Citation
"COMMUNAUTE RWANDAISE DE FRANCE"
61, rue du Faubourg Saint Denis
75010 Paris
Paris, le 20 décembre 1990
Madame Monsieur,
Le Rwanda n'est plus à la une de l'actualité des médias. Pourtant, des
milliers d'hommes, de femmes et d'enfants souffrent et meurent dans les prisons et
autres centres de détention du pays. C’est pour briser le silence qui entoure cette
situation tragique que nous vous avons convié à cette conférence de presse.
Au Rwanda, le mépris des droits élémentaires ne date pas d'aujourd'hui.
En effet, depuis le coup d'état militaire de 1973 qui l'a porté au pouvoir, le Général
Major Juvénal Habyarimana s'est rendu coupable de graves atteintes aux Droits de
l'Homme. Nous pouvons rappeler ici l'élimination physique dans des conditions
restées mystérieuses de plus de quarante dirigeants du précédent régime.
Des journalistes, comme l'abbé Sylvio Sindambiwe ont été victime
d'assassinat déguisé en accident de la route. D'autres ont été arrêtés et emprisonnés :
c'est le cas de Vincent Rwabukwisi, condamné à quinze ans de prison par la Cour de
Sûreté de l'Etat le 22 octobre 1990... tout simplement pour avoir exercé son métier.
Ces journalistes dénoncaient les maux dont souffrent le pays : un
développement de la corruption qui va jusqu'au détournement de l'aide internationale
au profit de dignitaires du régime, tous originaires de la région du président, et
l'exclusion institutionnalisée d'une partie de la population sur des bases "ethniques" et
"régionales". En effet, au Rwanda, l'appartenance "ethnique", obligatoirement
mentionnée sur la carte d'identité, détermine l'accès à l'enseignement et à l'emploi
aussi bien dans Le secteur public que privé.
Le régime actuel est aussi responsable du maintien en exil, contre leur
gré, de plusieurs centaines de milliers de rwandais à qui le droit au retour est refusé
depuis plus de trente ans. Aujourd'hui, le combat opposant le Front Patriotique aux
forces gouvernementales ne peut se comprendre qu'en tenant en compte cette
situation.
Prenant prétexte de ce conflit armé, le gouvernement rwandais a procédé
à l'arrestation de milliers de civils, y compris de femmes, de personnes âgées et
d'enfants mineurs. Ces arrestations continuent. Les libérations annoncées début
novembre ne concernaient que des prisonniers de droit commun, dont l'élargissement
avait été décidé un mois avant le début du conflit, à l’occasion de la visite du pape
Jean-Paul II.
Comment peut-on rester silencieux quand on sait que des milliers de
personnes arbitrairement arrêtées croupissent en prison depuis bientôt trois mois sans
que leur procès soit instruit. Peut-on rester silencieux quand on apprend que certaines
de ces personnes meurent de dysenterie car privées d'hygiène et de tous soins, dans la
prison de Butare, au sud du pays. Certaines sources, difficiles à vérifier mais
concordantes, font état d’un plan d'élimination physique de prisonniers. Des transferts
"par camions entiers" de détenus de la capitale en direction de destinations inconnues
ont été signalés. Pour toutes ces raisons, l'information reprise par Radio France
Internationale le 27 novembre dernier selon laquelle des fosses communes auraient été
préparées le long du fleuve Nyabarongo aux environs de Kigali ne peut que nous
alerter.
Le pire est à craindre si le mur d’indifférence qui entoure la violation des
Droits de l'Homme dans notre pays n'est pas brisé.