klarsfeld, faits citoyens d’honneur de Perpignan par Louis Aliot (Rassemblement national, RN), maire de la ville. Le lendemain, Serge Klarsfeld a justifié auprès du quotidien Libération son geste en disant en somme que, par-là, il voulait peser sur la compétition interne au RN où la ligne de Louis Aliot lui semblait préférable à celle de Jordan Bardella.
S’agit-il du même Serge Klarsfeld qui prit position contre Marine Le Pen en 2017 et encore en 2022 en disant clairement le danger représenté par ce parti dont Louis Aliot fut longtemps vice-président ? Peut-on se positionner contre le RN au printemps et, quelques semaines plus tard, exprimer son choix de peser sur la ligne interne d’un parti d’extrême droite en y comparant les nuances de haine et d’autoritarisme exprimés par les deux prétendants à la direction dudit parti, qui ne défendent jamais que deux nuances du marinisme ?
Comment, par ailleurs, venir apporter un soutien à Louis Aliot qui, il y a quelques jours, a choisi de faire voter par son conseil municipal un hommage à Pierre Sergent (1926-1992), dans le but évident de réhabiliter l’action de ce dernier en tant que dirigeant de la branche métropolitaine de l’Organisation armée secrète (OAS) et en tant que participant actif au putsch des généraux d’Alger en 1961 ?
Hommage à Pierre Sergent membre de l’OAS
Comment ignorer les propos qui ont été tenus en ce sens lors du conseil municipal, ouvertement par les séides de Louis Aliot et par ce dernier de façon plus alambiquée mais tout aussi ferme sur le fond ? Peut-on être un combattant de la mémoire et ne pas être heurté quand des individus essaient de transformer les milliers de crimes antirépublicains et anti-arabes de l’OAS en autant d’actes honorables ?
Serge Klarsfeld ne voit-il pas l’indécence à affirmer dans l’interview justificatrice donnée à Libération qu’« Aliot semble être dans une attitude d’ouverture vis-à-vis de nos compatriotes musulmans », au moment même où celui-ci honore l’un des chefs d’une organisation dont le projet de civilisation laissait deux voies aux musulmans d’Algérie épris d’indépendance : l’asservissement colonial ou l’assassinat que l’organisation pratiqua sans retenue ?
Cette séquence visant à réhabiliter l’activité terroriste et putschiste de Pierre Sergent n’était pas inconnue de Serge et Beate Klarsfeld puisque je la leur avais signalée huit jours avant leur venue à Perpignan. En effet, sans savoir que ces derniers seraient faits citoyens d’honneur de la ville de Perpignan, j’avais été averti de la venue de Serge Klarsfeld dans la ville par un carton d’invitation que des Perpignanais éberlués m’avaient communiqué : ce carton conviait à une cérémonie en présence de Louis Aliot au cours de laquelle Serge Klarsfeld devait remettre les insignes de chevalier de la Légion d’honneur à Philippe Benguigui, président de l’association Zakhor pour la Mémoire, dont la proximité avec le maire n’est ignorée de personne à Perpignan.
La gêne à critiquer des idoles
J’avais essayé de me convaincre – j’avoue sans trop y croire – que cela relevait d’une manipulation de la part de Louis Aliot, et j’avais immédiatement alerté Serge Klarsfeld sur la scénographie de cette remise d’insignes et dans quel contexte – hommage à Pierre Sergent et congrès du RN – elle s’inscrivait.
Ce geste des époux Klarsfeld ne peut pas être ignoré, même si ne rien en dire publiquement pourrait apparaître de prime abord comme la solution la plus confortable. Il y a en effet tellement de raisons de faire silence : la gêne de critiquer des idoles, la crainte de déclencher des commentaires antisémites ou la pensée secrète et honteuse selon laquelle l’extrême droite est finalement une famille politique dont il faut réévaluer la respectabilité.
Il est même tentant de chercher des excuses à Serge Klarsfeld. Après tout, seul ne compte plus désormais peut-être pour lui que le parachèvement du combat d’une vie – poser les conditions de l’impossibilité du retour de la Shoah en en faisant vivre la mémoire – au détriment de toute autre considération. Mais cela ne doit pas empêcher de dire quelque chose de ce geste en ce qu’il participe de façon évidente à la banalisation de l’extrême droite dont l’un des leaders est donc aujourd’hui susceptible de recevoir le soutien de « chasseurs de nazis ».
Un geste qui n’efface aucun des combats menés
Un soutien que Louis Alliot a recherché activement ces dernières semaines et qu’il s’est immédiatement plu à mettre en valeur. Et cela, en bon mariniste, sans jamais avoir formellement renié son affection pour Jean-Marie Le Pen ou dénoncé les origines de son parti, qui se situent – par ses fondateurs et son idéologie – du côté de la collaboration et de la défense de l’Algérie française.
Le geste des époux Klarsfeld n’efface aucun des combats menés tout au long de leur vie. Il n’efface pas plus le souvenir de la tribune commune que je tins avec Beate, en février 2018, lors d’une conférence de SOS Racisme où nous dénonçâmes de concert les crimes du régime burundais devant une salle comble. Mais, et encore plus parce que Serge et Beate Klarsfeld ont mené ces combats, leur geste doit être qualifié pour ce qu’il est : irresponsable.
Pour ma part, je garderai des époux Klarsfeld l’image d’une jeune Allemande protestante qui, le 7 novembre 1968, gifla publiquement le chancelier Kurt Kiesinger (1904-1988) et d’un Français juif venu de Roumanie qui, rendu orphelin de père par la politique criminelle des nazis, consacra de précieuses années de sa vie à documenter les crimes de la Shoah et la participation de notre pays à leur commission.
Dominique Sopo (président de SOS Racisme)