Fiche du document numéro 30787

Num
30787
Date
Juillet 2009
Amj
Auteur
Fichier
Taille
656463
Pages
215
Titre
Le négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda
Nom cité
Type
Livre
Langue
FR
Citation
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Le négationnisme
du génocide
des Tutsi au Rwanda

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MARIE FIERENS

Le négationnisme du génocide
des Tutsi au Rwanda

préface de Marie-Soleil FRÈRE

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Sous l’histoire, la mémoire et l’oubli.
Sous la mémoire et l’oubli, la vie.
Mais écrire la vie est une autre histoire.
Inachèvement.
Paul RICŒUR,
La mémoire, l’histoire, l’oubli,
Paris, éd. du Seuil, 2000, p. 657.

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PRÉFACE
Il est des épisodes de l’histoire récente de l’humanité que tout
jeune journaliste devrait ne pas pouvoir croiser sans avoir envie
d’en savoir plus. C’est le cas du génocide des Tutsi du Rwanda qui,
d’avril à juillet 1994, s’est déroulé dans l’indifférence générale
d’une communauté internationale pourtant présente sur le terrain et
informée du déroulement des événements. Entre 800.000 et
1.200.000 cadavres d’hommes, de femmes et d’enfants innocents
ont été laissés au bord des routes, au fond des cours d’eau, ou
enfouis dans des fosses communes, alors que les Nations Unies prenaient le temps de s’interroger sur la qualification éventuelle de
« génocide » de ces massacres et que les médias internationaux,
vite lassés et dépourvus d’images, papillonnaient vers d’autres
sujets prioritaires comme les premières élections libres en Afrique
du Sud ou… le décès tragique du pilote brésilien de Formule Un
Ayrton Senna.
Le génocide des Tutsi ne peut qu’interpeller celui ou celle qui
s’apprête à faire son métier de la couverture des faits d’actualité, de
leur analyse et de leur mise à disposition du public. D’abord, parce
qu’il s’agit d’un génocide et que tout génocide, tout « crime contre
l’humanité » doit constituer un événement signifiant pour
l’Homme en tant qu’Homme et donc, a fortiori, pour ceux qui forment et informent les autres Hommes sur la marche du monde.
Ensuite, parce que le travail effectué par les journalistes et les
médias, rwandais et étrangers, avant et au cours de cette tragédie
(ou, au contraire, leur devoir « non accompli » pour l’énorme
majorité d’entre eux), conduit à de multiples interrogations sur les
mécanismes de fonctionnement actuels de la profession et le rôle
des entreprises médiatiques. Enfin, parce que ces événements si
récents (le seul génocide qui se soit déroulé du vivant de l’auteur de
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cet ouvrage) restent présents aujourd’hui dans notre quotidien à travers les suites judiciaires, pénales, politiques, militaires, juridiques
et humaines de cette tragédie. Ils restent présents souvent au travers
de polémiques virulentes, de discours discordants, d’interprétations
contradictoires qui, des procès aux commissions d’enquête, en passant par les livres de témoignage ou d’investigation, les débats dans
les assemblées représentatives ou les mea culpa plus ou moins
explicites et complets de la classe politique ou de l’Eglise, laissent
penser que bien des zones d’ombres subsistent encore dans l’établissement d’une « vérité » des faits. Et ça aussi, c’est un constat
troublant pour un jeune journaliste pétri de l’ambition de « dire le
vrai » et de la doctrine de « l’objectivité »…
En s’attaquant à la question de la négation du génocide des Tutsi
du Rwanda, perpétré en 1994, Marie Fierens s’approche, de la
manière la plus radicale et la plus troublante, de la question qui
constitue le fondement du travail du journaliste : comment cela estil possible ? Et, dans ce cas précis, cette interrogation recouvre à la
fois celle de la possibilité du « génocide » (Pourquoi et comment
peut-on en arriver à vouloir et à planifier l’extermination de tout un
peuple ?) et celle de l’existence de sa « négation » (Pourquoi et
comment peut-on en arriver à nier un tel crime paroxystique et, à
première vue, irréfutable ?)
Pour cerner des éléments de réponse à ces questions, Marie
Fierens se pose un triple défi, ambitieux mais passionnant.

Le premier défi est celui de la clarification terminologique
indispensable pour saisir ce qui se joue et se cache derrière les
débats que suscitent les notions de « génocide » et de « négationnisme ». Créé dès 19451, consolidé juridiquement trois ans plus
tard par une convention des Nations Unies, largement ratifiée par la
communauté internationale, le terme « génocide » continue à susciter des débats quant à l’extension de son application soit à des
événements antérieurs à l’invention du terme (génocide des Herero
1. R. LEMKIN, « Genocide - A Modern Crime », Free World, New York, avril 1945.

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ou des Arméniens au début de XXème siècle), soit à des massacres
de masse dont certains estiment qu’ils ne présentent pas toutes les
caractéristiques requises par la définition juridique du génocide
(génocides du Cambodge ou de Bosnie). Beaucoup plus tardif, le
terme « négationnisme » est attribué à l’historien Henry Rousso
qui l’emploie, à partir de 1987, pour désigner précisément les entreprises de mensonge, de falsification et de destruction de preuves
menées, sous couvert de « révisionnisme » (c’est-à-dire d’une
démarche visant à revisiter la manière dont sont compris et présentés certains faits passés), pour nier la réalité de la Shoah.

Comme le souligne Yves Ternon, auteur de plusieurs ouvrages
sur le négationnisme, « la pertinence de ce mot appelle à un usage
plus large, mais cette extension du sens comporte un risque de
banalisation. S’il paraît approprié d’élargir le sens de ce mot, il est
tout aussi nécessaire de fixer les limites de son emploi à la négation
des génocides. (…) « ‘Négationnisme’ ne bénéficie même pas
d’une assise juridique. Il prête donc à des interprétations plus larges
encore. »2 Et donc à autant de contestations et d’usages abusifs…
ce que Marie Fierens tâche de mettre en évidence tout au long de
cet ouvrage.

Le second défi auquel s’attèle ce travail est celui de l’analyse
systématique : il s’agit d’explorer, d’identifier et de présenter les
différentes composantes qui s’associent et se coordonnent pour permettre au discours négationniste d’exister. Plongeant dans l’histoire
récente du Rwanda, l’auteur identifie les éléments (individus, institutions, pratiques, discours…) qui se combinent pour nier la réalité
du génocide des Tutsi ou contester son ampleur et sa spécificité.
Partant du schéma très simple de la communication (et du principe
selon lequel c’est par la production d’un discours diffusé dans l’espace public que le négationnisme se révèle et entreprend son œuvre
de désinformation), l’étude s’arrête d’abord sur les caractéristiques
du contexte historique, politique, social et culturel de l’énonciation.
2. Y. TERNON, « La Problématique du négationnisme », in : L’Arche, mars 2003.

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Ces dernières constituent en quelques sortes les conditions de possibilité de l’émergence du négationnisme. L’auteur identifie ensuite
les émetteurs du discours, se fondant sur des recherches menées à
la fois sur le terrain au Rwanda et en Belgique, tâchant d’élucider
les motivations qui guident ces militants ou sympathisants du mensonge. Se penchant sur le discours lui-même, elle met enfin en
avant les principaux arguments qui permettent (en évoquant les
massacres comme une conséquence d’une folie collective, d’une
démarche d’autodéfense, d’une situation de guerre civile ou de haines ethniques ancestrales) de nier la spécificité génocidaire du massacre des Tutsi. C’est-à-dire de nier ce qui le distingue de crimes de
guerre ou de crimes contre l’humanité et en fait quelque chose
d’unique : un projet de destruction systématique et planifiée de tout
un peuple. C’est donc effectivement un « système » de la négation
qui est ici décortiqué, où la frontière entre le vrai et le faux semble
se brouiller, où le doute vient bousculer les certitudes (ce qui est
exactement l’effet recherché par les négationnistes). Toutefois,
démontant cette mécanique, l’ouvrage ne laisse planer aucune hésitation sur la vérité inébranlable : il y a eu un et un seul génocide au
Rwanda en 1994 : celui de la population tutsi.

Au Rwanda, le moindre soupçon de négationnisme est
aujourd’hui traqué et lourdement pénalisé, ce qui engendre l’apparition de vecteurs implicites de la négation de la réalité du génocide.
Par contre, à l’extérieur du pays, le négationnisme s’affiche au sein
d’une certaine diaspora rwandaise, dans quelques cercles intellectuels d’Europe et d’Amérique du Nord, des milieux d’Eglise ou des
cénacles politiques, utilisant de manière considérable les capacités
d’Internet qui regorge de sites et blogs où les affirmations négationnistes sont légions. A la suite de certains pays (comme la France et
la Belgique), l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le
26 janvier 2007, une résolution condamnant la négation de la
Shoah. Mais cette intervention volontariste du politique dans le
champ de l’histoire est, pour beaucoup d’historiens, absolument
injustifiable3, d’autant qu’elle n’est pas toujours dépourvue de
visées politiques. Les journalistes devraient également s’en inquié10

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ter, car l’incrimination de la négation ouvre la possibilité de poursuites pénales, ce qui pourrait amener certaines plumes devant les
tribunaux…

Et c’est le troisième défi de ce travail, qui est intellectuel autant
que professionnel, puisqu’il s’agit d’interroger les évidences, de
prêter l’oreille aux arguments multiples et variés, aux perspectives
diverses, pour réfléchir à la manière dont nous percevons (et, dans
le cas des journalistes, dont sont transmis à une large audience), audelà des faits eux-mêmes, certains discours portés sur les faits.
Cette réflexion mène à bien des constats… D’abord, l’histoire du
génocide des Tutsi du Rwanda est encore en construction, loin de
pouvoir se fonder sur de vastes recherches scientifiques et rigoureuses, comme le peut la Shoah, pour réduire à néant l’entreprise de
ceux qui ont choisi le déni. Les Rwandais sont aujourd’hui préoccupés par la préservation de la « mémoire », alors que la mémoire
n’est pas l’Histoire et qu’elle ne peut rien contre les positions négationnistes : la mémoire est personnelle, émotive et relative ; elle
n’est pas scientifique. « Il appartient à tous de veiller à ce qu’on
n’oublie pas »4, disent ensemble Simone Veil et Esther Mujawayo,
toutes deux rescapées de génocides. C’est effectivement la première
urgence, mais il ne faut pas se contenter de « ne pas oublier ». Les
historiens doivent pouvoir continuer à travailler librement à la
reconstruction rigoureuse des faits, pour dépasser l’évidence subjective du souvenir (toujours contestable) et empêcher que l’on
réfute des vérités établies.

C’est là qu’intervient le journaliste, dans le travail de mémoire
comme dans celui de la reconstruction de l’histoire. L’ignorance
des journalistes, parachutés parfois sur des dossiers dont ils ne
savent pas grand-chose, la recherche effrénée du scoop par les
3. Voir l’appel « Liberté pour l’Histoire » lancé, le 12 décembre 2005, par des historiens français, préoccupés par « les interventions politiques de plus en plus fréquentes dans l’appréciation des événements du passé et par les procédures judiciaires touchant des historiens et des penseurs… ».

4. In : E. MUJAWAYO et S. BELHADDAD, SurVivantes, Paris, éd. de l’Aube, 2004.

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médias, peuvent être facilement manipulées par les négationnistes à
la recherche de publicité. Pourtant, la responsabilité du journaliste
est énorme dans la constitution d’une mémoire collective, et s’étend
à ses options terminologiques lorsqu’il décrit un fait. Cette responsabilité doit-elle pour autant être traduite dans un cadre légal
contraignant ? Faut-il légiférer pour interdire l’emploi de certains
termes qui ne rendent pas justice à la réalité des faits ? S’agit-il de
« brider la liberté d’expression » ou de « responsabiliser les journalistes » ? Peut-on considérer comme similaires la loi française
dite Gayssot (13 juillet 1990) pénalisant la négation du génocide
juif, la loi belge du 23 mars 1995 « tendant à réprimer la négation,
la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste pendant la Seconde guerre
mondiale » et la loi rwandaise, violemment critiquée, qui permet
aujourd’hui de condamner des journalistes pour crime de « divisionnisme » ou de « négationnisme » ? Autant d’interrogations
auxquelles nous pousse, de manière stimulante, l’ouvrage de Marie
Fierens.

Le journaliste doit travailler en toute liberté, en essayant d’être
équilibré et complet, en tendant l’oreille et le micro à toutes les parties. Il doit tâcher de cheminer le plus possible vers la vérité. Mais
il doit toujours aussi être conscient de ses responsabilités et se montrer d’une vigilance extrême face aux discours qu’il récolte et répercute, car, comme le disait très justement Primo Levi, rescapé
d’Auschwitz, « Celui qui nie la réalité d’Auschwitz est celui-là
même qui serait prêt à recommencer. »
Marie-Soleil FRÈRE

Chercheur qualifié du Fonds national
de la Recherche scientifique
Université Libre de Bruxelles

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INTRODUCTION
Plus d’une décennie après la fin des massacres systématiques,
toute la vérité n’est pas dite sur le génocide des Tutsi au Rwanda.
Pour expliquer l’incompréhensible, de nombreuses thèses sont
avancées et de multiples interprétations se confrontent. Cet ouvrage
propose quelques pistes d’analyse des discours dits « négationnistes ». La première partie pose les fondements théoriques généraux
nécessaires à la compréhension des notions de génocide, de négationnisme et de révisionnisme. La seconde porte plus spécifiquement sur la tragédie rwandaise. Le contexte spécifique dans lequel
le génocide des Tutsi a été perpétré est un des éléments clés pour
comprendre la rhétorique de certains discours prétendument
« explicatifs » des événements. Le négationnisme s’abreuve à
d’autres sources comme le silence des victimes ou les clichés véhiculés dans les pays du Nord de la planète. Après avoir situé les événements de 1994 dans un contexte large, il devient possible d’identifier les acteurs du négationnisme, leurs arguments et leurs vecteurs. C’est de cette façon que pointent les questions faussement
simples : quoi ? qui ? comment ? Le pourquoi d’un génocide
reste, lui, d’un point de vue philosophique du moins, toujours en
suspens. Si sa genèse, son déroulement et sa chaîne de causalités
peuvent être appréhendés, il n’y a pas de pourquoi d’un génocide,
parce que l’absolu du mal, s’il peut être commenté, est à jamais
sans raison.
***

C’est comme étudiante en journalisme que j’ai d’abord approché la question du négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda,
à travers un travail de fin d’études et un séjour sur place. Le journalisme est une façon de découvrir les hommes et leur histoire, de
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désigner les événements, de les expliquer et de les mettre en perspective. L’entreprise tient parfois de la gageure. Ainsi en est-il du
génocide des Tutsi au Rwanda. Quoi de plus indescriptible, intransmissible et incompréhensible ? Concernant le pays des Mille collines, les questions sans réponses sont innombrables. Les témoignages de rescapés rwandais réveillent l’envie de méditer un événement qui dépasse totalement l’entendement, dont la signification
ultime échappe à quiconque. Qu’est-ce que le négationnisme ?
Comment en parler d’un point de vue journalistique ? Comment
l’expliquer au lecteur ? Le négationnisme s’impose finalement
comme une interrogation dans l’interrogation. Il oblige à se poser
sans cesse d’abord la question de la définition des génocides pour
que s’ouvre celle de leur négation.
L’étude qui suit s’appuie en premier lieu sur des ouvrages généraux concernant le Rwanda, afin d’approcher l’histoire de ce pays
si lointain, géographiquement et culturellement, qui divise les africanistes en différents courants. Il convenait de cerner les polémiques qui partagent le monde scientifique à propos du Rwanda, pour
espérer comprendre certaines accusations de négationnisme. Il
n’existe pas d’ouvrage rwandais sur le négationnisme. La plupart
des documents pertinents se trouvent plus facilement en Belgique
qu’au Rwanda.

Une longue série d’interviews d’historiens belges, aide ensuite
à saisir l’enjeu de la définition du mot « génocide ». J’ai également interviewé des rescapés du génocide, résidant en Belgique. A
Kigali et à Butare, le travail de terrain a été découpé en plusieurs
étapes : rencontres de citoyens rwandais, de juristes, de politiciens,
de journalistes, d’enseignants et d’acteurs de la société civile, chacun ayant sa propre vision des concepts de génocide et de négationnisme. Durant cette phase de recherche au Rwanda, la langue
locale, le kinyarwanda, n’a pas constitué un obstacle majeur, car les
personnes rencontrées maîtrisaient presque toutes le français. Les
difficultés furent davantage d’ordre pratique : se rendre à un lieu de
rendez-vous qui n’a pas d’adresse propre est assez périlleux pour
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Introduction

une Belge sans expérience de l’Afrique... Cependant, le bouche à
oreille fonctionne parfaitement au Rwanda et chaque personne rencontrée était susceptible de fournir le numéro de téléphone de nombreuses autres. J’ai aussi rapidement remarqué que les Rwandais
s’expriment de manière peu directe. Les réponses aux questions
sont souvent noyées dans une mise en contexte étendue. Les thèmes
abordés accroissaient parfois la prudence des interlocuteurs.

A mon retour en Belgique, j’ai pu constater que les discours des
Rwandais en exil étaient beaucoup plus directs et plus accusateurs
que ceux de leurs compatriotes restés au pays. Ce constat a apporté
un éclairage nouveau, dont j’ai tenu compte lors de l’analyse des
données recueillies.
Une recherche telle que celle que j’avais entreprise est inévitablement un tonneau des Danaïdes. Si le lecteur referme cet ouvrage
avec plus de questions que de réponses, la journaliste n’aura néanmoins peut-être pas failli à sa mission.
***

Un livre est aussi l’occasion de lier nombre de relations humaines et de susciter des remerciements. Ceux-ci sont dus d’abord au
professeur Marie-Soleil Frère, qui a dirigé mon travail de fin d’études. Elle a pu me faire partager son intérêt pour l’Afrique, et surtout
pour les peuples africains, sans jamais me permettre de renoncer à
l’esprit critique. Elle a relu mes projets avec une exigence de précision et une patience qui ne sont guère courantes dans le monde académique. Le professeur Jean-Philippe Schreiber m’a aidée à clarifier mon propos, en exerçant à son égard ses critiques d’historien.

Je dois remercier ensuite « Maman Louise », son mari JeanBosco, leurs enfants Raïssa, Dalice et Bertrand, qui m’ont accueillie en toute simplicité dans leur foyer pendant près d’un mois en
juillet 2005. Sans eux, je serais demeurée étrangère, dans tous les
sens du terme, à la vie d’une famille rwandaise.

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Les personnes que j’ai interrogées, au Rwanda et en Belgique,
ne m’ont jamais reproché mes inévitables maladresses et mon inexpérience. Je crois que dans la mesure qu’autorisaient les circonstances, elles ont répondu franchement et patiemment à mes questions
et ont voulu que je comprenne mieux toutes les difficultés vécues
par le peuple rwandais suite aux événements terribles qui faisaient
l’objet de ma réflexion.

Merci à mes parents, témoins de mes enthousiasmes et de mes
quelques moments d’impatience. Ils ont relu mon manuscrit pour y
chasser les coquilles … mais celles qui demeurent ne doivent pas
leur être reprochées ! Merci aussi à Olivier Bury pour la photo de
couverture et à Françoise Jossaerts pour sa relecture attentive.
Merci enfin et surtout aux victimes survivantes du génocide,
que je ne connais pas, que je n’ai pas rencontrées, qui ne savent pas
que leurs souffrances et l’odieuse négation de celles-ci font l’objet
de réflexions de la part d’une jeune journaliste. Elles m’ont dit par
leur silence que, quoi qu’il arrive, la vie est la plus forte.
***

La réalisation des interviews et la collecte des sources ont été
effectuées en 2004, 2005 et 2006.
La recherche qui sous-tend cet ouvrage a été soutenue par la Commission universitaire au développement (CUD) du Conseil interuniversitaire
de la Communauté française de Belgique
(CIUF).

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PREMIÈRE PARTIE

Le génocide
et le négationnisme :
exploration des concepts
1. Le génocide : définitions juridique et historique

Le mot « génocide » a servi à qualifier presque tous les conflits
de la seconde moitié du XXe siècle ayant fait un nombre important
de victimes civiles ainsi que, de manière rétroactive, certains massacres comme celui des Indiens d’Amérique du Nord5.

Le génocide, c’est « la mort sélective de l’autre, identifié, visé
et anéanti comme tel »6.

Il existe une définition juridique propre qu’il importe d’analyser, car « confondre les qualifications, c’est contribuer à la banalisation de l’événement historique ».7 Selon l’article II de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide8, « Le génocide s’entend de l’un des quelconques actes ciaprès, commis dans l’intention de détruire en tout ou partie, un

5. J. SEMELIN, « ‘Massacre’ ou ‘génocide’ », in : Manière de voir 76, août-septembre 2004, p. 26. Cf. aussi I. W. CHARNY (dir.), Le Livre noir de l’humanité.
Encyclopédie mondiale des génocides, Toulouse, éd. Privat, 2001.
6. A. DESTEXHE, Rwanda. Essai sur le génocide, Bruxelles, éd. Complexe, 1994,
p. 22.

7. J.-P. SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l’histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, Paris, éd.
l’Harmattan, 1995, p. 172.
8. Adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948.

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groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
Meurtre ;

Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du
groupe ;

Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »

Axée sur la notion de groupe, la spécificité du crime de génocide se caractérise par l’intention particulière de le détruire comme
tel.

Cette référence obligée à l’article II de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide laisse toutefois sur
leur faim de nombreux chercheurs qui se consacrent à l’étude des
grands massacres. Si la définition paraît stricte, quelques points
sont en effet sujets à controverses. Ainsi, l’« intention » n’est pas
réellement définie. Faut-il qu’elle soit manifeste et évidente ou
peut-elle être implicite? De plus, les actes de génocide énumérés
sont si variés qu’ils permettent d’envisager un génocide sans meurtre9. Jean-Philippe Schreiber10 souligne à cet égard que si l’on suit
le raisonnement d’Yves Ternon11, pour les historiens, le génocide
implique cumulativement l’intention et le meurtre. Ce n’est pas le
cas en droit, où l’incrimination de génocide s’applique aux transferts d’enfants ou aux entraves à la naissance, par exemple. Enfin,
on peut se demander ce que recouvrent les qualificatifs adjoints au
9. B. BRUNETEAU, Le Siècle des génocides, Paris, éd. Armand Colin, 2005, p. 11.

10. J.-P. SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l’histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 171. Cf. aussi M. STEINBERG, « Le Génocide au XXe siècle : lecture juridique
ou historique ? », in : A. DESTEXHE et M. FORÊT (dir.), De Nuremberg à la Haye
et Arusha, Bruxelles, éd. Bruylant, 1997.
11. Dans son livre, L’Etat criminel, les génocides au XXe siècle.

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terme « groupe » dans la mesure où il est difficile de trouver des
critères objectifs pouvant servir de référant à l’un ou l’autre de ces
qualificatifs12. « L’exemple le plus significatif dans l’actualité
récente est celui du Rwanda, où les origines de la distinction sur
une base ethnique entre Hutu et Tutsi doivent être recherchées dans
la politique du colonisateur belge. Cependant, même si une telle
distinction ne se fonde pas au départ sur une situation matérielle
concrète, elle est susceptible, à travers le temps, de cristalliser une
réalité s’exprimant effectivement dans une différenciation identitaire qui devient celle de la conscience d’être autre ou d’être perçu
comme tel. Cette différenciation identitaire matérialise l’existence
du groupe. »13 Bien que cette conception juridique soit sujette à
interprétation, elle constitue néanmoins une garantie face à la banalisation du terme. Les révisionnistes et les négationnistes l’ont bien
compris, qui s’attaquent à la définition des historiens plutôt qu’à
celle de la Convention14.
Ces derniers ne partagent en effet pas la même définition du
génocide que les juristes. Selon Bernard Bruneteau, il était inévitable que devant les béances de la Convention de 1948, une lignée de
chercheurs tente de fonder une définition historique du génocide15.

Pour la plupart des historiens, trois éléments doivent être relevés pour que les faits soient constitutifs de génocide :
- l’intention criminelle (le « plan concerté ») ;

- la mise en œuvre de ce moyen extrême par l’Etat pour imposer son idéologie et son modèle de société ;
12. K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), Bruxelles, éd. Bruylant, 1999,
p. 17.

13. Ibidem.

14. J.-P. SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l’histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 172.
15. B. BRUNETEAU, Le Siècle des génocides, op. cit., p. 12.

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- le groupe visé16.

Les historiens considèrent donc qu’il y a génocide s’il y a planification, s’il y a intention d’exterminer tous les représentants d’un
groupe et si l’Etat est le commanditaire du crime. Joël Kotek parle
à ce propos de l’importance du bon usage des mots. Les gens ont
tendance à confondre crime de masse et génocide. Un génocide,
c’est un événement particulier qui implique que la décision d’exterminer un peuple dans sa totalité soit prise. Cela se passe très vite.
Une des caractéristiques du crime de génocide, c’est l’enfant. On
le tue parce qu’il représente l’avenir, les génocidaires visent l’élimination d’un groupe qui est de trop sur terre.

En Bosnie et au Kosovo par exemple, il convient de parler
d’épuration ethnique et non de génocide. En effet, tant en Bosnie
qu’au Kosovo, on a ouvert les portes du pays afin que les gens s’enfuient. Alors que dans le cas des génocides, on ferme toutes les portes afin que personne ne s’échappe. Un génocide c’est un événement très particulier, c’est une décision qui est prise. Tout est planifié. De nos jours, le mot « génocide » est de plus en plus galvaudé. Il devrait pourtant être réservé à des occurrences bien précises, en gardant à l’idée qu’il existe des crimes tout aussi condamnables, tels les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Il
faut tout simplement utiliser les mots pour ce qu’ils sont et ne pas
en avoir peur17.

16. J.-P. SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l’histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p.172.

17. J. KOTEK, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

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2. Les génocides dans l’histoire

Admettre ou pas la qualification de génocide à propos de tel ou
tel événement n’est guère aisé. Le mot est devenu « malade » à
force d’être trop utilisé. Le génocide est un événement d’une telle
complexité que seule une approche collective et pluridisciplinaire
est probablement en mesure d’interpréter les sources permettant de
qualifier les événements18. Il est d’ailleurs significatif que le nombre de génocides reconnus soit variable selon les auteurs.
« L’examen des causes, des responsabilités, des mécanismes, l’exploration des zones d’ombres, l’interrogation sur les mobiles et les
mentalités des criminels sont autant de sujets à explorer et chacun
ouvre un débat, chaque point de vue est l’objet de prises de position
souvent opposées. »19

Ainsi, selon Joël Kotek, notre siècle en a connu quatre, celui des
Herero, celui des Arméniens, celui des Juifs et celui des Tutsi au
Rwanda20. Colette Braeckman parle pour sa part du « troisième
génocide du siècle » en se référant au génocide des Tutsi au
Rwanda21, après celui des Arméniens et des Juifs d’Europe22.
Ryszard Kapuscinski estime quant à lui que les génocides « universellement reconnus sont, dans l’ordre chronologique, le massacre
des Arméniens par la Turquie moderne (1915-1916) ; l’Holocauste
de la population juive perpétré par les nazis (1941-1945) (…) ; la
destruction de la population cambodgienne par les Khmers rouges
(1975-1978) et la liquidation de la population Tutsi par le régime
18. En ce sens, Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers »,
in : K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 150.

19. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 150.

20. Exposé donné par l’historien à l’ULB, 12/11/2004.

21. C. BRAECKMAN, Rwanda. Histoire d’un génocide, Paris, éd. Fayard, 1996,
p. 221.

22. C. BRAECKMAN, « Autopsie d’un ethnocide planifié au Rwanda », in : Le
Monde diplomatique, mars 1995, p. 8.

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des Hutu au Rwanda, en 1994. »23 Il n’existe donc pas de réel
consensus entre les chercheurs quant à la qualification de génocide.

Yves Ternon souligne la difficulté mais également l’importance
d’utiliser le terme dans un contexte approprié. « Des meurtres collectifs présentent souvent un ou plusieurs éléments constitutifs du
crime de génocide, mais, si tous les éléments ne sont pas réunis, il
faut recourir à une autre qualification, sans que la gravité du meurtre soit en rien diminuée. Il est cependant des situations intermédiaires où la pertinence de cette qualification fait l’objet d’une
controverse légitime, dans la mesure où le débat ne sert pas la
négation. »24
De telles controverses agitent les débats autour de la qualification du massacre des Musulmans de Bosnie ou des massacres perpétrés par les Khmers rouges. Cependant, outre ces deux cas très
discutés, on peut affirmer que trois cas font l’objet d’un consensus
général au sein de la communauté des historiens. Il s’agit du génocide des Juifs, des Arméniens et des Tutsi du Rwanda25. D’un point
de vue juridique cependant, seuls le génocide des Musulmans de
Bosnie et celui des Tutsi du Rwanda ont fait l’objet d’une reconnaissance émanant d’une juridiction internationale.

Le propos n’est pas de mentionner tous les avis divergents. Six
cas de génocides certains ou probables seront décrits pour illustrer
la redoutable complexité de la discussion : celui des Herero, des
Arméniens, des Juifs, des Cambodgiens, des Tutsi et des
Musulmans de Bosnie.

23. R. KAPUSCINSKI, « Esquisse d’une typologie », in : Manière de voir 76, aoûtseptembre 2004, Paris, p. 57.

24. Y. TERNON, « Le Spectre du négationnisme », in : C. COQUIO (dir.), L’Histoire
trouée. Négation et témoignages, Nantes, éd. L’Atalante, 2003, p. 211.

25. M. LEVENE, Genocide in the age of the Nation-State, vol. I, London, New York,
éd. I. B. Tauris, 2005, p. 66.

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2.1. Le génocide des Herero (1904-1908)

En 1904, l’actuelle Namibie est une colonie allemande. A cette
époque, l’Allemagne décide d’y créer une colonie de peuplement
sur un territoire occupé par les Herero. Le peuple herero répond à
ce projet par la révolte, violemment réprimée par les Allemands.
Les survivants, dont beaucoup de femmes et d’enfants, sont déportés vers le désert d’Omaheke (l’actuel désert de Kalahari), où les
Allemands les laissent mourir de faim et de soif. Ce génocide est
particulièrement célèbre pour une abomination perpétrée par le
général Lothar Von Trotha qui fit empoisonner les points d’eau. On
estime qu’environ 65 000 Herero, soit 80 pour cent de cette population, perdirent la vie. La Commission Whitaker des Nations Unies
décrit ces événements comme l’un des premiers génocides du XXe
siècle26.
2.2. Le génocide des Arméniens (1915-1916)

En 1915, l’empire ottoman est gouverné par les Turcs, musulmans. Le gouvernement jeune-turc déclenche l’extermination programmée des civils arméniens. La minorité chrétienne qu’ils forment ne bénéficie que d’un statut de seconde zone, en se voyant privée des droits réservés aux musulmans. Leur vie et leurs biens sont
graduellement menacés. L’aspiration de la communauté arménienne à se voir représentée dans le gouvernement et à y participer
soulève la défiance des Turcs qui n’avaient jamais entendu partager
le pouvoir avec quelque minorité que ce soit. Pour résoudre ce qu’il
appelle la « Question arménienne », le gouvernement ordonne des
déportations massives et une série de massacres dont le but est d’in26. M. B. WHITAKER, Rapporteur spécial, Version révisée et mise à jour de l’Etude
sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide, SousCommission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des
minorités, Doc. N.U. E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 juillet 1985. Cf. aussi I. W. CHARNY
(dir.), Le Livre noir de l’humanité. Encyclopédie mondiale des génocides, op. cit.,
p. 319.

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timider les Arméniens et de faire taire leurs revendications27. En un
peu plus d’un an, entre 800.000 et 1.250.000 Arméniens périssent.
Les Turcs n’acceptent de reconnaître qu’un maximum de 300.000
victimes.
En 1985, la Sous-Commission des droits de l’homme de l’ONU
adopte le rapport de l’expert Benjamin Whitaker, qui mentionne le
génocide arménien comme un des génocides majeurs du XXe siècle28.

Plusieurs instances étatiques ou interétatiques ont officiellement
reconnu ces exactions comme constitutives d’un génocide : le
Parlement européen, l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe, le Sénat de Belgique, la France, à travers la loi n° 200170 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide
arménien de 1915. Le 12 octobre 2006, l’Assemblée nationale française a voté une loi pénalisant les personnes qui nieraient le génocide des Arméniens.
Cette question a été ravivée à l’occasion de la décision d’ouverture des négociations entre l’Union Européenne et la Turquie, en
vue d’une adhésion éventuelle de cet Etat. La Turquie, si elle ne
conteste pas les massacres, en minimise l’ampleur et rejette la qualification de « génocide ».
2.3. Le génocide des Juifs (1941-1945)

L’image du Juif telle que Hitler l’a imposée s’est mise en place
petit à petit. Lorsque le parti nazi accède au pouvoir en 1933, le
racisme d’Etat donne lieu à une législation antijuive et à l’ « arya-

27. R. P. ADALIAN, « Arménie : le génocide », in : I. W. CHARNY (dir.), Le Livre
noir de l’humanité. Encyclopédie mondiale des génocides, op. cit., p. 112-138.
Cf. aussi R. KÉVORKIAN, Le Génocide des Arméniens, Paris, éd. Odile Jacob, 2006.

28. M. B. WHITAKER, Rapporteur spécial, Version révisée et mise à jour de l’Etude
sur la question de la prévention et la répression du crime de génocide, SousCommission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des
minorités, Doc. N.U. E/CN.4/Sub.2/1985/6, 2 juillet 1985.

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nisation » de la société allemande ; le but de ces manœuvres est
d’isoler les Juifs et de les inciter à quitter l’Allemagne29. Il est difficile de préciser quand « la solution finale » a été décidée. Sans
doute la décision d’exterminer les Juifs a-t-elle été prise à l’automne 1941. Dès ce moment, les Juifs ne sont plus autorisés à émigrer. Cette période marque également les premières déportations de
Juifs allemands vers l’est. Chelmno, Belzc et Sobibor en Pologne
sont construits ; ils constituent les premiers centres de mise à mort.
« La première méthode utilisée par les nazis est la ‘diminution
naturelle’. »30 A partir de 1939, soit à partir de l’occupation de
leur pays, les Juifs polonais sont entassés dans « des quartiers fermés ». 800.000 personnes y trouvent la mort. Viennent ensuite les
« Einsatzgruppen » SS. « Ces ‘groupes spéciaux’ fusillèrent
1.300.000 hommes, femmes et enfants juifs dans le sillage de l’armée allemande, la Wehrmacht. »31 Mais ces techniques trop traditionnelles d’assassinat se révèlent inadaptées à une extermination à
grande échelle. « Il fallait planifier le génocide pour le rendre plus
efficace, plus rapide. De là naîtront les premières tentatives d’assassinat par le gaz. »32 Même si l’on ne peut affirmer que la décision d’anéantir tous les Juifs d’Europe fut prise à Wannsee, c’est
assurément là que se concrétisa un programme d’envergure européenne, assorti d’un mode d’emploi, comme en témoigne le procèsverbal de la conférence rédigé par Adolf Eichmann : « Les Juifs
doivent être (…) affectés au service du travail (…). Une grande
partie d’entre eux s’éliminera tout naturellement par son état de
déficience physique (…). Le résidu devra être traité en conséquence. »33
29. « La solution finale », http://www.ushmm.org, consulté le 20 novembre 2005,
encyclopédie multimédia de la Shoah.
30. S. BERGES, « A Wannsee, les nazis entérinent le pire : la solution finale », in :
Mémoires vives, n° 1, février 2004, p. 15.

31. Ibidem.

32. Ibidem.
33. Ibidem.

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Six millions de Juifs auraient ainsi été assassinés, soit les deux
tiers des Juifs vivant en Europe en 193934.

Le terme « génocide » a été utilisé pour la première fois par
Raphaël Lemkin en 1944, mais le statut du Tribunal de Nuremberg
ne l’emploie pas et le jugement du premier octobre 1946 ne le mentionne pas. Toutefois, l’acte d’accusation use de ce mot, utilisé également lors des débats par les procureurs35.
2.4. Le génocide des Cambodgiens (1975-1979)

Les Khmers rouges arrivent au pouvoir à la fin de la guerre du
Vietnam. C’est dans un climat de guerre civile, après que les EtatsUnis ont bombardé le Cambodge pour lutter contre les infiltrés dans
le pays, entre 1970 et 1975, que les Khmers rouges s’imposent
comme les résistants à l’invasion américaine et au régime pro-américain de Lon Nol installé à Phnom Penh, qu’ils finissent par renverser. La rupture est brutale entre l’image que l’on se faisait des
Khmers rouges et la réalité, explique Yves Ternon36. Le but du nouveau régime est d’opérer une transformation radicale de la société
en établissant notamment des coopératives agricoles sur le modèle
maoïste de la Chine. Dès avril 1975, les Khmers rouges passent à
l’acte : hôpitaux, usines, écoles sont vidés, tout le monde est
contraint d’intégrer les camps de travail pour construire des digues
et travailler dans les rizières. « Pol Pot et ses partisans proclament
le début d’une ère nouvelle : ‘l’année zéro’. »37 Bien qu’ils prétendent se baser sur le modèle chinois, les Khmers rouges le dépassent
34. A propos du nombre exact de victimes du génocide des Juifs, cf. R. HILBERG, La
Destruction des Juifs d’Europe, tome III, Paris, éd. Gallimard, 2006, p. 2249.

35. Procès des grands criminels de guerre, Texte officiel en langue française,
Nuremberg, 1947, vol. 1, p. 46.
36. Y. TERNON, L’Etat criminel. Les génocides au XXe siècle, Paris, éd. du Seuil,
1995, p. 32.

37. L. BREDOUX, S. FARCIS, « Les Crimes noirs des Khmers rouges », in :
Mémoires vives, n° 1, février 2004, p. 19.

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largement et décident de séparer en deux le peuple cambodgien.
« D’un côté, le ‘peuple de base’, incarné par les Khmers des campagnes, ‘les purs’. De l’autre,‘ le peuple nouveau’, celui des villes,
contaminé par les idées occidentales. »38 Les Khmers rouges estiment que « le peuple nouveau » doit être éliminé. Communistes
radicaux, ils sacralisent également l’ethnie majoritaire du
Cambodge, celle des Khmers, au point de tendre vers un profond
racisme. Leur haine se concentre particulièrement sur les
Vietnamiens. Cette politique a vu l’ensemble de la communauté
vietnamienne du Cambodge disparaître, ainsi que la moitié de la
communauté chinoise et un tiers de la communauté musulmane des
Chams39. Le nombre exact de victimes de ces exactions n’est pas
connu, il se situe entre un et deux millions40.
Il existe une discussion sur la question de savoir s’il ne faut pas
réserver le terme de génocide aux seuls massacres des Chams, visés
en tant que groupe, contrairement aux autres catégories de la population. Une autre controverse entretient des liens plus étroits avec
la question du négationnisme. On a ainsi pu écrire que « la négation du génocide cambodgien a d’abord pris la forme d’une controverse »41. En 1977, Noam Chomsky, célèbre linguiste, accuse Jean
Lacouture, l’auteur de Survive le peuple cambodgien, d’avoir qualifié les faits de génocide sans en avoir de preuves. Noam Chomsky
a préfacé, au nom de la liberté d’expression, un livre du négationniste Robert Faurisson42. Selon Pierre Vidal-Naquet, Chomsky est
pourtant un homme d’une grande valeur scientifique. S’adressant à
Chomsky au sujet de sa préface, il affirme : « Vous aviez le droit de
38. Ibidem.

39. Ibidem.

40. « Cambodian genocide program », http://www.yale.edu, consulté le 30 octobre
2005, site de la Yale University.

41. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 157.
42. Né en 1906, reconnu par les négationnistes, en France et dans le monde, comme
le père fondateur du négationnisme.

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dire : mon pire ennemi a le droit d’être libre, sous réserve qu’il ne
demande pas ma mort ou celle de mes frères. Vous n’avez pas le
droit de dire : mon pire ennemi est un camarade, ou un ‘libéral
relativement apolitique’. Vous n’avez pas le droit de prendre un
faussaire et de le repeindre aux couleurs de la vérité. »43

En 1980, lorsque les révélations ne permettent plus de douter du
caractère intentionnel du crime des Khmers rouges, Serge Thion44,
rédacteur à la maison d’édition prétendument révolutionnaire La
Vieille Taupe – grâce à laquelle il présente les thèses de Faurisson
qui entendait prouver qu’Auschwitz était un mythe, que les chambres à gaz n’avaient jamais existé et que la Shoah n’avait jamais eu
lieu45– reprend les arguments de Chomsky pour disqualifier ceux
qui parlent d’un « génocide ».

Tant Chomsky que Thion limitent les faits à des chiffres et nient
le caractère volontaire des meurtres ainsi que leur planification46.
Aujourd’hui, d’anciens dirigeants khmers rouges prétendent
n’avoir jamais été informés des décisions du comité central, alors
même qu’ils avaient été membres de ce comité47. « Ce sont là des
comportements négationnistes », soutient Yves Ternon48.
Cependant, il apparaît légitime à certains auteurs qui ne peuvent
être considérés comme des négationnistes, de refuser de qualifier de
génocide les crimes des Khmers rouges. Ainsi, Christian
Delacampagne, philosophe et écrivain, affirme que « Même si les
Khmers rouges tuèrent deux millions de personnes, ce massacre
43. P. VIDAL-NAQUET, Réflexions sur le génocide, Paris, éd. La Découverte, 1995,
p. 95-102.

44. Il crée en 1996 un des sites Internet les plus prolifiques de la propagande négationniste : Aaargh. (N. FRESCO : Vo « Négationnisme », Encyclopaedia
Universalis, 2006.)
45. N. FRESCO, Fabrication d’un antisémite, Paris, éd. du Seuil, 1999, p. 54.

46. Ibidem, p. 158.

47. Y. TERNON, « Le Spectre du négationnisme », in : C. COQUIO (dir.), L’Histoire
trouée. Négation et témoignages, op. cit., 2003, p. 211.

48. Ibidem.

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massif ne fut pas un véritable génocide, puisque la plupart des victimes furent choisies sur la base de ce qu’elles ou (lorsqu’il s’agissait d’enfants) leur famille faisaient (pour ou contre les Khmers
rouges), ou de ce qu’elles étaient supposées faire – et non de ce
qu’elles étaient, tout court (d’un point de vue exclusivement racial,
ethnique ou religieux). »49 En effet, si la volonté criminelle et l’ampleur des crimes ne laissent place à aucun doute, la volonté d’exterminer un groupe ethnique en tant que tel, n’est, elle, pas une évidence, et la Convention de 1948 des Nations Unies exclut les groupes politiques de sa définition du génocide50. L’on sait par exemple
que les intellectuels étaient tous suspects et que le simple fait de
porter des lunettes pouvait valoir la mort. Le meurtre des intellectuels en tant que tels ne saurait être qualifié de génocide, en tout cas
juridiquement. Mais « cette controverse se situe hors de la problématique du négationnisme, car elle n’a pour objet ni de dissimuler
les faits ni de soustraire des criminels à la justice. Elle cherche seulement à qualifier une infraction »51.
2.5. Le génocide des Tutsi au Rwanda (1994)

Le 6 avril 1994, l’avion qui transporte les présidents rwandais et
burundais est abattu par deux missiles, au-dessus de Kigali, la capitale du Rwanda. Cet attentat donne le signal de départ d’une
machine à tuer qui n’attendait qu’un incitant fort pour entrer en
action. Des postes de contrôle sont immédiatement installés sur les
routes par la garde présidentielle et les interahamwe, milice hutu
aux ordres du pouvoir. La capitale est bouclée. Les tueries commencent simultanément le 7 avril à Gikongoro, Kibungo, Byumba,
Nyundo, du Nord au Sud du pays, de l’Est à l’Ouest, réfutant ainsi

49. C. DELACAMPAGNE, De l’Indifférence. Essai sur la banalisation du mal, Paris, éd.
Odile Jacob, 1998, p. 65.

50. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 158.

51. Y. TERNON, « Le Spectre du négationnisme », in : C. COQUIO (dir.), L’Histoire
trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 211.

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toute hypothèse de « colère spontanée ». Le génocide, manifestement planifié, fait près d’un million de victimes en trois mois52.

La plupart des actes éventuellement constitutifs d’un génocide,
selon la Convention des Nations Unies, ont été commis au Rwanda
entre avril et juillet 1994 :
- Meurtre de membres du groupe : il est impossible de nier la
réalité des massacres, même si le nombre de morts reste approximatif (environ un million).

- Atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres
du groupe : mutilations, viols, graves traumatismes psychologiques
ont été le lot de ceux qui ne furent pas tout simplement tués. En
témoignent les femmes violées puis abandonnées avec un enfant du
viol. En témoignent également celles qui furent intentionnellement
infectées par le virus du sida. Comme l’écrit le Docteur Catherine
Bonnet : « Au Rwanda, le viol des femmes a été systématique,
arbitraire, planifié et utilisé comme une arme de nettoyage ethnique
pour détruire très profondément les liens d’une communauté en
laissant les victimes silencieuses. »53

- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe et
transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe : ces deux
points n’ont pas été utilisés (de façon institutionnelle du moins) au
Rwanda, même si quelques cas ont pu être évoqués. Néanmoins, le
viol utilisé comme arme de purification ethnique avait comme but
d’entraver les naissances au sein d’un groupe, dans le sens où des
naissances ‘forcées’ en étaient l’objectif. L’enfant ayant traditionnellement l’‘ethnie’ du père, ces viols avaient également pour objet
de donner naissance à des enfants hutu, de l’autre ‘groupe’ que celui
de la mère.

52. J. KOTEK, « Rwanda 1994 : un génocide de la radio à la machette », in :
Mémorial du martyr juif inconnu, Paris, 2004, d’après un article de l’auteur publié
dans l’Histoire, n° 267 / juillet-août 2002, polycopié.

53. C. BONNET, « Le Viol des femmes survivantes du génocide au Rwanda », in :
R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle,
op. cit., p. 17.

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« Les événements du Rwanda furent d’abord reconnus comme
constitutifs de génocide, pendant la commission même des faits,
dans des déclarations de type politique. Le 30 avril 1994, le Conseil
de sécurité des Nations Unies émit un avertissement à l’intention
des dirigeants rwandais, les avisant qu’ils pourraient être tenus
personnellement responsables de l’annihilation d’un groupe ethnique. Le 3 mai 1994, le Pape condamna le ‘génocide’. Le lendemain,
le Secrétaire général des Nations Unies de l’époque, Boutros
Boutros-Ghali, reconnut formellement qu’un génocide était en
cours au Rwanda. »54 Le Rapport de l’Organisation de l’Unité
Africaine a affirmé avec beaucoup d’insistance « qu’une personne
raisonnable ne peut arriver à une autre conclusion que celle qu’un
génocide a eu lieu au Rwanda en 1994 et qu’il s’agit certainement
de l’un des cas de génocide le moins ambigu de ce siècle »55. Le
génocide des Tutsi fut le premier à être reconnu comme tel par
un tribunal international à travers le jugement Kambanda du 4 septembre 199856. Le jugement Akayezu57 du 2 octobre 1998 discute
amplement chaque élément constitutif du crime de génocide, spécialement la question de savoir si les Tutsi constituent un groupe
visé par la définition de la Convention.

Il serait tentant et aisé de traiter ces différents moments de l’histoire comme autant d’épisodes incompréhensibles et isolés, d’expliquer chacun d’eux par un excès de folie ou une simple colère spontanée. « Puisque, conformément à la théorie métaphysique de Karl
Jaspers, ces événements nous couvrent tous d’infamie, nous
essayons de les oublier au plus vite et de déléguer toute cette pro-

54. J. FIERENS, « La Qualification du génocide devant le Tribunal International pour
le Rwanda et devant les juridictions rwandaises », in : Actualité du droit international humanitaire, n° 6, Bruxelles, éd. La Charte, 2001, p. 183-184.
55. GROUPE

INTERNATIONAL D’EMINENTES PERSONNALITÉS POUR ENQUETER SUR LE

1994 AU RWANDA ET SES CONSÉQUENCES, § 1.17, cité par J. FIERENS,
in : Actualité du droit international humanitaire, ibidem.
GENOCIDE DE

56. Affaire n° ICTR-97-23-S § 40.
57. Affaire n° ICTR-96-4.

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blématique délicate et douloureuse à des historiens spécialisés. »58
Autrement dit, « Au-delà d’un certain seuil de l’horreur, on est
tenté de nier. »59

La thèse de l’explosion de violence irrationnelle n’est guère
tenable : « A l’origine de tout acte génocidaire se trouve en effet
une idéologie de la haine méthodiquement propagée. Chacun d’entre eux a été invariablement précédé de longs préparatifs techniques assurés par l’appareil bureaucratique de l’Etat moderne. »60
2.6. Le génocide des Musulmans de Bosnie (1995)

Dans l’affaire Krstic, par arrêt du 19 avril 2004, la chambre
d’appel du Tribunal international pour l’Ex-Yougoslavie, a conclu
à l’unanimité « qu’un génocide a été commis à Srebrenica en
1995 »61. Plus de 7.000 Musulmans de Bosnie ont été éliminés dans
les jours qui ont suivi la prise de cette enclave musulmane de
Bosnie par les forces armées bosno-serbes le 11 juillet 1995. La
chambre de première instance avait jugé que les Musulmans de
Bosnie constituaient un groupe national particulier et distinct. Cette
conclusion n’était d’ailleurs pas contestée en appel. La chambre
d’appel tient pour établi qu’à Srebrenica, des milliers d’hommes
musulmans ont été assassinés, tandis que les femmes, les enfants
ont été transférés vers d’autres territoires, sans qu’aucun ordre de
les tuer n’ait été donné. Or, le génocide implique la volonté d’élimination physique ou biologique. Toutefois, l’intention de tuer
1.400.000 Musulmans de Bosnie-Herzégovine en ciblant quelques

58. R. KAPUSCINSKI, « Esquisse d’une typologie », op. cit., p. 57.

59. B. LEMPERT, « Le Vote et le crime », in : C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée.
Négation et témoignages, op. cit., p. 285.

60. J. DAMASCENE, « Le Génocide au Rwanda était-il inéluctable ? », in : IbukaMémoire et Justice, acte de la 6ème commémoration du génocide des Tutsi et des
crimes contre l’humanité commis au Rwanda en 1994, Bruxelles, le 1er avril et le
7 avril 2000, p. 9.

61. Affaire n° IT-98-33, http://www.un.org/icty, consulté le 12 février 2005, site officiel des Nations Unies.

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milliers d’hommes est démontrée par une série d’éléments énoncés
par le jugement. D’abord, la ville de Srebrenica représentait, par sa
situation, une immense importance stratégique pour les Serbes. Son
contrôle était essentiel pour aboutir à une Serbie exempte de
Musulmans. La plupart des habitants musulmans de la région
avaient trouvé refuge dans l’enclave et leur élimination aurait permis de débarrasser la région tout entière de sa population musulmane. Ensuite, Srebrenica était la plus visible des zones de sécurité
créées par les Nations Unies. L’élimination des Musulmans de cette
ville devait montrer que malgré l’intervention de la communauté
internationale, le groupe était vulnérable et sans défense face aux
forces militaires serbes. Enfin, la chambre d’appel constate qu’en
raison du caractère patriarcal de la société musulmane de Bosnie,
l’élimination d’un nombre important d’hommes devait aboutir à la
disparition physique du groupe, d’autant que les morts seraient
réputés « disparus » et que leur épouse, ne pouvant dès lors se
remarier, ne pourrait avoir d’autres enfants. En ce sens, le transfert
des femmes et des enfants peut s’interpréter comme une volonté de
les séparer des hommes en vue justement d’empêcher la reconstitution du groupe.
Dans une affaire qui a opposé la Bosnie-Herzégovine à la
Serbie-et-Monténégro devant la Cour internationale de justice,
celle-ci a, par arrêt du 26 février 2007, reconnu l’existence d’un
génocide à Srebrenica. La Cour fait siennes les conclusions du
Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie, sans toutefois
retenir la responsabilité de l’Etat serbe62.
La plupart des historiens, cependant, refusent d’utiliser le terme
« génocide » pour qualifier le massacre des Musulmans de Bosnie.
Selon Pierre Vidal-Naquet, « il est clair que nous sommes là dans
une situation limite »63.
62. Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 26 février 2007, rôle général n° 91.

63. P. VIDAL-NAQUET, Réflexions sur le génocide, op. cit., p. 21.

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3. Le négationnisme et le révisionnisme : définitions

Qualifier de génocide un crime demeure très problématique. Les
exemples ci-dessus ont pour but d’ouvrir la question de la qualification de génocide et d’en mesurer la difficulté. C’est dans cette
difficulté même que s’ancrent les racines du révisionnisme et du
négationnisme. Depuis des temps très anciens, les luttes de pouvoir
prétendent cacher certains événements, les rayer de l’histoire, les
soustraire à la mémoire collective. Ainsi, en 1598, l’Edit de Nantes
reconnaît le protestantisme en France mais n’oublie pas de dicter ce
que les mémoires doivent retenir des événements qui ont abouti à la
concrétisation du texte : « Premièrement, que la mémoire de toutes choses passées d’une part et d’autre, depuis le commencement
du mois de mars 1585 jusqu’à notre avènement à la couronne et
durant les autres troubles précédents et à leur occasion, demeurera
éteinte et assoupie, comme de chose non advenue. Et ne sera loisible ni permis à nos procureurs généraux, ni autres personnes quelconques, publiques ni privées, en quelque temps, ni pour quelque
occasion que ce soit, en faire mention, procès ou poursuite en aucunes cours ou juridictions que ce soit. »64
La tentation du révisionnisme et du négationnisme est récurrente face aux épisodes trop douloureux du passé.
3.1. Révisionnisme ou négationnisme ?

Le Petit Robert (2007) définit le révisionnisme et le négationnisme de la manière suivante :

Révisionnisme : 1. position idéologique préconisant la révision
d’une doctrine politique dogmatiquement fixée. 2. position idéologique tendant à minimiser le génocide des Juifs par les nazis,
notamment en niant l’existence des chambres à gaz dans les camps
d’extermination.

64. Edit de Nantes, 1599, http://pages.globetrotter.net/pcbcr/edit.html, consulté le 12
janvier 2006, Centre d’édition de textes électroniques de la Faculté des Lettres &
Sciences humaines de l’Université de Nantes.

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Négationnisme : position idéologique consistant à nier l’existence des chambres à gaz utilisées par les nazis.

Dans notre analyse de ces deux mécanismes appliqués au cas
rwandais, la consultation des historiens amène à s’écarter des définitions proposées par Le Petit Robert. Le terme « négationnisme »
nous retiendra davantage. En effet, il existe une différence entre
« négationnisme » et « révisionnisme », et nous entendons ici
démontrer que si le révisionnisme n’est pas condamnable en soi, le
négationnisme l’est toujours. « Révisionnisme » est un mot souvent utilisé par les « négationnistes » pour justifier leurs manipulations de l’histoire. Ainsi, personne ne revendiquera l’étiquette de
« négationniste ». « Le révisionnisme n’est pas le jumeau du
négationnisme, mais une imposture fabriquée par les premiers
négationnistes qui affirmaient un droit à réviser qu’ils n’avaient
pas. »65 Les négationnistes « ont prétendu travailler dans le respect
de la déontologie historienne et présenté leur interprétation comme
‘révisionniste’, c’est-à-dire nullement différente dans sa démarche
même de diverses révisions antérieures, à commencer par celle des
partisans de la révision du procès intenté au capitaine Dreyfus, et
que, comme ces autres révisions, elle ne faisait que s’opposer ‘à la
notion d’orthodoxie, de dogme, de tabou; à une autorité qui maintient une doctrine’ »66. Ce prétendu « révisionnisme » sera dorénavant nommé « négationnisme ». Les révisions de l’histoire sont
légitimes et même nécessaires, la révision appartient à la démarche
de l’historien, un historien est toujours révisionniste67. Le révisionnisme est donc une démarche classique chez les scientifiques68. Les
65. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 143.

66. N. FRESCO, Fabrication d’un antisémite, op. cit., p. 57, citant Annales d’histoire
révisionniste, n° 1, printemps 1987, « Liminaire », p. 6.
67. E. TRAVERZO, « Révision et révisionnisme », in : C. COQUIO (dir.), L’Histoire
trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 161.

68. H. ROUSSO, Le Syndrome de Vichy 1944-198…, éd. du Seuil, 1987, p. 166, cité
par Y. TERNON, « Le Spectre du négationnisme », in : C. COQUIO (dir.),
L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 207.

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« révisionnistes » cherchent à établir la vérité, en réexaminant des
textes et des faits, en apportant de nouvelles interprétations ou de
nouvelles thèses, sans vouloir manipuler la réalité69. « Mais nier
l’histoire n’est pas la réviser. »70 La perfidie de l’entreprise négationniste consiste précisément à se faire passer pour ce qu’elle n’est
pas, un effort pour écrire et penser l’histoire71. Les négationnistes se
cachent derrière le mécanisme du révisionnisme, qui traduit « une
démarche plus qu’honorable, une démarche à la fois légitime et
nécessaire, dans le but de se donner une respectabilité trompeuse et
mensongère »72. C’est pour cette raison que la ligne de démarcation
est fragile entre historiens négationnistes, d’une part, historiens respectueux de la tragédie des victimes, d’autre part73.

Le révisionnisme est une attitude digne d’un point de vue historique74 car, « il n’existe pas une réalité historique, toute faite avant
la science, qu’il conviendrait simplement de reproduire avec fidélité. La réalité historique, parce qu’elle est humaine, est équivoque
et inépuisable »75. Il existe certes une vérité historique, mais
aucune certitude absolue. La recherche évolue donc constamment
au fil du temps et de l’avancement des travaux de dépouillement.
Les négationnistes, eux, ne révisent pas l’histoire, ne proposent pas
une autre interprétation des faits historiques mais les nient tout simplement, y compris lorsqu’ils ont acquis un caractère de notoriété
indiscutable. Ils se situent en dehors de l’histoire, en dehors du dis-

69. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 143.

70. P. VIDAL-NAQUET, Les Assassins de la mémoire. « Un Eichmann de papier » et
autres essais sur le révisionnisme, Paris, éd. du Seuil, 1995, p. 150.
71. Ibidem, p. 149.

72. P. VIDAL-NAQUET, Les Assassins de la mémoire, Paris, éd. La Découverte, 1987,
cité par C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit.,
p. 158.

73. D. LOSURDO, Le Révisionnisme en histoire, Paris, éd. Albin Michel, 2006,
p. 200.

74. J. KOTEK, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

75. R. ARON, Introduction à la philosophie de l’histoire, Paris, éd. Gallimard, 1938,
p. 120.

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cours intellectuel76. La définition que nous retiendrons finalement
est la suivante : « ‘Négationnisme’ signifie l’ensemble des attitudes
adoptées et des explications fournies pour nier la vérité d’un génocide - ou plus largement, d’un crime contre l’humanité. La négation
du génocide peut être considérée comme l’une des composantes du
crime. Elle définit une stratégie de destruction de la vérité et de la
mémoire. Elle est à la fois un instrument du meurtre – elle fait disparaître les cadavres – et une réaction de défense contre une accusation de meurtre. »77

Cependant, il faut garder à l’esprit que quiconque s’aventure sur
le terrain glissant du lien entre révisionnisme et négationnisme sera
confronté au mensonge autant qu’au souci de vérité. Ces attitudes
sont si intimement mêlées qu’il est parfois difficile de faire la part
des choses. Il faut déjouer les pièges de ceux qui jonglent avec les
mots, sans pour autant voir systématiquement de la manipulation
dans chaque discours. L’équilibre est précaire.

Quel que soit le contexte, le négationnisme présente des caractéristiques communes. « Les outils de la négation sont le doute, la
réduction, la relativisation, la banalisation et le retournement de
sens. »78 Toutes les étapes d’un génocide sont marquées par la négation. Le déni fait partie du crime sans être évidemment inscrit dans
sa définition. Avant même la perpétration du génocide, il y a négation. Comme l’exprime Ryszard Kapuscinski, « avant le génocide,
sa préparation est dissimulée, pendant le génocide, sa réalité est
démentie, après le génocide, sa nature même est niée »79.

Le premier acte qui précède un génocide est la remise en question de l’innocence des victimes. Dans son livre Innocence des vic76. J. KOTEK, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

77. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 143.
78. C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 34.

79. R. KAPUSCINSKI, « Esquisse d’une typologie», op. cit., p. 57.

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times. Au siècle des génocides80, Yves Ternon explique que les
« perpétrateurs » s’emploient à rendre la victime coupable. Les
tueurs amorcent un processus de retournement. Les négationnistes
affirment que les victimes les ont contraints à se défendre contre un
complot : « ‘Ils méritaient leur sort. Nous nous sommes défendus
contre une agression. C’étaient eux ou nous’. »81 Sont coupables
les Arméniens qui ont envisagé un mouvement nationaliste et qui ne
sont pas des citoyens soumis, sont coupables les Juifs qui veulent
conquérir le monde soit à travers le capitalisme soit à travers le bolchevisme, sont coupables les Tutsi qui domineront et extermineront
les Hutu s’ils ne sont pas éliminés. La négation est donc d’emblée
présente puisque la victime est coupable, et cette négation persiste
durant toute la perpétration du génocide82.

Lors de l’exécution du génocide, le secret absolu est de rigueur.
Si c’est impossible, les faits sont déguisés. Par exemple, le fait pour
les Arméniens de déguiser le génocide en déportation, participe de
la négation83, comme le fait, pour les Turcs, d’avoir recouvert de
leur propre uniforme les victimes arméniennes. Lors du génocide
des Tutsi, des faits de guerre étaient évoqués pour justifier une
riposte. Les tueurs se voyaient expliquer que leurs victimes étaient
des agents infiltrés du Front patriotique rwandais, venus pour
reprendre le pouvoir aux Hutu. Le meurtre est perpétré au nom du
« eux ou nous », mais surtout de la légitime défense contre les
Tutsi « agresseurs », qui ont tiré les premiers et sont donc coupables. Les négationnistes transforment donc les rapports de force84 .
80. Y. TERNON, Innocence des victimes. Au siècle des génocides, Paris, éd. Desclée
de Brouwer, 2001.

81. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 148.

82. Y. TERNON, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.
83. Y. TERNON, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

84. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 148.

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Après l’exécution du génocide, la négation se poursuit et se renforce. L’ « histoire du chaudron » est emblématique du processus
qui se met en place après les faits. Il s’agit d’une histoire de la tradition yiddish qu’on appelle le « witz », ce qui veut dire « la plaisanterie » : A prête un chaudron à B qui rend le chaudron troué. A
lui dit « je t’ai prêté un chaudron neuf, tu me le rends troué ». Ce
à quoi B répond « non, tu ne m’as pas prêté de chaudron. Quand
bien même tu me l’aurais prêté, il était troué »85. Il s’agit d’une
forme bien particulière de sophisme, intrinsèque à la démarche
négationniste, « ‘un sophisme dont on a beaucoup ri, bien que l’on
puisse douter de son caractère de mot d’esprit’, expliquait Sigmund
Freud, qui le rangeait dans les ‘fautes de raisonnement’ »86.
Dans le cas rwandais, on retrouve le même argumentaire sur le
mode « nous n’avons jamais tué les Tutsi, et quand bien même
nous les aurions tués, c’eût été pour éviter qu’ils nous tuent ». Le
raisonnement bascule alors dans l’irrationnel. « Le négationnisme
efface l’histoire : l’événement n’a jamais eu lieu ; celui qui le
décrit n’y a jamais assisté. »87

Enfin, lorsque le négationniste est acculé vient le phénomène du
retournement, la dernière touche88. « Les prétendues victimes ont,
elles aussi, perpétré des massacres : double génocide. Puis inversion : ‘il y a bien eu génocide, mais on se trompe de coupable; on
nous accuse alors que nous sommes les victimes’. »89 Pour les
négationnistes, le génocide des Tutsi devient le génocide des Hutu,
85. Ibidem.

86. S. FREUD, Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient, Paris,
éd. Gallimard, 1981, p. 97 et 99, cité par N. FRESCO, Fabrication d’un antisémite,
op. cit., 1999, p. 34.

87. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 143.

88. Y. TERNON, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

89. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 148.

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comme le génocide des Arméniens devient le génocide des Turcs
par les Arméniens. Le propos en arrive à l’extrémité de sa dialectique, à l’inversion des rôles90. Ce jeu à somme nulle est un autre
mécanisme de la négation. « Certains considèrent qu’il vaut mieux
oublier le génocide rwandais, car, selon eux, tous ont été victimes,
ceux qui ont péri par la main des bourreaux et ceux qui ont suivi
ces derniers, abusés ou manipulés par eux. Dans un autre registre,
la tentation de l’amalgame nous amène à penser à ceux qui refusent
la singularité irréductible du génocide des Juifs et des tziganes
dans l’expérience nazie, sous prétexte que l’antifascisme ne peut
souffrir aucune distinction entre victimes, sinon en usant des catégories ‘raciales’ établies par les bourreaux eux-mêmes. Refuser
l’analyse, se masquer la face, oublier, c’est aussi concevoir
l’Afrique comme un théâtre tribal échappant à toute morale. Les
événements du Rwanda nous imposent de refuser l’abstention et
d’admettre la nature, la signification réelle des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide. »91
3.2. Comment combattre le négationnisme ?

Nous l’avons vu, la négation est inhérente au projet génocidaire
lui-même. Dès lors, comment éviter de tomber dans le piège tendu
par les instigateurs du crime ? L’analyse des faits, l’enquête et la
vigilance constituent un premier barrage, qui, pour certains, doit
être renforcé par un arsenal juridique réprimant les actes négationnistes. Il incombe à chacun de ne pas se laisser tenter par la facilité
de la globalisation et de ne pas accepter d’emblée tout discours
comme vérité, car même les esprits les mieux intentionnés sont susceptibles de sombrer, sans s’en apercevoir, dans la négation de
l’horreur.
90. Ibidem.

91. J.-P SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l’histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p.167.

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« Les membres de l’Union Européenne, à l’exception du
Danemark, ont introduit dans leur code pénal la sanction de la
négation du génocide perpétré par le régime nazi pendant la
seconde guerre mondiale. Cette négation est donc jugée comme un
délit. »92 Cependant, si plusieurs Etats sanctionnent la négation du
génocide des Juifs, les autres génocides restent bien souvent hors du
champ d’application d’une quelconque sanction juridique. Certains
juristes et historiens critiquent d’ailleurs cette restriction, car ils ne
voient pas la raison de singulariser à ce point le génocide des Juifs.

La Belgique a débattu de l’opportunité d’étendre au génocide
des Arméniens la loi du 23 mars 1995 tendant à réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide
commis par le régime national-socialiste allemand pendant la
seconde guerre mondiale. La proposition de texte élargissant à tous
les génocides reconnus juridiquement les possibilités de poursuites
en cas de négationnisme, a été rejetée. Seul le génocide juif ne peut
pas être nié sous peine de sanctions pénales. Pourquoi ne pas avoir
élargi la loi à la sanction de la négation des autres génocides ? La
raison est essentiellement politique. Les enjeux liés aux notions de
génocide et de négationnisme sont toujours l’objet de débats houleux, et ceux qui ont lieu en Belgique ne font pas exception. Seuls
les génocides reconnus par un tribunal international, par le Conseil
de sécurité de l’ONU ou par une décision judiciaire belge, étaient
visés par le projet d’élargissement de la loi de 1995. Or, le
Parlement européen a condamné le génocide des Arméniens, en
1987. Le Mouvement réformateur (MR) et Ecolo étaient donc
d’avis que la loi sanctionnant le négationnisme devait être élargie à
ce génocide perpétré par les Turcs. Mais le Parti socialiste (PS)
n’envisageait pas les choses de la même manière, les autres partis
le soupçonnant de vouloir ménager son électorat turcophone. Emir
Kir notamment, secrétaire d’Etat bruxellois, est un grand pourvoyeur de voix pour le PS. Or, il fut taxé de négationnisme suite à
92. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 159.

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sa participation, en mai 2004, à une manifestation dont le
slogan central était « Défends la patrie, rejette les allégations de
génocide. » Deux journalistes, Mehmet Koksal et Pierre-Yves
Lambert avaient qualifié le secrétaire d’Etat de négationniste, de
menteur et de délinquant en raison de ses agissements politiques93.
Pour répondre à ces allégations électoralistes, l’historien socialiste
Philippe Moureaux déclarait, à l’adresse du MR et d’Ecolo : « A
vouloir faire monter tous les grands massacres de l’histoire au
même niveau, c’est une manière de descendre la gravité, l’immense
gravité de la Shoah. »94 Existerait-il donc un unique grand génocide, plus « grave » que les autres, celui des Juifs ? Suite à ces
dissensions politiques, Laurette Onkelinx, ancienne ministre socialiste de la Justice a donc préféré remettre les débats à plus tard, dans
un climat plus serein, jugeant qu’« une formation politique a mis le
feu aux débats. Ce sont des communautés qui se montent les unes
contre les autres. Ce sont des partis démocratiques qui se font traiter de négationnistes. Ça devient n’importe quoi »95.
Au Rwanda, l’article 13 de la constitution de juin 200396 stipule
que « le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre sont imprescriptibles. Le révisionnisme, le négationnisme et la banalisation du génocide sont punis par la loi. »

Le juriste Jérôme de Hemptinne souligne le danger que peut
présenter l’adoption d’un arsenal juridique combattant le négationnisme. « Punir la négation de tous les génocides et crimes contre
93. A. LEROY, Rencontre avec Mehmet Koksal : « Dénoncer le blocus politique »,
21 novembre 2005, http://www.mrax.be, consulté le 12 janvier 2006, site du
Mouvement de lutte contre le racisme et la xénophobie.
94. Déclaration de P. MOUREAUX sur RTL TVI le 8 mai 2005, cité par CH. LY,
« Querelles sur le génocide arménien », 18 mai 2005, http://www.lalibre.be/,
consulté le 28 janvier 2006, site de La Libre Belgique.

95. B. HENNE, « Le Négationnisme mis au frigo », 8 juin 2005, http://www.lapremiere.be, consulté le 28 janvier 2006, site de la RTBF.

96. Constitution rwandaise de juin 2003, http://democratie.francophonie.org,
consulté le 27 janvier 2004, site de l’observatoire de la délégation aux droits de
l’homme et à la démocratie.

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l’humanité n’a de sens que si l’on s’entend préalablement sur la
définition exacte à donner à ces notions. Loin d’être une simple formalité, ce travail s’apparente à un exercice de funambulisme
puisqu’il est question, d’une part, de sanctionner toute personne
qui cherche par ses propos ou écrits, à attiser la haine raciale et,
d’autre part, de préserver la liberté d’expression de chacun.(…)
Peut-on par exemple parler de négation coupable lorsqu’un chercheur avisé qui, après avoir apporté un regard critique,
mais nuancé, sur une question de justice, en vient à remettre en
question l’existence légale d’un crime contre l’humanité ou d’un
génocide ? »97

La question de la définition du négationnisme s’est posée lors
du procès de David Irving. Le 20 février 2006, l’historien britannique s’est vu condamner par un tribunal de Vienne à trois ans de prison pour avoir nié la réalité des chambres à gaz et de l’Holocauste.
Connu pour avoir toujours nié celui-ci, David Irving avait affirmé,
en 1989, qu’il n’y avait jamais eu de chambres à gaz à Auschwitz98.
Il aurait déclaré, lors d’une audience au Canada en 1991, qu’il ne
voyait aucune raison d’être délicat avec la Shoah : « C’est du vent,
c’est une légende. Il y a tant de survivants d’Auschwitz vivants – en
fait, plus les années passent, plus il y en a, ce qui est très bizarre
d’un point de vue biologique, c’est le moins que l’on puisse dire. Je
vais fonder une association de survivants d’Auschwitz, des survivants de la Shoah et d’autres menteurs. »99 Pour certains, il apparaît donc légitime qu’il soit pénalement puni. Cependant, pour d’autres, c’est le principe même de la liberté d’expression qui est mis à
mal. Ainsi, le journaliste Jeff Jacoby, dont le propre père est un res97. J. de HEMPTINNE, « Ambiguïté et incertitudes », in : La Libre Belgique, 31 mai
2005.
98. « Négationnisme : Irving condamné », http://www.nouvelobs.com, consulté le
28 juin 2006, site du Nouvel Observateur.

99. Cité par J. JACOBY, journaliste au Boston Globe in : « Liberté d’expression pour
la pensée que nous haïssons », 14 mars 2006, sur http://www.info-impartiale.net,
consulté le 28 juin 2006, site indépendant de journalistes, monteurs, documentalistes et personnels toutes catégories confondues des médias audiovisuels.

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capé d’Auschwitz, critique cette condamnation. Selon lui, même si
David Irving « est un menteur plein de haine, répugnant »100, les
gouvernements ne devraient pas criminaliser les opinions et les
arguments, aussi abjects et absurdes qu’ils soient. Car « le gouvernement qui peut criminaliser la négation de la Shoah aujourd’hui
peut criminaliser toute autre opinion dérangeante demain »101.

100. Ibidem.
101. Ibidem.

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SECONDE PARTIE

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On a vu dans la première partie que la définition même du génocide n’est pas identique pour les juristes et pour les historiens, que
le nombre de génocides dans l’histoire est discutable, que les
notions même de révisionnisme et de négationnisme sont sujettes à
caution. Dans le cas du Rwanda, l’histoire permet de mieux appréhender la naissance de la haine ethnique et il ne fait aucun doute que
la qualification de génocide s’applique aux « massacres » qui ont
visé les Tutsi, à côté des opposants hutu. Mais la notion de négationnisme reste très difficile à appréhender. Nous tenterons de dégager les mécanismes et acteurs de cette négation propre au génocide
des Tutsi au Rwanda.
1. La colonisation, l’ethnicisation, le génocide

« Quelle que soit la manière dont on l’envisage, même une tragédie ne se produit pas dans le vide. »102 La nation rwandaise était
autrefois soudée. Dans ce pays des Mille collines, éleveurs tutsi et
agriculteurs hutu vivaient ensemble sur un même territoire, parlaient la même langue et pratiquaient la même religion sous la houlette d’un même souverain103.

102. G. PRUNIER, Rwanda : le génocide, Milan, éd. Dagorno, 1999, p. 9.

103. E. NSANZUBUHORO NDUSHABANDI, La Mémoire du génocide et la problématique
de sa gestion politique au Rwanda, cas de la Mairie de Ruhengeri, mémoire présenté en vue de l’obtention d’un grade de licencié en sciences politiques, polycopié, Université nationale du Rwanda, Butare, 2003, p. 16.

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Le contexte historique du génocide nous apprend que la société
rwandaise, pas plus qu’une autre, ne portait en elle la fatalité du
génocide. Aucune haine séculaire ne justifie les massacres de 1994.
L’horreur fut incontestablement liée à des enjeux politiques et
modernes.
1.1. La construction du préjugé « ethnique » au Rwanda

C’est de la période coloniale que date le sentiment d’appartenance ethnique104. « L’idéologie de la haine trouve son origine dans
la stratégie coloniale de ‘diviser pour régner’, qui scindera la
nation rwandaise en trois groupes : les Hutu, les Tutsi et les
Twa. »105 La journaliste Marie-France Cros résume l’histoire du
Rwanda. Avant l’arrivée des colonisateurs, le Rwanda est un
royaume fortement centralisé, doté d’une solide administration. Les
Tutsi, les Hutu et les Twa forment trois « catégories », selon la traduction du terme kinyarwanda utilisé. Les Tutsi sont en général éleveurs, mais pas exclusivement, les Hutu sont agriculteurs, tandis
que les troisièmes, les Twa sont potiers, chasseurs, espions et chanteurs du Roi, qui appartient lui à la « catégorie » des Tutsi. Jusquelà, aucune haine atavique ne sépare les Hutu des Tutsi, même si de
nombreuses guerres éclatent entre chefs et que le pouvoir du Roi se
montre volontiers cruel. Dès 1860, les Rwandais entrent en contact
avec les explorateurs et missionnaires européens. Par ce fait même,
la société rwandaise se voit pénétrée de préjugés venus d’ailleurs.
Les nouveaux venus sont en outre habités d’une soif de conquête
qui ne les pousse pas à tenter de comprendre le Rwanda qu’ils sont
en train de découvrir. « (…) Les Blancs s’étonnent de l’organisation poussée de l’Etat rwandais, des traits presque européens de
nombreux Tutsis- tout en trouvant ‘dégénérés’ ceux de la famille

104. C. VIDAL, « Les Politiques de la haine », in : Les Temps modernes, n° 483,
juillet-août 1995, p. 6-7.

105. A. SHYAKA, « La Genèse des conflits dans les pays d’Afrique des Grands
Lacs », in : CCGC, n° 5, Université nationale du Rwanda, Butare, août 2002,
p. 124.

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royale -et de la croyance des Rwandais en un Dieu unique. »106 Ils
concluent donc très simplement que les Tutsi ne sont pas de « vrais
Noirs » mais qu’ils sont originaires d’Ethiopie, et désignent cette
« catégorie » pour diriger le pays. Les Hutu sont assignés au rôle
de « gouvernés ». « Ces préjugés s’imposeront durablement à
l’administration coloniale qui mesurera le nez et les fronts ; qui
limogera les chefs hutus pour les remplacer systématiquement par
des Tutsis, dont elle fera les courroies de transmission de ses décisions ; qui réservera sa meilleure école aux fils de chefs, désormais
tutsis ; qui dès les années 1930 fera figurer l’ethnie sur la carte
d’identité des Rwandais. »107 Ce n’est pas une quelconque différence ethnique ou historique avérée qui a fait le lit des troubles du
Rwanda « mais la représentation que l’on avait des Tutsi dans
l’imaginaire du peuple ».108 En juin 1994, Marie-France Cros souligne le rôle de l’idéologie implantée par le colonisateur, dans le
chef des Rwandais : « Seuls les Hutus sont de vrais Rwandais, les
Tutsis étant censés venir d’Egypte. Pendant des années, les
Européens, Belges en particulier, n’y ont rien trouvé à redire.
Missionnaires, coopérants ou hommes politiques, ils ont pourtant
connu la seconde guerre mondiale ou ont appris à l’école que le
fascisme et l’exclusion systématique menaient tout droit à la ‘catastrophe’ que fut la Shoah pour les Juifs. Ils le savent si bien qu’aucun d’eux n’oserait décrire aujourd’hui les Juifs comme avares,
sales et avec le nez crochu. Nous avons cependant entendu souvent
nos compatriotes – pas tous ! – liés au Rwanda expliquer benoîtement que ‘les Tutsis sont intelligents et fourbes tandis que les Hutus
sont balourds mais gentils’, sous-entendant par là qu’il était normal que les premiers, dangereux, subissent une discrimination, afin
de permettre aux seconds, demi-innocents, de s’épanouir. »109
106. M.-F. CROS, « Histoire d’un pays aux ethnies rivales », in : La Libre
Belgique, 7 avril 2004, p. 4.

107. Ibidem.

108. G. PRUNIER, Rwanda : le génocide, op. cit., p. 34-35.

109. M.-F. CROS, « Un racisme de bon aloi », in : La Libre Belgique, 1er juin 1994.

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Finalement, les Tutsi profiteront de cette position de force et les
Hutu intérioriseront ce rôle de « soumis », ce sentiment d’infériorité. L’instruction aidant, les Tutsi commencent à s’intéresser aux
luttes pour l’indépendance. L’Eglise, la première, perçoit le danger
et change d’attitude : les Hutu sont les nouveaux alliés.
L’administration lui emboîte le pas et aide aussi les Hutu à formuler leurs revendications d’émancipation, conçues, fort opportunément pour la Belgique, comme un rejet de l’indépendance réclamée
par les Tutsi. En 1959, les premiers affrontements éclatent entre les
deux « catégories ». C’est le moment de la révolution sociale, qui
se voulait démocratique mais qui marque son début par un massacre important de Tutsi, poussant des milliers d’autres à s’exiler dans
les pays voisins110. Le général Guy Logiest est envoyé pour rétablir
l’ordre et nomme des Hutu aux postes de chefs et sous-chefs, à la
place de Tutsi. La Belgique, qui prône désormais l’instauration
d’une république hutu, organise un référendum sur la monarchie,
par lequel elle empêche la présence du souverain au pays. La république est proclamée en janvier 1961 et l’indépendance en 1962.
« Le régime du président Grégoire Kayiabanda (…) se caractérise
par un favoritisme envers les Hutus du Sud, d’où est originaire le
chef d’Etat. »111 Les massacres anti-Hutu au Burundi en 1972 ne
feront qu’accroître les tensions ethniques au Rwanda « où, à l’issue des pogroms anti-Tutsis, un coup d’Etat du général
Habyarimana en 1973, établira une préférence en faveur des Hutus
du Nord, région d’origine du nouveau Président »112. Durant toute
cette période, aucun des pays « partenaires » du Rwanda qui vit
avant tout de l’aide au développement, ne s’offusque de la situation,
pas même la Belgique qui s’y trouve omniprésente. « La seule politisation qui a porté ses fruits est celle de l’antagonisme atteint de
frustration Hutu-Tutsi, elle a réussi puisqu’elle a porté au pouvoir
110. E. NDAHYO, Rwanda. Le dessous des cartes, Paris, éd. l’Harmattan, 2000,
p. 25.

111. M.-F. CROS, « Histoire d’un pays aux ethnies rivales », op. cit.
112. Ibidem.

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ceux qui ont su l’exploiter et y remédier par l’expédient de l’exclusion ethnique (…). L’opinion en était arrivée à accréditer l’idée
que la bonne gouvernance au Rwanda passe par l’exclusion ethnique. »113 En somme, l’idéologie des extrémistes hutu au Rwanda
a pu s’appuyer sur des stéréotypes négatifs du Tutsi, qui ont pris
racine dans des représentations coloniales décrivant la prétendue
supériorité de la « race tutsi »114.
1.2. Guerre civile et génocide

« Le premier octobre 1990, les enfants des exilés tutsis réfugiés
en Ouganda (…) décident de forcer leur retour au Rwanda.
Commence une guerre civile à laquelle il fut officiellement mis fin
en août 1993, par des accords de partage de pouvoir. »115 La polarisation ethnique sort renforcée de la guerre de 1990, tout Tutsi étant
désormais qualifié d’ennemi, complice du Front patriotique rwandais (FPR). Soucieux d’indiquer ce qu’il nomme « ennemi »,
l’état-major de l’armée rwandaise diffuse un document daté du 21
septembre 1992, qui précise que cet ennemi est principalement le
« Tutsi de l’intérieur, extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui n’a
jamais reconnu et ne reconnaît pas encore les réalités de la
Révolution Sociale de 1959, et qui veut reconquérir le pouvoir
au Rwanda par tous les moyens, y compris les armes. »116
« Car c’est là aussi un des principes de la propagande de guerre :
il faut la présenter comme le conflit entre la civilisation et la
barbarie. »117 Ce faisant, l’angoisse de la population est « coagu113. D. BYANAFASHE, « Politisation des antagonismes et des attentes au Rwanda
1957-1961 », in : Rwanda. Identité et citoyenneté, n° 7 des CCGC, Université
Nationale du Rwanda, Butare, 2003, p. 107.
114. J. SEMELIN, Purifier et détruire, Paris, éd. du Seuil, 2005, p. 38.

115. M.-F. CROS, « Histoire d’un pays aux ethnies rivales », op. cit.

116. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, Paris, éd. Karthala, avril 1999,
p. 78.
117. A. MORELLI, Principes élémentaires de propagande de guerre, Bruxelles, éd.
Labor, 2001, p. 36.

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lée » sur un « ennemi », auquel on donne une « figure » concrète
et dont on dénonce la malignité à l’intérieur même de la société118.
« Cette tentative de canalisation de l’angoisse sur un ennemi bien
identifiable est déjà une manière de répondre au traumatisme de la
population : on lui explique d’où vient la menace. A partir de cette
‘transmutation’ de l’angoisse larvée en une peur concentrée sur
une ‘figure’ hostile, la haine se développe contre ‘cet Autre’ malfaisant. »119 Les appels à la haine se répercutent à travers une campagne médiatique dont le journal Kangura est un des piliers. Il a
notamment publié « les dix commandements du Hutu »120. La
Radio Télévision Libre des Mille collines (RTLM), créée en 1993,
diffuse également à longueur de journée des messages de haine et
d’incitation au massacre121. Toutes ces déclarations tendent à cristalliser l’existence des ethnies, à faire intérioriser par chaque catégorie les adjectifs qui lui sont appliqués. Ainsi, le Hutu est issu du peuple majoritaire, enfant de Sebahinzi (le défricheur de la forêt, intrépide et solidaire) alors que le Tutsi est issu du peuple minoritaire, il
est complice, ennemi du peuple, intrus, serpent et fourbe122. La
haine est ici une passion construite, « produite à la fois par une
action volontaire de ses zélateurs et par des circonstances qui favorisent sa propagation. Au final, l’issue logique et redoutable de
cette dynamique – de l’angoisse et de la haine – revient inévitablement à faire émerger dans une société le désir de détruire ce que
l’on désigne comme cause de la peur »123. Parallèlement à cette
propagande se mettent en place des milices interahamwe, armées
118. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 33.

119. Ibidem.

120. Cf. J.-P. CHRETIEN avec J.-F. DUPAQUIER, M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les
Médias du génocide, Paris, éd. Karthala, 1995.

121. E. NSANZUBUHORO NDUSHABANDI, La Mémoire du génocide et la problématique
de sa gestion politique au Rwanda, op. cit., p. 19-20.

122. F. RUTEMBESA, « Le Discours sur le peuplement comme instrument de manipulation identitaire », in : Peuplement du Rwanda, Enjeux et perspectives, n° 5
des CCGC, Université nationale du Rwanda, Butare, août 2002, p. 91.
123. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 33.

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militairement. Des armes blanches ainsi que des armes à feu sont
distribuées à la population en vue de combattre « l’ennemi ». A
Arusha, en 1993, des accords de paix sont pourtant signés avec le
FPR, le Front patriotique rwandais, prévoyant un partage du pouvoir. Les extrémistes hutu n’y souscrivent pas et le Colonel
Bagosora prédit « l’apocalypse »124.

Le 6 avril 1994, l’avion présidentiel est abattu à Kigali et des
barrages routiers, gardés par des miliciens, sont mis en place dans
les rues. Les premières victimes sont soigneusement sélectionnées.
Les tueries se concentrent d’abord sur les politiciens libéraux et
autres démocrates. Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre, est
assassinée à son domicile. Dix soldats belges de la MINUAR125 sont
également tués, tout comme Joseph Kavaruganda, président de la
Cour constitutionnelle. Cependant, les premiers massacres ne visent
pas uniquement des personnes connues. Des prêtres, des militants
des droits civiques, des leaders de partis politiques modérés et des
journalistes constituent aussi une cible privilégiée, en raison de leur
attachement à la transition démocratique. Des Hutu sont également
considérés comme ibyitso, « complices du FPR », parce qu’ils
s’étaient opposés à la « majorité démocratique ». Le même sort est
réservé aux personnes qui s’opposent aux massacres. En outre, les
personnes trop bien habillées n’échappent pas non plus aux milices,
car ces marques de distinctions sociales les rendent de facto suspectes d’opinions libérales. Et, bien sûr, le simple fait d’être tutsi vaut
la mort.
124. Au cours de l’une des multiples séances de négociation, soit quelques mois
avant la signature des accords d’Arusha, le Colonel Bagosora Théoneste, alors
directeur de cabinet du ministre de la Défense et homme de confiance du président
Habyarimana serait furieusement sorti. Les journaux d’opposition de l’époque
rapportent qu’emporté par sa colère, il aurait lancé au FPR qu’il trouvait intransigeant, la phrase suivante : « Je vais vous préparer l’apocalypse. » P. ERNY,
Clés pour comprendre le calvaire d’un peuple, Paris, éd. l’Harmattan, 1994, p. 54.
125. Mission d’Assistance des Nations Unies au Rwanda, force de maintien de la
paix établie par l’Accord d’Arusha.

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Le 9 avril, le nouveau gouvernement est proclamé. Le communiqué annonce un gouvernement multipartite représenté par le
MRN(D)126, le MDR127, le PSD128, le PDC129 et le PL130. En réalité,
même si tous les partis d’opposition sont représentés, seuls leurs
éléments « power », des radicaux hutu qui prônent le pouvoir
absolu des Hutu, demeurent au pouvoir.

Le génocide fut le fruit d’un travail très organisé. Il est très difficile de savoir qui, exactement, a commandé un tel plan, mais il
semble que le colonel Bagosora, directeur de cabinet au ministère
de la Défense et éminence grise du « gouvernement provisoire »,
en fut l’organisateur général. Vient ensuite la responsabilité du
ministre de la Défense, le général Augustin Bizimungu, qui surveilla la logistique131. Bien d’autres furent impliqués dans cette
organisation macabre. « On reconnaît chez eux des schémas de
pensée proches de ce qu’on lit sur le génocide nazi chez des historiens négationnistes. »132 Les victimes étaient par exemple attaquées verbalement, toutes les imputations de violences étaient automatiquement démenties, même face à une abondance de preuves et
les assassins étaient noyés dans un flou verbal, faisant partie de
ceux qui « se sont fâchés » contre les Tutsi suite à l’assassinat du
président133. Dans la plupart des préfectures, les massacres com126. Mouvement révolutionnaire national pour le développement (et la démocratie).
Parti unique d’Habyarimana plus tard « relooké » grâce à l’adjonction d’un
second « D ». Nombre de ses leaders ont été les principaux organisateurs du
génocide.

127. Mouvement démocratique républicain. Principal parti d’opposition, devenu le
principal partenaire de la coalition gouvernementale en juillet 1994.
128. Parti social-démocrate. Deuxième parti d’opposition en termes d’adhérents,
plus tard partenaire dans la coalition gouvernementale en juillet 1994.

129. Parti démocratique chrétien. Dans l’opposition à Habyarimana. Le plus petit
des quatre partis d’opposition « sérieux ».
130. Parti libéral. Parti d’opposition comptant de nombreux Tutsi.
131. G. PRUNIER, Rwanda, le génocide, op. cit., p. 275-288.

132. Ibidem, p. 288.
133. Ibidem, p. 289.

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mencèrent dans la nuit du 6 au 7 avril, à l’exception notable de
Butare qui resta « calme » jusqu’au 20 avril. La MINUAR était
présente, mais son mandat l’empêchait d’intervenir. Le FPR fut
donc le seul à pouvoir arrêter les exécutions. Byumba, l’Est de
Ruhengeri, le Nord de Kigali et Kibungo, les préfectures occupées
les premières par le FPR, souffrirent donc moins longtemps. A
l’Ouest de Ruhengeri et à Gisenyi, les massacres s’achevèrent fin
avril, pour la simple raison que presque tous les Tutsi de cette zone
avaient été tués. Les derniers massacres ont eu lieu dans le sud et le
sud-ouest134.
1.3. La particularité du génocide des Tutsi au Rwanda

Une des spécificités de ce génocide réside dans le fait qu’il a
impliqué fortement le peuple rwandais. Un des objectifs principaux
consistait en effet à engager profondément la population dans les
tueries. Pour cela, il incombait aux autorités d’accompagner les
appels au meurtre de mises en garde contre le danger qu’étaient
censées représenter les victimes. Car comme le décrit l’historienne
Anne Morelli, le consentement est plus facilement acquis si la
population croit que son indépendance, son honneur, sa liberté ou
sa vie en dépendent135. Ne restait plus, ensuite, qu’à persuader le
monde que ces « tueurs à la machette » avaient agi dans une sorte
de folie collective136. De nombreux Hutu répondirent à l’appel à la
haine lancé par les autorités. Beaucoup étaient pauvres : quatrevingt-six pour cent de la population vivait alors en dessous du seuil
de pauvreté. Une grande partie de ces démunis était des jeunes traînant dans les rues de Kigali, destinés à un avenir sans perspective.
La population, subissant la propagande, concentrait toute sa peur et
sa colère sur le FPR, et plus largement sur tous les Tutsi. Pour certains Rwandais rejetés de la société, le génocide représentait une
134. Ibidem, p. 311-312.

135. A. MORELLI, Principes élémentaires de propagande de guerre, op. cit., p. 27.

136. J.-P. CHRETIEN avec J.-F. DUPAQUIER, M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les
Médias du génocide, op. cit., p. 206.

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opportunité de rehausser leur statut. Ces « voyous » organisèrent
des bandes au sein desquelles ils déployèrent leur force physique,
leur capacité à se battre et leur connaissance des armes. Les femmes
et les enfants tuèrent ou blessèrent plus rarement des Tutsi mais pillaient et détruisaient des biens. Tous les tueurs n’étaient cependant
pas des pauvres. La mobilisation fut générale. L’élite rwandaise,
bien plus riche que la masse, constituait une part importante des
autorités génocidaires. Ceux qui tardaient à se joindre au mouvement furent intimidés par les autorités qui paraissaient s’exprimer
d’une seule voix et par les militaires prêts à effrayer ceux qui ne suivaient pas la politique du moment. Les inconditionnels du MRND
(Mouvement républicain national pour le développement et la
démocratie137) ou de la CDR (Coalition pour la défense de la république138), les réfugiés du Burundi formèrent également une réserve
non négligeable d’acteurs des tueries139.

Une des idées les plus redoutables du régime a été de distribuer
des armes à la population et de constituer des groupes « d’autodéfense » en son sein. Le pouvoir hutu, en construisant la haine de
l’autre, a réussi à impliquer le Rwanda dans son ensemble, du paysan au militaire140.
Les tueries n’ont pas été anarchiques. L’Etat rwandais a savamment conditionné la population. Parmi les organisateurs, on
retrouve les plus hauts cadres militaires mais aussi de simples
citoyens. Sous la houlette de Théoneste Bagosora étaient rassemblés « des leaders de toutes les formations politiques unies autour
du projet dit ‘Hutu Power’, des responsables administratifs (…),
ralliés progressivement au programme dit de ‘l’autodéfense civile’,

137. Ancien parti unique du Rwanda, dominé par Juvénal Habyarimana, son fondateur.
138. Parti politique fortement anti-Tutsi qui collaborait parfois avec le RND et permettait à ce dernier, plus centriste, d’avancer des idées plus radicales.
139. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, op. cit.,
p. 306-308.
140. C. BRAECKMAN, Rwanda. Histoire d’un génocide, op. cit., p. 152.

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des diplomates chargés de justifier les tueries jusque dans l’enceinte du Conseil de sécurité, des évêques apportant dès le début
leur appui au ‘gouvernement intérimaire’ (…), des prêtres appelant
à des réunions ‘de sécurité’ ou refusant leur aide à des fuyards, des
universitaires contribuant à la propagande (…), des médecins veillant à épurer des hôpitaux, des enseignants soucieux de ‘l’ordre’
dans leurs établissements. Le plus souvent ces assassins aux beaux
habits ont laissé des ‘paysans’ se salir les mains, mais ils étaient
juste en deuxième ligne pour coordonner les opérations »141.

Un document soumis aux autorités locales, daté du 29 septembre 1999 et rédigé par le colonel Nsabimana mentionne clairement
qu’il existait une réelle volonté d’impliquer tous les Rwandais
autour d’un projet « d’autodéfense » contre l’« ennemi » : les
Tutsi. « L’autodéfense populaire fait partie intégrante d’une politique de défense crédible. Il faut donc expérimenter ce système étape
par étape, en privilégiant les communes périphériques constamment exposées aux incursions ennemies et en l’étendant ensuite à
l’intérieur du pays. »142

Rendre justice dans un tel contexte représente un véritable défi.
Comment juger toute une population ? Aujourd’hui, la justice suit
lentement et difficilement son cours. Cette difficulté à juger et à
enquêter sur la réalité des faits constitue, pour le négationnisme, un
terrain propice, alors qu’actuellement, tous les Rwandais doivent
réapprendre à vivre ensemble, sur les mêmes collines.
2. Les racines du négationnisme

Ce chapitre entend analyser la façon dont le négationnisme
prend forme et se propage. Il est important, en premier lieu, de
prendre connaissance du contexte dans lequel émergent les discours
négationnistes. Le génocide en lui-même entraîne de facto sa pro-

141. J.-P. CHRETIEN, « Le Nœud du génocide rwandais », in : Esprit, n° 7, 1999,
p. 36.

142. C. BRAECKMAN, Rwanda. Histoire d’un génocide, op. cit., p. 154.

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pre négation. C’est dans un contexte propice à l’émergence du
négationnisme que se profileront les différents types d’acteurs (les
émetteurs) des idées négationnistes. Les génocidaires, bien sûr, nieront a priori la réalité des faits. Mais le contexte précis du génocide
des Tutsi au Rwanda explique le comportement d’autres acteurs,
comme l’Eglise ou la communauté internationale. Chacun utilisera
des mots et invoquera des motifs différents pour ne pas parler de
génocide, ce que nous appelons les « arguments » des acteurs du
discours négationniste. Enfin, le moyen par lequel ces idées se propagent constitue un autre élément clé. Les vecteurs ou les supports
de ces discours ne sont néanmoins que rarement identifiables, car la
culture orale domine au Rwanda. Les traces écrites, tangibles, du
négationnisme sont donc très rares, même si le phénomène est
indiscutable. Ces trois étapes de la construction du discours négationnistes – les racines, les acteurs et les vecteurs – sont ellesmêmes constitutives du message négationniste. La réception de ce
message en est le dernier élément constitutif, mais il n’est guère
possible actuellement de le décrire ou de l’analyser, c’est pourquoi
il n’en sera pas question ici.
2.1. La logique de négation inhérente à tout génocide

Tout génocide, par définition, implique sa propre négation, elle
est parallèle et automatique, il s’agit d’une relation de cause à
effet. Lorsque l’on commet un crime tellement horrible, aussi terrible, on sait que l’on sera redevable vis-à-vis de l’histoire, si pas
nous, nos enfants ou nos petits-enfants. La tendance naturelle se
porte donc vers le négationnisme143. Le perpétrateur, conscient de
l’ignominie de ses actes, installe immédiatement une mémoire
dénégatrice. Cette logique négationniste n’attend d’ailleurs pas la
perpétration des massacres pour apparaître. « Le génocide est un
crime qui a toujours trois vies: il plonge ses racines dans la planification, érige son tronc dans l’exécution et étale ses branches dans
143. J. KOTEK, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

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la négation. Mais quel que soit le stade où il est rendu, le génocide
s’abreuve toujours à une source majeure : celle de la négation. »144
Ceux qui mettent en œuvre l’extermination décident simultanément
de l’effacement de toute trace de leur acte, car la machine génocidaire ne sert pas seulement à détruire à grande échelle, elle sert également à nier cette destruction. On ne sait pas assez que la volonté
génocidaire ne consiste pas uniquement à tuer systématiquement. Si
elle n’était que ça, la volonté génocidaire du bourreau ne se transformerait pas en catastrophe intégrale pour les victimes. La
machine génocidaire a précisément pour but de les empêcher de
faire leur deuil145. « Ils voulaient tellement nous éliminer qu’ils
avaient la manie de brûler tous nos albums photos pendant les pillages, de sorte que les morts n’aient même plus l’opportunité
d’avoir existé. Pour plus de sécurité, ils voulaient tuer les gens et
leurs souvenirs, et en tout cas tuer les souvenirs quand ils ne pouvaient pas attraper les gens. Ils travaillaient à notre disparition et
à la disparition des marques de leur travail, si je puis dire. »146
C’est en cela que « la machine génocidaire n’est pas une machine
à tuer des vies, elle est surtout une machine à tuer des morts »147.

La négation s’exerce aussi bien avant le génocide que pendant
et après. Dans le cas du génocide des Tutsi au Rwanda, tout a été
mis en œuvre, au moment même des faits, pour masquer la réalité
de ce qui était en train de se commettre, pour déguiser le génocide
en guerre civile née d’un besoin d’autodéfense contre les envahisseurs du FPR qui, eux, exécutaient un génocide. Certains attri-

144. F. BUGINGO, « Rwanda… Tragique oubli ou le négationnisme en marche ? »,
http://users.skynet.be/wirira/bugingo6.htm, consulté le 15 janvier 2000, site traitant de ce qui se rapporte aux génocidaires et à l’histoire du Rwanda.
145. M. NICHANIAN, « La Dénégation au cœur du génocide », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 144-145.

146. Témoignage de Marie-Louise KAGOYIRE recueilli par J. HATZFELD in : Dans le
nu de la vie, Paris, éd. du Seuil, 2000, p. 126.

147. Y. TERNON, « Les Eléments de la preuve », in : R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P.
CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit., p. 144-145.

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buaient les massacres à quelques individus isolés qui semaient le
trouble, niant l’hypothèse d’un acte criminel généralisé consistant à
éliminer une population ciblée d’avance. Ce genre de propos émanait également des instances officielles rwandaises, le pouvoir
génocidaire héritier de Habyarimana. Les médias ont été largement
mobilisés pour faire valoir cette vision des choses. Peu avant le
génocide, le ministre de l’Information garantissait un certain pluralisme qui offrait une alternative à la RTLM proche du pouvoir en
place. Mais dès le début du génocide, le ministre ainsi que les journalistes non acquis à « la cause gouvernementale » ont été assassinés ou obligés de fuir, avec pour conséquence le renforcement du
discours négationniste. Les ondes de Radio Rwanda et de la RTLM
sont demeurées au service des officiels et d’une série de forces civiles acquises au génocide qui s’employaient à camoufler la nature
exacte de ce qui était en train de se produire. La version des faits
ainsi véhiculée circulait au Rwanda, mais également au Conseil de
sécurité de l’ONU où le Rwanda était représenté par le gouvernement génocidaire, ainsi qu’à la Commission des droits de l’homme
de l’ONU à Genève qui reçut, en mai, des représentants de ce gouvernement. Même devant l’Organisation de l’Unité Africaine, en
juin, c’est une délégation officielle de ce gouvernement « intérimaire » qui se présenta et nia la réalité du génocide148.
2.2. La difficulté de la parole au Rwanda

Tout génocide est suivi d’un silence. « Un génocide n’est pas
une guerre particulièrement meurtrière et cruelle. C’est un projet
d’extermination. Au lendemain d’une guerre, les survivants civils
éprouvent un fort besoin de témoigner ; au lendemain d’un génocide, au contraire, ils aspirent étrangement au silence. »149
148. N. GASANA, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP) au Rwanda et chargé de cours associé à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 12/07/2005 à Kigali.
149. J. HATZFELD, Dans le nu de la vie, op. cit., p. 9.

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Le Rwanda présente au surplus des caractéristiques sociologiques et anthropologiques particulières qui favorisent, pour certains
analystes, le développement du discours négationniste. Parler de sa
douleur, de ses blessures n’est pas un comportement social fréquent
au Rwanda dont la culture prône la réserve, le secret, pour ne pas
dire le silence. Ce silence est culturel mais également parfois pragmatique et stratégique. « Le silence est partout au Rwanda. Il est
culturel : on n’exhibe pas ses douleurs sans passer pour un impudique. Il est politique : la vérité ne réussit pas à émerger du fourreau constricteur de la déformation partisane. Il est économique :
l’urgence de la survie contraint à reléguer au second plan le devoir
de mémoire. Il est stratégique : les responsables du génocide et
leurs complices rêvent d’un silence éternel. Il est universel : pour
masquer les absences ignobles de ceux qui auraient pu si pas prévenir, du moins arrêter ou réprimer un crime sans nom. »150 De ce
fait, les témoignages de Rwandais qui relèvent d’une démarche personnelle, et non d’une requête émanant d’institutions, de journalistes ou autres, sont encore peu nombreux151. « Cela vient de loin,
parce que dans notre culture, normalement, on doit être discret, on
ne doit pas élever le ton. Donc ces personnes-là font le contraire,
c’est-à-dire qu’elles sont tellement dépassées par ce qui leur est
arrivé, qu’elles n’obéissent même plus à cette consigne culturelle
de discrétion. Elles sortent tout ce qu’elles ont à l’intérieur et malheureusement, ce n’est même pas ordonné (…). »152 Claudine Vidal,
Directeur de recherche en sociologie au Centre National de la
Recherche Scientifique, le souligne également : « Parler publiquement de soi n’est pas une habitude rwandaise, encore moins écrire
à la première personne et il est tout particulièrement attendu des
150. F.BUGINGO, « Rwanda… Tragique oubli ou le négationnisme en marche ? »,
http://users.skynet.be/wirira/bugingo6.htm, consulté le 15 janvier 2000, site traitant de ce qui se rapporte aux génocidaires et à l’histoire du Rwanda.
151. C. KAREMANO, Au-delà des barrières, Paris, éd. l’Harmattan, 2003, préface de
Claudine VIDAL.

152. Propos de Daniel RWGEA, anthropologue, enregistrés par M. MUKAMABANO,
« Rwanda : des étoiles éteintes », 27 janvier 2003, cité par C. COQUIO, Rwanda.
Le réel et les récits, éd. Belin, 2004, p. 108.

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femmes qu’elles observent systématiquement cette attitude de
réserve. »153 Pourtant, ce sont les femmes, les premières, qui prirent
l’initiative de parler : en 1997, Yolande Mukagasana (La mort ne
veut pas de moi) et en 2000, Marie-Aimable Umurerwa (Comme la
langue entre les dents)154. Esther Mujawayo, rescapée du génocide,
a également livré son témoignage dans un ouvrage intitulé
SurVivantes155. Elle affirme pourtant n’en avoir ressenti aucun
besoin personnel. « Je n’éprouve pas le besoin profond de raconter mon histoire », déclare-t-elle156. « Je suis pragmatique (…) : si
témoigner de mon parcours peut être utile, alors oui. Mais à titre
personnel, je ne sais pas…»157 En tant que rescapée, elle se dit coincée entre une nécessité de faire émerger la vérité et un refus de la
part de certains de l’entendre. « Au Rwanda, on nous dit
aujourd’hui : ‘on en a assez parlé’ (…). Tout comme il n’y a pas
une seule famille de Tutsi qui n’ait pas perdu au moins un de ses
membres ; il n’existe pas une seule famille de Hutu sans, au moins,
qu’un des leurs ait participé au génocide, et celui-là entache toute
la famille. (…) Alors pour les Hutu, coupables ou pas, c’est mieux
de ne pas parler de ce qui s’est passé, et d’effacer (…). Quant aux
Tutsi réfugiés dans les pays lointains depuis trente ans, en vivant en
exil, ils ont fait un mythe de ce pays, et maintenant ils y sont enfin.
Mais ils y sont après un génocide, et ils nous disent : ‘on en
a assez parlé’. ( …) Au Rwanda, on a senti qu’il ne fallait pas
raconter. »158
De plus, d’un point de vue extérieur, l’histoire du rescapé est
souvent qualifiée de « trop horrible »159. Charles Karemano a
quitté le Rwanda le 3 mars 1995, et, s’étant lui-même livré à cet
153. C. KAREMANO, Au-delà des barrières, op. cit., préface de Claudine VIDAL.

154. Ibidem.

155. E. MUJAWAYO, S. BELHADDAD, SurVivantes, Paris, éd. de l’Aube, 2004.
156. Ibidem, p. 17.
157. Ibidem.

158. Ibidem, p. 19-20.

159. Ibidem, p. 20.

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exercice de témoignage, en a éprouvé les difficultés : « Qu’il est
difficile de parler de soi ! A moins d’y être forcé, soit pour se justifier, soit pour accuser. »160

Un des problèmes liés aux témoignages des rescapés du génocide est l’incrédulité des interlocuteurs. Le témoin du génocide possède une autorité paradoxale : le survivant est certes là pour témoigner de ce qu’il a vu, mais son discours sera toujours perçu comme
une production hasardeuse et insuffisante pour établir les preuves
du génocide en tant que tel161. « Il désigne donc à la fois la performance et l’échec constitutifs de la négation génocidaire : l’archivation paradoxale du crime en vue de son effacement fait que la
preuve est impossible sans la contribution du témoin, lequel pourtant ne fait pas preuve à lui seul. »162 L’historien et le juriste demandent toujours plus de preuves au témoin. Cette violence qui s’exerce
à son égard devient violation lorsqu’elle est formulée par le négationniste163. « Le témoin prétendant attester la réalité par sa présence à l’événement, voire même en révéler la vérité terrible, est,
plus que l’historien, la cible première et dernière du négateur. Le
négationnisme est une machine de guerre contre le témoignage, un
dispositif de délégitimation globale des témoins (…). Le témoignage, celui des bourreaux comme celui des victimes, est donc
récusé en bloc en tant qu’archive falsifiée ou non probante du fait
de sa fatale subjectivité, là où une souveraine et placide ‘objectivité’ s’impose, qui recompte les morts, réfute les preuves, demande
des photos et veut voir pour croire. »164

Selon Esther Mujawayo, si le rescapé a souvent l’impression de
ne pas être cru, c’est également parce que ses interlocuteurs ont le
réflexe de se convaincre que la situation ne pouvait pas être aussi
160. C. KAREMANO, Au-delà des barrières, op. cit., avant-propos.

161. C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 34.
162. Ibidem.

163. Ibidem, p. 36.
164. Ibidem.

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horrible que celle qui est décrite. Les rescapés pensent ne pas être
crus s’ils racontent ce qu’ils ont vécu depuis le génocide165.
Pourtant, la situation était bien horrible, à tel point que Esther
Mujawayo elle-même se demande si tout cela a réellement pu se
passer.

Ce questionnement engendre une autre problématique : certains
s’emparent de ce doute qui habite le rescapé et qui le fait peiner à
« se croire lui-même », pour alimenter des thèses négationnistes166.
Esther Mujawayo précise cependant que ce doute n’est pas un doute
historique, « c’est quelque chose à l’intérieur de nous, de moi,
quelque chose de confus, de fou »167. Ce doute intérieur peut aller
jusqu’à empêcher certaines victimes de témoigner de ce qu’elles
ont subi ou vu. Ainsi, Esther Mujawayo affirme qu’elle « n’ira
jamais demander quoi que ce soit devant un tribunal », parce
qu’elle « sait parfaitement que cette confusion sera interprétée
comme du mensonge ou comme une déformation de la vérité »168.
En écrivant son livre, la peur de ne pas être crue l’a poursuivie, c’est
pourquoi, explique-t-elle, elle s’est attachée à donner le maximum
de détails concrets à son récit, « pour qu’on ne me remette pas en
question ».169 Les témoins du génocide des Tutsi au Rwanda sont
en effet parfois victimes de violences verbales, notamment
lorsqu’ils témoignent devant un tribunal. Ils peuvent se voir reprocher de « culpabiliser » ou de développer une « stratégie victimaire »170. « Ces pratiques de langage contre le témoignage qui
‘agace’ vont figer le rescapé, la victime et son témoignage dans une
identité et une figure mortifères. »171
165. J. HATZFELD, Une Saison de machettes, Paris, éd. Seuil, 2003, p. 50.

166. E. MUJAWAYO, S. BELHADDAD, SurVivantes, op. cit., p. 88.
167. Ibidem, p. 89.
168. Ibidem.

169. Ibidem, p. 94.

170. C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 748.
171. Ibidem.

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En outre, les rescapés éprouvent du mal à parler de leurs souffrances alors que les tueurs n’ont pas ce même vécu de douleur qui
lie la parole. « Le rescapé a honte de croiser celui qui a tué ses proches, c’est lui qui a peur, qui se sent humilié de voir le bourreau se
promener.(…) Il est puissant et tranquille, la victime étant impuissante et très fragile. La victime qui sait tout, qui a tout vu et vécu
se tait et son silence est complice. Elle a peur de parler parce
qu’elle sait qu’elle peut être punie, être à la place du bourreau. Les
rôles sont intervertis. La survie le veut ainsi. (…) On la condamne
à se taire. Pourquoi parler alors que le génocidaire n’est pas tué,
qu’il se promène à travers le monde entier et au Rwanda ?(…). Le
rescapé se cache pour ne pas dénoncer le bourreau, car il a peur
d’être à sa place. Il a honte et peur devant celui qu’on sort de prison, il se jure intérieurement qu’il ne pourra plus témoigner, car il
devient ridicule. Ainsi, la société terrorise le rescapé qui se ferme
de plus en plus au monde environnant et qui s’enfonce dans le
désespoir, le découragement, la déception et le dégoût de tout ce
qui l’entoure. »172

Comme l’explique Jean Hatzfeld, les rescapés sont persuadés
que, de toute façon, il est trop tard173. Cet ancien reporter à
Libération a quitté le journalisme pour se pencher exclusivement
sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Il a écrit un ouvrage consacré
aux tueurs intitulé Une Saison de machettes, et un autre consacré
aux victimes : Dans le nu de la vie. En s’entretenant avec des génocidaires, il s’est aperçu que, contrairement aux rescapés, les tueurs
n’appréhendent pas de ne pas être crus174. Ses discussions avec eux
ont d’ailleurs été très directes et concrètes175. Alors que lui-même
éprouvait parfois le besoin de mettre un terme à une discussion, de
sortir de l’univers dans lequel son interlocuteur l’avait plongé de sa
voix imperturbable, « le prisonnier, lui, bien au contraire, conserve
172. Ibidem, p. 784. (texte écrit par Spéciosa Mukayiranga, rescapée du génocide).
173. J. HATZFELD, Une Saison de machettes, op. cit., p. 49.

174. Ibidem, p. 50.

175. Ibidem, p. 154.

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une égale disponibilité quels que soient le sujet abordé et la tournure de la conversation (…) »176. Jean Hatzfeld a tenté de comparer
la façon dont les témoignages étaient livrés, selon qu’ils émanaient
de rescapés ou de tueurs. Les dialogues avec les rescapés pouvaient
durer cinq minutes ou cinq heures et étaient souvent interrompus
par des larmes et des digressions parfois anodines. Il arrivait également qu’ils présentent différentes versions d’un même événement177. « D’un jour à l’autre, le ton de leur voix n’était jamais le
même. Même si leur histoire changeait en cours de récit, il fallait
les écouter sans réserve. »178 Les tueurs, par contre, ne semblaient
jamais bouleversés. Si la mémoire leur faisait défaut, il s’agissait
d’une déformation normale due au temps, rien de comparable avec
les chocs et les blocages de leurs victimes179. Clémentine, une
Rwandaise interrogée par l’auteur, explique que les rescapés et les
tueurs se souviennent d’une façon totalement différente. « Les
tueurs, s’ils acceptent de parler à haute voix, ils peuvent dire la
vérité sur tous les détails de ce qu’ils ont fait. (…) Leur mémoire ne
se cogne sur rien de ce qu’ils ont vécu, elle ne se sent pas dépassée
par de terribles événements. (…) Les rescapés, ils ne s’entendent
pas si bien avec leur mémoire. Elle zigzague sans cesse avec la
vérité, à cause de la peur ou de l’humiliation de ce qu’il leur est
arrivé. »180

De plus, génocidaires et rescapés sont aujourd’hui obligés de
vivre ensemble, sur les mêmes collines. Les derniers sont souvent
terrifiés à l’idée de parler devant leurs anciens bourreaux.
« Aujourd’hui, je n’en peux plus de rencontrer des assassins. J’en
ai assez de vivre dans la peur. J’ai envie de quitter le Rwanda, cette
terre où les assassins courent en toute liberté »181, confie une sur176. Ibidem, p. 182.

177. Ibidem, p. 183.
178. Ibidem, p. 185.

179. Ibidem.

180. Ibidem, p. 195-196.

181. Y. MUKAGASANA, Les Blessures du silence, Nantes, éd. Actes Sud, 2001, p. 54.

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vivante. Adélis Mukabutera et Séraphine Mukamana, toutes deux
également rescapées, expliquent que des interahamwe vivent à côté
d’elles. « (…) On les voit à la messe. On l’a dit au bourgmestre, il
nous a répondu qu’on ne pouvait pas emprisonner tout le monde.
Ils menacent de nous tuer, parce qu’on les a dénoncés. »182

On voit donc que la difficulté de parole des rescapés ainsi que
leurs craintes s’opposent à la volubilité et à l’aisance des génocidaires qui ont bien plus de facilités à imposer leur version des faits.
2.3. La « réconciliation » à tout prix

Le négationnisme trouve aussi un terrain favorable dans certains
milieux religieux où la « réconciliation » est présentée comme une
nécessité. Sachant que l’Eglise au Rwanda constitue la seconde
puissance instituée après l’Etat, cette idée bénéficie de nombreux
relais. Selon une enquête réalisée par le ministère rwandais des
Finances et du Plan et par le Fonds des Nations Unies en matière de
population (FNUAP), le Rwanda compte 57,2% de Catholiques,
24% de Protestants, 10,4% d’Adventistes (soit 92% de Chrétiens)
et 1,9% de Musulmans183. Le Père Guy Theunis, membre de la
Société des missionnaires d’Afrique (les « Pères blancs ») et prêtre au Rwanda de 1971 à 1994, formulait ce constat : « Depuis
l’époque coloniale, l’Eglise catholique est une puissance au
Rwanda, une sorte d’Etat dans l’Etat. »184 Autant dire que l’Eglise
joue un rôle majeur tant d’un point de vue économique que politique ou social185.
182. M. BÜHRER, Rwanda, mémoire d’un génocide, Paris, éd. Unesco, 1996, p. 92.
183. Dialogue, n° 177, p. 55.

184. ASSEMBLÉE NATIONALE FRANÇAISE, Rapport d’information déposé par la
Mission d’information de la commission de la défense nationale et des forces
armées et de la commission des affaires étrangères sur les opérations militaires
menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, 15
septembre 1998, n° 1271.

185. Ibidem.

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Selon les tenants de la réconciliation, il faudrait « tourner la
page », se réconcilier pour à nouveau vivre ensemble. Or, la réconciliation n’est pas la justice. Ce genre de position, aussi louable
soit-elle dans son intention, véhicule maints dangers. Sans justice,
sans analyse, l’histoire du génocide, sa réalité, risquent d’être malmenées. Il convient de dire les faits, de souligner les responsabilités, dans une perspective exempte de vengeance. Il y va d’un processus difficile et long, mais nécessaire si l’on ne veut pas tomber
dans une forme de négationnisme lénifiant susceptible de provoquer l’effacement pur et simple du passé, la dissolution des catégories de « victimes » et de « bourreaux ». Ce désir d’unification de
la population peut mener à de dangereux amalgames. Ainsi, René
Lemarchand en arrive à écrire : « L’exigence de reconnaître Hutu
et Tutsi comme faisant partie d’une même humanité nous oblige à
souligner leur commune culpabilité dans le drame du Rwanda,
même si celle-ci est inégalement partagée. »186 Au regard des événements des 1994, parler de « commune culpabilité » peut paraître à tout le moins déplacé et ouvrir la porte aux arguments négationnistes.
2.4. L’indifférence et les clichés de l’Occident

Un autre élément contextuel contribue à faciliter l’expansion du
négationnisme : le regard de l’Occident. Les médias ont joué un
rôle ambigu lors de la couverture médiatique du génocide. En 1995,
un universitaire belge s’est demandé pourquoi ce génocide
« n’avait pas la cote »187. Il a souligné que les médias avaient traité
les événements de 1994 « en fondant la réalité du génocide sur une
foule de témoignages convergents » mais en ne proposant que très
peu d’images aux téléspectateurs, proportionnellement à la couver186. R. LEMARCHAND, « Les Génocides se suivent mais ne se ressemblent pas :
l’holocauste et le Rwanda », in : L’Afrique des grands lacs, annuaire 2001-2002,
p. 25.
187. M. RAINKIN, « Un An après, un génocide qui n’a pas la cote », in : Le Soir, 18
août 1995.

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ture du choléra et de l’exode des réfugiés contraints de fuir l’avancée du FPR. Ce déséquilibre dans la couverture a laissé de profondes séquelles dans la mémoire du Belge moyen, à propos des événements de 1994. A ses yeux, les victimes étaient celles qui mouraient du choléra par centaines. D’après Jean-Paul Gouteux, auteur
du livre Le Monde, un contre-pouvoir ? Désinformation et manipulation sur le génocide rwandais188, le quotidien français de référence
aurait également contribué à banaliser les massacres en appliquant
certains clichés européens au cas rwandais189.

Toute une série d’Etats ont considéré que ce qui se passait au
Rwanda n’était qu’une affaire de « Noirs », « de sauvages qui
s’entretuent », qu’il fallait donc les laisser régler leurs problèmes
entre eux. L’idée que le génocide des Tutsi du Rwanda n’était qu’un
massacre tribal s’est très vite mise en place dans les esprits occidentaux. L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, comme le rapporte Laure de Vulpian, s’étonne de cette vision occidentale. « Le
révisionnisme concernant le génocide au Rwanda est fortement
teinté de mépris raciste ; et ce mépris repose sur l’idée que finalement, dans ces pays-là, la vie et la mort n’est (sic) pas quelque
chose de très important. »190 L’idée se nourrit directement de ce que
les Occidentaux connaissent – ou méconnaissent – de l’Afrique. Ils
savent que le Rwanda a vécu des catastrophes, des massacres et des
famines, ils en déduisent donc que voir tuer dix mille personnes par
jour n’est pas quelque chose d’extraordinaire. En témoigne la
déclaration de François Mitterrand à Biarritz, lors du sommet
franco-africain en novembre 1994 : « Que voulez-vous que la
France fasse quand des chefs africains décident de régler leurs problèmes à la machette ? »191 Le président n’hésite d’ailleurs pas à
188. L’Esprit Frappeur, 1999.

189. S. LE-NEVÉ et C. PETIT, « Médias silencieux, médias complices ? », in :
Mémoires vives, n° 1, février 2004, p. 34.
190. L. de VULPIAN, Rwanda. Un génocide oublié ? Un procès pour mémoire, Paris,
éd. Complexe, 2004, p. 235-234.

191. Ibidem, p. 235-236.

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confier à l’un de ses proches que « dans ces pays-là, un génocide
ce n’est pas trop important »192. Dans le même sens, Charles
Pasqua, ministre de l’Intérieur sous la présidence de François
Mitterrand, déclare au cours d’un journal télévisé : « Il ne faut pas
croire que le caractère horrible de ce qui est en train de se passer
là-bas a la même signification pour eux que pour nous. »193
2.5. Un génocide « réussi » : inexistence et faiblesse des
rescapés

« Un génocide est un non-événement programmé, appelé à se
nier lui-même en effaçant les traces, preuves et témoins – tous les
témoins. Mais cette totalisation-là échoue ; il y a toujours un reste
en la personne du témoin survivant : l’archive est plus facile à
détruire qu’une masse humaine (…).»194 Au Rwanda, les rescapés
sont peu nombreux et leur poids est particulièrement réduit face à
ceux qui ont commis le génocide. Cette situation entrave l’établissement des faits ainsi que la reconnaissance du génocide. Le
contexte est donc favorable au développement du négationnisme. Il
y a plus de génocidaires à l’extérieur, qui circulent librement, qu’à
l’intérieur des prisons. Ils ont tué des gens mais ils n’ont laissé personne pour le dire, pour les trahir. On assiste souvent, lors des
gacaca195, à des déclarations de génocidaires accusant les « hommes intègres »196, les juges, d’être eux-mêmes des tueurs. C’est de
cette manière qu’à peu près 1.200 « hommes intègres » ont été
démis de leur fonction. Ceci pour illustrer qu’il y a beaucoup plus
192. P. de SAINT-EXUPÉRY, L’Inavouable. La France au Rwanda., Paris, éd. des
Arènes, 2004, p.174.
193. L. de VULPIAN, Rwanda. Un génocide oublié ? Un procès pour mémoire,
op. cit., p. 235-236.

194. C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 34.

195. Les juridictions gacaca sont des juridictions dites populaires, instaurées au
Rwanda pour accélérer le processus de justice post-génocide.

196. « Juges » des tribunaux gacaca.

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Le cas du Rwanda

de génocidaires en liberté qu’en prison. Il ne reste guère de monde
pour les dénoncer, tout le monde a été massacré197.

Les rescapés étant peu nombreux, les génocidaires peuvent facilement faire valoir leur vision des choses. A Arusha, lorsque l’on
accuse les planificateurs, la première chose qu’ils font, c’est affirmer qu’il n’y a pas eu de génocide198.

Pour contrecarrer les discours négationnistes émanant des
tueurs, seuls les survivants peuvent faire entendre leur voix. Mais
comme l’indique Benoît Kaboyi, secrétaire exécutif d’Ibuka, principale association de rescapés du génocide au Rwanda, les victimes
doivent se préoccuper de beaucoup d’autres choses [que la lutte
contre le négationnisme] : lutter pour leur survie, contre le sida
contracté lors des viols, etc. Nos mères et nos sœurs souffrent. Elles
n’ont pas le temps de s’occuper de ces négationnistes, à peine le
temps de survivre. Même à Ibuka, nous avons d’autres choses à
faire que nous battre contre ces idéologues du génocide. Beaucoup
de personnes vont mourir bientôt. Qui va garder leurs enfants,
assurer leur survie ? C’est en cela que consiste notre combat199.
3. Les acteurs du négationnisme

Dans ce terreau favorable se sont positionnés différents acteurs
porteurs du discours négationniste. Chacun, à sa manière, brouille
les pistes et les faits. Ainsi, ce ne sont pas seulement les auteurs des
crimes qui nient le génocide des Tutsi au Rwanda. Certains Etats,
par exemple, tentent d’éluder leurs responsabilités. S’ils ne nient
pas explicitement le génocide, ils tentent néanmoins de le diluer
197. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.
198. I. MUSAFIRI, chargé des relations publiques et de la communication au service
national des juridictions gacaca, interviewé le 11/07/2005 à Kigali.

199. B. KABOYI, secrétaire exécutif d’Ibuka au Rwanda, interviewé le 11/07/2005 à
Kigali.

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dans une responsabilité massive200. Les médias également ont
contribué à façonner une certaine vision des choses. Au Rwanda
bien sûr, où jusqu’à la chute de Kigali, ils diffusaient des messages
de haine, mais également en Belgique ou en France où ils ont parfois contribué à véhiculer une version déformée des faits. Certains
milieux catholiques, certains intellectuels et certains sympathisants
de la cause hutu sont d’autres acteurs de ce négationnisme.
3.1. Les génocidaires

Lorsque les journalistes et les militaires français arrivent près du
lac Kivu fin juin 1994, c’est une population qui « ignore » ce que
sont devenus les Tutsi des environs qui les accueille. Rien d’étonnant à ce que les acteurs du génocide nient toute culpabilité, et, partant, le fait même du génocide201. Aujourd’hui ils ont peur que la
vérité soit établie, que la justice gacaca ne les accable202, affirme un
politicien rwandais. Pour la plupart des rescapés, c’est clair : Le
négationnisme se trouve toujours chez les bourreaux, pour se protéger, eux-mêmes et leur famille203. A la question : « qui sont les
gens qui nient la réalité du génocide ? », de nombreux Rwandais
répondent simplement : « les gens qui ont tué ». De manière
générale, ce sont quand même ceux qui sont coupables de près ou
de loin qui considèrent le génocide comme un simple événement de
l’histoire. Ce sont ces personnes qui voudraient qu’on tourne la
page, qu’on n’en parle plus et que la vie continue204.
200. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 159.

201. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, Paris, éd. Karthala, 1997, p. 223.

202. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.
203. V. RUTAYISIRE, guide au mémorial de Gisosy, interviewé le 13/07/2005 à Kigali.

204. S. SINYIGAYA, secrétaire exécutif du CLADHO (Collectif des ligues et associations de défense des droits de l’homme au Rwanda), interviewé le 12/07/2005 à
Kigali.

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Selon Gasana Ndoba, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne au Rwanda, les auteurs des discours
biaisés les plus élaborés, les plus « intellectuels » se retrouvent
parmi les anciens dignitaires du régime Habyarimana205. Certains
politiciens rwandais nient de manière très consciente, ils construisent le déni volontairement pour se laver de leur culpabilité206.

Toutefois, beaucoup de Rwandais estiment aujourd’hui que plus
personne n’ose nier le génocide comme tel parce que les preuves
sont trop flagrantes. Mais si parmi les génocidaires, personne n’ose
réellement affirmer que rien ne s’est passé, la réalité est souvent
modifiée. Je ne pense pas qu’il existe un Rwandais qui doute du
génocide mais le problème, c’est de l’accepter et d’accepter sa responsabilité. Les gens qui sont en prison essayent souvent de déplacer la faute. Ils disent qu’ils n’avaient pas de mauvaises intentions,
que c’est le gouvernement de l’époque qui les manipulait207. Les
bourreaux vont même jusqu’à évoquer leurs propres malheurs, leur
soumission aux ordres reçus. Jean Hatzfeld s’est entretenu longuement avec certains auteurs des massacres. Il explique que les génocidaires ont mis des mois avant de lui parler des tueries : « batailles » ou « expéditions » remplaçaient le mot honni. Ainsi, un
tueur a expliqué à l’écrivain qu’il « obéissait librement »208.
L’usage des mots trahit un effort de déplacement de la culpabilité,
tendant vers un but unique : se protéger. Les gens qui nient le font
pour couvrir leur crime ou pour dire que ce n’est pas assez209. Pour
205. N. GASANA, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP) au Rwanda et chargé de cours associé à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 12/07/2005 à Kigali.

206. D. MBONYINKEBE SEBAHIRE, docteur en anthropologie sociale et culturelle,
enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.

207. A. RUTAYISIRE, vice-président de la Commission nationale pour l’unité et la
réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.

208. Entretien avec J. HATZFELD par S. CYPEL : « Jean Hatzfeld, journaliste avant
tout », in : Le Monde 2, n° 10, 21-22 mars 2004, p. 28.
209. I. MUSAFIRI, chargé des relations publiques et de la communication au service
national des juridictions gacaca, interviewé le 11/07/2005 à Kigali.

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Benoît Kaboyi, beaucoup de Rwandais ont intérêt à ce que toute la
vérité ne soit pas dévoilée. Je crois que le négationnisme vient
d’une volonté de ne pas être accusé. Les gens ont refait leur vie, ils
excellent dans les relations diplomatiques, commerciales, ou en
tant que « grands défenseurs des droits de l’homme », mais beaucoup de personnes ont été impliquées d’une manière ou d’une autre
dans les événements qui se sont passés ici. Cela me fait honte d’être
parmi ces gens, même en tant que victime. Mais parmi ceux qu’on
croise, les gens qui travaillent, les gens qui plaident, les gens qui se
disent martyrisés, d’une façon ou d’une autre se trouvent des personnes directement ou indirectement impliquées. Des milliers de
génocidaires sont très puissants pour nier, ici au Rwanda. Ils ont
une cause à défendre, quelque chose cloche dans leur tréfonds donc
ils se cherchent des justifications210.

Lutter contre cette volonté massive de masquer la vérité est
ardu, car la plupart des bourreaux d’autrefois vivent librement sur
les mêmes collines que les familles des victimes. Il existe cependant
une différence entre d’une part ces nombreux Rwandais qui ont
joué un rôle dans le génocide et qui vivent toujours sur leur colline,
inquiets d’être condamnés par les tribunaux gacaca, et d’autre part
les nombreuses « personnalités » du génocide qui circulent librement à l’étranger. Annick Kayitesi, rescapée, s’indigne du fait que
de nombreux génocidaires vivent en liberté sur le territoire français.
« Et c’est à eux que la parole est le plus souvent donnée », insistet-elle. « Ils ont moins de problèmes à ‘parler’ que les rescapés,
peut-être parce que le relativisme qui habite leurs propos est plus
facile à entendre que les horreurs du génocide. »211 En 1997, Eric
Gillet, coordonnateur de la Fédération internationale des droits de
l’homme pour le Rwanda et le Burundi, affirmait que la Belgique
était devenue un havre de quiétude pour les présumés coupables de
210. B. KABOYI, secrétaire exécutif d’Ibuka au Rwanda, interviewé le 11/07/2005 à
Kigali.

211. Entretien avec Annick KAYITESI, in : L’Arche (mensuel du judaïsme français),
n° 554, avril 2004, http://www.col.fr/arche, consulté le 9 février 2006, mensuel du
judaïsme français en ligne.

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génocide, même si « le havre le plus sûr reste la France »212. Plus
récemment, en 2007, la Fédération internationale des Ligues des
droits de l’homme et l’organisation britannique d’aide aux victimes
de torture Redress ont lancé un appel afin que les pays de l’Union
européenne ne constituent plus « un havre de paix » pour les personnes suspectées d’avoir participé au génocide de 1994. Les deux
associations citent notamment la Belgique, la France mais aussi le
Danemark, la Finlande, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la
Norvège213.
3.2. La communauté internationale

Moins évident à démontrer et pourtant capital est le rôle négateur ou pour le moins édulcorant de la communauté internationale
lors des « massacres » de 1994. Même s’il s’agissait d’un rejet
dicté davantage par des considérations politiques voire opportunistes, la communauté internationale a été, de manière indirecte, responsable du génocide en ignorant la menace et en refusant de
reconnaître la réalité du génocide. C’est à la communauté internationale qu’incombait cette responsabilité, afin d’alerter l’opinion
publique, et surtout afin de provoquer une intervention de la part
des forces internationales. « S’il y a pire que le génocide en tant
que tel, c’est de savoir qu’il n’aurait pas dû avoir lieu. Pour citer
un expert, ‘on ne peut imaginer de génocide plus facile à éviter’.
Les chefs du complot semblaient peut-être impressionnants localement, mais ils étaient peu nombreux. Comment ne pas partager la
conviction de Roméo Dallaire, commandant des forces onusiennes,
qui a toujours insisté sur le fait qu’avec un effectif de 5.000 hommes et un mandat approprié, la MINUAR aurait pu empêcher la
plupart des tueries. (…) Le génocide aurait pu être évité si la com212. E. GILLET, interview, « La France, ‘havre de quiétude’ pour des responsables
du génocide rwandais ? », in : La Libre Belgique, 7 août 1997.

213. G. PAPY, « Appel à l’Europe contre l’impunité », in : La Libre Belgique, 4
avril 2007.

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munauté internationale avait eu la volonté d’en assumer les coûts.
Or, cette volonté plutôt molle avant le 6 avril, disparut complètement au début du génocide. Loin d’encourager l’envoi de troupes
en nombre suffisant, les meurtres des casques bleus belges
et le retrait par la Belgique de son contingent eurent l’effet
contraire. »214

Alain Destexhe et Alison Desforges identifient quatre grands
acteurs étatiques ou interétatiques porteurs d’une responsabilité : la
Belgique, la France, l’ONU et les Etats-Unis. « (…) la Belgique
pour avoir précipitamment retiré ses troupes et avoir vivement préconisé le retrait total de la force des Nations unies (…). »215 La
Commission d’enquête parlementaire belge, selon Alain Destexhe,
a permis de couper l’herbe sous les pieds à un courant politique et
historique négationniste qui s’appliquait à nier la spécificité et la
singularité du génocide des Tutsi et des massacres politiques des
Hutu216. La France, de son côté, a poursuivi ses livraisons d’armes
aux extrémistes hutu de l’ancien régime, auteurs du génocide mais
n’a pas encore présenté de signes de repentir217. La France avait
aussi mis en place une mission d’information après le génocide,
mais celle-ci n’a relevé que des culpabilités générales de « la
France » sans jamais dire qui, exactement, fut à l’origine des mauvaises décisions218.

214. J. KOTEK, « Rwanda 1994 : un génocide de la radio à la machette », op. cit.

215. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Rapport
de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 24.

216. A. DESTEXHE, « L’Etat des lieux des enquêtes sur les responsabilités de la communauté internationale dans le génocide », in : Ibuka-Mémoire et Justice, actes de
la 5ème commémoration du génocide des Tutsi et des crimes contre l’humanité
commis au Rwanda en 1994, Bruxelles, le 27 mars et le 7 avril 1999, p. 28.
217. O. ROGEAU, « Rwanda, dix ans après, enfin la vérité ? », in : Le VifL’Express, 2 avril 2004, p. 38.

218. A. DESTEXHE, « L’Etat des lieux des enquêtes sur les responsabilités de la communauté internationale dans le génocide », op. cit., p. 29.

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Au moment même, l’aveuglement obstiné des acteurs internationaux est indéniable, « tous les signaux étaient allumés, on savait
ce qui se passait à l’époque. Le monde a été témoin en direct du
génocide », dit Joël Kotek219. Nier l’existence d’un génocide
consiste, à ce moment, à se donner l’excuse de ne pas agir.
« L’administration Clinton refusa de qualifier de ‘génocide’ les
massacres au Rwanda en 1994, ce qui lui permit d’éviter de
s’impliquer directement pour l’arrêter ou pour en inculper les
auteurs. »220 La reconnaissance du génocide aurait entraîné une
obligation d’intervention immédiate, en application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 ratifiée par la plupart des Etats. Ceux-ci
ne voulaient pas assumer leurs obligations. La communauté internationale a donc nié le génocide qui se perpétrait sous ses yeux, par
opportunité politique et souci d’économies. « C’est parfois un simple choix politique qui conduit des groupes ou des partis à nier
l’existence d’un génocide. »221 Après l’échec en Somalie, les
Nations Unies ne voulaient plus consacrer aux expéditions de maintien de la paix qu’un investissement minimal. Les Etats-Unis
notamment réclamèrent des économies à grand cri, ce qui déboucha
sur l’envoi au Rwanda d’une force qui ne représentait que le tiers
de celle qui avait été envisagée au départ222. Ce négationnisme au
moment même des faits se traduit actuellement par une volonté inébranlable de ne pas reconnaître les fautes d’autrefois. « La négation n’est pas seulement le fait d’un individu qui veut se soustraire
au châtiment, mais aussi d’un Etat qui craint d’avoir à payer des
réparations, de rendre un territoire ou d’endosser la responsabilité
219. J. KOTEK interviewé par Laure
Radio-Fance, le 12 avril 2004.

DE

VULPIAN dans La Fabrique de l’histoire,

220. J. DOUGLAS, « Officials told to avoid calling Rwanda killings genocide», in :
New York Times, 10 juin 1995, A8.

221. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), Génocide(s), op. cit., p. 144.

222. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 25.

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morale du génocide. »223 Cette remarque s’applique aussi à une institution multilatérale comme les Nations Unies.

Pourtant, de nombreux signaux permettaient de comprendre les
faits, d’utiliser les mots adéquats pour qualifier les « tueries », et
ainsi de se donner les moyens nécessaires pour freiner la machine
en marche. Le célèbre télégramme du général Roméo Dallaire,
adressé le 11 janvier 1994 à ses supérieurs, ne fut pas le seul avertissement clair d’une tragédie à venir. Des dizaines d’autres
auraient, si nécessaire, pu éclairer les acteurs extérieurs sur la réalité des massacres224. Les rapports de René Degni Segui, rapporteur
spécial de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies
dans la région, ne laissaient également que peu de place au doute.
Venu au Rwanda en juin 1994 pour enquêter sur le génocide, il a
souligné que des familles entières étaient décimées, que, des
grands-parents aux nourrissons, personne n’était épargné. Il a précisé que certaines paroisses, certaines églises qui servaient autrefois
de refuges aux Tutsi, étaient devenues le théâtre des massacres. Il a
encore expliqué que les frontières étaient barrées pour empêcher les
Tutsi de fuir le pays. Enfin, son rapport décrit les conditions atroces
et affreusement cruelles dans lesquelles ces tueries étaient exécutées. Le professeur arrive à la conclusion qu’il s’agit là d’un génocide à l’égard des Tutsi225, ce qu’il ne manque pas de mentionner.
Ces différents rapports rendent plus inacceptable encore l’indifférence totale de la communauté internationale.
D’autres révélations comme le caractère planifié, volontaire,
des violences, le fait qu’elles étaient organisées par des autorités
communales qui encadraient la population, la conditionnaient pendant des semaines et prêtaient même des véhicules aux tueurs ont
223. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir), Génocide(s), op. cit., p. 145.

224. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 26.
225. R. D. SEGUI, « L’Incrimination (extraits de rapports, 1994-1995) », in :
R. VERDIER, E. DECAUX, J. P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle,
op. cit., p. 71.

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prouvé l’obstination dans l’aveuglement de hauts responsables, tant
à l’ONU qu’en Belgique et en France. Malgré les informations précises sur la préparation du génocide qui circulaient depuis décembre 1993, les faits ont été niés dans leur spécificité.
Le président du FPR lui-même, Alexis Kanyarengwe écrivait au
Conseil de sécurité, le premier mai 1994, que son pays était
confronté à un génocide. Mais Boutros Boutros-Ghali a préféré s’en
tenir aux termes de « crise humanitaire », termes qu’il utilisera
jusqu’à la fin du mois de mai.

François Mitterrand ose enfin utiliser le mot tabou lors du sommet franco-africain de Biarritz en novembre 1994 mais prend la
précaution de le mettre au pluriel, parlant de la « guerre civile et
des génocides » qui s’en sont suivis. Un pluriel lourd de sousentendus. Les Hutu auraient-ils également été victimes d’un génocide ? C’est bien la thèse que semble soutenir le président français
de l’époque. Interrogé à propos de ce pluriel inopportun, il se borne
à ironiser sur « les mystères de l’éloquence »226. « En outre, la
France préfère qualifier de « rumeurs » les nombreux rapports
des organisations des droits de l’homme qui auraient dû alerter
l’opinion internationale. La France choisit alors d’intensifier sa
présence militaire aux côtés de l’armée gouvernementale
rwandaise, tandis que la Belgique ne suspendra jamais sa coopération. »227 « Tous portent donc une part de responsabilité : les
Etats-Unis pour avoir préféré faire des économies plutôt que de
sauver des vies humaines et pour avoir ralenti l’envoi d’une force
de secours, le personnel des Nations unies pour avoir manqué de
fournir des informations adéquates aux membres du Conseil de
sécurité, et enfin la France pour avoir continué à soutenir un gouvernement engagé dans le génocide. »228
« Dès les premières heures des massacres, les responsables

226. J.-P. CHRETIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 210-211.

227. C. BRAECKMAN, « Autopsie d’un ethnocide planifié », op. cit., p. 54.

228. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 24.

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américains, belges et français savaient que les Tutsi étaient tués
parce qu’ils étaient tutsi. (…) Ils savaient mais ne disaient pas. Si
les Etats-Unis étaient peut-être les seuls à demander expressément
à leurs représentants de ne pas utiliser le mot ‘génocide’, les diplomates et hommes politiques des autres nations, ainsi que le personnel des Nations unies bannirent eux aussi ce terme. (…) Le
Secrétaire général Boutros Boutros-Ghali évoquait le génocide
comme s’il s’agissait d’une catastrophe naturelle et décrivait les
Rwandais comme un peuple ‘qui subissait des conséquences désastreuses’. Certains décideurs ne parvinrent pas à dépasser les vieux
clichés, tel un représentant du Conseil de sécurité nationale des
Etats-Unis qui décrivit le génocide en parlant de ‘massacres tribaux’. »229
Comme l’écrit Jean-Pierre Chrétien230, le négationnisme actuel
quant au génocide des Tutsi au Rwanda ne fait que relayer l’aveuglement antérieur consistant à refuser d’admettre le caractère pervers d’un régime exerçant un « racisme de bon aloi », selon la formule de Marie-France Cros.

Les Rwandais eux-mêmes gardent un fort sentiment d’abandon
de la part de la communauté internationale et lient directement les
attitudes fautives passées de celle-ci à sa relative bienveillance
aujourd’hui face aux thèses négationnistes. Ainsi, Benoît Kaboyi,
Secrétaire exécutif d’Ibuka, rappelle que tant avant que pendant le
génocide, il y a clairement eu des implications extérieures. Les pays
ou instances responsables de ces implications ne voudraient pas
qu’elles soient révélées. Je crois donc pouvoir affirmer que ces
gens-là sont à la base d’idées négationnistes. C’est d’ailleurs un
fait, certaines puissances ne voulaient pas que la vérité éclate et ont
tout fait pour minimiser le génocide. (…) Même si les casques bleus
étaient tristes, ils ont laissé les nôtres mourir. Regardez comme ils
nous ont laissés, prenant les chiens et jetant dans les rivières ceux
qui avaient la même couleur de peau que moi. Actuellement, les cri229. Ibidem, p. 27-28.

230. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 98.

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minels ont besoin de gens qui les soutiennent, c’est ce qui se fait
dans vos pays, là où les génocidaires circulent librement, loin de
leurs victimes. Ils écrivent, expliquent les choses à un auditoire qui
dépasse de loin celui des victimes231 .

Kalisa Evariste, président de la Commission de l’Unité nationale des droits de l’homme au Rwanda, souligne également le
laxisme des pays occidentaux face à certains discours. Certains
pays assistent à des faits négationnistes et ne font rien : c’est de la
complicité. Lorsqu’on sait qu’il y a eu génocide et que dans son
propre pays, des gens se permettent d’écrire des propos négationnistes alors que le génocide a été reconnu, c’est grave. Cela se
passe dans des pays développés, des pays riches. Dernièrement, on
entendait sur ‘La voix de l’Amérique’, sur la BBC, des idées à tendance négationniste. Et ces radios sont parfaitement captées et
comprises ici. En outre, les gens d’ici en parlent, ils vont jusqu’à le
dire publiquement. (…) La communauté internationale qui a été
passive durant le génocide ne peut plus l’être face au négationnisme. Nous remercions la Belgique de juger le génocide sur son
territoire. Par contre, la France, qui a eu une implication dans le
génocide, n’a eu aucune réaction jusqu’ici, or il y a encore des
génocidaires sur son territoire232. La culpabilité refoulée et la
volonté, de la part des Etats et des instances internationales, de justifier leur inertie engendrent logiquement la négation.

Ces quatre grands acteurs internationaux, l’ONU, les EtatsUnis, la Belgique et la France n’ont pas la même position
aujourd’hui : certains ont reconnu leurs fautes, allant jusqu’à s’en
excuser devant les autorités rwandaises actuelles. Koffi Annan, à
l’époque Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la
paix à l’ONU, a par exemple admis qu’il aurait dû agir plus adéquatement pour empêcher les massacres, début avril 1994. Le Conseil
231. B. KABOYI, secrétaire exécutif d’Ibuka au Rwanda, interviewé le 11/07/2005 à
Kigali.

232. K. EVARISTE, député, président de la Commission de l’unité nationale et des
droits de l’homme au Rwanda, interviewé le 18/07/2005 à Kigali.

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de sécurité avait alors refusé de renforcer les effectifs de la
MINUAR, comme si la situation ne requérait pas de mesures fortes
et rapides. La Belgique, elle, n’avait pas hésité à retirer son contingent de la force de l’ONU, suite à l’assassinat de ses dix casques
bleus233, mais le Premier ministre Verhofstadt a reconnu que les dix
casques bleus ont été « victimes d’une opération mal pensée, mal
équipée, qui témoignait jusqu’à l’absurde d’une grave insensibilité
à la tragédie que connaissait le Rwanda »234. Il a été jusqu’à en
demander pardon publiquement, au Rwanda, au nom de la
Belgique.
3.3. Les médias

3.3.1. Les médias au Rwanda

Lorsque l’on évoque le rôle des médias lors du génocide des
Tutsi au Rwanda, c’est immédiatement la RTLM et les médias
locaux qui s’imposent à l’esprit. L’enquête d’Africa Watch235 met au
jour l’organisation concertée du mensonge. La provocation verbale
se révèle une arme de prédiction créatrice, habilement maniée par
les médias rwandais. Les journalistes légitimaient à l’époque les
tueries en cours en annonçant les suivantes et en réinventant le
passé, ancien ou récent, sur le mode de la complainte d’une persécution éternelle des Hutu par les fourbes Tutsi. Les journalistes de
la RTLM n’hésitaient pas en outre à nier la réalité du génocide,
allant jusqu’à l’imputer aux victimes236: « (…). Ces gens, donc,
comme le Premier ministre l’a dit hier soir, ces gens qui se font passer pour interahamwe et qui dressent des listes de personnes à tuer,
233. O. ROGEAU, « Rwanda, dix ans après, enfin la vérité ? », op. cit., p. 38.

234. C. BRAECKMAN, « La Belgique confrontée à son passé colonial », in : Manière
de voir 76, août-septembre 2004, p. 79.

235. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Rapport
de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 30.

236. J.-P. CHRÉTIEN avec J.-F. DUPAQUIER, M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les
Médias du génocide, op. cit., p. 201.

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Le cas du Rwanda

ces gens sont des complices des inkotanyi, ils doivent être traités
comme des inkotanyi. Si quelqu’un vient donc à Nyamirambo et
commence à tirer sur des gens ou à les aligner, il faudra le traiter
comme un inkotanyi et donc l’exécuter sur-le-champ. Voilà comment les choses doivent marcher. Autrement, si les choses désordonnées continuaient, notre pays n’irait pas loin. »237

Aux côtés de la RTLM, le journal Kangura fut le noyau dur du
négationnisme offensif. Ce mensuel créé en 1990 avant même l’offensive du Front patriotique rwandais, a continué à paraître après la
fuite en République démocratique du Congo de son équipe éditoriale238. Fin 1994, Hassan Ngeze, son directeur, a par exemple expliqué que « le vrai » génocide était celui de plus d’un million de
Hutu tués par la main des Tutsi, parmi lesquels on ne compte que
quelques dizaines de milliers de morts239.

Aujourd’hui encore, la place des médias dans la propagation
d’idées négationnistes au Rwanda reste difficile à définir. L’arrivée
au pouvoir du FPR, si elle a marqué une diversification des médias,
n’a cependant pas empêché une restriction croissante, depuis 1998,
de la liberté de la presse. A de multiples reprises, des journalistes
ont été arrêtés, voire emprisonnés ou obligés de fuir parce qu’ils
étaient accusés de « négationnisme » ou de « divisionnisme ».
Cet argument est devenu central dans la répression de la presse privée, sans que l’on puisse vérifier son degré de pertinence. Les
exemples ne manquent pas. Amiel Nkuliza, propriétaire et rédacteur
du Partisan a été contraint à l’exil en janvier 2002 pour avoir critiqué le FPR dans un de ses articles. Asuman Bisiika, directeur du
237. K. HABIMANA, RTLM, le 13 mai 1994, cité par J.-P. CHRÉTIEN avec J.-F.
DUPAQUIER , M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les Médias du génocide, op. cit.,
p. 201. Les inkotanyi, littéralement les « cafards », désignaient communément
les Tutsi dans les discours haineux.

238. J.-F. DUPAQUIER, « Rwanda : le révisionnisme, poursuite du génocide par
d’autres moyens », in : R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda,
un génocide du XXe siècle, op. cit., p. 130.

239. Ibidem, p. 132.

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Rwanda Herald s’est fait expulser du pays le 19 mai 2002 pour
avoir critiqué l’emprisonnement de Pasteur Bizimungu240 et la politique d’immigration au Rwanda. Plus récemment, Reporters sans
frontières dénonçait l’incarcération, depuis le 7 septembre 2005, de
Jean Léonard Rugambage, journaliste au bimensuel Umuco et
déclarait « qu’il est inadmissible qu’un journaliste soit jeté en prison, simplement parce qu’il a enquêté sur le fonctionnement des
gacaca, les tribunaux populaires rwandais. Nous déplorons en
outre l’absence de transparence dans la procédure. En effet, ni la
durée de la détention ni la date de sa comparution au tribunal n’ont
été précisées au prévenu »241. Dans son rapport annuel daté de
2005, Reporters sans frontières n’hésitait d’ailleurs pas à affirmer
que la liberté de la presse est totalement absente au Rwanda. « (…)
Une presse écrite monochrome et un harcèlement systématique de
l’unique publication indépendante du pays font que, dix ans après
la fin du génocide des Tutsis, le pays de Paul Kagame reste un pays
où la liberté de la presse n’existe pas. »242 L’hebdomadaire
Umuseso est régulièrement attaqué en justice et ses responsables
poussés à l’exil ou à la démission. Ainsi, le 23 novembre 2004, le
rédacteur en chef de la publication, Charles Kabonero, a échappé de
justesse à la prison après avoir fait paraître un article évoquant l’influence du réseau d’amitiés du vice-président du parlement dans le
panorama politique rwandais. Si l’accusation de divisionnisme n’a
finalement pas été retenue, il est quand même condamné pour
« diffamation et atteinte à la dignité d’une haute autorité ». Plus
sournoisement encore, les journalistes subissent des pressions en
dehors des tribunaux. Un journaliste d’Umuseso a été contraint de
fuir le Rwanda après avoir été attaqué par de mystérieux poursui-

240. Pasteur Bizimungu, ex-président rwandais, prédécesseur de Paul Kagame avait
tenté de fonder un parti politique, Le Parti démocratique du renouveau (PDR). Ce
parti fut accusé de « divisionnisme ethnique » par les autorités. Il était un rival
potentiel de Kagame.

241. « Un Journaliste emprisonné pour avoir critiqué les tribunaux populaires
gacaca », 14 septembre 2005, http://www.rsf.org, consulté le 27 janvier 2006, site
de Reporters sans frontières.

242. Ibidem.

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vants qui tentaient de s’emparer de documents compromettants
pour un haut responsable du régime. S’en sont suivies des menaces
physiques. Actuellement, Tharcisse Semana craint pour sa vie s’il
devait rejoindre son pays243. Les accusations portées contre ces journalistes sont souvent celles de « négationnisme », « révisionnisme », « incitation à la haine » ou encore « divisionnisme ».
Mais elles ne servent habituellement que de prétextes pour enrayer
l’expression d’idées contraires au discours du pouvoir en place.
L’UFDR, l’Union des forces démocratiques du Rwanda, explique
ces interventions par une volonté d’éliminer toute opposition politique au FPR. « Pour cela, le FPR exploite à des fins politiques les
malheurs qui ont endeuillé le peuple rwandais tout entier, en vue de
perpétuer sa mainmise sur les institutions de l’État rwandais en
accusant de divisionnisme, de génocide présumé ou d’atteinte à la
sûreté de l’État toute personne ou toute formation politique non
inféodée au FPR. »244

Le 30 septembre 2005, une délégation de Reporters sans frontières s’est rendue au Rwanda pour enquêter sur l’affaire Guy
Theunis et a confirmé cette thèse. Ce prêtre, ancien responsable de
la revue Dialogue était alors incarcéré à la prison centrale de Kigali,
accusé de négationnisme, de divisionnisme et d’incitation à la haine
ethnique. Il lui était reproché d’avoir publié, avant le génocide, des
extraits d’articles du journal extrémiste Kangura dans une revue
de presse éditée par la revue Dialogue, alors que cette initiative
visait justement à dénoncer les dérives de la publication. Après
avoir enquêté, l’organisation de défense de la liberté de la presse
conclut : « Les accusations portées contre lui n’ont aucun fondement. Rien, dans les documents présentés lors de l’audience devant
la gacaca, ni ultérieurement, ne prouve que Guy Theunis aurait
incité d’une quelconque façon à la haine ethnique ou nié l’existence
243. Ibidem.

244. UNION DES FORCES DÉMOCRATIQUES RWANDAISES, communiqué de presse
n° 4/2003, Rwanda : « La Culture de l’impunité entrave la démocratisation réelle
de l’espace politique », 5 août 2003, http://www.grandslacs.net, consulté le 15
février 2006, site de littérature « grise » traitant de la région des Grands Lacs.

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du génocide rwandais de 1994. »245 L’organisation poursuit en
affirmant que cette affaire est strictement politique et qu’ « il semble que le parquet rwandais a signé un mandat d’arrêt sous la pression de certains cadres du Front patriotique rwandais (FPR, au
pouvoir), dont certains ont témoigné contre Guy Theunis lors de
son audience devant un tribunal populaire »246.

Le parlement pointe du doigt certains discours qu’il qualifie de
négationnistes. « Il y a ceux qui manipulent la presse pour leurs
propres intérêts et qui propagent l’idéologie génocidaire, les divisions, l’ethnisme et des rumeurs qui ont pour but de semer la peur
ou de confronter la population. On peut le voir de cette façon suivante : (…) propager des informations disant que c’est très chaud,
ressusciter la haine en se référant aux questions non fondées ou qui
ont été résolues dans le temps mais qui avaient causé des troubles
dans le passé. »247 Cette référence constante au négationnisme dans
la gestion du paysage médiatique rwandais n’aide pas à clarifier la
place exacte occupée par les médias dans ce débat.

Face à la facilité avec laquelle quiconque peut se voir accuser,
la société civile, les médias, et les politiciens, qu’ils soient membres
du FPR ou d’un autre parti, sont contraints de porter le carcan
imposé248. International Crisis Group dénonce l’absence totale
d’espace de débat public : « L’espace public critique a été réduit
245. « Reporters sans frontières demande la libération immédiate du père Guy
Theunis », 14 septembre 2005, http://www.rsf.org, consulté le 28 janvier 2006,
site de Reporters sans frontières.

246. Ibidem.

247. Rapport de la Commission parlementaire extraordinaire mise en place le 20 janvier 2004, chargée d’examiner les massacres commis à Gikongoro et d’analyser
l’idéologie du génocide et de ceux qui la propagent partout dans le pays, polycopié, Kigali, 2004.

248. INTERNATIONAL CRISIS GROUP, « Fin de transition politique au Rwanda :
une libéralisation politique arbitraire », 13 novembre 2002, http://www.grandslacs.net, consulté le 25 janvier 2006, site de littérature « grise » traitant de la
région des Grands Lacs.

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progressivement à une peau de chagrin et un pluralisme factice a
été instauré au niveau des institutions nationales et des partis politiques mais également des contre-pouvoirs, de la presse et de la
société civile. Il n’y a aucune voie d’expression possible aux insatisfactions et aux revendications des différents segments de la population. »249 Plus personne ne peut dénoncer les dérives du régime,
sous peine d’être taxé de négationnisme250. Le pouvoir en place soutient que la population rwandaise doit dépasser l’ethnisme qui a
mené au génocide avant de pouvoir jouir pleinement de ses droits
démocratiques. A ce stade, selon lui, la reconstruction nationale risque de se trouver affaiblie par la propagation d’idées divisionnistes
et génocidaires. Trop de liberté politique nuirait donc prétendument
à l’avenir du pays251. « La transformation des états d’esprit existants est un préalable indispensable à l’instauration de droits civils
et politiques entiers. »252 Cette mainmise sur l’information s’explique cependant moins par la crainte d’une résurgence des médias de
la haine que par la peur du régime d’être critiqué par une presse
indépendante. En témoignent les discussions sur les médias qui ont
eu lieu lors de l’adoption de la nouvelle loi sur la presse en 2001.
Le projet initial mentionnait que la peine encourue en cas d’incitation au génocide serait la peine capitale. Mais Paul Kagame a
déclaré que la prohibition du négationnisme ne devait pas se restreindre à la presse et a refusé de faire voter ce texte, arguant qu’il
convenait de se doter d’une loi plus générale sur les questions de
négationnisme, d’incitation au génocide et de divisionnisme. La loi
249. Ibidem.

250. S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la France au Rwanda, analyse de contenu de la
presse quotidienne belge et française (1994-2004), mémoire en journalisme, polycopié, U.L.B, 2005, p. 35.

251. INTERNATIONAL CRISIS GROUP, « Fin de transition politique au Rwanda : une
libéralisation politique arbitraire », 13 novembre 2002, http://www.grandslacs.net,
consulté le 25 janvier 2006, site de littérature « grise » traitant de la région des
Grands Lacs.

252. http://www.rwanda1.com/government/president, consulté le 14 janvier 2005,
site officiel du président du Rwanda.

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prévoit finalement la création d’un Haut Conseil de Presse, instance
de régulation de la communication, nullement indépendante du
pouvoir. L’article 73 mentionne que « Le Haut Conseil est attaché
à la Présidence de la République », et l’article 75 que « la structure, l’organisation et le fonctionnement du Haut Conseil de la
Presse sont déterminés par arrêté présidentiel »253.

La situation est complexe car on ne peut nier que des visions
négationnistes circulent au Rwanda, toutefois, « même s’il est vrai
que le négationnisme et le révisionnisme sont des réalités au
Rwanda, (…) le FPR ne peut utiliser ce prétexte pour supprimer
toute critique à l’égard de sa gestion des affaires de l’Etat. »254 Le
recours à l’arsenal juridique ne devrait être envisagé que comme
étape ultime, nécessaire en cas de violation grave du code pénal. La
simple peur d’être accusé d’incitation au génocide réduit au silence
toute velléité contestataire. Le Partisan et Umuseso ont déjà été
comparés aux médias de la haine Kangura par le ministre Nyandwi,
sans aucune preuve tangible pour soutenir ces accusations.

La peur qui paralyse les médias risque paradoxalement, à terme,
de précisément renforcer les discours négationnistes. En effet,
« l’absence de débat public sur le génocide, sur les crimes du FPR
pendant la guerre, l’impossibilité pour les Hutu de revendiquer
leurs morts et de les enterrer convenablement facilite la progression du révisionnisme et du négationnisme »255.

Le négationnisme trouve toutefois encore d’autres vecteurs
d’expression que les médias car, comme le souligne l’Abbé
Dominique Karekezi, directeur du journal catholique Kinyamateka,
le négationnisme n’est plus un fléau parmi les journalistes. Ici, au
Rwanda, le génocide n’est pas quelque chose que nous devons

253. INTERNATIONAL CRISIS GROUP, « Fin de transition politique au Rwanda : une
libéralisation politique arbitraire », 13 novembre 2002, http://www.grandslacs.net,
consulté le 25 janvier 2006, site de littérature « grise » traitant de la région des
Grands Lacs.
254. Ibidem.
255. Ibidem.

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apprendre, c’est un fait qu’on a vécu, tout le monde sait de quoi il
s’agit. Mais bien évidemment, cette mémoire diffère pour chacun
d’entre nous puisque nous l’avons tous vécu d’une façon différente.
Même si le génocide est indéniable, le négationnisme a bel et bien
existé. Il ne s’agissait pas uniquement de Rwandais, mais également d’observateurs étrangers. Cependant, aujourd’hui, les journalistes du pays écrivent des choses correctes ou, s’ils pensent
autrement, n’écrivent tout simplement rien. On ne peut plus exprimer de négationnisme. En outre, nous ne le faisons pas, car nous
savons que le journalisme a fortement contribué au génocide, nous
avons une grande responsabilité et nous la déplorons. Notre vocation est maintenant de combattre cela. A ma connaissance, plus
aucun journal ne diffuse l’idéologie génocidaire, sauf ceux qui circulent à l’étranger, car certains génocidaires s’y trouvent256.
3.3.2. Les médias étrangers

Les médias occidentaux sont aussi des acteurs du débat et ont,
toute proportion gardée, participé au drame rwandais, même de
manière involontaire. En effet, le négationnisme a ses degrés, et
nombre d’acteurs dont nous parlons ne sont que les héritiers d’une
vision occidentale de l’Afrique, teintée de racisme. Ainsi, les journalistes de nos régions ont parfois relayé des idées douteuses. Le 22
novembre 1996, Thomas Ferenczi, médiateur du Monde, écrivait
ces quelques lignes à un lecteur mécontent : « Il est vrai que nous
avons mis du temps à comprendre ce qui se passait vraiment au
Rwanda. Nous n’avons pas été les seuls - mince consolation - à
nous tromper. »257

Les médias occidentaux, et plus précisément français et belges,
ont par exemple, tout comme la communauté internationale, été très
hésitants à utiliser le terme « génocide » en 1994. Ainsi, le 25 août
1994, Libération s’obstine à écrire que « plus d’un million de per-

256. D. KAREKEZI, directeur du journal Kinyamateka, interviewé le 14/07/2005 à
Kigali.

257. S. LE-NEVÉ et C. PETIT, « médias silencieux, médias complices ? », op. cit.,
p. 34.

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sonnes ont été tuées au cours de la guerre civile qui ravage le
Rwanda depuis avril »258. Il est très probable que le discernement
de ces analyses ait été entravé par certains clichés dont nous avons
déjà fait état. La situation était tout au plus assimilée à des massacres interethniques entre Hutu et Tutsi, et les tueries décrites comme
réciproques, certains journalistes assimilant les faits à un règlement
de compte entre « ethnies ». Si la presse n’a pas tardé à relater les
« massacres », ce sont les explications qui ont fait défaut.
« Cependant, les journalistes pouvaient-ils éviter que les
haines communautaires paraissent le mobile le plus intense des
massacres ? C’est une représentation générique de l’Afrique qui
est en cause, la représentation ethniste des champs politiques africains. Celle-ci a cru trouver au Rwanda la confirmation du pire
(…). »259 Jean-Pierre Chrétien livre un exemple dans son livre Le
défi de l’ethnisme, citant un article du Monde, de mai 1994 :
« Horreur au Rwanda…Cet attentat (celui du 6 avril) provoque la
riposte de la garde présidentielle, majoritairement composée de
Hutus, qui tue, le 7, à Kigali dix ‘casques bleus’ belges de la
MINUAR ainsi que le Premier ministre, Agathe Uwilingiyimana.
Les rebelles du FPR (minorité tutsie) et l’armée dominée par la
majorité hutue, se battent pour le contrôle de la capitale…et massacrent des milliers de personnes. Dans la nuit du 8 au 9, la formation d’un gouvernement opposé au partage du pouvoir avec les
Tutsis et la nomination d’un président intérimaire, Théodore
Sindikubwabo, proche du défunt, sont rejetés par le FPR. »260
L’auteur relève en outre certains titres choisis par le journal, qui
accentuent cette vision politico-ethnique « équilibrée » :
« Forces gouvernementales et rebelles se disputent le contrôle de
la capitale » (14 avril) ; « Les rebelles tutsis gagnent du terrain à
258. S. ETR., selon AFP et Reuter, « Plus d’un million de morts dans le conflit rwandais », Libération, 25 août 1994, cité par S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la France
au Rwanda, op. cit., p. 89.
259. M. LE PAPE, « Des Journalistes au Rwanda », in : Les Temps modernes,
n° 483, juillet-août 1995, p. 179.

260. Publié dans la note « chronologie » du Monde du 11 mai 1994.

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Kigali » (16 avril) ; « Des affrontements à l’arme lourde continuent d’opposer Hutus et Tutsis » (29 avril)261. Et un analyste
conclut : « l’antagonisme ethnique est créé et recréé historiquement, mais à force d’avoir été et d’être exploité, théorisé, légalisé,
il prend une telle force d’entraînement qu’il faut que des individus
fassent preuve d’une rare capacité de résistance pour ne pas
suivre »262.

Le nez collé aux événements, les journalistes ne pouvaient bien
sûr pas apercevoir toutes les facettes du drame qui se déroulait sous
leurs yeux. Pour autant, Le Figaro du 8 avril 1994 n’hésite pas à
rappeler les « haines séculaires » qui ont toujours opposé les deux
« tribus »263, ce qui relève moins d’une incompréhension de l’instantané que d’une interprétation du passé. Le même jour, Le Monde,
sous la plume de Jean Hélène, explique que la mort des deux présidents rwandais et burundais dans le crash de l’avion risque « de
relancer la guerre tribale qui oppose Hutus et Tutsis ». Le journaliste ira même jusqu’à publier, le 17 mai, un article dans lequel
s’exprime le chef des interahamwhe. Celui-ci affirme qu’absolument rien n’a été organisé, et que les premiers morts ne sont que la
conséquence d’une défense contre l’attaque des rebelles264.
Libération, par la plume de Stephen Smith, écrit que « la garde
présidentielle a cédé à une rage d’extermination envers les Tutsi
minoritaires »265. Jean d’Ormesson explique pour Le Figaro que
« la haine mutuelle des Tutsi et des Hutu est la cause de ce génocide par un engrenage de la violence » et il tire cette leçon de la
261. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 206.

262. M. LE PAPE, « Des journalistes au Rwanda », op. cit., p. 176-177.

263. Ph. G., « Rwanda : chaos à Kigali », in : Le Figaro, 8 avril 1994, cité par
S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la France au Rwanda, op. cit., p. 81.

264. J. HÉLÈNE, « Le chef des milices rwandaises réfute les accusations de
génocide », in : Le Monde, 17 mai 1994, cité par S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la
France au Rwanda, op. cit., p. 87.

265. S. SMITH, « Quatre questions autour d’un massacre », in : Libération, 11 avril
1994, cité par S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la France au Rwanda, op. cit., p. 88.

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tragédie : « ni bons, ni méchants, tous coupables et tous innocents »266.

Manipulation consciente ou ignorance, il est difficile de déterminer ce qui pousse les reporters à commettre ces faux pas lourds
de conséquences. Les journalistes se font parfois les relais de préjugés qui brouillent la compréhension des faits. Le Figaro par
exemple dépeint les Tutsi comme des gens de « tradition pastorale
et guerrière » qui représentent « une classe dirigeante de type féodal » réputée « pour imposer la loi », et les Hutu comme « des
paysans ombrageux accrochés à leurs terres (…), réputés plus malléables »267. Le 29 avril 1995, un pamphlet signé par Stéphane
Tréno paru dans Libération 268 révèle cette méconnaissance du
Rwanda. « Il s’indigne du ‘galvaudage de la mémoire’ que constituent pour lui les commémorations du génocide par la communauté
rwandaise de France, de l’usurpation du ‘grandiloquent statut de
génocide’, de ‘l’utilisation du calendrier commémoratif de la libération des camps d’extermination nazis’. Selon lui, la situation du
Rwanda n’était pas assez ‘manichéenne’, autrement dit, les
‘500 000 Tutsi assassinés’ n’étaient pas assez innocents pour justifier une braderie du Za-hor juif dans le terme kinyarwanda Ibuka
(‘souviens-toi’). »269

Des propos négationnistes sont donc présents dans la presse
française dès le début du génocide, et même plus tard, alors que la
qualification des faits de génocide ne fait déjà plus aucun doute
pour de nombreux autres journaux, en Belgique par exemple.
266. L. CORET et F.-X. VERSCHAVE, Rapport de la Commission d’enquête citoyenne.
L’Horreur qui nous prend au visage. L’Etat français et le génocide au Rwanda,
Paris, éd. Karthala, 2005, p. 277, cité par S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la France
au Rwanda, op. cit., p. 89.
267. S. Etr., selon AFP et Reuter, « Plus d’un million de morts dans le conflit rwandais », in : Libération, 25 août 1994, cité par S. KLINKEMALLIE, ibidem.

268. S. TRENO, « Culte de la mémoire, culture du malheur », in : Libération, 29
avril/1er mai 1995.

269. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 204.

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Ainsi, Le Figaro, le 16 mai 1994, titre : « Rwanda : le double
génocide ». Le Monde publie en première page, le 21 août de la
même année, un dessin de Plantu montrant des militaires français
sur le départ, qui donnent un ultime conseil à des combattants du
FPR : « Et on est bien d’accord : plus de génocide !!! ». « Le 26
août 1995, dans La Croix, Pierre Erny ironisait sur le premier anniversaire du ‘Rwanda libéré’ en opposant au ‘génocide sale’, celui
dénoncé par la communauté internationale, ‘un génocide propre’,
celui commis par le FPR dans un ‘pays reconquis’ et qui, diaboliquement, ne laisserait ‘ni témoins gênants, ni traces’. »270 « En
août 1994, le R.P Léopold Greindl, dans La Vie, avait déjà expliqué que le silence sur les crimes du FPR serait dû à un souci tactique de garder le mot génocide au singulier pour pouvoir l’employer, sinon ce mouvement devrait ‘se mettre à genoux’ tout
comme les milices de l’ancien président, afin de reconnaître les
torts partagés. »271
Un des premiers organes de presse occidentaux à avoir eu le
courage d’alerter l’opinion publique est La Libre Belgique, qui, dès
le 13 avril, utilise le terme adéquat « C’est un véritable génocide
– et on pèse nos mots – qui a commencé au Rwanda. » Le 8 mai,
Marie-France Cros insiste : « Un génocide a déjà été consommé,
c’est vrai. Mais il n’est pas fini. » A vrai dire, à ce moment-là, la
communauté internationale est en train de reconnaître la terrible
réalité. Mais celle-ci n’a droit, à la première page du grand quotidien parisien du soir le 2 juillet, que à la veille de la chute de Kigali
et le terme de génocide n’est mentionné qu’indirectement et avec
des guillemets prudents : « Un rapport de l’ONU dénonce ‘un
génocide’ au Rwanda »272.

270. Ibidem, p. 250-251.

271. La Vie, 16-24 août 1994, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op.
cit., p. 251.

272. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 207-208.

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3.4. L’Eglise

Depuis 1900, date de la première mission catholique273, les missions chrétiennes ont joué un rôle de tout premier plan dans l’évolution du Rwanda. Les catholiques furent les premiers à s’implanter dans le pays, talonnés, par vagues successives, par les protestants274. Les églises ont été implantées avec l’arrivée des Européens.
Depuis lors, elles ont toujours joué un rôle prédominant dans la
société rwandaise, « à tel point que jusqu’en 1959, et même après
la première et seconde République, il était impossible de différencier un politicien d’un religieux. L’évangile de l’amour enseignait
que nous descendons tous d’une même personne, mais cet évangile
n’a pas été renforcé »275.

Durant le génocide, de nombreux lieux de culte ont été des pièges pour les Tutsi qui ont eu le réflexe de s’y réfugier, comme
l’avaient fait les générations précédentes lors des massacres de
1959, 1964 et 1973. Les couvents et tous les bâtiments religieux
leur semblaient être des sanctuaires consacrés. Ils pensaient que les
tueurs n’oseraient pas les attaquer dans ces lieux sacrés, explique
André Sibomana, prêtre et journaliste rwandais. Au début en effet,
les miliciens ne s’en prenaient pas aux lieux religieux, mais lorsque
les Tutsi s’y furent rassemblés, ils encerclèrent les églises et massacrèrent ceux qui s’y trouvaient276. « Le scénario fut le même partout. Entre le 10 et le 15 avril, environ 15 000 Tutsi s’étaient réfugiés dans les églises de Kaduha (préfecture de Gikongoro). (…). Le
20, ils lancèrent une attaque générale : elle ne laissa aucun
273. B. LUGAN, Rwanda. Le génocide, l’Eglise et la démocratie, Lonrai, éd. du
Rocher, 2004, p. 11.

274. P. ERNY, L’Ecole coloniale au Rwanda (1900-1962), Paris, éd. l’Harmattan,
2002, p. 14.

275. Rapport de la Commission parlementaire extraordinaire mise en place le 20 janvier 2004, chargée d’examiner les massacres commis à Gikongoro et d’analyser
l’idéologie du génocide et de ceux qui la propagent partout dans le pays, polycopié, Kigali, 2004.

276. A. SIBOMANA, Gardons espoir pour le Rwanda, Paris, éd. Desclée de Brouwer,
1997, p. 104.

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survivant. Dans la paroisse de Mibirizi, 6 000 réfugiés s’étaient
regroupés. Après un premier assaut, il ne restait plus que 2 000 survivants. »277 Beaucoup d’églises furent attaquées, comme celles de
Kibuye, de Ntarama, de Nyamata et bien d’autres encore278.

Certains faits ne sont pas encore avérés mais de nombreux religieux sont aujourd’hui mis en cause en tant qu’auteurs ou complices du génocide. Ainsi, une information judiciaire a été ouverte à
l’encontre de l’Abbé Wenceslas Munyeshyaka, un ressortissant
rwandais accusé de « complicité de torture et traitements inhumains ou dégradants ». Des témoins ont en effet décrit, de manière
très précise, des exécutions massives survenues les 17 et 22 avril
1994 à la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali, où l’abbé officiait.
Il aurait également participé à la sélection des Rwandais tutsi qui
devaient être massacrés, en aurait laissé d’autres mourir de soif, et
aurait violé plusieurs femmes279. Le 16 novembre 2006, il a été
condamné par contumace à la prison à vie par une Cour militaire
rwandaise. La France, où une plainte a été déposée contre lui, a
refusé en décembre 2007 de se dessaisir au profit du Tribunal international pour le Rwanda. Le procès des sœurs rwandaises, Gertrude
(Consolata Mukangano) et Maria Kisito (Julienne Mukabutera)
devant les assises de Bruxelles, a démontré l’implication réelle de
certains membres de l’Eglise. En vertu de la « compétence universelle » dont s’est dotée la Belgique, le 8 juin 2001, les deux religieuses ont été reconnues coupables d’avoir contribué au massacre
de plus de 7.600 personnes au couvent de Sovu à Butare. Elles ont
livré les victimes aux miliciens et ont fourni de l’essence destinée à
les brûler vives280.
277. Ibidem.

278. Ibidem, p. 105.

279. « Wenceslas Munyeshyaka », http://www.trial-ch.org, consulté le 30 juin
2006, site alimenté par des juristes en vue de porter les grands procès à la connaissance du public.

280. « Peines de 12 à 20 ans contre quatre Rwandais à Bruxelles »,
http://www.hirondelle.org, consulté le 15 février 2008, site de l’agence de presse
Hirondelle.

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L’Eglise a une responsabilité aussi ambiguë que les autres protagonistes de la négation. Son rôle en tant qu’institution est très difficile à cerner, mais certains individus en son sein, des prêtres rwandais et des Pères blancs au Rwanda, jouent ou ont joué le jeu des
négationnistes281. Il est plus facile de cacher la vérité que d’assumer
sa responsabilité. Beaucoup refusent de nommer le crime par son
nom et parlent de « guerres civiles », de « massacres interethniques », d’« événements », etc. Certains n’ont pas dépassé les
vieux clichés. Ainsi, Mgr. Phocas Nikwigize, évêque de Ruhengeri
de 1968 à 1996, assassiné en 1996, n’avait pas hésité à affirmer que
« ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 était quelque chose de très
humain (…). Les Tutsi (…) étaient en contact avec les rebelles. Ils
devaient être éliminés pour qu’ils ne nous trahissent pas. (…)
Tellement ils sont mauvais ! (…) Un Hutu est rusé et hypocrite (…)
Un Tutsi est foncièrement mauvais, pas par l’éducation, mais par
sa nature ».282 D’autres justifient les tueries par la « supériorité des
Tutsi » trop longtemps endurée. Le Frère Léon Seuret, s’il
condamne cette barbarie, dit cependant la comprendre. « C’est diabolique mais je comprends la colère des Hutu. Vous [les Tusti] vous
vous croyez toujours supérieurs à eux, il est normal qu’ils se révoltent. »283
Les idéologues du génocide ont également pu compter sur l’aide
de certains missionnaires. Un Père blanc, S. Desouter, attribue la
responsabilité du génocide uniquement au FPR et il a trouvé un
large écho dans les médias européens. « Le FPR est à l’origine des
massacres de 1994 », peut-on lire dans Le Vif-L’Express du 1er octobre 1994. Il affirme par ailleurs que le génocide n’a pas été planifié. De même, l’Abbé Maindron, qui, à l’époque des faits, vivait au
Rwanda depuis 1959, explique que la population a réagi violem281. J.-D. BIZIMANA, L’Eglise et le génocide au Rwanda, Paris, éd. l’Harmattan,
2001, p. 13-14.

282. Interview de P. NIKWIGIZE, parue dans De Volkskrant, le 26 juin 1994, cité par
J.-D. BIZIMANA, ibidem, p. 25.

283. J.-D. BIZIMANA, L’Eglise et le génocide au Rwanda, op. cit., p. 38.

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ment à la mort du président Habyarimana, et que « le premier responsable de cette vindicte populaire, c’est le FPR (…) »284. Jean
Damascène Bizimana, ancien séminariste des Pères blancs, auteur
d’un livre sur l’implication des représentants de l’Eglise catholique
dans le génocide, a voulu dénoncer le Père Desouter, mais la hiérarchie de l’Eglise catholique rechigne à accabler un des siens. Il s’est
vu répondre que l’ « on ne peut pas directement mettre un confrère
en cause sans risquer de le blesser »285. Les responsables des Pères
blancs ont clairement signifié qu’ils préféraient préserver l’un des
leurs plutôt que d’enrayer un discours pervers et négationniste.
L’argument « tous coupables » est également utilisé par certains
religieux pour diluer la faute et absoudre les criminels. Ainsi, le
Père Jef Vleugels, Père blanc arrivé au Rwanda en 1973, déclare
que « Ni Tutsi ni Hutu ne sont innocents. Et tous doivent pénétrer
jusqu’au fond de leur nature humaine, dans laquelle racisme et violence sont pour ainsi dire incrustés. »286
Aujourd’hui, le parlement rwandais affirme que le mauvais
fonctionnement des églises en a fait des vecteurs de l’idéologie
génocidaire. Il détaille quelques-unes de ces dérives. Concernant
l’Association des Eglises de Pentecôte au Rwanda (ADEPR), un
rapport pointe le fait que ces églises ont été récupérées par « ceux
venus de l’extérieur » et que certains membres de leur administration optent pour un fonctionnement basé sur les ethnies dans le
souci de leurs propres intérêts. Il apparaît également, selon le parlement, que dans ces églises, Hutu et Tutsi prient chacun de leur
côté. Enfin, les responsables sèmeraient un climat de terreur et
pousseraient la population à ne pas adhérer aux programmes de
l’Etat, tels les gacaca et la mutuelle de la santé. A propos de l’Eglise
méthodiste libre, le fonctionnement ethniste est aussi allégué. Les
témoins de Jéhovah sont accusés, tout comme l’Eglise méthodiste
284. Dialogue, n° 177, p. 55, cité par J.-D. BIZIMANA, ibidem, p. 47.
285. J.-D. BIZIMANA, ibidem, p. 46.

286. Dialogue, n° 182, p. 51, cité par J.-D. BIZIMANA, L’Eglise et le génocide au
Rwanda, op. cit., p. 57.

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libre, de freiner les programmes de l’Etat. Enfin, l’Eglise catholique
est accusée de ne pas dénoncer les prêtres et quelques-uns des religieux qui ont participé au génocide en véhiculant des idées génocidaires ou en assistant les personnes vulnérables sur le seul critère
ethnique, car dans beaucoup de diocèses, de nombreux prêtres sont
hutu287. Déo Mbonyinkebe Sebahire, anthropologue, revient sur la
responsabilité de l’Eglise. Je vais avancer une thèse difficile à
démontrer, mais je crois que du côté de l’Eglise, il y a moyen de
fouiller. N’est-elle pas, en tant qu’institution officielle, elle aussi
piégée par le négationnisme, quand elle dit « nous, en tant qu’institution, nous n’avons aucune responsabilité, mais s’il y a des individus [des responsabilités individuelles], il faut les poursuivre » ?
Je crois que l’Eglise en tant qu’institution, et d’un point de vue
sociologique, a une part de responsabilité. Puisqu’elle est détentrice d’autorité, elle a un rôle réel dans la commission du génocide.
Je soupçonne actuellement certains membres de l’Eglise au niveau
du Vatican et au niveau des connexions avec les autorités locales,
d’une « tentation » de négationnisme. Pourquoi ? Pour innocenter, laver l’institution de tout soupçon en disant que si délits il y a
eu, ils sont le fait d’individus. Mais peut-on accepter cela d’un
point de vue sociologique288? Jean-François Dupaquier explique
cette position : « L’Eglise paraît généralement plus soucieuse de
prendre la posture de Salomon renvoyant les plaignants à leurs fautes réciproques que de se remettre en question. Ce faisant, elle semble même parfois perméable à certaines dérives du discours révisionniste, notamment à l’inversion des rôles et des responsabilités
dans la catastrophe. »289

287. Rapport de la Commission parlementaire extraordinaire mise en place le 20 janvier 2004, chargée d’examiner les massacres commis à Gikongoro et d’analyser
l’idéologie du génocide et de ceux qui la propagent partout dans le pays, polycopié, Kigali, 2004.
288. D. MBONYINKEBE SEBAHIRE, docteur en anthropologie sociale et culturelle,
enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.
289. J.-F. DUPAQUIER, « Rwanda : le révisionnisme, poursuite du génocide par d’autres moyens », in : R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN, (éd.), Rwanda, un
génocide du XXe siècle, op. cit., p. 134.

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L’association Ibuka, si elle ne s’étonne pas du négationnisme et
du révisionnisme ambiants, s’indigne de la participation de l’Eglise
à un tel mouvement. François-Xavier Ngarambe, son président,
dénonce les propos du Révérend Père Peter Hans Kolvenbach, alors
supérieur général des jésuites, sur le génocide des Tutsi au cours
d’un entretien avec Jean-Luc Pouthier290. Au cours de cet entretien,
le Père Kolvenbach dresse un état des lieux des religions de la planète, envisage leurs rapports au politique, au monde et à la sécularisation. Le livre entend saisir la dimension « mondiale » des
Jésuites, en suivant leur Supérieur général. Jean-Luc Pouthier, historien et journaliste, invite donc ses lecteurs à « accompagner le
père Kolvenbach dans un tour du monde – et de l’Eglise – continent
par continent »291. C’est lorsque le Père Kolvenbach évoque le cas
de l’Afrique, dans un chapitre intitulé « La famille de Dieu en
Afrique », que François-Xavier Ngarambe s’indigne de l’attitude
négationniste du Révérend Père : « Si la négation du génocide
n’est pas en soi un fait étonnant dans la mesure où elle fait partie
intégrante du processus génocidaire, il est par contre navrant de
voir à quel point elle est courante parmi ceux des membres du
clergé catholique, honteux d’avoir échoué dans leur mission d’enseigner le message du Christ. En vous rendant compte à quel point
certains de vos confrères ont favorisé l’innommable, et dans le pire
des cas ont eux-mêmes participé aux tueries et viols, vous recourez
à la politique du pire, en vous réfugiant dans le négationnisme et le
révisionnisme les plus primaires. En effet, c’est sans crainte d’être
ridicule que vous affirmez coup sur coup : ‘…leurs paroissiens…se
sont entretués…’ ; ‘…les tutsis ont longtemps été le groupe dominant, sont venus de l’extérieur … (sans dire d’où bien entendu !)’;
‘…situation socio-politique semblable à celle de l’Irak…’ ; ‘…les
hutus se sont vengés…’ ; et ces mêmes hutus après s’être vengés en
exterminant un million de leurs concitoyens, seraient ‘prêts pour la
290. P. H. Kolvenbach, Faubourg du Saint-Esprit, entretien de Peter Hans
Kolvenbach avec Jean-Luc Pouthier, Paris, éd. Bayard, 2004.

291. Ibidem, introduction de Jean-Luc Pouthier.

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réconciliation’, même si celle-ci ‘en vient à confirmer la domination des tutsis’. »292

La mémoire trouble de l’Eglise n’est pas uniquement le fait des
autorités religieuses rwandaises. Une revue belge n’hésite pas à
affirmer que, de longue date, certains milieux politico-religieux
belges, liés essentiellement à l’ancien Christelijke Volkspartij
(CVP, actuellement CD&V), ont apporté un soutien aux nationalistes du « Hutu Power »293. Jusqu’en 1959, les Belges avaient en
effet gouverné le Rwanda par l’intermédiaire des Tutsi. Mais à cette
époque, ces derniers, plus éduqués que les Hutu, aspiraient à davantage d’indépendance. Ils voulaient une indépendance immédiate, ce
que les Belges leur refusaient. Les revendications tutsi ont poussé
la Belgique à changer radicalement de camp294. L’Eglise ainsi que
les autorités belges ont alors soutenu la volonté d’émancipation des
Hutu. A partir du 3 novembre 1959, de très violents troubles avaient
gagné plusieurs localités295. « Cette Toussaint rwandaise, sorte de
jacquerie de paysans hutu contre les Tutsi, se traduit par des centaines de morts, de nombreuses maisons incendiées et un premier
exil de milliers de Tutsi. »296 Elle déboucha sur l’éviction de la
monarchie et de toute structure politico-administrative tutsi297. Ce
fut en quelque sorte la victoire des Hutu contre la féodalité tutsi.
Selon la revue, « certains prêtres flamands se sont identifiés à ces
nationalistes. Ils ont fait une analogie entre le peuple hutu – majoritaire dans la population rwandaise, mais longtemps minorisé
292. Lettre de François Xavier NGARAMBE, président d’Ibuka, au Révérend Père
Peter Hans KOLVENBACH, Supérieur Général des Jésuites, Kigali, 25 avril 2005.
293. M. ABRAMOWICZ, « Rwanda. Le négationnisme en marche ? », in : Le Journal
du mardi, n° 159, du 6 avril au 12 avril 2004, p. 12.

294. R. KAPUSCINSKI, Ebènes. Aventures africaines, Librairie Plon, 2000, p. 195.
295. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 91.

296. J.-R. HUBERT, La Toussaint rwandaise et sa répression, Bruxelles, Académie
royale des sciences d’Outre-mer, 1965, cité par J. SEMELIN, Purifier et détruire,
op. cit.
297. F. REYNTJENS, L’Afrique des Grands Lacs en crise, Paris, éd. Karthala, 1994,
p. 24, cité par J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 91.

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dans les cercles du pouvoir – et le peuple flamand. Ils ont été complices de l’atmosphère raciste qui a débouché sur les massacres.
Aujourd’hui, ils continuent à agir dans l’ombre afin d’éviter d’être
identifiés comme des coauteurs moraux d’un génocide qu’ils persistent à minimiser, sinon à nier. Des réseaux de missionnaires
chrétiens flamands ont favorisé la fuite en Belgique de personnalités liées au génocide. Tout comme, après la seconde guerre mondiale, des réseaux proches du Vatican avaient permis la fuite de criminels nazis vers l’Amérique latine. Le débat qui a eu lieu ce premier avril [2004] en commission des Relations extérieures du Sénat
belge est particulièrement révélateur. La commission devait voter
une résolution sur la commémoration du 10ème anniversaire du
génocide des Tutsi. Le sénateur Alain Destexhe (MR) a déposé une
proposition de résolution, soutenue par huit sénateurs, évoquant ‘le
génocide des Tutsi et le massacre des opposants hutu’. De nombreux amendements ont été déposés, essentiellement par des élus du
CD&V, pour s’opposer à l’expression ‘génocide des Tutsi’. La
sénatrice Sabine de Béthune (CD&V) a ainsi demandé que soit
commémoré le ‘génocide des Tutsis et des Hutus’. »298

La thèse du double génocide consiste à nier la singularité des
« massacres » des Tutsi qui constituaient bel et bien un génocide,
et à les amalgamer aux tueries des opposants hutu ainsi qu’aux massacres commis par le FPR, dont il n’est pas établi qu’ils relevaient
d’une intention d’extermination du groupe hutu. Il est certes avéré
que lorsqu’en 1994, le FPR progresse vers Kigali, il commet de
nombreuses exactions299 mais « Elles ont pour but principal de soumettre la population conquise et d’en tirer profit, mais pas d’exterminer tous les Hutu. En ce sens, cette violence contre la population
hutu majoritaire au Rwanda n’est pas comparable avec la violence
organisée contre la minorité tutsi, menacée d’extermination. »300
298. M. ABRAMOWICZ, « Rwanda. Le négationnisme en marche ? », op. cit.

299. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 174.
300. Ibidem.

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Jean-Pierre Chrétien va jusqu’à dire que la question rwandaise
était vécue comme une question intérieure belge. Avec d’un côté les
Flamands, de l’autre les Francophones, les uns cléricaux et les
autres anticléricaux. Tellement obnubilés par la confrontation
rituelle du champ politique belge, certains membres du champ politico-confessionnel belge ont analysé la tragédie rwandaise comme
un incident de parcours, tandis que d’autres y voyaient un scandale
intérieur. En 1994, le sénateur CVP Van Erps a par exemple nié que
les massacres ont pu être organisés, attribuant les meurtres de femmes et d’enfants à « une sorte de droit traditionnel africain » et a
douté que l’on puisse identifier véritablement les coupables de cette
explosion d’une « peur ancestrale »301. D’autres chrétiens s’interrogent encore sur la planification des tueries, allant même jusqu’à
nier qu’il a existé « une idéologie programmée », contestant les
chiffres ou sous-entendant que les véritables victimes sont les
Hutu302.
3.5. Les intellectuels

Des intellectuels ou des universitaires sont systématiquement
mobilisés tant avant qu’après les génocides. Avant, ils constituent
les têtes pensantes du plan d’extermination, ils instaurent une idéologie de la haine élaborée et savent user de rhétorique pour convaincre la masse. Après, ils se construisent un argumentaire rôdé pouvant supporter bon nombre de critiques, en vue de se prémunir des
accusations portées contre eux. « Le négationniste le plus retors est
l’universitaire. Qu’il soit réellement un spécialiste de la période
concernée ou qu’il s’affuble d’une compétence qu’il n’a pas, il
traite ses contradicteurs avec arrogance, mépris et condescendance. L’universitaire est le meilleur recours des gouvernements
qui font appel à lui pour organiser leur discours et lui donner une
301. L’Echo, 17 août 1994, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit.,
p. 227.
302. J.-P. CHRÉTIEN, ibidem, p. 226-227.

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apparence de vérité. Lorsqu’il conteste la réalité d’un génocide, le
discours académique déplace la question : la négation devient
débat ; une controverse est ouverte. »303 Les intellectuels peuvent
donc contribuer à la préparation, à la justification du génocide,
ensuite à sa négation. « En amont du passage à l’acte violent proprement dit, on repère toujours que son cadre de sens a été élaboré
par des ‘intellectuels’ qui, pour œuvrer au ‘salut’ de leur pays, ont
avancé des analyses radicales de la situation. Ces analyses, dans
les faits, ont conduit à la stigmatisation de tel ou tel groupe. »304
Claudine Vidal démontre que l’idéologie propagée dans le cas
rwandais ne peut venir d’ailleurs que de personnes cultivées, ayant
accompli des études « occidentales ». Le lien avec la « solution
finale » présente en effet une telle cohérence idéologique que le
projet d’extermination n’a pu être construit que par des personnes
dotées d’une formation intellectuelle moderne. Elle comporte une
notion de pureté raciale radicalement étrangère à la culture
traditionnelle africaine. La chercheuse s’explique à l’aide d’un
exemple : le fait de supprimer non seulement les femmes tutsi
mariées à des Hutu, mais aussi les enfants du couple, considérés
comme tutsi, c’est aller, d’un point de vue anthropologique, contre
un trait extrêmement fort de la mentalité rwandaise. Car selon la
culture nationale, une femme mariée ainsi que ses enfants perdent
toute trace de l’origine maternelle et sont absolument assimilés au
côté paternel. « On voit que désigner aux assassins les femmes tutsi
qui avaient épousé des Hutu et leurs enfants procède d’une notion
de pureté de la race qui était impensable pour la majorité des
Rwandais. Elle était d’ailleurs si difficile à assimiler que circulait
une rumeur, mille fois répétée, selon laquelle les femmes tutsi persuadaient leur époux hutu qu’il était père d’enfants qu’en réalité,
elles concevaient secrètement avec des Tutsi. »305
303. Ibidem.

304. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 77-78.

305. C. VIDAL, « Les politiques de la haine », op. cit., p. 25.

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Gasana Ndoba revient pour sa part sur le négationnisme agressif, délibéré, de certains scientifiques. Ce travail de négationnisme
est le fait d’intellectuels très particuliers dont c’est le métier de
faire de l’histoire. Mais la particularité réside dans le fait qu’ils
rédigent l’histoire à contre-courant et sur des bases plus idéologiques qu’objectives. Dans le cas du Rwanda où le génocide est un
fait assez récent ayant impliqué une masse de gens, il y a une profusion de discours négationnistes, proportionnellement plus nombreux que pour l’Europe et l’holocauste des Juifs. Sans oublier que
les intellectuels rwandais eux-mêmes y ont été mêlés massivement.
Il n’y a donc pas que des historiens pour tenir ce genre de discours
soi-disant historique sur le génocide. Tout récemment encore,
quelqu’un qui est souvent témoin « expert » pour les génocidaires
jugés à Arusha, a sorti un livre sur Habyarimana qui prétend que
si génocide il y a eu, c’est le génocide des Hutu et non des Tutsi.
Lui, par exemple, est linguiste et non historien (…). Il soutient que
non seulement il n’y a pas eu de génocide, mais qu’en outre, les éléments du discours qui sont généralement produits pour étayer la
thèse du génocide – comme l’utilisation de termes codés tel « travailler » pour « tuer » par les chefs génocidaires – seraient des
interprétations erronées. Ces mots devraient, selon lui, être compris
selon leur sens premier. Il s’agirait de mots anodins sortis de leur
contexte, celui des travaux communautaires. Tout ce qu’auraient
fait ces malheureux politiciens accusés faussement, c’était donc
inciter les gens à être plus citoyens, plus responsables, y compris
pendant les temps de guerre. Ce linguiste prétend baser son interprétation sur une lecture technique, linguistique, plus rigoureuse
que les autres306.

Les intellectuels constituent donc une classe d’acteurs à part
entière dans le champ négationniste. Sollicités en tant qu’experts,
publiant des ouvrages, s’exprimant dans les médias, ils possèdent
306. N. GASANA, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP) au Rwanda et chargé de cours associé à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 12/07/2005 à Kigali.

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une légitimité que leur confère leur position académique. Il est clair
que les discours négationnistes les mieux construits viennent de
milieux intellectuels qui s’emploient à répondre point par point aux
thèses du TPIR [Tribunal pénal international pour le Rwanda]. Il
s’agit en somme de se donner une chance de revenir au pouvoir. Les
gens des collines usent d’un discours beaucoup plus rudimentaire,
moins articulé, qui ne tend pas spécialement vers des objectifs politiques. En gros, on peut dire que les auteurs de ces discours se
recrutent parmi les anciens dignitaires du régime de Habyarimana
qui ont autrefois occupé des postes importants, que ce soit dans le
gouvernement, dans des ambassades ou à l’armée, mais aussi bien
entendu parmi les universitaires307. Deo Sebahire souligne la spécificité du négationnisme « scientifique ». Je pense qu’étant donné
les profils différents des auteurs du négationnisme, les mécanismes
d’élaboration sont différents. Ils sont élaborés et intentionnels du
côté des intellectuels. Il s’agit d’une intention de nier l’histoire, de
renverser le sens de la culpabilité et de rendre la victime auteur de
la violence, inverser le sens. Tandis que du côté de la base, ils traduisent un vécu de souffrance308.

La scission du monde scientifique et intellectuel est une des
caractéristiques du « cas rwandais ». Rares sont les chercheurs qui
s’accordent exactement, qui ont une vision semblable du génocide
de 1994. Filip Reyntjens, président de l’Institut de politique et de
gestion du développement de l’Université d’Anvers, auteur de
nombreuses publications sur le Rwanda, précise néanmoins que
personne ne conteste le génocide qui a frappé les Tutsi309. Mais il
existe des discussions quant au fait de savoir si oui ou non, le génocide a été planifié. Débat d’ailleurs inutile selon lui, puisque la
convention sur le génocide ne requiert pas la planification, dans sa
définition du génocide.
307. Ibidem.

308. D. MBONYINKEBE SEBAHIRE, docteur en anthropologie sociale et culturelle,
enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.

309. F. REYNTJENS, président de l’Institut de politique et de gestion du développement de l’Université d’Anvers, interviewé le 20/01/2006 par téléphone.

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La polémique actuelle se concentre surtout sur les exactions
commises par le FPR, avant, pendant et après le génocide des Tutsi
au Rwanda. Certains parlent de « génocide » alors que d’autres
refusent catégoriquement ce terme. Filip Reyntjens, qui a souvent
été accusé de proximité avec l’ancien pouvoir de Habyarimana,
ajoute : moi je n’ai jamais utilisé le terme « génocide » lorsqu’il
s’agissait des crimes commis par le FPR310. Dans les premières
années suivant le génocide, ceux qui osaient affirmer que le FPR
était responsable de très graves crimes ou violations de droit international humanitaire étaient accusés de révisionnisme. J’ai un jour
écrit dans un journal que nous n’étions quand même pas tout à fait
certains de l’identité des gens qui flottaient sur la Kanyaru et qui
atterrissaient dans le lac Victoria. La question était en fait : ne
s’agit-il que de victimes tutsi ou y a-t-il, parmi ces corps, des Hutu,
tués par le FPR ? S’en est suivie une levée de boucliers immédiate,
parce que selon certains, celui qui suggère cela prône en fait la
thèse du double génocide, etc.311, déplore le chercheur. Charles
Ntampaka est du même avis : celui qui dévie du discours généralement admis est rapidement qualifié de négationniste. Pourtant,
explique-t-il, le génocide ne s’est pas déroulé de la même manière
partout au Rwanda, ce qui peut justifier des visions différentes. A
l’Est par exemple, il y a eu davantage de menaces du FPR que de
personnes visées par le génocide, c’est pourquoi certaines personnes vont parler du génocide du FPR et de double génocide312. De
plus, souligne Filip Reyntjens, beaucoup de rapports ont déjà
démontré que le FPR a effectivement commis des crimes qui sont du
ressort du TPIR313. Pourtant, jusqu’à présent, seules des personnalités de l’ex-régime hutu ont été jugées. Raison pour laquelle le professeur belge a déclaré, en janvier 2005, ne plus vouloir témoigner
310. Ibidem.

311. Ibidem.

312. C. NTAMPAKA, maître de conférence à la Faculté de droit de Namur, interviewé
le 4/07/2006 à Bruxelles.
313. F. REYNTJENS, président de l’Institut de politique et de gestion du développement de l’Université d’Anvers, interviewé le 20/01/2006 par téléphone.

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Le cas du Rwanda

au TPIR. « Je ne pourrai pas coopérer avec le bureau du procureur, avant que le premier suspect du FPR n’ait été mis en accusation »314, a-t-il écrit dans une lettre adressée au procureur en chef du
TPIR, ajoutant que l’absence de poursuites des suspects du FPR le
plaçait devant un grave dilemme moral. Ses points de vue lui ont
valu de nombreuses accusations de la part de ses collègues. Il s’est
ainsi vu qualifié de « conseiller d’Habyarimana », notamment
pour avoir été une des trois personnes chargées de rédiger un avantprojet de constitution pour l’ancien président rwandais, en 1977.
Certains le considèrent comme un « soutien de l’ancien régime »
et ses positions critiques à l’égard du régime actuel en font, pour les
mêmes, un « ennemi des Tutsi ». Il est également vu par certains
comme un révisionniste, car il n’a de cesse de dénoncer les crimes
commis par le FPR. D’aucuns y voient une intention de minimiser
le génocide des Tutsi315.
Comment expliquer ces écarts, cette divergence de points de
vue si marquée entre ceux qui traitent du Rwanda ? Filip Reyntjens
parle de relais du FPR en Europe. Relais que l’on trouve tant dans
le monde académique que journalistique. Le professeur Charles
Ntampaka l’affirme également : certains intellectuels n’ont d’informations que via ces relais. Colette Braeckman par exemple, ne
fréquente pas un seul Hutu316. Sans vouloir trop insister, poursuit
Filip Reyntjens, un analyste connu est par exemple l’époux d’une
Rwandaise tutsi. De ce côté-là de la scission, il y a quand même pas
mal de personnes qui ont des liens, très souvent matrimoniaux, avec
314. « Filip Reyntjens annonce la suspension de sa coopération avec le TPIR »,
article du Courrier International, publié en ligne le 11 janvier 2005 sur
http://www.africatime.com, consulté le 23 février 2006, revue de presse en ligne.

315. Face à ces accusations, F. REYNTJENS a rédigé une « mise au point », dans
laquelle il clarifie ses positions et répond à ses détracteurs, voir F. REYNTJENS,
« Procès d’intention et faux-fuyants au sujet du Rwanda »,
http://129.194.252.80/catfiles/1449/1449.html.

316. C. NTAMPAKA, maître de conférence à la Faculté de droit de Namur, interviewé
le 4/07/2006 à Bruxelles.

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des Rwandais tutsi317. Les académiciens subiraient donc parfois l’influence de leur entourage, ce qui expliquerait certaines dissensions.
Même si je ne suis pas d’accord avec toutes les idées de Pierre
Péan, il écrit qu’il existe le cabinet noir du FPR en Europe. Il y a
beaucoup de réalité là-dedans, c’est incontestable318. Charles
Ntampaka pense également que les intellectuels, hors du Rwanda,
prennent position selon les informations qui leur parviennent et les
rapports qu’ils entretiennent avec le Rwanda, certains parmi eux
étant par exemple d’anciens coopérants au Rwanda319. Mais de là à
affirmer que les confrontations entre intellectuels s’expliquent par
le fait que les chercheurs sont tous influencés par leur entourage, il
reste un pas à franchir. Même si Filip Reyntjens le pense, il hésite à
l’affirmer péremptoirement car, déclare-t-il, on peut dire exactement la même chose à mon sujet, et je ne suis bien sûr pas d’accord.
S’il n’hésite pas à prétendre que Jean-Pierre Chrétien appuie la
position officielle de l’ancien gouvernement burundais parce qu’il
coopère en tant que chercheur avec le secrétaire général de
l’Uprona, l’ancien parti unique au Burundi, il rejette bien sûr l’accusation selon laquelle il existe des raisons extrascientifiques qui
expliqueraient les résultats de ses propres recherches. Ici, le débat
devient assez confus parce que l’on mélange le débat entre les chercheurs, le débat qui est basé sur des faits et la valeur d’analyse, et
les débats qui sont menés sur base de procès d’intention, de perceptions de proximités, etc.320
En définitive, il existe bien souvent une sorte de « méta-discours » qui entoure le discours dit « scientifique », selon Filip
Reyntjens. Sans le vouloir, tout chercheur subit une catégorisation.
317. F. REYNTJENS, président de l’Institut de politique et de gestion du développement de l’Université d’Anvers, interviewé le 20/01/2006 par téléphone.
318. Ibidem. Filip REYNTJENS fait allusion à l’ouvrage de Pierre PÉAN : Noires
fureurs, blancs menteurs, Paris, éd. Mille et une nuits, 2005.

319. C. NTAMPAKA, maître de conférence à la Faculté de droit de Namur, interviewé
le 4/07/2006 à Bruxelles.
320. F. REYNTJENS, président de l’Institut de politique et de gestion du développement de l’Université d’Anvers, interviewé le 20/01/2006 par téléphone.

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Le cas du Rwanda

Pour Charles Ntampaka également, cette fameuse scission du
monde scientifique provient tant des relations qu’entretiennent les
intellectuels avec certains milieux rwandais que de la récupération
que l’on fait des positions de chacun. On prête des intentions à tout
le monde. Il est très facile de retirer des phrases de leur contexte
pour leur faire dire ce que l’on veut321. Les positions des chercheurs
seraient presque toujours analysées en termes de « pro-Hutu » ou
« pro-Tutsi ». Il est par exemple assez intéressant de constater que
lorsque je critiquais le FPR, on m’accusait d’être anti-Tutsi, alors
que je n’accusais pas le FPR en tant que parti dominé par les Tutsi,
j’accusais le FPR à cause d’un certain nombre de pratiques que
j’observais. J’avais critiqué le gouvernement Habyarimana de la
même façon dans le passé, mais à l’époque, ça ne m’avait pas valu
l’accusation d’être anti-Hutu. Pour Charles Ntampaka, Filip
Reyntjens est une sorte de cascadeur322, qui ose dire tout haut ce que
pensent les gens tout bas. Ce qui en fait un intellectuel dangereux
pour l’actuel gouvernement rwandais parce qu’il condamne le mal
et reconnaît le bien des deux côtés323, faisant ainsi fi de la situation
binaire qui régit le pays. Bien avant l’époque du génocide, je critiquais le régime d’Habyarimana (…), le camp FPR me trouvait
absolument formidable, explique Filip Reyntjens. Maintenant que
je critique le FPR, c’est l’autre camp qui me trouve absolument formidable324. Une réaction inévitable selon lui.
Il y a donc un fossé entre les objectifs d’un chercheur, entre sa
volonté d’établir la vérité sans complaisance et la récupération
qu’en font certaines personnes sur le terrain politique. Il s’agit alors
de bien différencier le « révisionnisme » des historiens, qui ne
tend qu’à approcher la vérité, et le « négationnisme » qui tend à
321. C. NTAMPAKA, maître de conférence à la Faculté de droit de Namur, interviewé
le 4/07/2006 à Bruxelles.

322. Ibidem.

323. Ibidem.

324. F. REYNTJENS, président de l’Institut de politique et de gestion du développement de l’Université d’Anvers, interviewé le 20/01/2006 par téléphone.

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modifier les faits selon des visées politiques ou autres. Il est parfois
malaisé de distinguer ceux qui recherchent la vérité de manière
honnête, dans un but juridique ou historique, de ceux qui cherchent
à influencer la réalité pour servir des intérêts politiques. Ce que des
chercheurs ou même des enquêteurs judiciaires font est une chose,
ce que les acteurs sur le terrain, qui ont des intérêts politiques en
font est bien différent 325.

Il existe également des dissensions dans le monde intellectuel,
qui ne sont en fait que des traces d’une différence de points de vue
déjà présente avant le génocide. Il s’agit surtout de la question de
« l’ethnicité ». Pour certains, comme Jean-Pierre Chrétien, l’ethnicité est un phénomène colonial et postcolonial, créé par la colonisation et l’Eglise. Pour d’autres, comme Filip Reyntjens, la colonisation a certes rigidifié les ethnies mais cette ethnicité préexistait à la
période coloniale. Il est certain que les « antiethnistes », comme
Jean-Pierre Chrétien, sont considérés comme étant plus proches
des Tutsi, parce que c’est également le discours politique tutsi. (…).
L’autre groupe, celui qu’on pourrait appeler « les ethnistes »,
ceux qui reconnaissent la réalité de l’ethnicité sans pour autant
aimer ce constat philosophiquement, sont considérés proches des
Hutu326. Sosthène Cyitatire, conseiller politique au sénat rwandais,
mais s’exprimant à titre personnel, considère ainsi que le chercheur
belge est divisionniste et cherche à scinder le pays en deux327.

La polarisation qui caractérise le monde intellectuel reflète une
situation en miroir, telle celle qui caractérise le Rwanda. Il s’agit
d’une séparation bipolaire : Hutu contre Tutsi, séparation qui se
manifeste très clairement dans les échanges scientifiques. De toute
façon, qu’on le veuille ou non, on est classé. On doit être l’un ou
l’autre et quand on accuse l’un, on est contre l’autre et quand on
325. Ibidem.
326. Ibidem.

327. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.

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accuse l’autre, on a changé de camp328. Charles Ntampaka l’affirme, les intellectuels sont obligés de rentrer dans cette logique. Si
un intellectuel prend position, ça n’arrange personne329.

Mais peut-on voir la même scission au sein de la communauté
des intellectuels rwandais ? Pour Filip Reyntjens, la question ne se
pose pas puisqu’il n’existe pas d’intellectuels rwandais clairement
positionnés. Je ne pourrais citer aucun nom de chercheur rwandais
qui participe au débat330. Charles Ntampaka partage l’avis de son
collègue. Pour lui, aucun intellectuel rwandais n’ose prendre de
position claire sur le génocide, car la liberté d’expression est loin
d’être garantie dans leur pays. Ils craignent d’être mis sur la liste
des génocidaires ou de voir leur famille subir des pressions. Plus
insidieusement, ils craignent également de perdre le soutien de leur
« ethnie ».
3.6. Les sympathisants

De nombreux ouvrages traitant du génocide au Rwanda ont suscité des polémiques. Le cas du livre de Pierre Péan, Noires fureurs,
blancs menteurs331, est significatif de la tendance qui consiste, pour
certains auteurs, à traiter de ce sujet alors qu’ils n’en sont pas
spécialistes. Cette « méconnaissance » ne les empêche pas de
s’exprimer publiquement sur la situation, car ils sont proches de
certains acteurs impliqués et les soutiennent parfois de manière
inconditionnelle. Ce sont ces auteurs que nous qualifierons de
« sympathisants ».

328. C. NTAMPAKA, maître de conférence à la Faculté de droit de Namur, interviewé
le 4/07/2006 à Bruxelles.

329. Ibidem.

330. F. REYNTJENS, président de l’Institut de politique et de gestion du développement de l’Université d’Anvers, interviewé le 20/01/2006 par téléphone.
331. P. PÉAN, Noires fureurs, blancs menteurs, op. cit.

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Si les intentions de ces personnes ne sont pas toujours déchiffrables, l’accusation de « négationnisme » à leur encontre n’est pas
rare. Robin Philpot, journaliste canadien et auteur du livre Ça ne
s’est pas passé comme ça à Kigali332, veut par exemple dénoncer le
récit « aimable et convenable » selon lequel « la catastrophe
rwandaise de 1994 serait l’œuvre de ténébreux barbares hutus soutenus par la France inique et colonisatrice »333. Pour lui, la version
des faits généralement acceptée est « archifausse » et « a été édifiée pour occulter les vraies causes de la tragédie et protéger les
criminels ». Dans cette optique, il refuse d’utiliser le terme de
« génocide » pour le cas rwandais, car « l’unanimité commence
par l’utilisation cavalière et abusive du terme ‘génocide’ »334.
Même s’il ne prétend pas nier qu’il y ait eu des tueries massives,
parfois à caractère ethnique, ce « sympathisant » rejette catégoriquement l’utilisation abusive de cette expression, car pour lui,
« elle exonère l’un des belligérants de la guerre, l’armée du Front
Patriotique Rwandais, dont la stratégie politique, ficelée et appliquée bien avant avril 1994, visait à profiter de la culpabilité européenne et américaine à l’égard du génocide juif pour obtenir des
appuis et renverser le gouvernement Habyarimana du Rwanda »335.
Robin Philpot prétend que les preuves accusant les Hutu de génocide à l’égard des Tutsi sont insuffisantes336.
Peut-on pour autant parler de « négationnisme » ? Pour
François Bugingo, c’est, à nouveau, l’influence de l’entourage de
Robin Philpot qui explique les positions de l’auteur, et non une
quelconque visée politique. Le frère de celui-ci est en effet avocat
de la défense de certains accusés à Arusha, et les échos qui parvien-

332. R. PHILPOT, Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali, Paris, éd. Duboiris, 2004.
333. Ibidem, quatrième page de couverture.
334. Ibidem, p. 13.

335. A. NOËL, « Une Utilisation cavalière et abusive du terme génocide », 9 mars
2007, www.cyberpresse.ca, consulté le 14 mars 2007, réseau d’information en
continu.

336. R. PHILPOT, Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali, op. cit., p. 90.

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nent aux oreilles de Robin Philpot sont généralement orientés.
Monsieur Philpot adopte donc la rhétorique des accusés qui parlent « d’autodéfense » et non de « génocide »337. Le problème est
global, toujours selon François Bugingo, et dépasse le cas de Robin
Philpot. C’est la façon dont l’« immédiat après-génocide » a été
géré qui expliquerait en partie les divergences d’aujourd’hui. Les
Hutu comme les Tutsi auraient été « globalisés ». C’est ce qu’illustrent les propos de Sosthène Cyitatire. La population est divisée
en deux, les victimes d’un côté et les bourreaux de l’autre, je dis
cela de manière globale. Parce que ce sont les Hutu qui ont tué les
Tutsi338. C’est précisément ce que déplore François Bugingo. On dit
que les Hutu ont tué les Tutsi. Les Hutu défenseurs des droits de
l’homme sont donc devenus les mêmes Hutu que les génocidaires.
Il y a eu une nette séparation entre les deux, alors que pendant la
guerre, durant le régime Habyarimana, on avait réussi à faire des
transfuges de Hutu à « la cause tutsi ». Mais juste après le génocide, le gouvernement a globalisé tous les Hutu et tous les Tutsi339.
Il serait donc impossible pour Robin Philpot, en l’état actuel des
choses, d’avoir une autre opinion que celle du milieu dans lequel il
baigne. Mais ce qu’il dit n’a pas de visée politique, il y croit parce
que c’est ce qu’il entend, il se nourrit de ses propres arguments. De
plus, c’est un cercle vicieux, puisque après la publication de son
livre, les Hutu sont ravis et l’invitent partout. Et il se passe exactement la même chose du côté tutsi, Patrick de Saint-Exupéry est également chouchouté340. En somme, le sujet serait actuellement disputé par deux groupes bien distincts et polarisés, qui ne se rencontreraient que rarement, et qui n’auraient que très peu de chances de
337. F. BUGINGO, président de Reporters sans frontières Canada, interviewé le
7/03/2006 à Montréal.338 F. BUGINGO, président de Reporters sans frontières
Canada, interviewé le 7/03/2006 à Montréal.

338. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.339. Ibidem.
339. F. BUGINGO, président de Reporters sans frontières Canada, interviewé le
7/03/2006 à Montréal.
340. Ibidem.

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remettre en cause leurs propos. Et les vrais survivants se disent fatigués de tout cela, ils estiment que le débat ne leur appartient plus.
C’est dans ce silence que s’infiltrent les négationnistes341.

Pierre Péan, auteur de Noires fureurs, blancs menteurs, déjà
cité, affirme également détenir une vérité différente de celle qui est
généralement acceptée. Selon lui, son livre « est une révision de
l’histoire telle qu’elle a été accréditée par la plupart des médias. Il
entend réfuter la thèse selon laquelle la France a été complice du
génocide rwandais comme l’Allemagne l’a été de la Shoah »342. Il
va même jusqu’à revendiquer ce qu’il nomme lui-même du « révisionnisme », « sans trouble de conscience, puisque la seule façon
de cheminer vers la vérité quand l’histoire est truquée, c’est de la
réviser »343. Pour étayer sa thèse, il n’hésite pas à affirmer que « le
génocide de 1994 ne fut qu’un épisode dans une guerre civile et
régionale ignorée, plus meurtrière encore, voulue depuis octobre
1990 »344. Pour l’auteur, « le FPR était prêt à tout pour conquérir
le pouvoir à Kigali, y compris sacrifier Hutu et Tutsi »345. S’il
admet réviser la vérité, il refuse d’être taxé de négationnisme. « Je
ne nie pas ce qui s’est passé. Je ne remets pas en question le génocide des Tutsi. Je le replace dans une histoire dont j’explore la face
cachée »346, ajoute-t-il. Pourtant, Pierre Péan qualifie souvent le
génocide de « massacres » et de « tueries », et lorsque le mot
« génocide » apparaît, il est souvent entre guillemets. Mais il est
difficile d’affirmer que les positions défendues par l’auteur sont
négationnistes. On ne peut peut-être pas parler de négationnisme,
341. Ibidem.

342. « ‘Noires fureurs, blancs mensonges’ : La contre-enquête de Pierre Péan », 23
novembre 2005, http://www.hirondelle.org, consulté le 23 mars 2006, site de
l’agence de presse Hirondelle.
343. Ibidem.

344. P. PÉAN, Noires fureurs, blancs menteurs, op. cit., quatrième de couverture.
345. Ibidem.

346. Interview de P. PÉAN par C. THIBAUD, « Rwanda, le génocide revisité », in : Le
Vif-L’Express, 2 décembre 2005, p. 54.

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(…), on ne peut pas dire qu’il nie le génocide, donc en ce sens-là,
il n’est pas négationniste. D’autre part, sa thèse est très proche de
celle des extrémistes hutu qui ont tendance à vouloir renvoyer les
acteurs dos à dos en disant qu’il y a eu un génocide partout, analyse Olivier Lanotte347. Des rescapés du génocide ont d’ailleurs
porté plainte contre l’auteur français. Ils l’accusent d’écrits racistes,
révisionnistes et diffamatoires348.

Qu’est-ce qui peut pousser Pierre Péan à écrire ce volume imposant à propos d’un pays où il n’est jamais allé ? Les suppositions
sont nombreuses. Ainsi, la journaliste de La Libre Belgique, MarieFrance Cros, parle d’une « contre-offensive française »349. Sa
consœur du Soir, Colette Braeckman se pose la question :
« Pourquoi l’heure de cette entreprise de défense et de réhabilitation a-t-elle aujourd’hui sonné ? » Peut-être, avance cette dernière,
parce que l’action de l’armée française au Rwanda a été mise en
cause. Des plaintes ont en effet été déposées par des Rwandais à
l’encontre de militaires français350. Olivier Lanotte, chercheur au
Centre d’étude des crises et conflits internationaux de l’Université
catholique de Louvain, décèle également une volonté de provoquer
un contre-feu. Depuis quelques années, un certain nombre d’ouvrages sont parus, dont celui de Patrick de Saint-Exupéry351, et des
attaques des plus virulentes ont été lancées depuis Kigali. (…) Je
pense qu’il y a une volonté de la part des responsables français de
347. O. LANOTTE, chercheur au Centre d'étude des crises et conflits internationaux
de l'Université catholique de Louvain, interviewé le 27/04/2006 par téléphone.

348. M.-F. CROS, « Plainte en justice contre Pierre PÉAN », in : La Libre Belgique,
24 janvier 2006, p. 10. Pierre PÉAN a été renvoyé devant la justice française pour
« complicité de diffamation raciale » et « complicité de provocation à la haine
raciale » à la suite de la parution de son ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs.
M.-F. CROS, « Haine raciale : Pierre PÉAN renvoyé en justice », in : La Libre
Belgique, 8 janvier 2008, p. 11.
349. M.-F. CROS, « Génocide : contre-offensive française », in : La Libre Belgique,
1er décembre 2005, p. 14.

350. Ibidem.

351. P. de SAINT-EXUPÉRY, L’Inavouable. La France au Rwanda, op. cit., 2004.

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dire « maintenant ça suffit, on ne peut pas continuer à laisser dire
tout et n’importe quoi. »352 Il faut en effet se rappeler que le
dixième anniversaire du génocide avait été marqué par la parution
du livre de Patrick de Saint-Exupéry. Dans son ouvrage, le journaliste explique qu’il a découvert que la France avait aidé les génocidaires rwandais. Suite à la parution de ce livre, une Commission
d’enquête citoyenne avait été mise sur pied et six plaintes visant des
militaires français avaient été déposées devant le tribunal aux
armées353.

Marie-France Cros mentionne que Pierre Péan avait appelé son
journal au printemps 2005 et avait expliqué qu’il « allait commencer une enquête pour montrer que la France n’avait pas été complice du génocide »354. Cet avertissement, souligne-t-elle, témoigne
d’une attitude tendancieuse, car « une enquête dont on connaît les
conclusions avant même de l’avoir menée, cela s’appelle de la propagande »355. Olivier Lanotte, pour sa part, ne pense pas qu’il y
avait une volonté systématique de prouver absolument quelque
chose356, même si le livre peut donner cette impression. Car pour lui,
il peut y avoir une maladresse entre les intentions de départ et ce
qu’il y a à l’arrivée357. Cependant, Marie-France Cros constate que
Pierre Péan ne fait rien d’autre que défendre la thèse des extrémistes hutu358, qui voudrait par exemple que « la culture du mensonge
et de la dissimulation domine toutes les autres chez les Tutsi, et
dans une moindre part, par imprégnation, chez les Hutu »359 et que
352. O. LANOTTE, chercheur au Centre d’étude des crises et conflits internationaux
de l’Université catholique de Louvain, interviewé le 27/04/2006 par téléphone.

353. M.-F. CROS, « Génocide : contre-offensive française », op. cit.

354. Ibidem.

355. Ibidem.

356. O. LANOTTE, chercheur au Centre d’étude des crises et conflits internationaux
de l’Université catholique de Louvain, interviewé le 27/04/2006 par téléphone.
357. Ibidem.

358. M.-F. CROS, « Génocide : contre-offensive française », op. cit.

359. P. PÉAN, Noires fureurs, blancs menteurs, op. cit., p. 41.

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des membres d’associations tutsi, pour utiliser le cliché du mensonge par séduction, « ont su garder de très belles femmes tutsi
vers des lits appropriés »360. Olivier Lanotte souligne, lui, que l’argumentaire de Pierre Péan est en plusieurs points proche de la rhétorique des extrémistes hutu. Il est cependant un point sur lequel
Pierre Péan diverge quelque peu de la thèse des extrémistes hutu.
L’auteur affirme en effet que le FPR est responsable du génocide
des Tutsi, là où les extrémistes hutu expliquent les « massacres »
des Tutsi et des Hutu modérés par une manifestation de colère spontanée361. La journaliste de La Libre Belgique reconnaît que le FPR a
commis des massacres et elle n’écarte pas le fait qu’il puisse être
l’auteur de l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana.
« Mais l’ouvrage de notre confrère français manque sa cible : il
ne nous fait pas oublier que ce sont les extrémistes hutu qui ont préparé et exécuté le génocide d’un million de personnes et ne nous
convainc pas que la France (…) n’y est pour rien. »362 Car il ne faut
pas perdre de vue que même si le FPR est coupable de certains
actes, rien ne pourra changer le fait que le massacre systématique
des Tutsi avait été prévu de longue date par des politiciens et des
militaires extrémistes hutu.

Beaucoup s’accordent donc à dire que la démarche de Pierre
Péan s’inscrit dans le cadre d’une volonté de défendre la France.
Selon Olivier Lanotte, c’est dans l’entourage de certains militaires
et personnages politiques français qu’il faut chercher l’origine de
l’initiative de l’auteur. Il se pourrait que des responsables politiques
aient approché Pierre Péan pour qu’il écrive ce livre363. Les militaires sont ulcérés des attaques contre l’opération turquoise. Ils ont
vraiment le sentiment d’avoir fait ce qu’ils pouvaient, je pense que,
beaucoup, de choses viennent de là (…). C’est vraiment réhabiliter
360. Ibidem, p. 44.

361. M.-F. CROS, « Génocide : contre-offensive française », op. cit.

362. Ibidem.

363. O. LANOTTE, chercheur au Centre d’étude des crises et conflits internationaux
de l’Université catholique de Louvain, interviewé le 27/04/2006 par téléphone.

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‘turquoise’ après la parution du livre de Saint Exupéry364. Cet avis
diverge néanmoins de celui de François Bugingo qui ne s’explique
pas pourquoi l’auteur a écrit de telles absurdités grotesques365. Pour
le président de Reporters sans frontières Canada, lui-même d’origine rwandaise, la France a cessé de se soucier de « cette question
rwandaise », ça ne vaut donc pas la peine, pour Pierre Péan, de se
décrédibiliser pour cela366. Et même si Pierre. Péan semblait avoir
des relations privilégiées avec la famille Mitterrand, ce ne serait pas
pour défendre l’ancien président que le livre est sorti. Car
Mitterrand n’est plus aussi bien vu qu’avant, rien ne sert de réaffirmer sa fidélité à cette famille367. Notons tout de même que Pierre
Péan avait pu avoir accès aux archives de l’Elysée, aux documents
personnels du président Mitterrand et de son fils Jean-Christophe.
« Un privilège exceptionnel dont n’avaient pas bénéficié, en 1998,
les députés qui avaient participé à la commission d’enquête mise
sur pied par l’Assemblée nationale et dirigée par Paul Quilès. »368
3.7. La diaspora rwandaise

Certains groupes de la diaspora rwandaise en Belgique sont également accusés de négationnisme. Les Rwandais résidant à l’étranger ont la possibilité d’exprimer leurs opinions, ce qui n’est pas
garanti au Rwanda où la liberté d’expression demeure limitée.
Cependant, même en Belgique, aucun d’entre eux ne nie à proprement parler le génocide des Tutsi. Selon Astérie Mukarwebeya369,
une Rwandaise vivant en Belgique depuis 1984, les personnes qui
composent la diaspora en Belgique sont des personnes qui ont eu
364. Ibidem.

365. F. BUGINGO, président de Reporters sans frontières Canada, interviewé le
7/03/2006 à Montréal.
366. Ibidem.

367. Ibidem.

368. C. BRAECKMAN, « Le Révisionnisme alimenté par Péan », op. cit.

369. interviewée le 8/08/2006 à Bruxelles.

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Le cas du Rwanda

les moyens financiers de venir en Belgique, qui avaient un certain
statut social, qui ont fait des études et certaines d’entre elles ont
même occupé des postes politiques au Rwanda. Elles savent donc
quelles sont les limites à ne pas franchir et mesurent très bien la portée de ce qu’elles disent. C’est pourquoi, explique-t-elle, elles ne
diront jamais publiquement que le génocide des Tutsi n’a pas eu
lieu, de peur de se compromettre. En général, les accusations de
négationnisme se trompent de cible, affirme-t-elle, les « vrais
négationnistes » ne se compromettront jamais en public.

Pour Astérie Mukarwebeya, il faut d’abord s’entendre sur la
définition du terme génocide -savoir si la planification fait partie
de cette définition370 et ce que l’on entend par « négationnisme » car certains Rwandais exilés en Belgique affirment que le génocide
n’a pas été planifié sans pour autant le nier à proprement parler.
D’autres prétendent que le FPR porte sa part de responsabilité dans
le génocide, d’autres encore affirment que le nombre de morts hutu
est plus important que le nombre de morts tutsi. Il existe des associations, des politiciens, mais aussi des individus qui véhiculent ces
idées. Les opinions s’échangent aussi dans les cafés, comme dans
certains cafés bruxellois, où je ne serais par exemple pas la bienvenue. Dans les familles également, les idées s’échangent. Il existe
même des groupes de danse qui sont radicalement soit hutu soit
tutsi. Les idées à tendance négationniste se retrouvent donc de
manière informelle dans la vie quotidienne, davantage que de
manière institutionnalisée.
Elle soulève également un autre problème. Selon elle, il est
devenu impossible de critiquer l’actuel gouvernement de Kigali, ce
qui peut empêcher la vérité d’émerger. Quiconque affirme que le
FPR porte sa part de responsabilité est taxé de négationnisme.
L’accusation de négationnisme serait donc utilisée comme une
arme par les associations extrémistes tutsi. Il ne faut pas minimiser

370. La définition juridique du terme génocide ne mentionne pas la planification
dans sa définition, mais la plupart des historiens considèrent que la planification
est un des éléments constitutifs de celui-ci.

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le génocide des Tutsi mais il faut prendre conscience que certaines
accusations de négationnisme, si elles ne sont pas fondées, peuvent
être contre-productives. Certaines personnes usent de ce terme sans
prendre la mesure de sa portée. Il faudrait éviter le risque de banalisation. Par ailleurs, il est souhaitable de se donner la peine d’appréhender les propos des uns et des autres [Hutu et Tutsi] en toute
objectivité et pas seulement avec les yeux de militant pour une tendance ou l’autre. Si on empêche une population de s’exprimer –
toute proportion gardée – on exacerbe les tensions. Les associations extrémistes hutu vont jouer à fond la carte de « les Tutsi
sont responsables du génocide, nous, nous étions prêts à discuter,
rien n’a été planifié » et les extrémistes tutsi vont jouer à fond la
carte « des pauvres Tutsi innocents depuis toujours »371. Pour elle,
permettre la création d’associations extrémistes tant hutu que tutsi
ne fait que mettre les deux « côtés » face à face. On accepte la
création d’organisations ethniques qui s’extrémisent, alors que sur
la place publique, on condamne toute mention ethnique372.
Les incidents qui ont entouré la « 12ème commémoration de la
tragédie rwandaise du 6 avril 2006 »373 révèlent les tensions qui
existent entre les différentes communautés rwandaises en Belgique.
L’association de rescapés Ibuka organise chaque année depuis
1995, le 7 avril, la « commémoration du génocide des Tutsi »374.

371. A. MUKARWEBEYA, Rwandaise vivant en Belgique depuis 1984, interviewée le
8/08/2006 à Bruxelles.
372. Ibidem.

373. Discours d’A. RUKERANTARE, président du Collectif 6 avril 1994 Rwanda
(COSAR), lors de la cérémonie commémorative du génocide rwandais du 6 avril à
Woluwé-Saint-Pierre, organisée en collaboration avec le Centre de Lutte contre
l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR), http://www.inshuti.org, consulté le 12
juillet 2006, site ayant pour objectif de « diffuser des faits de l’Afrique des Grands
Lacs ».

374. Discours d’A. GAKUMBA HANGU, coordinateur Ibuka-Mémoire et Justice, lors
de la cérémonie commémorative génocide des Tutsi, 7 avril 2006 à l’Ambassade
du Rwanda à Bruxelles, http://www.ibuka.net, consulté le 12 juillet 2006, site
d’Ibuka.

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Depuis quelques années, une autre commémoration a lieu également un jour plus tôt, le 6 avril. Elle est organisée par les membres
du Collectif du 6 avril Rwanda (COSAR) en collaboration avec le
Centre de Lutte contre l’Impunité et l’Injustice au Rwanda (CLIIR).
Les deux groupes commémorent le génocide au Rwanda. Mais pour
le COSAR et le CLIIR, c’est la mémoire de toutes les victimes du
« génocide rwandais » qu’il faut honorer, alors que pour Ibuka, le
seul génocide qui a été perpétré au Rwanda est celui des Tutsi. Si
elle reconnaît que la mémoire des autres « ethnies » doit également être honorée, l’association refuse « l’amalgame entre victimes du génocide des Tutsi et des massacres ou des assassinats de
Hutu, victimes de guerres ou de conséquences de guerres »375. La
date de la commémoration suscite également des tensions en raison
de ses enjeux. Pour ceux qui désirent manifester le 6 avril, il
convient de commémorer l’attentat qui coûta la vie au président
rwandais Juvénal Habyarimana et à son homologue Cyprien
Ntaryamira du Burundi. Cet attentat étant l’élément déclencheur du
génocide, il importe pour eux d’attirer l’attention sur son auteur.
Selon le COSAR, c’est indubitablement le FPR qui est à l’origine de
l’attentat, et il faut réveiller les consciences à ce sujet. Albert
Rukerantare, le président de l’association, déclare ainsi que « le 6
avril 1994, Kagame arriva à l’apogée de son plan machiavélique
en lançant l’attaque terroriste à l’aide des missiles SAM 16 sur le
Falcon 50 du président rwandais Juvénal Habyalimana accompagné de son homologue burundais Cyprien Ntaryamira et de leurs
très proches collaborateurs. Cet attentat terroriste fut l’élément
déclencheur du génocide (…). »376 Le coordinateur du CLIIR,
Joseph Matata, dit être moins attaché à cette date que le président
du COSAR mais, tout comme Albert Rukerantare, il refuse de rendre hommage à la seule mémoire des victimes tutsi. Pour lui, les
375. Ibidem.

376. Discours d’A. RUKERANTARE, président du Collectif 6 avril 1994 Rwanda
(COSAR), op. cit.

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victimes des trois ethnies doivent être honorées de la même façon377.
C’est ce qu’Ibuka, qui manifeste le 7 avril, déplore, car pour l’association, « l’appellation et l’objectif de ladite association [le
COSAR] sont clairs à ce sujet : alors que les Nations Unies et les
associations des survivants ont décrété la date du 7 avril pour commémorer les victimes du génocide des Tutsi, le COSAR choisit la
date du 6 avril, la date de la mort de l’ancien président Juvénal
Habyarimana pour créer l’amalgame et la confusion. Ladite association s’inscrit dans la stratégie de la désinformation systématique
renvoyant dos à dos les bourreaux et les victimes »378.

Malgré de nombreuses réactions des groupes mis en cause, l’accusation de négationnisme persiste, de la part d’Ibuka, mais également de la part de l’ancien ministre de la Coopération au développement, Armand De Decker, et de la presse nationale. Dans son
communiqué de presse du 7 avril 2006, Armand De Decker déclare
réagir « fermement à la manifestation organisée hier par des opposants rwandais niant le génocide de 1994 », considérant « que la
négation du génocide au Rwanda doit (…) être punie pénalement en
Belgique »379. Le CLIIR s’est dit particulièrement peiné de lire que
le ministre traitait les organisateurs de la manifestation de « négationnistes » « sans aucune mise en relief de leurs motivations et en
l’absence de toute déclaration de leur chef, pouvant trahir un quelconque sentiment ‘négationniste’, à moins que le mot n’ait été vidé
de son sens »380. Selon lui, appuyer la commémoration faite par les
377. J. MATATA, coordinateur du CLIIR, interviewé le 12/07/2006 à Louvain-laNeuve.
378. Lettre de P. KALISA, président d’Ibuka, adressée à Jacques VANDENHAUTE,
Bourgmestre de Woluwé-Saint-Pierre pour plaider en faveur de l’interdiction de la
manifestation du 6 avril, 5 avril 2005, http://survie67.free.fr/Rwanda/Divers/lettre_ibuka_a_woluwe_st_pierre.htm, site de l’association Survie, consultée le 12
juillet 2006.
379. Communiqué de presse d’A. DE DECKER daté du 7 avril 2006,
http://www.armanddedecker.com, consulté le 15 juillet 2006, site du ministre.

380. Lettre de J. MATATA, coordinateur du CLIIR, adressée à A. DE DECKER, datée
du 10 avril 2006, http://www.mdrw.org, consultée le 13 juillet 2006, site du
Mouvement Démocratique Républicain rwandais.

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exilés tutsi revient à vouloir satisfaire les autorités politiques rwandaises, ce qui ne fait qu’encourager la haine et les divisions ethniques381. Le Soir et La Libre Belgique ainsi que Le Vif-L’Express ont
eux aussi avancé le terme « négationnisme » à l’égard des manifestants du 6 avril 2006. Ainsi, Gérald Papy, dans un article titré
« Les révisionnistes tentent de semer la confusion à Bruxelles »,
explique que « certains nostalgiques de ce que l’on appelle le
‘Hutu Power’, régime qui voulait asseoir la domination des extrémistes hutu, nient le génocide perpétré par les Hutu contre la minorité tutsi et tentent de semer la confusion entre le génocide et des
crimes de guerre -voire des crimes contre l’humanité - dont se sont
rendus coupables les combattants du FPR, leurs dirigeants étant
désormais au pouvoir à Kigali »382. Le journal Le Soir titre
« Des négationnistes se montrent »383, sous la plume de Véronique
Kiesel. Le Vif-L’Express relate également l’incident, dans un article
signé Olivier Rogeau, intitulé « Réconciliation impossible ? »384.
On peut y lire que le « Cosar tend à minimiser et à banaliser le
génocide des Tutsi, considéré comme un épisode dans une guerre
civile très meurtrière voulue depuis octobre 1990 par le FPR »385.
Dans ce même article, le professeur Charles Ntampaka, secrétaire
de rédaction de la revue Dialogue réagit à la déclaration de Kigali,
qui assure avoir localisé 93 personnes soupçonnées de participation
au génocide, toujours en liberté en Afrique, en Amérique et en
Europe. Près de la moitié d’entre elles se trouveraient en Belgique,
et certaines personnes présentes lors de la manifestation du 6 avril
2006 seraient recherchées par le TPIR. « Cette liste n’a ni queue ni
tête », clame-t-il. « Certains de ces Rwandais ne vivent même pas
381. Ibidem.

382. G. PAPY, « Les Révisionnistes tentent de semer la confusion à Bruxelles »,
in : La Libre Belgique, 6 avril 2006.
383. V. KIESEL, « Des Négationnistes se montrent », in : La Libre Belgique, 6 avril
2006, p. 4.

384. O. ROGEAU, « Réconciliation impossible ? », in : Le Vif-L’Express, 19 mai
2006, p. 24.

385. Ibidem.

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ici (…). D’autres ont déjà été jugés. Et curieusement, Kigali ne
retient pas l’un ou l’autre des nombreux officiers des anciennes
Forces armées rwandaises installés en Belgique. »386 En réalité, le
professeur pense que cette liste est une contre-attaque du Rwanda
face aux accusations qui visent Kagame. Pour lui, « Kigali n’a pas
su répliquer au livre d’Abdul Ruzibiza. Les partisans du régime
répondent aussi à de telles attaques en qualifiant Bruxelles de fief
des sympathisants du Hutu Power »387. Serge de Patoul n’est pas
loin de partager ces pensées. Concernant la manifestation du 6 avril
2006, il estime que le COSAR et le CLIIR ne nient pas à proprement
parler le génocide des Tutsi mais n’échappent cependant pas aux
accusations de négationnisme proférées par Kigali. Celles-ci ne
sont pas expliquées par le gouvernement rwandais mais semblent se
justifier, dit-il, par la mention de cette liste de génocidaires. Il
insiste : n’oublions pas que les membres du COSAR sont des opposants au régime388.
Une fois de plus, parler de « négationnisme » à l’encontre des
groupes précités ouvre une discussion difficile. En effet, si l’on
reprend la définition du négationnisme (« L’ensemble des attitudes
adoptées et des explications fournies pour nier la vérité d’un génocide, ou plus largement, d’un crime contre l’humanité. »389), on
constate qu’au regard des arguments des organisateurs de la manifestation du 6 avril 2006, il n’apparaît pas clairement que le génocide des Tutsi soit nié. Cependant, même si l’attentat de l’avion présidentiel est bien l’élément déclencheur du génocide, il n’a en rien
provoqué une colère spontanée à la base de tueries interethniques,
ce qui parfois transparaît dans les discours du COSAR. Mais là
encore, le doute persiste, car ces termes de « colère spontanée » et
de « tueries interethniques » n’apparaissent pas clairement dans la
386. Ibidem.
387. Ibidem.

388. S. de PATOUL, échevin des jumelages et de la coopération internationale à
Woluwé-Saint-Pierre, interviewé le 12/07/2006 par téléphone.
389. Y. TERNON, « Négationnisme. Règles générales et cas particuliers », in :
K. BOUSTANY, D. DORMOY (dir.), op. cit., p. 143.

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rhétorique de l’association. Concernant les vues du coordinateur du
CLIIR, Joseph Matata, nombreuses sont les personnes qui s’accordent à dire qu’il n’est pas négationniste. Mais, précise-t-on dans
l’entourage d’Ibuka, au sein d’un même mouvement militent
des gens aux idées bien différentes. Peut-être le terme « révisionnisme » est-il plus approprié lorsque l’on sait que « les ‘révisionnistes’ cherchent à établir la vérité, en réexaminant des textes et des
faits, en apportant de nouvelles interprétations ou de nouvelles thèses sans vouloir manipuler la réalité »390 ? Encore une fois, déterminer les intentions véritables des groupes mis en cause constitue à
la fois l’essentiel de la question et l’essentiel de la difficulté.
4. Les arguments du négationnisme

Beaucoup de discours négationnistes se cachent derrière des
arguments et des termes utilisés à mauvais escient et de manière
récurrente.

Ainsi, certaines personnes refusent de parler du « génocide des
Tutsi au Rwanda », se référant à « la guerre civile », à « une
colère spontanée » ou à une « réaction d’autodéfense » de la part
des Hutu. Des explications, également, peuvent nier la spécificité
du génocide : c’est une « haine ancestrale » qui aurait mené aux
tueries de 1994. D’autres encore acceptent de parler de « génocides », mais prétendent qu’il y en a eu deux, celui des Tutsi, et celui
des Hutu. Certains vont même jusqu’à inverser les rôles : ils prêtent aux Tutsi des actes commis par les Hutu. C’est la technique dite
de « l’accusation en miroir ». Enfin, dans certains milieux, surtout
dans le monde catholique bien représenté au Rwanda, le pardon est
prôné d’abord, avant la justice. Les citoyens se devraient alors
d’oublier ce qu’il s’est passé en 1994, pour que le peuple rwandais
se réconcilie enfin. Ces différentes approches du génocide poussent
à appréhender les faits autrement qu’ils ne se sont produits dans la
réalité.
390. Ibidem.

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4.1. La colère spontanée, la guerre civile et l’autodéfense

Une des premières manières d’occulter le génocide consiste à
nier systématiquement la logique d’extermination, en réduisant
les tueries à des « massacres » justifiables. Au lieu de parler de
génocide, les termes « guerre », « colère spontanée » ou « autodéfense » sont employés pour masquer la réalité des faits. Chacune
de ces qualifications engendre une façon de nier la spécificité du
génocide. Dès le début des massacres, les autorités militaires, administratives et politiques usèrent de ce stratagème. Cette supercherie
visait au moins trois buts : tromper la communauté internationale,
tromper les Tutsi pour les exterminer plus facilement, et tromper les
Hutu afin de les faire participer de façon massive au génocide programmé. Tant les acteurs politiques à l’intérieur du Rwanda que
ceux dépêchés à l’extérieur du pays soutenaient les mêmes mensonges. Tous les discours publics rappelaient que le FPR avait envahi
le Rwanda en 1990 et en déduisaient qu’il était responsable de tout
ce qui s’était passé par la suite. Le FPR était, selon le gouvernement
intérimaire, à l’origine de l’assassinat d’Habyarimana, ce qui prouvait la férocité naturelle des Tutsi. Le prétexte de la colère populaire
qui aurait fait suite à l’attentat de l’avion présidentiel, celui de l’autodéfense et de la guerre d’agression ne servirent pas seulement à
tromper les étrangers sur le caractère organisé et systématique de la
violence, ils permirent également d’encourager les Rwandais à se
sentir dans leur bon droit en y participant391.
4.1.1. La colère spontanée

Une thèse, très répandue dans certains milieux rwandais et chez
leurs amis européens, consiste à dire que le crash de l’avion présidentiel a engendré une fureur populaire incontrôlable392. Le projet
génocidaire est ainsi éludé par un élément « détonateur » du génocide, et les commanditaires de l’attentat (supposés être le FPR et

391. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 297-298.

392. « Oui, le génocide a bien été prémédité », interview de C. VIDAL, in : Le
Monde, n° 2046, semaine du jeudi 1er avril 2004.

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son commandement militaire) sont responsables du génocide. Les
Tutsi sont donc à l’origine de leur propre extermination. Cette
« explication » impute la principale responsabilité à la victime,
selon un processus d’inversion récurrent dans les discours négationnistes393. Dès lors, la bonne conscience entoure les tueries et les
bains de sang sont décrits comme « normaux », puisque légitimés
au nom d’une colère spontanée394. Kajuga, le président des interahamwe expliquait ainsi au correspondant du Monde, qui l’interrogeait au moment des massacres, que « tout a été spontané. Les gens
se sont défendus quand les rebelles du Front Patriotique ont attaqué »395.

En réalité, il semble que les autorités aient assez tôt mis en place
une campagne visant à faire un martyr du président défunt. Des
badges à l’effigie de Habyarimana furent par exemple distribués à
Gitarama, fief du MDR, qui devint une sorte de rappel permanent
de la « culpabilité des Tutsi ». Un chef de milice expliquait pourquoi il avait tué des Tutsi : « Ils l’ont tué », disait-il en désignant
le badge épinglé sur sa poitrine396. En outre, depuis 1950, une fraction du peuple hutu avait développé une sorte de syndrome de victimisation basé sur des frustrations et des plaintes, permettant aux
leaders hutu de manier cette « persécution » pour en faire une hantise mobilisatrice. L’art des extrémistes a été de manipuler une hostilité latente pour la convertir en actes d’agressivité envers les Tutsi
qui furent désignés comme les responsables des misères endurées
par le peuple hutu. La façon de faire était simple : proclamer partout, dans tous les milieux, religieux, enseignants, médicaux aussi
393. L. BAGILISHYA, « Discours de la négation, dénis et politiques », in :
C. COQUIO (dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p.744-745.

394. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p.45.

395. J.-F. DUPAQUIER, « Rwanda : le révisionnisme, poursuite du génocide par
d’autres moyens », in : R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda,
un génocide du XXe siècle, op. cit., p.129.

396. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 298.

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bien que dans les milieux d’affaires et les centres urbains, que les
Tutsi cherchaient à nuire aux Hutu397.

Qualifier les « massacres » de 1994, de « colère spontanée »
a pour conséquence de nier une des spécificités du génocide selon
l’approche historique, à savoir son caractère planifié et prémédité.
C’est une manière de revoir, de revisiter l’histoire, de relier les faits
autrement que comme ils l’ont été dans la réalité. Quand le génocide est expliqué par la mort du président Habyarimana, on est loin
d’un acte conçu bien avant, préparé, de manière méthodique, par
des gens dont Habyarimana lui-même398, explique Gasana Ndoba.
Le secrétaire exécutif du CLADHO399 insiste également sur le fait
que parler de « fureur populaire » revient à nier le génocide. Pour
moi, c’est une façon de dire que le génocide n’a pas été planifié,
que c’est comme un accident qui est venu du ciel, que ce sont des
gens qui se sont levés un certain matin, comme des fous, et qui se
sont entretués. Ces gens-là disent que les gens étaient fâchés parce
que leur Président aimé venait de mourir donc ils ont tué les autres.
Or, il n’y a rien eu de spontané, c’est quelque chose qui a été planifié. L’avion n’est pas à la base du génocide, c’est un prétexte. Si
ça n’avait pas été celui-là, on en aurait trouvé un autre parce que
le génocide devait avoir lieu. Il ne faut pas faire d’amalgame et
faire croire que c’est comme un accident de l’histoire, c’était planifié, c’est le fait des hommes400. Que l’attentat ait servi de prétexte ne
fait pas non plus l’ombre d’un doute pour Jean Hatzfeld. Selon lui,
que celui-ci ait été perpétré par le FPR ou par les Hutu extrémistes,
n’a aucune espèce d’importance. « Cet attentat est le déclic et non
la cause. Le climat était favorable au massacre. Je dirais que la
397. C. VIDAL, « Les politiques de la haine », op. cit., p. 31-32.

398. N. GASANA, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP) au Rwanda et chargé de cours associé à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 12/07/2005 à Kigali.

399. Collectif des ligues et associations de défense des droits de l’homme au
Rwanda.
400. S. SINYIGAYA, secrétaire exécutif du CLADHO, interviewé le 12/07/2005 à
Kigali.

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planification date de fin 1993 : le président Habyarimana avait
parlé d’éliminer les Tutsi dès 1973 et le contexte de guerre civile
entre le FPR et le gouvernement depuis 1992 a été l’occasion. C’est
cette guerre qui a permis l’instauration de cet état de non-droit propre au génocide. »401 Antoine Rutayisire explique que présenter les
massacres comme la conséquence directe de l’attentat constitue
bien une volonté de nier la singularité du génocide. Parce que
quand on fait quelque chose de mal, souvent on veut bien le reconnaître, mais on dit : « c’était en réaction à ceci », on justifie le
mal. Celui qui était dans le gouvernement de l’époque dira qu’il ne
voulait pas faire de mal, mais que comme le FPR a fait pression, la
population s’est fâchée402. En outre, le personnage omniprésent du
« tueur à la machette » véhicule et accrédite cette image de fureur
spontanée403.

De nombreux indices permettent d’établir qu’une planification
a bel et bien précédé le génocide. Le génocide avait été préparé, les
radios et les journaux incitaient à la haine404. De 1990 à 1994, des
massacres localisés ont été orchestrés par une fraction de dominants
et offraient toutes les apparences de « quasi-expérimentations ».
De nombreuses enquêtes menées par différentes associations rwandaises ou internationales révèlent la mise en place rigoureuse d’une
organisation capable de tuer à grande échelle. Efficacité de l’appareil répressif, double discours, esprit partisan des autorités judiciaires, propagande appelant à confondre en tant que complices « les
ennemis du pays » et, de manière générale, tous ceux qui s’opposaient au discours présidentiel, tout participait d’une stratégie
conférant toujours plus de pouvoir et de capacité de violence aux
extrémistes, à l’égard des victimes désignées. D’autres preuves,

401. « Depuis vingt ans, on affûtait les machettes », interview de J. HATZFELD,
in : Mémoires vives, n° 1, février 2004, p. 21.

402. A. RUTAYISIRE, vice-président de la Commission nationale pour l’unité et la
réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.
403. « Oui, le génocide a bien été prémédité », interview de C. VIDAL, op. cit.

404. A. RUTAYISIRE, vice-président de la Commission nationale pour l’unité et la
réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.

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comme l’assassinat de personnalités contrecarrant les idées propagées ou encore le harcèlement idéologique martelé par les médias
nationaux confirment la thèse de la planification405.
4.1.2. La guerre civile

Une autre façon de ne pas reconnaître ce qui s’est passé au
Rwanda en 1994 consiste à utiliser le mot « guerre » qui n’implique pas la même définition des faits que le mot « génocide ».
Selon certains, s’il n’y avait pas eu l’agression des inkotanyi en
1990, il n’y aurait pas eu de génocide ; tout cela ne serait en somme
qu’une réaction normale à une provocation qui aurait finalement
abouti en une sorte de « guerre entre peuples rivaux ». Ce type
d’argumentation semble basé sur l’idéologie et les stratégies des
anciennes « autorités intérimaires » (8 avril-18 juillet 1994), forgées pour justifier l’extermination de centaines de milliers de personnes. Pour le gouvernement de l’époque, le pays traversait une
guerre déclarée par le FPR allié à l’Ouganda. Le peuple était donc
appelé à se mobiliser contre l’ennemi, les « cafards » et leurs
« complices » qui s’infiltraient dans le pays406. Kajuga, à la tête des
interahamwe expliquait en 1994 qu’il ne s’agissait pas de sauvagerie mais de guerre407. Une panoplie de termes pratiques sert
les tenants de cette thèse : « guerre », mais également « massacres », « drame» ou encore « événements », cachent mal une
volonté de détourner la vérité408. Antoine Rutayisire remarque que
cette approche terminologique ambiguë est très répandue. Il suffit
de voir les sites internet, surtout ceux nés de l’initiative des personnes qui se trouvent à l’extérieur du pays. Elles disent que ce n’était
pas un génocide au Rwanda, qu’il s’agissait juste de tueries interethniques. Il y a des Blancs, des Rwandais, des Africains qui disent
405. C. VIDAL, « Les Politiques de la haine », op. cit., p. 23.

406. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 224.

407. Cité par J.-F. DUPAQUIER, « Rwanda : le révisionnisme, poursuite du génocide
par d’autres moyens », in : R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.),
Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit., p. 129.
408. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 229.

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cela409. Les deux « ethnies» se seraient donc disputé le pouvoir, ce
qui aurait mené à une « simple » guerre. La confrontation dite
« ethnique » opposant les Hutu et les Tutsi était sans cesse rappelée depuis une trentaine d’années. Il existe bien sûr un rapport entre
cette idéologie longuement martelée et le génocide mais il importe
avant tout de ne pas réduire ces stratégies à des schémas d’explications « classiques ». L’enjeu était bien plus important qu’une
banale lutte de pouvoir.

Certains vont jusqu’à affirmer que les violences étaient la manifestation du malaise du peuple face aux calculs des politiciens. On
retrouve cette analyse dans le « bilan de quatre années catastrophiques » proposé par Ephrem Mbugulize à la fin 1994410 : « La
population n’était pas dupe. Elle avait compris qu’Arusha, ce
n’était pas un compromis, mais le résultat de la pression extérieure
sur ceux qui détenaient le pouvoir »411.

Dans un même ordre d’idées, d’autres ont développé une thèse
selon laquelle, puisque la majorité des habitants est d’origine hutu,
il serait normal que la minorité tutsi ne participe pas à la vie politique de manière significative. Les violences exercées à l’encontre
des Tutsi seraient donc à la limite légitimées par les réactions d’une
démocratie menacée par une oligarchie avide de pouvoir. Selon
cette perspective, il convenait d’associer systématiquement les
Tutsi comme alliés de l’ennemi et de les traiter en conséquence,
jusqu’à entraîner les couches populaires dans une répression sanglante. Claudine Vidal en témoigne : « J’ai entendu personnellement des Rwandais, appartenant à des milieux éduqués, ne pas
avoir un mot de regret pour le génocide mais le considérer comme
une réaction normale à l’agression militaire. Aussi horrible soitelle, une logique génocidaire aurait donc été, pour certains com409. A. RUTAYISIRE vice-président de la Commission nationale pour l’unité et la
réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.
410. Traits d’union. Rwanda, n° 6, déc. 1994. p. 25, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi
de l’ethnisme, op. cit., p. 338.

411. Ibidem.

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mentateurs, l’effet de la guerre déclenchée par le FPR, en octobre
1990. »412

De nombreux exemples illustrent ces arguments destinés à
réduire le génocide à une « simple guerre ». Ainsi, en juillet 1994,
un consortium d’ONG belges dénonce une « guerre très sale »
entre « les blocs extrémistes de deux blocs militaires ». Dans la
revue Dialogue également, on peut lire, sous la plume d’un ancien
leader d’une ONG rwandaise : « du mois d’avril à aujourd’hui,
suivant le bourreau qu’ils avaient en face, plus d’un million d’innocents sont morts parce qu’ils avaient commis la faute d’être tutsi ou
hutu… La folie meurtrière qui s’est emparée des Rwandais depuis
l’invasion du FPR en octobre 1990 a trouvé son point culminant
dans des massacres politico-ethniques d’avril à juillet 1994. »413
En juillet 1996, le RDR (Rassemblement pour le retour des réfugiés
et la démocratie) disait : « Dans le registre de la violence et de
l’horreur, la guerre déclenchée par le FPR en octobre 1990, à
partir de l’Ouganda, s’est illustrée, surtout dans sa phase finale,
par une barbarie difficilement imaginable quelles que soient les
causes et les circonstances. Les gens ont donc fui la guerre. » Et
plus loin : « A la reprise de la guerre le 6 avril 1994, la population rwandaise a été abandonnée, seule, face aux massacres et aux
horreurs tant de la part du FPR que des groupes armés communément appelés milices. »414
412. C. VIDAL, « Les Politiques de la haine », op. cit., p. 10-11.

413. Cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 249-250.

414. Collectif des ONG du Rwanda, pôle de Goma, « Analyse de la situation sociopolitique », Goma, 26/07/1994, p. 4-5, F. NZABAHIMANA (CRAD), « Les Jalons
d’un dialogue. Commentaire de la charte de retour rapide et pacifique des réfugiés
rwandais », novembre 1994. E. MBUGULIZE et S. KAMANZI (Collectif des ONG
rwandaises de Goma et CRONGD de Bukavu), « Projet d’appui au retour des
réfugiés et à la réconciliation du peuple rwandais », Bukavu, 02/02/1995. RDR,
« mémorandum » présenté à Madame OGATA (HCR) lors de son passage dans la
région, septembre 1995. RDR, « Programme de retour rapide, définitif et pacifique des réfugiés rwandais, problématique et lignes d’action », Trois Ponts
(Belgique), Angers, juillet 1996, p. 5, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 230.

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Ces explications politiques du génocide n’ont pour autre fonction que de jeter un « manteau de Noé de rationalité sur l’innommable », selon les mots de Jean-Pierre Chrétien, « ou plus
précisément d’occulter la logique raciste de l’extermination d’un
groupe défini comme otage de ses ‘complices’, sous le couvert
d’une simple tactique de joueurs d’échec qui se seraient cru tous
les coups permis »415. La guerre, dans ce cas, n’est pas le prétexte
mais sert d’écran et d’alibi lors de la mise en œuvre de la négation416. Le nombre de morts d’origine tutsi serait uniquement dû à
cette guerre tendant à conquérir le pouvoir, nullement à un plan
d’extermination génocidaire.
Reste que cette rhétorique n’est pas toujours facile à décrypter,
ce qui en fait un excellent terreau pour le négationnisme, pour qui
sait manier les mots et les concepts. Cette grille de lecture participe
de l’équilibre des fautes tendant à « normaliser » un phénomène
qui dépasse l’entendement, tel un génocide. Cette vision froidement
politique explique les massacres par l’exacerbation des ambitions
des groupes ethniques, par des rivalités qui remontent à la nuit des
temps, dont la tragédie de 1994 serait l’aboutissement presque normal. Il s’agit ici d’occulter le fait que ce que le Rwanda a connu est
bel et bien un génocide.
4.1.3. L’autodéfense

Etroitement lié à l’argument de « la guerre », certains évoquent celui de l’autodéfense du peuple hutu face à l’agression du
peuple tutsi pour tenter de justifier « les massacres » de 1994. De
cette façon, les ténors « du peuple majoritaire » s’installent en
position de victimes417. « L’entreprise de destruction du ‘eux’ s’ap415. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 339.

416. J.-P. SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l'histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J. P. CHRÉTIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 179.

417. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 98.

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parente donc à une opération de survie du ‘nous’, une ‘guerre d’autodéfense’. (…). Celui qui va devenir l’assassin se présente comme
la victime. Quoi de plus logique : il a déjà adopté ce profil de victime à travers son discours accusatoire, il le conserve et le renforce
bien davantage encore au moment de passer à l’acte, par avance,
il se présente comme innocent du crime dont il va être accusé. »418

Ainsi, le programme gouvernemental de défense civile constituait un moyen simple, peu coûteux et efficace de mobiliser la
population en vue d’une éventuelle attaque de « l’ennemi ». Mis
en place après l’attaque du FPR en 1990, ce programme confiait
aux citoyens la tâche de surveiller en permanence les barrières
routières et de patrouiller la nuit. Après que le FPR a, à l’époque,
été repoussé, le programme fut relâché, mais à la fin de décembre
1990, certains enseignants proposèrent un programme « d’autodéfense ». Citant l’adage « Qui veut la paix prépare la guerre », ils
préconisèrent d’armer la population afin « d’assurer la sécurité »
de l’intérieur du pays, quand l’armée se battait aux frontières.
L’idée était d’entraîner localement les hommes à combattre avec
« des armes traditionnelles », moins chères que les armes à feu. Le
MRND, pendant ce temps appelait la population à se soulever et à
se défendre contre les Tutsi et les Hutu dissidents419.

La propagande insistait sur le fait que le pays tout entier était en
guerre, même si cela ne se voyait pas, et que l’ennemi, même invisible, était partout. Cet ennemi invisible était décrit par la propagande comme extrêmement cruel et particulièrement pervers. Il se
mêlait à la population, sans uniforme, afin de mieux tromper ses
adversaires, d’où le surnom de « cancrelat » et de « cafard ». La
RTLM alla même jusqu’à divulguer de fausses informations pour
justifier les violences par une « légitime défense » : elle affirma
que le FPR avait reçu des aides européennes et inventa des attaques
418. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 70-71.

419. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda,
Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 123-124.

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militaires420. De cette manière, les extrémistes hutu se sont appuyés
sur l’un des principes élémentaires de propagande de guerre : faire
du camp adverse le seul responsable de la guerre. Le voisin est toujours présenté comme l’agresseur421. Les bellicistes arrivent alors à
reporter l’entière responsabilité du conflit sur leur ennemi422. « Ils
réussissent le plus souvent à persuader l’opinion publique (et peutêtre à s’autopersuader) qu’ils sont en état de légitime défense. »423

Certains discours évoquant ces arguments cachent mal une
démarche volontairement mensongère mais d’autres ne semblent
être que le reflet de pensées piégées par la rhétorique générale
entourant le génocide. Déo Sebahire, docteur en anthropologie
sociale et culturelle, a analysé le phénomène. Pour lui, si certaines
personnes parlent de réaction de légitime défense, c’est avant tout
parce qu’elles se sont construit un sentiment de souffrance après
l’attaque du FPR en octobre 1990. La guerre qui commence en
octobre 1990 provoque énormément de violence, de déplacements
massifs d’une population déjà appauvrie par une crise qui s’est
annoncée autour des années 1980 avec la chute des prix du café,
les impositions du FMI, etc. Lorsque le FPR attaque par Byumba,
vers l’Ouganda, il bouscule beaucoup de choses : il provoque un
déplacement de populations et donc une pauvreté croissante, les
enfants ne savent plus étudier, les gens ne savent plus cultiver, on
ne peut plus être soigné, etc. On assiste donc à une aggravation du
mal-être des gens, comprenez bien que c’est un élément qui compte
fort dans cette fabrication du sentiment de souffrance. Les gens sont
d’accord pour reconnaître que des tueries ont eu lieu mais ils affirment d’un même mouvement qu’ils ne faisaient que réagir contre
une forte violence exercée à leur encontre424.
420. Ibidem, p. 301.

421. A. MORELLI, Principes élémentaires de propagande de guerre, op. cit., p. 11.

422. Ibidem, p. 18.
423. Ibidem.

424. D. MBONYINKEBE SEBAHIRE, docteur en anthropologie sociale et culturelle,
enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.

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Parler d’autodéfense revient à expliquer l’inexplicable par une
réaction légitime qui, en aucun cas, ne peut conduire à un génocide.
En effet, comme la « colère spontanée », la « légitime défense »
trahit une volonté de ne pas reconnaître le caractère planifié,
orchestré du génocide des Tutsi au Rwanda, et par là, de ne pas
reconnaître sa spécificité. A travers ce vocabulaire rationnel qui met
des mots simples et abordables sur l’infiniment complexe et l’inaccessible, l’argumentation séduit de nombreux acteurs ou observateurs du génocide au Rwanda425. Les enjeux terminologiques sont
donc cruciaux lors de l’évocation du génocide. Il est trop facile,
pour ceux qui veulent nier les faits, de jongler avec les mots et les
désignations pour faire des « bourreaux » les nouvelles victimes,
pour faire des actes de génocide une réaction « normale » et
« logique », en temps de guerre et de menace.
4.2. Les haines ethniques ancestrales

Un deuxième fondement du discours négationniste réside dans
une vision empreinte de racisme, qui contribue à transformer la perception des faits qui ont mené au génocide, en privilégiant l’explication « ethnique ». Certaines personnes ne parviennent pas à se
défaire d’un naturalisme ethnographique qui a entraîné la légitimation de la logique ethniste au moment même des massacres, laquelle
conduit « naturellement au génocide »426. Mais comme le précise
François Xavier Ngarambe, président d’Ibuka lors de l’interview,
« Qui d’autre qu’un parfait négationniste du génocide peut assimiler celui-ci à des tueries réciproques entre sauvages en affirmant
qu’ils se sont entretués ? Comment peut-on parler de s’entretuer
lorsqu’un gouvernement, une armée, une armada de miliciens, tout
l’appareil administratif, utilisent tous les moyens de l’Etat et toute
425. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 337-339.

426. J.-F. DUPAQUIER, « Rwanda : le révisionnisme, poursuite du génocide par
d’autres moyens », in : R. VERDIER, E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda,
un génocide du XXe siècle, op. cit., p. 129.

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une population pour exterminer un million d’innocents sans
défense, de bébés, d’enfants, de femmes, de vieillards, allant
jusqu’à éventrer les femmes enceintes pour tuer les fœtus ? Peut-on
pousser le cynisme jusqu’à insinuer que ces fœtus, ces bébés, ces
vieillards, ces hommes désarmés, ces femmes violées, tuaient aussi
les soldats et les hordes de miliciens lancés à leurs trousses comme
vous le suggérez cyniquement ? »427

La vision ethniste qui se fonde sur l’idée que le génocide rwandais ne serait qu’un massacre tribal de grande ampleur est pourtant
largement répandue. Elle trouverait sa source dans une haine
mutuelle cultivée depuis des siècles. L’opposition Hutu-Tutsi serait
donc « naturelle », les deux « catégories », les représentants de
deux camps étant antagonistes de manière atavique428. Cette vision
purement ethniste est extrêmement réductrice puisqu’elle ne permet
pas de saisir la construction de cette prétendue haine ancestrale, qui
constitue en réalité le ciment du génocide. Ce schéma d’interprétation, très fréquent auprès des Européens, est, plus étonnamment,
aussi partagé par les Africains qui n’ont pas pris la mesure de l’événement. L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop a décrypté ce
mécanisme et pointé du doigt la France ainsi que certains de ses
représentants qui ne voyaient à l’époque qu’une « lutte entre sauvages » : « J’ai lu des tas de déclarations, en particulier d’intellectuels français, disant : ‘On ne va quand même pas en faire toute
une histoire, ils sont habitués à cela’. »429 Ce mépris raciste constitue une solide base pour le négationnisme, puisqu’il conduit à relativiser le génocide. Il est basé sur la croyance que, dans certains
pays, la mort n’est pas aussi terrible que « chez nous ». François
Mitterrand, par exemple, sous-entendait que le Rwanda avait toujours connu des catastrophes, des famines et des massacres, que
427. Lettre de François Xavier NGARAMBE, président d’Ibuka, op. cit.
428. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 46.

429. Cité par L. de VULPIAN, in : Rwanda. Un génocide oublié ? Un procès pour
mémoire, op. cit., p. 235

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tout cela avait donc une certaine logique430. Boubacar Boris Diop
rappelle : « Que l’on tue dix mille personnes par jour pendant
trois mois, c’est peut-être un peu fort, mais ils en ont vu d’autres !
C’est un peu ce qu’a dit Mitterrand à Biarritz. »431

Joël Kotek commente l’idée selon laquelle la haine entre les
« ethnies » remonte à la nuit des temps. C’est vrai qu’il y a des
haines mais il n’en reste pas moins qu’elles sont construites.
Autant, c’est vrai que je ne pense pas que les Tutsi et les Hutu s’aimaient beaucoup, autant un génocide, là, il s’agit d’un basculement
dans quelque chose d’autre. Ce n’est pas simplement un pogrom432.
Cette vision naturaliste d’une violence dite « ethnique » rejoint la
propagande du génocide, puisqu’elle ne pose pas la question des
responsabilités433 : elle réduit les massacres à un épisode parmi
d’autres illustrant cette opposition « naturelle ».

Identifier ce mécanisme largement inconscient relève d’un véritable combat intellectuel. Car cette sorte de certitude qui attache les
haines à des identités est convaincue de saisir la dimension essentielle de quelque tragédie historique434. A la base de ce « béton mental » teinté d’exotisme, on retrouve des schémas d’interprétation
raciale opposant Bantous et Hamites, des arguments pseudo-historiques opposant autochtones et envahisseurs ainsi qu’une analyse
politique inspirée de notre histoire féodale opposant majorité populaire et minorité dominante. Cette forme de négation tente cette fois
de transmuer l’innommable en « naturel ». Elle érige la confrontation ethnique en une évidence, une vérité logique. Un tel nœud
idéologique entrave tout autant la compréhension du passé que l’appréhension de l’avenir. En nous invitant à chausser les lunettes
raciales « clarifiantes », ce type d’argumentation tente d’ôter de
notre champ de vision la construction progressive et historiquement

430. Ibidem.
431. Ibidem.

432. J. KOTEK, historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.

433. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 45-46.

434. C. VIDAL, « Les Politiques de la haine », op. cit., p. 3-4.

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située d’un racisme sans équivalent en Afrique435. Mais pourquoi se
défaire de cette grille de lecture tellement commode ? En effet, elle
offre un solide prétexte pour se tenir à l’écart de la tragédie rwandaise : « Pourquoi intervenir dans une histoire dont les acteurs,
investis par le passé précolonial, assouviraient des ressentiments
ancestraux, quasiment génétiques ? Le retour des vieux démons ne
justifierait-il pas le désengagement occidental ? »436 Elle nous
pose également nous, Occidentaux, comme fondamentalement
« différents », donc hors du champ et forcément non coupables.
4.3. Le double génocide

Depuis la fin du génocide, les différentes communautés qui
composent le Rwanda revendiquent le statut de victime. Cette position mène parfois à un négationnisme explicite ou latent car « l’ampleur des violences subies par les Tutsi durant le génocide se trouve
minimisée voire niée »437. Selon certains, la thèse du double génocide est perverse parce qu’elle renvoie dos à dos deux parties opposées, qui auraient toutes les deux « fauté » de manière équivalente.
Implicitement, l’argument tendrait donc à démontrer que la responsabilité est partagée. Parler de double génocide permettrait alors de
diluer la culpabilité en instituant une responsabilité égale d’un côté
comme de l’autre.

Les historiens ont produit, analysé et publié de multiples travaux sur le sujet mais ces derniers sont très loin d’être achevés et
ne le seront sans doute pas avant de nombreuses années. Le nombre
de morts du côté tutsi ou hutu fait par exemple l’objet de nombreuses controverses. Les investigations de la justice ne permettent tou435. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 343-345.

436. C. VIDAL, « Les politiques de la haine », op. cit., p. 10.

437. INTERNATIONAL CRISIS GROUP, « Fin de transition politique au Rwanda : une
libéralisation politique arbitraire », 13 novembre 2002, http://www.grandslacs.net,
consulté le 25 janvier 2006, site de littérature « grise » traitant de la région des
Grands Lacs.

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jours pas non plus d’établir des faits incontestables. Les procès des
planificateurs n’ont pas tous eu lieu, loin s’en faut, beaucoup sont
en fuite, et ceux qui se trouvent à Arusha avouent rarement. Cette
marge d’incertitude laisse une grande latitude à qui veut produire
des thèses contraires à ce que l’on tient déjà pour acquis : qu’un
génocide visant les Tutsi a eu lieu au Rwanda, en 1994438. Des exactions ont eu lieu des deux « côtés », et dénoncer les massacres de
Hutu n’est pas en soi un fait négationniste. Mais il faut reconnaître
la singularité du génocide qui réside dans son caractère de projet
politique d’Etat. « Un projet d’Etat qui a une généalogie idéologique et historique, et poursuit l’intention d’exterminer un groupe
humain figé dans une identité définie par le génocidaire. »439 Quoi
qu’il en soit du nombre de victimes de part et d’autre, « on ne peut
renvoyer dos à dos (…) l’ancien gouvernement rwandais et celui
issu du Front Patriotique Rwandais. Ni l’intention, ni l’ampleur de
ces crimes ne sont comparables »440. Une commission d’experts
indépendants des Nations Unies établit en novembre 1994 : « il y
avait de sérieuses raisons de conclure que des éléments tutsis
s’étaient eux aussi livrés à des massacres, des exécutions sommaires, des violations du droit international humanitaire et des crimes
contre l’humanité à l’égard des Hutus et que les allégations concernant ces actes devraient faire l’objet d’enquêtes plus poussées.
Pour sa part, la Commission n’a pas été en mesure, faute de temps,
de trouver des preuves indiquant que des personnes appartenant à
l’ethnie tutsie avaient perpétré des actes avec l’intention de
détruire le groupe ethnique hutu en tant que tel au sens de la
Convention de 1948 sur la répression du crime de génocide. Elle
n’a pas non plus trouvé d’indices que les massacres de Hutus perpétrés par des soldats du FPR avaient été systématiques, comman438. L. de VULPIAN, Rwanda. Un génocide oublié ? Un procès pour mémoire,
op. cit., p. 231-234.

439. L. BAGILISHYA, « Discours de la négation, dénis et politiques », in : C. COQUIO
(dir.), L’Histoire trouée. Négation et témoignages, op. cit., p. 741.
440. A. DESTEXHE, Rwanda. Essai sur le génocide, op. cit., p. 27.

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dités ou approuvés par les dirigeants gouvernementaux ou les commandants de l’armée »441.

Antoine Rutayisire, vice-président de la Commission nationale
pour l’unité et la réconciliation, explique que certains Rwandais
ont besoin de se protéger et « jouent donc souvent aux équilibristes » : on dit : « De toute façon il y a également eu des meurtres
de Hutu, c’était en réaction à cela.442 » Si personne, au Rwanda,
n’ose tenir ce genre de discours, il est relativement répandu chez les
exilés. Cela vient surtout de l’extérieur parce qu’à l’intérieur, on a
peur de le dire, même si certains websites sont alimentés par des
gens de l’intérieur443. En Europe et en Amérique par exemple, certains auteurs n’hésitent pas à parler de double génocide, comme le
journaliste français d’investigation Pierre Péan, auteur de Noires
fureurs, blancs menteurs et le journalise québécois Robin Philpot,
auteur de Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali.

Les mentions de double génocide charriant le négationnisme
sont fréquentes à l’étranger. En septembre 2003, le ministre des
Affaires étrangères français, Dominique de Villepin passe sur Radio
France Internationale et évoque « les génocides rwandais ». Selon
Patrick de Saint-Exupéry, la France, dans une volonté évidente de
minimiser ses propres torts, utilise sciemment le pluriel. Elle amalgame « l’extermination des Tutsi par les extrémistes hutu, et les
crimes de guerre commis pendant et après 1994 par les ‘rebelles
tutsi’ du FPR à l’encontre des Hutu »444. Dans son livre445, Patrick
441. Rapport final de la Commission des droits de l’homme au Rwanda, soumis par
M. R. Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,
11 novembre 1994, cité par D. HELBIG, J. MARTIN, M. MAJOROS, Rwanda.
Documents sur le génocide, Bruxelles, éd. Luc Pire, 1997, p. 61.

442. A. RUTAYISIRE, vice-président de la Commission nationale pour l’unité et la
réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.
443. Ibidem.

444. S. KLINKEMALLIE, Le Rôle de la France au Rwanda, analyse de contenu de la
presse quotidienne belge et française (1994-2004), op. cit., p 59.

445. P. de SAINT-EXUPÉRY, L’Inavouable. La France au Rwanda, op. cit., 2004.

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de Saint-Exupéry s’adresse au ministre : « ce n’est ni un hasard ni
une maladresse, vous le savez comme moi. En conscience, vous
venez de faire votre une logique de négation. Celle-là même qui
poussa certains à vouloir qualifier de génocide les bombardements
alliés de Dresde, pendant la seconde guerre mondiale, afin de
mieux relativiser ce que fut la Shoah »446. François Mitterrand utilisa ce même pluriel lors du sommet franco-africain à Biarritz en
1994. Pour le journaliste, cet amalgame ne peut être innocent, car la
caractérisation du génocide est forcément unique. « C’était une
extermination d’Etat réalisée au nom d’un Etat. Commise par un
Etat qui était notre ami, notre protégé, notre pion. Je veux dire le
pion de l’Etat français. »447

L’argumentation du double génocide se fonde sur plusieurs faits
avérés mais qui sont assimilés de manière trompeuse au génocide
des Tutsi : ainsi, les massacres perpétrés par le FPR lors de son
avancée, les tueries lors du démantèlement des camps de réfugiés
du Kivu par l’APR, la branche militaire du FPR, et les assassinats
de Hutu de l’opposition durant le génocide.
4.3.1. Les massacres perpétrés par le FPR lors de son avancée

« Nous sommes témoins d’un double génocide : les uns ont tué
en plein jour, alignant les cadavres sur la route ; les autres ont fait
exactement la même chose, pendant la nuit, en cachette ; c’est
ainsi que ces derniers sont parvenus à tromper la communauté
internationale », affirme un agent de l’association Caritas à Goma
en 1995448. De nombreuses personnes, groupes et associations estiment en effet que le FPR, lors de son avancée pour mettre fin au
génocide, a commis lui-même un autre génocide. L’association
basée à Goma, Justice et paix pour la réconciliation au Rwanda a
même prétendu, en 1995, mettre en lumière le « vrai » génocide,
446. Ibidem, p. 15.
447. Ibidem.

448. A. NGAMIJÉ, « Réfugiés rwandais : quel avenir ? », in : Dialogue, n° 181,
mars 1995, p. 31-32, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit.,
p. 288-289.

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celui « que les Tutsi ont commis et commettent encore contre la
population hutu »449. Le FPR a indubitablement commis des violations graves du droit international humanitaire en 1994 mais il a
aussi mis fin au génocide au fur et à mesure de sa progression.
Contrairement aux autorités du génocide, le FPR n’a pas mis au
point une campagne d’extermination planifiée mêlant population
civile et mécanismes étatiques. Il a mené une campagne militaire
plus directe, plus « classique ». Et même s’il a commis de nombreux massacres dans sa marche vers Kigali, le rapport de référence
élaboré par Human Rights Watch ne fait pas mention d’une volonté
d’extermination totale des Hutu. « Le FPR autorisa ses soldats à
tuer des individus pris pour des interahamwe, ou soupçonnés
d’avoir participé au génocide. (…) Apparemment, s’ils exécutèrent
certains individus, c’est davantage en raison de leurs liens supposés à des partis opposés au FPR, ou encore parce qu’ils les
jugeaient susceptibles de devenir des dirigeants politiques, qu’en
raison de leur éventuelle implication dans le génocide. »450 Et
Amnesty International d’ajouter : « In reality, the need to fight ‘the
enemy’ may have been used as a pretext for eliminating individuals
or whole groups of individuals, whose presence or influence is perceived as political obstacle or threat to those in power. »451 Les Hutu
désignés comme « devant être tués » semblent donc l’avoir été
pour d’autres raisons que leur appartenance ethnique.
Certains affirment pourtant que ces tueries constituent bien un
autre génocide. Ainsi, le témoignage récent d’Abdul Joshua
Ruzibiza, Tutsi, membre du FPR et de l’APR jusqu’en 2001, a
apporté beaucoup d’éléments nouveaux sur les exactions commises
par l’APR. « Après la prise de Byumba, l’APR a systématiquement
449. AJPR, Rwanda. L’autre face du génocide, Goma, février 1995, p. 6, cité par
J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 252.

450. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Rapport
de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 20.

451. AMNESTY INTERNATIONAL, « Rwanda, Alarming resurgence of killing », 12
août 1996, p. 3, http://www.grandslacs.net/doc/3123.pdf, consulté le 13 janvier
2006, site de littérature « grise » traitant de la région des Grands Lacs.

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tué la population civile, sans distinction d’âge ou de sexe. Je vais
montrer qu’il y avait bien volonté d’exterminer l’ethnie des
Hutu. »452 Selon lui, en préparant la reprise de la guerre, Paul
Kagame avait également planifié l’élimination massive des Hutu
vivant dans les régions conquises par le FPR, ne leur laissant pas la
possibilité de fuir. « La population a été ainsi décimée massivement et d’une façon planifiée. Ce plan visait l’extermination de la
population hutue du Nord-Est et de l’Est (…). »453 L’auteur explique que le but était de tuer le plus grand nombre de Hutu et cela
dans la plus grande discrétion. L’association Human Rights Watch
reconnaît elle aussi que le caractère systématique des tueries est
indéniable et que les responsables ne pouvaient les ignorer. Dès
lors, même si ces dirigeants n’ont pas permis explicitement de tels
agissements, ils n’ont rien fait pour y mettre un terme. Robert
Gersony, consultant pour le Haut Commissariat aux réfugiés des
Nations Unies, concluait d’ailleurs, après s’être entretenu en juillet
et en août 1994 avec des centaines de Rwandais, que le FPR avait
commis des massacres systématiques et de grande ampleur de civils
non armés454.
Comme déjà mentionné, il est très difficile de livrer des faits
avérés, surtout quand il s’agit d’établir des intentions, par essence
impossibles à prouver. Beaucoup de témoignages se contredisent et
rares sont les gens qui s’accordent totalement sur une même version
des faits. Si l’ancien soldat de l’APR affirme qu’il y a bien eu double génocide, il ne semble pas utiliser cet argument pour minimiser
le fait que des radicaux hutu aient voulu exterminer le peuple tutsi.
La question du négationnisme entre en jeu lorsque l’évocation de
ces exactions est utilisée pour minimiser l’ampleur du génocide qui
a visé les Tutsi.
452. A. RUZIBIZA, Rwanda. L’histoire secrète, Paris, éd. du Panama, 2005, p. 272.
453. A. RUZIBIZA, Rwanda, l’histoire secrète, op. cit., p. 273.

454. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Rapport
de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 21.

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4.3.2. Les massacres de 1996 dans la forêt du Kivu

« Nous avons gardé le silence jusqu’ici par peur pour notre
sécurité, les auteurs de ces atrocités étant devenus les nouveaux
maîtres du pays », déclarait un rescapé des massacres de 1996,
dans la forêt du Kivu455. Ces massacres ont fait suite au génocide de
1994, lorsque l’APR a violemment procédé au démantèlement des
camps de réfugiés de l’Est du Congo. Ces réfugiés étaient considérés par l’APR comme des extrémistes hutu responsables du génocide. Le FPR a donc entrepris de « se venger » par des tueries semblant systématiques et programmées, au point que certains parlent
d’un second génocide. Georges Bisimwa explique une journée de
massacres. Les nouvelles autorités de la ville de Rutsuhuru, située
à 75 kilomètres de Goma, avaient convoqué tous les habitants dans
un stade, pour ensuite les conduire vers la prison. « Il y avait au
moins deux mille personnes. (…) Seuls les Hutu étaient maintenus
en prison. Puis 280 personnes et 32 femmes ont été massacrées par
machettes et par balles. »456 De nouveau, l’intention d’exterminer
l’ethnie hutu dans son intégralité n’est pas claire. Un soldat de
l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo
aurait ainsi dit qu’il existait un pacte entre Paul Kagame et Laurent
Désiré Kabila qui permettait que le Rwanda attaque les camps de
réfugiés, afin de disperser les génocidaires présumés457. Il n’est
donc pas question, selon ce soldat tutsi, d’une volonté manifeste
d’éradiquer le peuple hutu. Mais il est bien difficile de se fier aux
témoignages, le recoupement étant très difficile. Ainsi encore, un
autre soldat affirme qu’il ne s’agissait là que des effets de la guerre
et que les Hutu n’étaient pas visés en tant qu’« ethnie ».

455. J. KAMBALE, « Neuf ans après les massacres, des fosses communes réécrivent
l’histoire – Analyse », http://www.ipsnews.net, consulté 12 janvier 2006, site
d’Inter Press Service News Agency.
456. Ibidem.
457. Ibidem.

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Déo Sébahire comprend que l’on évoque un double génocide. Il
faut reconnaître que la suite des événements dans la région, avec
les drames qui se sont joués avec les réfugiés hutu au Congo et la
guerre qui a été portée là-bas, a alimenté le révisionnisme. Il est
extrêmement difficile de dire aux gens : « au Rwanda, c’était un
génocide, une entreprise systématique d’élimination d’un groupe
ethnique en tant que tel », et de leur faire admettre que ça n’est pas
la même chose, ces faits de guerre, ces situations de violences, de
famine, d’exode rural, qu’ils ont subis après le génocide, en tant
que victimes ou témoins. Le révisionnisme se nourrit de toutes les
tragédies qui se sont poursuivies dans la région des Grands Lacs.
Selon lui, l’attaque des camps par le FPR, l’exode à travers la forêt
équatoriale qui s’en est suivi, les maladies qui se sont propagées,
forment un amas de souffrances que les victimes ne peuvent s’empêcher de comparer, allant jusqu’à dire que leurs souffrances en tant
que Hutu réfugiés est pire que celles qu’ont subies les Tutsi durant
le génocide. Et cela provoque une revendication d’une double souffrance partagée458. Jean Hatzfeld ne voit pas non plus, dans les massacres commis au Kivu, les éléments d’un génocide. « Le FPR a
pour objectif de ramener les Hutus pour les remettre au travail.
Pour cela, il va semer la terreur parmi eux, dans les camps du
Congo. Là est la différence entre une guerre, avec ses actes horribles mais dont on comprend la logique, et le mystère du génocide.
C’est en partie pour ça que j’ai troqué ma casquette de journaliste
pour celle de l’écrivain. Comme journaliste, on vous demande des
éléments de compréhension. Au Rwanda, j’ai buté sur l’incompréhension journalistique. »459

458. D. MBONYINKEBE SEBAHIRE, docteur en anthropologie sociale et culturelle,
enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.
459. Entretien avec J. HATZFELD par S. CYPEL : « Jean Hatzfeld, journaliste avant
tout », op. cit., p. 28-29.

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4.3.3. Les tueries commises par les génocidaires à l’encontre
des opposants hutu

En kinyarwanda, il existe deux mots pour désigner le génocide : « itsembabwoko » qui veut dire « le génocide contre les
Tutsi », mais également « itsembatsemba » qui signifie « à côté
de ceux-là qui étaient visés, d’autres sont morts », car il y a aussi
eu des Hutu qui sont morts460, précise Sosthène Cyitatire à titre personnel461. Il est en effet indéniable qu’outre les Tutsi, de nombreux
Hutu furent visés par le pouvoir génocidaire en 1994, au Rwanda.
Des militants hutu, des sympathisants des partis d’opposition et de
nombreux intellectuels ont été tués. L’ethnie ne constituait cependant pas, dans ce cas, le critère majeur fondant leur élimination. Ces
Hutu étaient tous hautement suspectés par le simple fait qu’ils
étaient critiques par rapport au pouvoir en place et que par conséquent, ils étaient sûrement de mauvais citoyens, même s’ils étaient
« de la bonne ethnie »462. « A Butare, presque tous les habitants du
campus, étudiants et professeurs, majoritairement hutu, sont massacrés après le 21 avril. »463 Les massacres ne visaient donc pas
que les Tutsi. Toute personne qui refusait de participer à l’extermination de ses concitoyens était considérée comme complice des
inyenzi et éliminée. Toutefois, les Hutu massacrés « ne figurent pas
parmi les victimes du génocide, mais du système qui l’a réalisé »464.
460. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.

461. Avant le génocide, on désignait le massacre par un mot proche du français
« éradication » : « gutsembatsemba ». Après le génocide, on a créé plusieurs
mots en kinyarwanda. D’abord « itsembatsemba », les massacres, le massacre
redoublé. Puis pour indiquer qu’il s’agissait d’autre chose encore, on a construit le
mot « itsembabwoko » : le génocide. Tandis qu’ « itsemba » signifie le massacre, « ubwoko », qui désignait au départ le clan, est devenu le mot rwandais pour
ethnie. Enfin pour préciser quelle « ethnie » avait été exterminée en 1994, on a
décidé de parler d’ « itsembabatutsi » : génocide des Tutsi (C. COQUIO, Rwanda.
Le réel et les récits, éd. Belin, Paris, 2004, introduction).

462. G. PRUNIER, Rwanda, le génocide, op. cit., p. 298.
463. Ibidem.

464. D. HELBIG, J. MARTIN, M. MAJOROS, Rwanda. Documents sur le génocide,
op. cit., p. 21.

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Sosthène Cyitatire partage cette idée. Il y a eu des Hutu qui sont
morts, mais ces Hutu ne sont pas morts parce qu’ils étaient hutu, ils
sont morts parce qu’ils n’acceptaient pas d’agir contre les Tutsi. Ils
n’étaient pas d’accord que les Tutsi meurent. Mais les gens qui ont
eu cet acte de bravoure sont des exceptions. Evoquer à ce propos un
double génocide en sous-entendant que des Hutu aussi étaient massivement visés comporte un danger de minimisation. A un certain
moment, des politiciens hutu parlaient de double génocide. Le gouvernement actuel soutient qu’il y a eu génocide contre les Tutsi et
qu’il y a eu massacres contre les Hutu465. Benoît Kaboyi, secrétaire
exécutif d’Ibuka, reconnaît lui aussi que des Hutu ont été tués, mais
refuse que l’on parle de double génocide. Pour minimiser les choses, on dit : « tuer, tuer » . Or, il existe selon lui une grande différence entre le massacre des Hutu et celui des Tutsi ; la nier relativise la souffrance des Tutsi. Organisez une petite descente parmi les
gens qui ont été sauvagement touchés par le génocide, vous verrez
bien que d’un côté il y a des plaintes, et pas de l’autre. Vous allez
voir une population active et une communauté totalement exterminée. Si vous avez de la chance, vous allez trouver une pauvre femme
de 77 ans avec deux gamins, l’un de sa fille cadette, l’autre de son
oncle. Elle va vous dire ce que sont le génocide et l’horreur de ce
génocide. Alors un fait est là, nous ne pouvons pas nier ce génocide. Ceux qui parlent de double génocide et autre, ça ne demande
pas d’être expert, si vous voyagez vous verrez bien là où il y a eu
génocide et là où il n’y en a pas eu. L’un aura le papa, la maman,
les enfants, l’autre fini, cleaned466.
4.4. L’accusation en miroir

L’accusation en miroir est celle qui consiste à attribuer à l’ennemi l’intention de réaliser ce que l’on prépare soi-même. Cette
465. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.
466. B. KABOYI, secrétaire exécutif d’Ibuka au Rwanda, interviewé le 11/07/2005 à
Kigali.

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technique consiste à prêter à l’ennemi des choses que l’on a l’intention de faire contre l’adversaire. Elle a été utilisée avant le génocide, pendant et après. Dans plusieurs régions du pays, avant de
tuer les Tutsi, on leur prêtait l’intention de tuer leur voisin, et on
produisait même des listes, des plans de maison, etc., totalement
fabriqués. Cela entrait dans une volonté de nier ce que l’on était en
train de préparer soi-même. On a continué à faire la même chose
pendant qu’on perpétrait les actes eux-mêmes467. La RTLM affirmait par exemple en mai 1994 qu’ « (…) Ils [les Hutu] continuent
à fuir ces inyenzi qui ne cessent de sélectionner certains d’entre
eux, soit des intellectuels soit ceux qu’ils appellent interahamwe ;
en vérité, ils vérifient les cartes d’identité et tout Hutu qu’ils découvrent est systématiquement exécuté. »468
Les prétextes « d’autodéfense » et de « réaction légitime »,
déjà détaillés, sont intimement liés à cette accusation qui n’a pour
seul but que de légitimer une offensive. Certaines publications affirmaient que les Tutsi préparaient le génocide des Hutu, leur attribuant des mots utilisés en réalité par les Hutu eux-mêmes. Ainsi, en
septembre 1991, La médaille Nyiramacibiri déclarait que les Tutsi
voulaient « nettoyer le Rwanda (…) en jetant les Hutu dans la
Nyabarongo [rivière] », alors qu’un an plus tard, Léon Mugesera
intime à la population hutu de jeter les Tutsi dans la rivière.
Kangura affirme également que les « Tutsi sont venus pour nettoyer le pays de la saleté des Hutu »469 mais pendant le génocide,
les Hutu parlaient souvent de nettoyer leur communauté de la saleté
de Tutsi. Ces accusations en miroir ont même permis de dévoiler les
stratégies du président Habyarimana, lorsque le journal Jyambere a
467. N. GASANA, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP) au Rwanda et chargé de cours associé à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 12/07/2005 à Kigali.

468. RTLM, 11 mai 1994, Kantano Habimana, cité par J.-P. CHRETIEN avec J.-F.
DUPAQUIER , M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les Médias du génocide, op. cit.,
p. 203.

469. J.-P. CHRÉTIEN avec J.-F. DUPAQUIER, M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les Médias
du génocide, op. cit., p.160-176.

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accusé les partis d’opposition de distribuer des armes à leurs jeunes
membres470. Le mémorial de Gisosy, au Rwanda, présente une illustration étonnante de cette accusation en miroir, publiée par le journal Kangura en juillet 1993. Il s’agit d’une caricature de Paul
Kagame dirigeant le FPR vers les cercueils hutu. De sa bouche
s’échappent les mots : « Inyenzi, éminents Intokanyi (grands combattants) partons ! Nous venons par la force vivre avec ceux que
nous avons complètement pillés. » Encore une fois, nous voyons
que certains mots emblématiques sont attribués à l’ennemi. En
effet, le terme « inyenzi » qui signifie « cafard », était le terme
utilisé par les radicaux hutu pour déshumaniser les Tutsi.
L’accusation en miroir ne se limite pas à des paroles et des
écrits : elle peut se concrétiser en actes. Ainsi, la nuit du 4 au 5
octobre 1990, des militaires rwandais tirèrent toute la nuit pour
simuler une attaque du FPR sur Kigali. En réalité, cette mascarade
ne fit aucun blessé, mais fournit le prétexte pour arrêter des milliers
de personnes « complices » du FPR471. A la mi-93, les propagandistes affirmaient472 : « Nous savons qu’ils nous ont attaqués avec
l’intention de massacrer et d’exterminer quatre millions et demi de
Hutu et surtout ceux qui sont allés à l’école (…). »473 « A partir du
6 avril 1994, les propagandistes et les médias répandirent la
rumeur selon laquelle les Tutsi avaient creusé des trous, destinés à
servir de fosses communes aux Hutu. Les troupes du FPR avaient
effectivement creusé des tranchées pour protéger leurs positions, ce
qui put donner quelque crédit à de telles rumeurs. Les radicaux
allèrent jusqu’à affirmer que les Tutsi avaient préparé des trous
dans le sol en terre de leur maison, pour y enterrer les cadavres des
Hutu. Le fait que la coutume – sans évoquer les questions d’hygiène

470. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Rapport
de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 98.

471. C. VIDAL, « Les Politiques de la haine », op. cit., p. 19-20.

472. A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Rapport
de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 97-100.
473. J.-P. CHRETIEN avec J.-F. DUPAQUIER, M. KABANDA et J. NGARAMBE, Les
Médias du génocide, op. cit., p. 159-160, 180, 186, 290-291, 293, 323.

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et de puanteur – rendait de semblables inhumations impensables,
ne mit pas fin aux rumeurs selon lesquelles les Tutsi avaient l’intention de se débarrasser des corps de cette manière. »474

Le rapport de la Commission internationale d’enquête sur les
violations des droits de l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre
1990 souligne l’habileté des militaires à faire porter la responsabilité de leurs exactions par les rebelles. Les enquêteurs n’excluent
pas que certains bombardements de camps de déplacés aient été
l’œuvre de l’armée gouvernementale rwandaise elle-même et affirment que des militaires revêtaient des uniformes du FPR pour tuer
et piller des civils. La tactique a vraisemblablement été utilisée en
1994, lors des bombardements des réfugiés franchissant la frontière
à Goma par exemple475. Il est possible que ces bombardements aient
en fait été l’œuvre des forces gouvernementales « désireuses de
provoquer un affrontement direct entre le FPR et l’armée zaïroise,
afin de retourner l’opinion internationale »476.
Gasana Ndoba, ancien président de la CNDP, explique comment
la notion d’autodéfense et l’accusation en miroir sont liées : les
génocidaires parlent de guerre entre le FPR et le gouvernement
rwandais. Ils parlent d’autodéfense exercée par des civils soidisant menacés par les Tutsi ou par le FPR. Bien sûr, à aucun
moment ils ne s’imputent la responsabilité de ce qui est train de se
passer. (…). Et maintenant, dans les procès comme celui de
Bruxelles, deux commerçants ont été jugés et le discours qu’on a
entendu était : « nous n’avons pas vu le génocide, nous n’avons
pas vu de cadavres dans notre ville de Kibungo, jusqu’au moment
où le FPR est arrivé dans la ville et a tué les gens. Donc non seulement nous n’y sommes pour rien mais le groupe, la force politi474. SOLIDARITÉ INTERNATIONALE POUR LES RÉFUGIÉS RWANDAIS, Le Non-dit sur les
Massacres au Rwanda, vol. 2, janvier 1995, p. 11 et vol. 3, juillet 1995, p. 124137, cité par A. DESFORGES, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au
Rwanda, Rapport de la FIDH et de Human Rights Watch, op. cit., p. 98.

475. C. BRAECKMAN, Rwanda. Histoire d’un génocide, op. cit., p. 145.
476. Ibidem.

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que auxquels nous appartenons, n’est pour rien non plus dans le
génocide477. La réalité est donc inversée, tout comme la position des
victimes et des génocidaires. De nouveau, l’argument de l’autodéfense peut être invoqué puisque le génocide des Tutsi et de leurs
« complices » devient une « simple » réaction préventive contre
un projet comparable dirigé contre les Hutu478. Intrinsèque au négationnisme, le procédé de l’accusation en miroir use de la dialectique
bourreau-victime : « c’est-à-dire accuser la victime d’être le bourreau, ou rendre son comportement initial responsable d’une dérive
qu’on ne peut cacher »479. Dans le « cas rwandais », les négationnistes évoquent la responsabilité du Front patriotique rwandais dans
le déclenchement d’une spirale de violence qui aurait mené au
génocide. Dès lors, le FPR porterait une grande part de responsabilité dans l’entreprise d’extermination des Tutsi. En refusant de
négocier avec le gouvernement Kambanda, ils ont endossé la responsabilité du génocide. « Le FPR devrait considérer que son comportement pouvait inciter la population à massacrer les Tutsi à
moins d’avoir voulu utiliser cet élément comme prétexte pour
prendre le pouvoir », écrivent des ONG rwandaises du « pôle de
Goma » dans une analyse de juillet 1994. Dans un tract anonyme
produit à Bukavu en février 1995, l’auteur insiste : « les Tutsi de
l’extérieur ont organisé le génocide de leurs propres frères et sœurs
de l’intérieur, sachant que, à la fin du 20ème siècle, c’est uniquement
étant victime d’un génocide que l’opinion internationale peut
accepter qu’une minorité prenne le pouvoir »480.
477. N. GASANA, ancien président de la Commission nationale des droits de la personne (CNDP) au Rwanda et chargé de cours associé à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 12/07/2005 à Kigali.
478. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 247-248.

479. J.-P. SCHREIBER, « Le Génocide, la mémoire et l’histoire », in : R. VERDIER,
E. DECAUX, J.-P. CHRETIEN (éd.), Rwanda, un génocide du XXe siècle, op. cit.,
p. 179.

480. « Une lumière sur le drame rwandais », pour les « Rwandais et étrangers épris
de justice », cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 259.

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Enfin, dans cette logique de la « faute initiale », qui rend son
auteur responsable de tout ce qui a suivi, y compris dans l’autre
camp, on peut aussi remonter plus loin dans le temps. Ainsi, le colonel Bagosora soutient que « les Tutsi n’ont jamais eu un pays propre pour faire un peuple. Il n’y a jamais eu de peuple tutsi, ni au
Rwanda, ni au Burundi, ni nulle part ailleurs. Il y a eu tout simplement des Tutsi qui ont été naturalisés au fur et à mesure qu’ils arrivaient au Rwanda comme au Burundi… les Tutsi sont et resteront
des émigrés nilotiques naturalisés… qui devraient plutôt privilégier
une politique de coexistence pacifique avec les peuples qui les ont
accueillis et modérer leur comportement à la fois orgueilleux et
arrogant… Les Tutsi imposèrent donc aux Hutu leur pouvoir aristocratique, dictatorial, cruel et sanguinaire jusqu’à la période
coloniale… la torture était chose courante : crever les yeux, éventrer les femmes enceintes, lier les bras au dos jusqu’à ce que la victime éclate, éliminer systématiquement et périodiquement les leaders hutu dont le monarque tutsi coupait les organes génitaux pour
les pendre à son tambour royal Kalinga (…) »481. En attribuant de
telles horreurs aux anciens chefs tutsi, ce discours vise à justifier les
violences commises en 1994 contre leurs descendants. Aujourd’hui
encore, certains génocidaires restent convaincus du bien-fondé de
leurs actes, ce dont témoigne Pacifique Kabalisa, rescapé : Dans la
prison, il y avait beaucoup de témoignages qui disaient qu’il n’y a
pas eu de génocide. Il y avait plusieurs versions dont une consistait à dire qu’il n’y avait pas eu de génocide, que les Tutsi de l’extérieur avaient planifié d’exterminer les Hutu, et qu’on les avait
devancés dans leur plan. Même aujourd’hui, il y en a qui pensent
qu’ils n’ont rien fait de mal, qu’ils ne méritent pas
d’être en prison. Sur les collines, on retrouve le même argument :

481. B.E.M.S. Théoneste BAGOSORA, « l’Assassinat du président Habyarimana ou
l’ultime opération Tutsi pour sa reconquête du pouvoir par la force au Rwanda »,
Yaoundé, 30/11/1995, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit.,
p. 348-349.

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« Les Tutsi avaient l’intention de nous tuer et nous les avons
devancés »482.
4.5. La réconciliation et le devoir d’oubli

Certains milieux considèrent la réconciliation entre Hutu et
Tutsi primordiale, au point de supplanter le besoin de justice. Dans
cette perspective, non seulement le douloureux et fastidieux – mais
néanmoins nécessaire – travail de recherche de la vérité est occulté,
mais la qualification même des faits de génocide est elle-même
reléguée au second plan. Cette forme de négation, qui trouve un terrain favorable dans la pratique chrétienne de nombreux Rwandais,
se drape de bonnes intentions. Le journaliste François Bugingo
témoigne : « Il est assis en face de moi ce patron d’une de ces
organisations non gouvernementales qui ont envahi le Rwanda et
me dit : ‘Je comprends la douleur des Rwandais, mais il leur faut
l’oublier s’ils ne veulent pas que le pays soit à jamais perdu. Et
de toutes les manières, nous ne financerons jamais une vengeance…’ »483 Silas Sinyigaya, secrétaire exécutif du CLADHO
insiste sur le caractère pervers de ce « devoir d’oubli ». Pour eux
[les génocidaires], si vous y revenez, c’est que vous êtes mauvais.
Pour eux, c’est comme s’il y a eu un mauvais temps, et qu’il ne faut
plus y revenir. Ça aussi, c’est du négationnisme. Ils veulent une
réconciliation, mais avoir tué c’est une chose très mauvaise sur
laquelle il faut revenir. Quelque part, ils ne regrettent même pas
d’avoir tué ou d’avoir vu les autres tuer484.
482. P. KABALISA, rescapé du génocide, interviewé le 23/12/2004 à Louvain-laNeuve.

483. F. BUGINGO, « Rwanda… Tragique oubli ou le négationnisme en marche ? »,
http://users.skynet.be/wirira/bugingo6.htm, consulté le 15 janvier 2000, site traitant de ce qui se rapporte aux génocidaires et à l’histoire du Rwanda.

484. S. SINYIGAYA, secrétaire exécutif du CLADHO (Collectif des ligues et associations de défense des droits de l’homme au Rwanda), interviewé le 12/07/2005 à
Kigali.

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Le cas du Rwanda

L’Eglise est un des protagonistes de cette réconciliation à tout
prix, non par l’oubli mais par le pardon. A la fin de 1994, un religieux explique qu’un effort de « psychologie » est nécessaire pour
« débarrasser chacun de ce qu’il porte dans son cœur »485.
« Chaque Rwandais peut en lui-même reconnaître le mal qui a submergé les bourreaux de sa propre famille », explique une brochure
de l’organisation Aide aux églises en détresse486. L’historien JeanPierre Chrétien s’indigne : « au lendemain même du génocide,
bourreaux et victimes sont donc invités à communier dans la même
pénitence : tous coupables ou tous innocents… cette exquise
délicatesse morale conduit en fait à récuser l’usage du mot génocide »487. Le Père Schonecke, secrétaire d’un département pastoral,
prétend qu’il est important de ne pas parler de « génocide », au
nom du « respect de la sensibilité » des évêques rwandais. Il s’explique : « le mot ‘génocide’ fait problème, il ne rend pas justice de
la complexité de la réalité et devient un emploi idéologique en obscurcissant les atrocités de la guerre menée par le FPR »488.

La position officielle de l’Eglise est de privilégier le pardon et
non la justice. L’urgence résiderait dans une réconciliation générale.
Pacifique Kabalisa, rescapé du génocide, s’en offusque. Nous avons
par exemple vu des affiches à l’église catholique, après le génocide,
qui disaient « pardonnez, vous aussi vous serez pardonnés ». Ils
avaient aussi une organisation, au sein de l’église catholique, ce
qu’ils avaient appelé « synode de gacaca ». Ils avaient invité les
communautés chrétiennes de base et demandaient à ces communautés d’organiser des séances où les membres des communautés
485. La Croix, 18/11/1994, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit.,
p. 237.

486. D. RANCE, in : « Rwanda. Le pardon ou le chaos », p. 11, cité par
J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 237.

487. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p.237.

488. W. SCHONECKE, « La Tragédie du Rwanda et les Églises d’Afrique de l’Est »
in : La Croix, 13 août 1994, cité par J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme,
op. cit., p. 237.

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devaient se pardonner. Ce qui était terrible, c’était qu’il existait une
sorte de menace qui était « si tu ne pardonnes pas, tu ne vas pas
bénéficier des services de la paroisse ». J’ai par exemple entendu
le témoignage d’une femme, d’une enseignante. Elle est très
croyante, elle assiste à toutes les messes, elle y va même pendant la
semaine. Et elle avait décidé de ne pas participer à ces synodes.
Elle pensait que c’était une façon de la traumatiser, de s’asseoir
avec des gens qu’elle ne connaît pas pour la plupart, qui vont
raconter n’importe quoi. Elle ne voyait pas la finalité de ce travail,
et puis elle pensait qu’il n’y avait pas de justice dans cela, que
c’était une réconciliation organisée au sein de l’Eglise, une Eglise
qui est aussi considérée comme responsable du génocide. (…). Le
curé de sa paroisse l’a alors invitée personnellement et lui a dit
« si tu n’adhères pas à ces synodes, je ne te donnerai plus d’eucharistie ». Alors pour cette dame, le choix était clair, elle préférait
recevoir l’eucharistie. Donc elle y est allée, mais elle nous a
raconté que c’était une façon de blesser de nouveau les gens489. Cet
idéal de réconciliation entre Rwandais semble se changer en devoir
forcé. Il importe avant tout que le peuple soit uni, le plus rapidement possible, quitte à prendre des raccourcis pour y arriver. « Ce
serait un arrangement faute de mieux, plutôt qu’une entreprise
exaltante. »490 La logique raciste qui a sous-tendu le génocide se
trouve noyée dans le besoin urgent d’un pardon réciproque qui
gommerait les fautes des uns et des autres dans une culpabilité
généralisée. Pire : le besoin légitime de vérité et de justice des victimes se trouve disqualifié. « Le discours du pardon range en fait
le désir de justice avec la soif de vengeance dans le rayon des ‘sentiments’ et néglige l’effort beaucoup plus profond de conversion
qu’exigerait la remise en cause de l’idéologie raciale qui a mené
toute cette danse macabre. »491 On voit donc que certains, au sein
489. P. KABALISA, rescapé du génocide, interviewé le 23/12/2004 à Louvain-laNeuve.

490. J.-P. CHRÉTIEN, Le Défi de l’ethnisme, op. cit., p. 286-287.
491. Ibidem, p. 287.

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de l’Eglise, alimentent la machine de la négation. La responsabilité
des individus n’est toutefois pas celle de l’institution dans son
ensemble. Si certains comportements individuels sont évidemment
condamnables, il n’est pas aisé de porter un jugement sur l’Eglise
de manière générale.
5. Les vecteurs du négationnisme au Rwanda

Selon le sociologue canadien Marshall McLuhan, « Le moyen
de transmission par lequel nous recevons le message, c’est-à-dire
le média, exerce autant, sinon plus d’influence sur nous que le
contenu lui-même. La manière dont nous percevons l’information
est transformée par le média qui nous la transmet. »492 Le vecteur
peut donc être lui-même constitutif d’idées négationnistes.

Les traces écrites de telles idées sont rares au Rwanda, la culture
orale prédominant sur la culture écrite. De plus, aucun Rwandais
n’oserait tenir de discours ouvertement négationnistes, de peur
d’encourir de lourdes sanctions. Pour cette raison, on constatera
généralement l’apparition d’« actes négationnistes », en opposition aux traces écrites ou orales, davantage palpables. Ces actes ne
sont pas facilement repérables. Ils sont insaisissables, insidieux et
contribuent à alimenter le négationnisme. C’est pourquoi il est primordial de s’employer à découvrir les différents moyens par lesquels les messages se propagent, à défaut de trouver des preuves
écrites de ces discours ou de pouvoir en identifier les auteurs.
5.1. Des actes plus que des écrits ou que des paroles

Au Rwanda, il est assez difficile de parler de « discours »
négationnistes au sens premier du terme. La politique gouvernementale ne permet en effet pas à ce type de propos de se propager.
492. « Le Medium, c’est le message », http://archives.radio-canada.ca, consulté le
1er juillet 2006, site de Radio-Canada.

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A l’intérieur du pays, on ne peut pas trouver une personne qui ose
prendre une telle position ouvertement. Elle le fait par des actes,
comme ne pas venir ou ne rien dire aux gacaca. Venir, savoir ce qui
a été dit et tuer la personne qui a dénoncé. Car cela se fait
aujourd’hui : on tue les gens qui témoignent. Il y a toujours des
gens qui continuent à agir493. C’est donc par des actes plus que par
des écrits ou des propos publics que l’idéologie négationniste
imprègne le Rwanda. Les gens ne nient pas le génocide de manière
officielle, mais par certaines attitudes. Ils vont par exemple refuser
d’assister aux gacaca pour montrer qu’ils ne croient pas au génocide. C’est une façon de ne pas reconnaître le génocide de 1994. De
cette manière, ils ne donnent aucune information et ne contribuent
pas à la recherche de la vérité. D’autres vont témoigner mais prendront soin de donner de fausses informations afin d’empêcher la
mise au jour de certains faits494.

La Nouvelle Relève, un hebdomadaire rwandais (presse gouvernementale) détaille différentes façons d’empêcher la réalité d’émerger. « Beaucoup de problèmes ont handicapé les activités des juridictions Gacaca (…). L’intimidation des témoins et le refus de dire
la vérité. L’insécurité des témoins et des rescapés du génocide (…).
Dans la province de Kaduha (Gikongoro), des rescapés ont été tués
en 2003, dans les districts de Kibingo et Nyamure (province de
Butare) ainsi que Ntongwe (province de Gitarama), des maisons de
rescapés du génocide ont été brûlées et d’autres actes d’intimidation aux rescapés ont été signalés dans la province de Kigali Ngali,
Umutera et Ruhengeri. »495 Joseph Shyirembere, coordinateur du
projet de monitoring des juridictions gacaca constate que beaucoup
de gens craignent que la vérité ne soit dévoilée. De nombreux rescapés sont dès lors menacés. Il s’agit, selon lui, d’un des plus
493. S. CYITATIRE, conseiller politique au Sénat rwandais, interviewé le 8/07/2005 à
Kigali.
494. Ibidem.

495. C. NAMUKUNZI, « 1192 intègres accusés de génocide », in : La Nouvelle
Relève, n° 523 du 27 juin au 4 juillet 2005.

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grands freins aux gacaca, surtout qu’il n’est pas rare de voir émerger une sorte de « solidarité négative » : certaines familles occupent une colline entière et peuvent donc, ensemble, décider de taire
les informations qu’elles détiennent496. Le gouvernement rwandais,
dans son livret sur La politique sectorielle de la mémoire au
Rwanda, revient également sur certains comportements qui freinent
le travail de mémoire. Il insiste sur le fait que « la mémoire
est extrêmement difficile à ériger et à entretenir, particulièrement
dans une société où le génocide s’est passé au sein même d’un peuple »497 et souligne certaines contraintes comme les assassinats de
témoins du génocide498.

Beaucoup de personnes sont en effet persécutées suite aux
témoignages qu’elles ont livrés ou qu’elles pourraient donner. Ces
menaces émanent non seulement de personnes qui ont toujours été
en liberté mais également d’anciens détenus accusés de génocide,
libérés par défaut de preuves. Le parlement rwandais a relevé, en
1994, des actes à visée négationniste à l’encontre des rescapés du
génocide ou des témoins : paroles moqueuses, jets de pierre sur les
toits de leur maison, agressions avec intention de tuer, incendies,
tracts menaçants (appelant à la mobilisation hutu afin d’exterminer
à l’arme traditionnelle les Tutsi rescapés), tentatives de les faire passer pour fous, etc. Le but de ces manœuvres était, encore une fois,
le maintien du silence concernant le génocide. Le rapport parlementaire présente de nombreux cas précis dont le suivant : « Dans le
secteur de Kimironko, une certaine Grâce Mukagacinya, rescapée
du génocide qui est actuellement prématurément devenue chef de
ménage, car elle s’occupe de ses quatre petits frères au sein de leur
propre famille, a reçu un tract qui l’avertissait que si elle n’aban496. J. SHYIREMBERE, coordination projet de monitoring des juridictions gacaca,
interviewé le 7/07/2005 à Kigali.

497. GOUVERNEMENT RWANDAIS, MINISTERE DE LA JEUNESSE, DES SPORTS ET DE LA
CULTURE, La Politique sectorielle de la mémoire du génocide au Rwanda, 2005,
polycopié, p. 12.
498. Ibidem, p. 13.

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donnait pas ses activités de témoigner en accusant les gens, elle
serait tuée. Dans la nuit du 6 mai 2004, des personnes non encore
identifiées l’ont attaquée de façon improvisée devant sa porte et,
après l’avoir immobilisée avec une corde, l’ont mise dans un sac.
L’un des enfants qui était à l’intérieur de leur maison a lancé un cri
d’alarme et les gens sont venus à leur secours de sorte que les malfaiteurs ont couru. »499
Les prisonniers toujours détenus exercent également des pressions à l’égard de certains rescapés : « lorsque les prisonniers de
la prison de Kimironko sortent en se rendant au travail, ils disent
aux veuves habitant (…) dans le secteur de Kimironko que lorsque
le temps viendra, ils les tueront. Lorsque les femmes de ces prisonniers passent à cet endroit en amenant des provisions à leur mari,
elles disent à ces veuves que ‘Ujya gutwika imbaraga arazegeranya’
pour dire que celui qui veut neutraliser les forces vives commence
par les rassembler. »500
Joseph Shyirembere constate, lui aussi, des faits graves visant à
étouffer la vérité. Beaucoup de gens sont tués afin qu’ils ne témoignent pas aux gacaca. Les meurtriers craignent par-dessus tout que
la vérité soit dévoilée. Tous ne sont bien sûr pas tués mais la plupart sont au moins menacés verbalement501.

Qui sont les auteurs de ces actes ? « Ceux qui ont pris part
dans ces assassinats sont ceux qui ont commis le crime de génocide
et ceux qui ont des relations avec ces derniers : ceux qui s’évadent
des prisons, les relâchés par des voies non claires, les personnes
qui ont commis les tueries et qui craignent d’être démantelées,
celles qui sont sur la liste et qui ne sont pas encore arrêtées, celles
499. Rapport de la Commission parlementaire extraordinaire mise en place le 20 janvier 2004, chargée d’examiner les massacres commis à Gikongoro et d’analyser
l’idéologie du génocide et de ceux qui la propagent partout dans le pays, polycopié, Kigali, 2004.
500. Ibidem.

501. J. SHYIREMBERE, coordination projet de monitoring des juridictions gacaca,
interviewé le 7/07/2005 à Kigali.

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dont les plaidoiries [c’est à dire les plaidoyers de culpabilité
prévus par la loi organique relative aux gacaca] ne sont pas complètes. »502

Déo Sebahire analyse ce phénomène d’un négationnisme en
actes plutôt qu’en paroles : Les pensées ne se communiquent pas
uniquement verbalement, les pensées, les idéologies passent aussi
par des attitudes. Parlons des attitudes qui sont une expression du
négationnisme, elles s’observent par rapport à la mémoire et aux
célébrations de la mémoire. Il y en a qui boudent, qui résistent à la
participation à la mémoire, qui résistent aux enterrements qu’on
appelle les enterrements « en toute dignité ». Ça, c’est un lieu
d’observation des attitudes négationnistes. Il y a une frange qui ne
va pas verbaliser cela, qui va le montrer par des attitudes. Pourquoi
y aller puisqu’ils ne veulent pas de notre mémoire alors qu’il y a eu
des morts ? Les agressions et les tentatives de suppressions physiques de témoins en sont bien sûr d’autres manifestations (…). Parce
que si vous supprimez un témoin c’est que vous vous reprochez
quelque chose. Mais l’intention manifeste bien une négation, même
si elle trahit le meurtrier.503
Les manifestations du négationnisme se traduisent donc plus en
actes qu’en paroles. A la question « le négationnisme existe-t-il
encore au Rwanda selon vous ? », la plupart des Rwandais répondent « non ». Aucun Rwandais n’oserait nier ouvertement le génocide, mais les attitudes peuvent trahir le fond de leur pensée.
5.2. Les rumeurs

La rumeur est un vecteur privilégié d’idées à teneur négationniste dans le contexte rwandais où l’information publiée et radiodiffusée est très contrôlée. « La rumeur se dit : la rumeur dit la
502. Ibidem.

503. D. MBONYINKEBE SEBAHIRE, docteur en anthropologie sociale et culturelle,
enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.

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rumeur. Son noyau, son foyer, c’est l’énonciation elle-même »504,
mais « la rumeur ne s’adresse ni à une personne nommée, ni ne
vient d’une personne nommée (…). »505

Depuis le début du processus gacaca, le gouvernement rwandais déplore la fuite d’une grande partie de sa population vers le
Burundi voisin. Le 20 mai 2005, à Butare, s’est tenu un débat qui
visait à « identifier les causes et les stratégies durables à mettre en
pratique pour freiner le va-et-vient de la population réfugiée au
Burundi »506. La Nouvelle Relève précise que ces départs massifs
sont causés par la « peur d’être interpellé, notamment pour participation criminelle », mais évoque également « les rumeurs persistantes non fondées ». Selon l’hebdomadaire, les Rwandais exilés seraient majoritairement des accusés et auteurs de crimes de
génocide qui craignent d’être dénoncés lors des gacaca. Mais ce
n’est pas le seul facteur qui expliquerait l’exil et la crainte du retour.
En effet, il semble que des informations menaçantes circulent à l’intérieur du Rwanda. « Une des stratégies pour gagner la confiance
de la population est la propagation de rumeurs relatives à la vendetta des Tutsi contre les Hutu. »507 La seule solution pour ces
Hutu, futures victimes de représailles tutsi, serait de se réfugier au
Burundi où l’idéologie génocidaire trouve un large écho.
La rumeur peut être définie comme « l’émergence et la circulation dans le corps social d’informations soit non encore confirmées
publiquement par les sources officielles soit démenties par cellesci »508. Elle est donc un rapport à l’autorité, un contre-pouvoir : elle
504. F. REUMAUX (dir.), Les Oies du capitole ou les raisons de la rumeur, Paris,
CNRS Editions, 1999, p. 49.

505. Ibidem, p. 198.

506. S. BYUMA, « Conseil de sécurité de Butare : interrogations sur la fuite de la
population vers le Burundi », in : La Nouvelle Relève, n° 518 du 23 au 30 mai
2005.
507. Ibidem.

508. J.-N. KAPFERER, Rumeurs, le plus vieux média du monde, éd. du Seuil, Paris,
1987, p. 25.

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dévoile des secrets et émet des hypothèses509. La rumeur est censée
révéler une réalité que le groupe n’aurait pas dû connaître510.

A côté des rumeurs omniprésentes, La Nouvelle Relève souligne
que les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda
(FDLR) ont publié des livres politisés « sous l’étiquette de la religion »511. Toujours selon l’hebdomadaire, les auteurs de ces ouvrages veulent persuader la population d’adhérer à leur idéologie, à
l’aide de passages bibliques. « Pour quiconque dépourvu d’un discernement du passé, il peut facilement croire à ces livres. » L’un de
ces livres, Fora Ndinde (Devine qui je suis), affirme que de nombreuses machines perfectionnées ont été mises en place un peu partout au Rwanda, qui serviront à « broyer les Hutu »512. Les Tutsi
auraient déjà les houes qui doivent servir au massacre et porteraient
des bracelets afin d’être distingués des Hutu513. La seule solution
proposée est l’exil vers l’Ouest du Rwanda. Encore une fois, les
autorités rwandaises voient dans la propagation de telles rumeurs,
une volonté de duper les Rwandais pour les persuader de suivre le
FDLR « qui voudrait créer des zizanies à l’intérieur du pays »514.
Cependant, la rumeur est dans bien des cas une production sociale
spontanée, sans dessein ni stratégie515. Elle est surtout relative aux
dispositions d’écoute. Elle procède souvent du transfert et de la projection, du sentiment d’angoisse notamment516.
509. Ibidem, p. 26.
510. Ibidem, p. 27.

511. S. BYUMA, « Une Philosophie dévastatrice au Nord-Ouest du Rwanda », in :
La Nouvelle Relève, n° 526 du 18 au 25 juillet 2005.

512. Ibidem.

513. S. BYUMA, « Rapatriement volontaire des déplacés rwandais », in : La
Nouvelle Relève, n° 522 du 20 au 27 juin 2005.

514. S. BYUMA, « Une Philosophie dévastatrice au Nord-Ouest du Rwanda »,
op. cit.

515. J.-N. KAPFERER, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, éd. du Seuil, Paris,
1987, p. 33.

516. F. REUMAUX (dir.), Les Oies du capitole ou les raisons de la rumeur, op. cit.,
p. 186.

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Un second livre Uyu mukino uzagira iherezo ? (Ce jeu aura-til une fin ?) viserait, quant à lui, à décourager la participation aux
juridictions gacaca, puisqu’elles sont vues, selon les auteurs,
comme favorables aux Tutsi517. Il est vrai que certaines personnes
des campagnes croient que les gacaca sont une façon pour le
gouvernement de les mettre en prison518, explique Antoine
Rutayisire. (…). On entend des gens qui sont quasiment en train de
nier le génocide. Ils disent que les gacaca ne sont pas quelque chose
de bon, qu’elles ne sont là que pour causer des problèmes aux
Hutu, etc519. De telles rumeurs sont parfois le fait d’hommes isolés.
Ainsi, une personne est parvenue à lancer, dans le district administratif de Cyanzarwe, la rumeur selon laquelle une guerre meurtrière
anti-Hutu allait bientôt éclater. Il conseillait aux Hutu de prendre la
fuite, la meilleure direction selon lui étant l’Ouest, soit la RDC, terrain des FDLR520. L’information, en tant que réponse à diverses
craintes, contribue à l’émergence et à la propagation de la rumeur.
Tout ce qui dérange l’ordre des choses et conduit à réagir, c’est-àdire les nouvelles à intérêt pragmatique direct, favorise la rumeur521.
« Dans tous les cas, la rumeur court, car il y aurait danger physique ou symbolique à ne pas connaître la nouvelle, que celle-ci soit
vraie ou fausse. »522
Ces livres ont un intérêt non pas en tant qu’écrits mais en tant
que relais de rumeurs. Quoique écrits, ils participent davantage
d’un discours lié à l’oralité. « Parce que la rumeur circule, qu’elle
n’existe même que pour autant qu’elle circule, on en inférera
517. S. BYUMA, « Une Philosophie dévastatrice au Nord-Ouest du Rwanda »,
op. cit.

518. A. RUTAYISIRE, vice-président de la Commission nationale pour l’unité et la
réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.
519. Ibidem.

520. S. BYUMA, « Une Philosophie dévastatrice au Nord-Ouest du Rwanda »,
op. cit.

521. J.-N. KAPFERER, Rumeurs. Le plus vieux média du monde, op. cit., p. 63-64.
522. Ibidem, p. 64.

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qu’elle entretient un rapport immédiat avec la communication. »523
De plus, beaucoup de gens étant illettrés au Rwanda, les livres sont
rarement les seuls vecteurs d’idéologie. Par tradition, la communication est orale, les discours négationnistes ne sont pas officiels,
mais on les trouve dans les camps de réfugiés ou au Congo524, explique un parlementaire.

Le secrétaire exécutif du CLADHO souligne la portée négationniste de ces rumeurs qui essayent de faire peur à la population hutu
pour qu’elle s’enfuie. Ces rumeurs sont entretenues à bon escient
par des connaisseurs et beaucoup d’ignorants ont fui. C’est de la
négation, parce que les gacaca ne sont pas contre les Hutu, leur seul
objectif est d’établir la vérité. Or, le but de cette rumeur est de montrer que ça ne va pas, que les gens fuient et qu’il faut abandonner
ce processus inéquitable525.
La propagation de ces rumeurs révélerait donc une volonté
d’étouffer la vérité. Semer le trouble et la crainte parmi la population est en effet un très bon moyen pour empêcher les gens de parler. Ils disent qu’on va les tuer tous, qu’on va se venger526. La peur
paralyse alors les Rwandais qui préfèrent prendre la fuite plutôt que
témoigner, même s’ils n’ont rien à se reprocher.
5.3. L’enseignement de l’histoire

Pendant des dizaines d’années, les Rwandais ont été trompés,
désinformés voire intoxiqués, par une vision partisane de leur propre histoire. « A l’école, on nous a appris que la reine du Rwanda
qui était tutsi déposait une lance sur le ventre d’un bébé hutu, et
523. F. R EUMAUX (dir.), Les Oies du capitole ou les raisons de la rumeur,
op. cit., p. 49.

524. K. EVARISTE, député, président de la Commission de l’Unité nationale et des
droits de l’homme au Rwanda, interviewé le 18/07/2005 à Kigali.

525. S. SINYIGAYA, secrétaire exécutif du CLADHO (Collectif des ligues et associations de défense des droits de l’homme au Rwanda), interviewé le 12/07/2005 à
Kigali.
526. Ibidem.

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qu’elle se levait en s’appuyant sur sa lance, laquelle traversait le
corps de l’enfant »527, témoigne un ancien fonctionnaire rwandais
actuellement en prison. L’enseignement de l’histoire dans les écoles et universités a sans aucun doute joué un rôle majeur dans la
propagation des idées ethnistes, dans la dualisation de la société
rwandaise et dans la fabrication du sentiment d’appartenance à un
« clan ». Le doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de Butare reconnaît que « l’enseignement de l’histoire sous la
deuxième République est un des facteurs du génocide »528. Il en
veut pour preuve la façon dont la coexistence des ethnies était
expliquée. « Elle a toujours été présentée un peu à la façon
marxiste : les Tutsi aristocrates qui exploitaient les Hutu roturiers
et ça a abouti à la révolution. Tout le monde sait très bien que ça
ne s’est pas passé comme ça. » Et pourtant, ces clichés et certains
sentiments ont été intériorisés. « Imaginez des gens qui se disaient
hutu par exemple. Ils savent que les Tutsi, ce sont les mauvais, les
exploiteurs etc. Comprenez que ça finit par justifier une certaine
haine, qu’on a retrouvée dans le génocide. »529

Il est évident qu’un enseignement partisan de l’histoire peut
jouer un rôle important dans la création d’un cadre interprétatif à
partir duquel des dynamiques politiques nouvelles sont enclenchées530. « L’Histoire est le produit le plus dangereux que la chimie
de l’intellect ait élaboré (…). Il fait rêver, il enivre les peuples, leur
engendre de faux souvenirs, exagère leurs réflexes, entretient de
vieilles plaies, les tourmentent dans leur repos, les conduit au délire
de grandeur ou à celui de la persécution, et rend les nations amè-

527. Y. MUKAGASANA, Les Blessures du silence, op. cit., p. 22.

528. Doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de Butare, interviewé
par L. de VULPIAN dans La Fabrique de l’histoire, Radio-France le 12 avril 2004.

529. Doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines de Butare, interviewé
par L. de VULPIAN dans La Fabrique de l’histoire, Radio-France le 12 avril 2004.
530. J. SEMELIN, Purifier et détruire, op. cit., p. 82.

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res, superbes, insupportables et vaines. »531 Ce qui importe, ce
n’est donc pas tant le rôle de l’Histoire en tant que telle, que celui
de la mémoire que les peuples se construisent de leur propre
passé532. « Car ce ne sont pas tant les événements historiques qui
pèsent sur la vie des peuples que les représentations qu’ils se font
de ces événements. »533 Au Rwanda, les Hutu se sont formé une
mémoire douloureuse qui se nourrit d’un passé de souffrances associé à l’époque de la domination tutsi534.

Conscient que l’enseignement de l’histoire a conduit à bien des
dérives, le gouvernement rwandais actuel a décidé de suspendre
provisoirement les cours dans l’enseignement de base et secondaire, afin de réfléchir à la façon de présenter le passé du pays.
Jeanne d’Arc Baranyizigeye, chargée d’élaborer les nouveaux programmes d’histoire, explique pourquoi il convient de changer la
façon d’enseigner l’histoire du pays. Après le génocide, on a remarqué que c’est à partir de l’enseignement que l’histoire a été tronquée pour les intérêts des uns, au détriment des autres. (…) Les
gens qui enseignaient l’histoire avant le génocide disaient cela :
que les Tutsi n’étaient pas de vrais Rwandais, que c’était des étrangers venus d’Ethiopie, d’Abyssinie, et j’en passe. On les injuriait
même, on disait que c’était des sauvages, on le disait, on l’enseignait, mais pas dans les documents écrits. On a diabolisé les Tutsi
alors les enfants tutsi qui se trouvaient en classe, ça les choquait,
ça leur faisait mal. De tels discours étaient largement répandus
jusqu’en 1994, même si les traces écrites sont rares. Dans les documents écrits, c’était bien, il n’y a pas de traces diabolisant les uns
et les autres. On appelait ça « l’enseignement informel ». Après le
génocide on s’est rendu compte de cela, c’est pourquoi on va écrire
ce document de référence qui servira d’aide au moment de l’élabo531. P. Valery, Regards sur le monde actuel et autres essais, Paris, éd. Gallimard,
1945, p.43, cité par J. Semelin, Purifier et détruire, op. cit., p. 40.
532. J. Semelin, Purifier et détruire, op. cit., p. 40.
533. Ibidem.

534. Ibidem, p. 43.

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ration des programmes. On insistera surtout sur l’histoire coloniale
parce que c’est pendant la période coloniale que beaucoup de choses ont changé. Pour le moment, on fait un projet pour réhabiliter
l’histoire qui s’appelle « facing history ». On veut dire la vraie
histoire, sans la modifier. Nous voulons une unité de tous les
Rwandais535.

Vu la suspension des cours d’histoire, celle du génocide n’a pas,
pour l’instant, sa place au sein des programmes scolaires. Mais
peut-on enseigner en faisant fi de ce terrible « événement » ?
N’est-ce pas une solution qui occulte un fait que l’on préfère
oublier ? Et surtout, n’est-ce pas laisser la voie libre aux différents
récits qui peuvent circuler au sein des familles : une « histoire
informelle » qui domine les faits, et qui peut donc facilement
mener au négationnisme ? Pour Monsieur Rutembesa, professeur
d’histoire à l’Université nationale du Rwanda, ce gel de l’enseignement de l’histoire n’est pas définitif, il sert simplement à stabiliser
la société sans rouvrir de blessures536. Mais d’autres, à l’instar du
journaliste Jean Ruremesha537, déplorent que bien que le génocide
fasse l’objet de nombreuses commémorations et cérémonies en tous
genres, il est absent des programmes scolaires. Les enseignants
peuvent aborder le sujet lors de cours à caractère général mais sans
disposer de directives claires pour aborder ce thème sensible. Se
pose alors l’éternelle question : comment en parler sans rouvrir
certaines blessures chez les uns ni renforcer le sentiment de culpabilité chez les autres ? A l’université, où les cours d’histoire ne sont
pas officiellement suspendus, chaque professeur agit à sa guise,
estimant que les étudiants sont assez mûrs pour apprécier euxmêmes ce qu’on leur enseigne. Personnellement, j’aborde la ques535. J. BARANYIZIGIYE, chargée des programmes d’histoire, Point focal d’éducation
civique au Centre National de Développement des Programmes, interviewée le
14/07/2005 à Kigali.
536. F. RUTEMBESA, professeur d’histoire à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 22/07/2005 à Butare.

537. J. RUREMESHA, « Dix ans après, le génocide absent des écoles », in :
Dialogue, n° 233, mars-avril 2004, p. 167.

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tion du génocide, mais je sais que tous les professeurs ne le font
pas, explique le professeur Rutembesa. Je suis peut-être naïf mais
j’aborde cette question comme toute autre question, c’est-à-dire en
prenant distance avant tout. Et en gardant toujours à l’idée que
cette problématique touche directement mon auditoire. J’essaye de
tenir un discours qui ne condamne pas. Il ne faut pas rouvrir inutilement les blessures, il faut s’inscrire dans une dynamique d’intelligibilité, c’est ça le pari538. Ce pari semble bien difficile à relever
tant que l’histoire n’est pas mise au service de la compréhension.
Peut-on comprendre en taisant les choses ? La population jeune est
aujourd’hui privée d’accès à des éléments fondamentaux, indispensables à la reconstruction du pays, n’ayant pas les moyens de
connaître sa propre histoire. Les professeurs, qui ne peuvent se fier
qu’à leur propre vécu, évoquent le cas échéant le sujet librement
avec toutes les dérives possibles. Un équilibre est à trouver entre la
liberté d’enseignement totale et l’enseignement d’une version unique, « officielle » de celle-ci.
Hors des frontières du Rwanda, le génocide des Tutsi n’a pas
non plus trouvé la place qui lui est due dans les cours d’histoire ou
de civisme. Annick Kayitesi, survivante, témoigne souvent dans les
écoles françaises. Presque toujours, les élèves semblent bouleversés
après son témoignage et s’étonnent de ne jamais avoir entendu parler du génocide au Rwanda. « Le génocide n’apparaissant pas
dans les programmes scolaires et les parents n’en parlant pas à la
maison, les lycéens français ignorent absolument tout de ce que
nous avons vécu il y a dix ans », explique-t-elle. Il leur est aussi
difficile de concevoir qu’il s’agit d’un génocide. A leurs yeux,
« génocide » signifie uniquement Shoah. « Quand on aborde le
nombre de morts et la vitesse à laquelle le génocide a été accompli,
ils semblent complètement perdus. »539 Maurice Maschino, journa538. F. RUTEMBESA, professeur d’histoire à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 22/07/2005 à Butare.
539. Entretien avec Annick KAYITESI, in : L’Arche (mensuel du judaïsme français),
n° 554, avril 2004, http://www.col.fr/arche, consulté le 9 février 2006, mensuel du
judaïsme français en ligne.

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liste et écrivain, a interrogé quelques lycéens français. Certains ont
à peine entendu parler des Tutsi et ne connaissent pas d’autre
génocide que celui des Juifs540. Les manuels scolaires utilisés par
ces élèves français ne mentionnent que la Shoah, parfois le génocide des Arméniens, et définissent mal ou pour le moins approximativement le concept de « génocide ». Les auteurs des manuels ont
donc opéré une discrimination entre les génocides du XXe siècle.
« Sans leur faire l’injure de croire qu’ils jugent de l’importance
d’un génocide d’après le nombre de ses victimes, force est de reconnaître que celui des Tutsis ne retient que très peu leur attention. »541
Dans ce contexte, faire accepter la réalité du génocide sans se
cacher derrière des formulations approximatives et négationnistes
est impossible. Hélène Strapélias, auteur d’une étude sur l’enseignement de l’histoire du génocide des Arméniens confirme que les
manuels sont discrets sur le sujet. « L’extermination d’environ
500 000 hommes, femmes et enfants au Rwanda, en 1994, ne retient
guère l’attention des manuels. La plupart n’en parlent pas.
Ailleurs, deux ou trois lignes voire une note suffisent. »542 Le
manuel Le Magnard, utilisé en terminale, titre : « Une Afrique
aujourd’hui déchirée ». Il ne précise cependant jamais qui
« déchire », ni pourquoi. La seule photo publiée est celle de réfugiés hutu, note l’auteur de l’article. « Haines ethniques et tribalisme suffisent à expliquer, d’après les très rares manuels qui citent
le génocide tutsi, les massacres qui ravagent l’Afrique. Sous le titre
‘Guerre ethnique au Rwanda’, une photo montre un enfant dans
une église transformée en mémorial du génocide. Au-dessus de la
tête de l’enfant, posés sur une bâche, des crânes. »543 Les acteurs
européens ne sont presque jamais évoqués, ni le rôle ambigu de la
France. Mais les professeurs ne s’en inquiètent pas outre mesure.
540. M. MASCHINO, « Le(s) Génocide(s) dans les manuels scolaires », in : Manière
de voir, n° 82, août-septembre 2005, p. 74.
541. Ibidem.
542. Ibidem.
543. Ibidem.

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« Ce que vous évoquez là », suggère une enseignante dans un
lycée d’Orléans, au journaliste Maurice Maschino « ce sont des
questions politiques. Donc étrangères au programme. Le programme nous demande d’expliciter des notions, par exemple, en
terminale, le totalitarisme, la barbarie, les droits de l’homme (…).
Nous avons déjà trop peu d’heures pour couvrir le programme,
nous insistons surtout sur les moments forts de l’histoire contemporaine »544. Il semble que le génocide des Tutsi n’en soit donc pas un.
A l’étranger comme au Rwanda, parler du génocide des Tutsi au
Rwanda n’est pas un réflexe de la part des professeurs d’histoire.
Cette omission conduit les étrangers à ne pas utiliser le terme génocide et les Rwandais à se forger une vision personnelle des faits.

544. Ibidem, p. 76.

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CONCLUSION

Les premières pages de ce livre ont permis de rappeler que qualifier un crime de « génocide » n’a rien d’évident, car le mot est
devenu malade à force d’être trop utilisé. Au terme de cette recherche, un constat similaire s’impose, concernant le vocable « négationnisme ». Tout comme le mot « génocide » doit être utilisé uniquement dans les cas correspondant à sa définition, la qualification
de « négationnisme » devrait être réservée à des occurrences bien
précises. Que l’on m’entende bien : cet ouvrage n’a jamais eu pour
objectif et ne veut pas avoir pour conséquence de minimiser ni
d’excuser la négation grossière de la souffrance des quelque huit
cent mille victimes probables des événements de 1994. Le négationnisme du génocide des Tutsi existe. Certaines thèses n’ont d’autre but que de minimiser, voire de nier ce génocide et l’indicible
souffrance qu’il a provoquée. Il importe de les traquer, de les analyser, de les démonter et finalement de les refuser.

Au début de mes recherches au Rwanda, les perspectives semblaient limitées. Presque tous les Rwandais interviewés, tant les
journalistes, que les juristes, les enseignants ou les politiciens me
répondaient qu’à leur sens, le négationnisme du génocide des Tutsi
au Rwanda n’existe pas ou très peu, sous des formes élémentaires,
car le pouvoir actuellement en place ne permet plus à quiconque de
nier le génocide. En revanche, ces mêmes personnes évoquaient un
négationnisme plus répandu à l’étranger. A mon retour, j’ai en effet
pu constater que les discours accusateurs étaient plus virulents à
l’extérieur du Rwanda. En Belgique, les accusations de négationnisme sont fréquentes, parfois pour des raisons évidentes, parfois
pour des raisons plus obscures. Sans cesse, j’ai tenté de défaire le
vrai du faux, de comprendre les enjeux politiques, de distinguer les
discours de bonne foi et les autres, de dépasser les schémas simplistes qui s’imposent souvent de prime abord lors de l’analyse d’un
discours dit « négationniste ».

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Ce qui fait toutefois la perversité de ces discours est leur subtil
enchevêtrement avec le révisionnisme. C’est dans cette confusion
des termes, dans la difficulté de nommer les choses que réside toute
la difficulté : si toutes les théories explicatives ne constituent pas
du négationnisme, toutes ne renvoient pas à un révisionnisme de
bon aloi. Les mots, les attitudes, les explications ne sont pas toujours destinés à réviser l’histoire, ou, pour mieux dire, à la revisiter.
Ils sont également des armes redoutables pour qui veut nier le génocide des Tutsi au Rwanda.
Tous les discours déviant de ce que l’on tient actuellement pour
vrai, ou plutôt pour communément admis, concernant le génocide
des Tutsi au Rwanda, ne sont pas nécessairement négationnistes.
Même s’ils font quelquefois fausse route, ils sont parfois simplement « révisionnistes » au sens où ils tentent honnêtement de faire
émerger la vérité, en fouillant l’histoire, en la relisant, en proposant
des thèses nouvelles sur l’enchaînement des faits qui ont conduit au
génocide des Tutsi au Rwanda. La mise en garde classique qui
consiste à alerter le lecteur des dangers de négationnisme sous des
intentions révisionnistes, vaut également dans le sens inverse : il
est parfois utile à certains de faire passer des idées révisionnistes
pour des attitudes négationnistes. La principale difficulté consiste
donc à définir les termes. Selon la définition de Yves Ternon retenue dans cet ouvrage, le négationnisme est « l’ensemble des attitudes adoptées et des explications fournies pour nier la vérité d’un
génocide, ou plus largement, d’un crime contre l’humanité ». C’est
donc l’intention de nier un génocide qui est à la base des attitudes
négationnistes. Or, qu’y a-t-il de plus impénétrable que les intentions ?

Chaque nouvelle rencontre, chaque nouvelle lecture apportaient
un éclairage nouveau et remettaient en cause certaines de mes opinions initiales. Ce que je qualifiais d’attitudes négationnistes, vu
sous un angle nouveau, pouvait parfois être considéré comme du
révisionnisme de bon aloi. D’autres attitudes que je considérais
comme « respectables », pouvaient, à l’inverse, être vues comme
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Conclusion

négationnistes. Peu de mes convictions ont résisté à cette confrontation permanente. Ma propre perception du négationnisme a beaucoup évolué. Très restrictive au début, elle est aujourd’hui beaucoup moins tranchée. Le terme « négationnisme » est utilisé pour
désigner une multitude de propos parfois sans dénominateur commun. Cette désignation est parfois un bon prétexte pour mettre à
l’écart certaines idées gênantes pour les pouvoirs en place ou les
intérêts des uns et des autres, quels qu’ils soient, au Rwanda ou ailleurs. Même à l’aide des définitions retenues, il s’avère très difficile
de désigner le négationnisme avec certitude. Tout au long de mes
recherches, je me suis efforcée d’analyser de manière rigoureuse
des phénomènes complexes porteurs de tensions et de passions
humaines. C’est par ce seul travail de rigueur, de comparaison, de
confrontation et de dialogue que la vérité pourra émerger, et que le
négationnisme pourra être identifié et combattu. Le travail de révision de l’histoire est en quelque sorte un préalable à la sanction du
négationnisme.

Les mondes politiques et juridiques français ou belge font d’ailleurs face au même problème lorsqu’ils appréhendent le génocide
des Arméniens ou des Tutsi. Le débat qui consiste à savoir s’il
convenait ou s’il convient de modifier les lois punissant le négationnisme soulève la même question que celle qui sous-tend cet
ouvrage : comment qualifier le comportement incriminé ? La qualification doit en effet être suffisamment précise pour permettre au
juge de la mettre en rapport certain avec les faits commis.
Chaque paragraphe de cette étude pourrait faire l’objet d’un
développement propre, puisque la quête d’informations et de compréhension s’est révélée sans fin, l’étendue du sujet s’élargissant au
fil de mes recherches. Son contenu n’est donc en aucun cas exhaustif. Il est avant tout destiné à susciter le débat et les confrontations
d’idées. J’espère néanmoins avoir posé les balises nécessaires pour
éviter de tomber dans certains pièges de langage et de rhétorique.
L’analyse fut parfois périlleuse, car s’il est primordial de déceler les
mécanismes des discours négationnistes, encore faut-il ne pas les
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voir partout. Certains propos peuvent porter des idées odieuses sans
utiliser les arguments ou les vocables qui s’y prêtent, mais pour
autant, les discours qualifiés d’emblée de « négationnistes » ne le
sont pas nécessairement.

Le négationnisme prend d’abord la forme du silence. Silence
calculé de la communauté internationale qui a tardé à oser le mot
« génocide » et qui n’a pas su mesurer la gravité de la situation,
silence coupable des journalistes étrangers qui n’ont pas su mettre
les mots sur ce qu’il convenait de nommer un génocide. Sous certains silences se cache une volonté de ne pas voir ou un désintérêt
manifeste pour le Rwanda et pour l’Afrique noire. Ainsi, il était
plus aisé pour la communauté internationale de ne pas comprendre
ce qui se passait pour ne pas devoir agir à la mesure de la situation.
Ainsi, il était plus facile pour les journalistes étrangers d’analyser
les faits selon les schémas occidentaux, de voir au Rwanda
une banale lutte de pouvoir entre différentes « ethnies », voire
« tribus », sans tenter de comprendre les tensions qui habitent le
pays des Mille collines. Ces silences ont constitué les premières
attitudes négationnistes du génocide des Tutsi au Rwanda. Des politiciens de divers Etats ou les responsables d’organisations internationales tiennent d’autres discours qu’en 1994. On aurait dû voir, on
aurait dû savoir, c’est vrai. Certains demandent pardon, d’autres feignent encore obstinément de ne pas s’être trompés, de ne pas avoir
menti. Aucun journaliste sérieux n’évoque encore les querelles tribales.

Insistons sur le rôle particulier des journalistes. Jusqu’en juillet
1994, au Rwanda, certains d’entre eux, à travers les médias de la
haine, ont contribué de manière importante à l’horreur. Ensuite, à
l’extérieur du Rwanda, pendant les massacres, trop se sont tus. Mais
si certains de leurs silences se révélèrent coupables, il en est d’autres qui furent involontaires. Obligés de couvrir les faits en temps
réels, les journalistes ne bénéficiaient que de peu de recul par rapport aux événements. Même ceux qui étaient présents sur place ne
pouvaient mesurer l’ampleur des « massacres », tant leurs activi174

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tés étaient contrôlées, et tant il est difficile d’apercevoir l’immense
lorsque l’on est tout près de lui. La vigilance doit être de mise lors
de tout compte rendu, analyse ou reportage. Les termes doivent être
choisis avec soin pour ne pas tronquer les faits. Parler de « guerre
civile », de « massacres », de « colère » ou de « génocide » ne
reviendra jamais au même. Il faut oser les mots, et les utiliser pour
ce qu’ils sont. La mise en contexte est également primordiale pour
permettre au lecteur, à l’auditeur ou au téléspectateur de mieux
approcher une situation complexe. Le rôle des médias est loin d’être
simple dans une telle situation. Le reportage implique la connaissance de l’histoire de la région, notamment pour pouvoir cerner les
enjeux en présence. Il revient aux journalistes de se défaire de leurs
préjugés, d’aller sur le terrain et de ne pas se satisfaire du discours
des autorités. Ils doivent se demander : pourrais-je relire ce que j’ai
écrit, réécouter ce que j’ai dit dans quinze ans, sans croire alors que
j’ai trahi ?

Aujourd’hui, le silence qu’impose le pouvoir en place aux
citoyens rwandais ne permet pas non plus de faire émerger toute la
vérité. Il existe en effet au Rwanda, une appréhension à révéler tout
ce que l’on sait, fondée sur la peur d’une répression gouvernementale, elle-même dictée notamment par la circonstance qu’aucune
guerre n’est propre et que les combats qui ont mis fin au génocide
se sont eux-mêmes accompagnés d’exactions de part et d’autre. Un
de mes contacts à Kigali écrivait ces quelques mots par courrier
électronique : « Il est difficile pour moi de trouver des gens que
l’on peut interroger sur la justice et la réconciliation, car beaucoup
de gens ont très peur de parler ou de dire la vérité, surtout quand
on est contre-opposant, mais je continuerai ». Le travail de vérité
peut donc être freiné par cette peur de parler. On l’a vu, de nombreux rapports dénoncent aujourd’hui le travail méthodique
d’étouffement et pointent du doigt les critiques violentes à l’encontre des organisations de défense des droits de l’homme, accusées de
favoriser le « divisionnisme ». Après le silence volontaire de la
communauté internationale et le silence imposé à certains au
Rwanda, il faut mentionner le silence des victimes. Elles ne sont
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évidemment pas négationnistes, mais l’indicibilité de leur malheur,
la difficulté de raconter l’irracontable laissent la porte ouverte aux
versions des faits fausses et malveillantes, qui en font de plus grandes victimes encore. Après le silence vient le temps de la parole.

Au Rwanda, toute personne accusée d’avoir collaboré au génocide ou victime, est invitée à dire la vérité, spécialement à travers le
processus gacaca. Paradoxalement, le discours officiel empêche
dans une certaine mesure qu’advienne ce qu’il attend. « Dites
la vérité, mais sans ‘divisionnisme’ ». La notion de « divisionnisme » renvoie, en droit, à « l’acte de division », mentionné dans
les textes légaux. La constitution du Rwanda du 4 juin 2003 mentionne « la division » en son article 33, paragraphe 2, qui dispose
que « Toute propagande à caractère ethnique, régionaliste, raciste
ou basée sur toute autre forme de division est punie par la loi ». En
réalité, « la division » n’est pas répréhensible en elle-même. Elle
ne l’est que si elle peut « générer des conflits » au sein de la population et susciter des « querelles ». Mais la définition reste vague
et se démarque mal du négationnisme. Faut-il que la possibilité de
générer des conflits soit certaine ? Faut-il déceler une intention de
la part de l’auteur ? Faut-il causer un préjudice ? Les enjeux sont
pourtant considérables. Non seulement, ils scellent le sort de ceux
qui sont accusés de divisionnisme, mais ils ouvrent ou ferment l’accès à la vérité. Les magistrats sont amenés à statuer en se fiant à leur
propre interprétation de la loi et doivent manipuler des concepts
aussi importants que celui de la liberté d’expression et d’opinion.
Les citoyens rwandais sont amenés à témoigner et à dire ce qu’ils
savent devant les juridictions gacaca. Il est donc primordial qu’ils
connaissent leurs droits et les limites de leurs droits, pour qu’ils
puissent définir leur champ d’expression. C’est pour eux la seule
façon de pouvoir témoigner en toute sécurité et de révéler ce qu’ils
savent pour enfin mettre la vérité au jour. Les accusations de négationnisme et de divisionnisme sont des moyens d’étouffer l’opposition et font émerger un discours lisse et sans contradictions. Cette
« vérité imposée » engendre cependant la contestation, qui peut
être justifiée, mais aussi maladroite, grossière, inacceptable. Le
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Conclusion

génocide des Tutsi au Rwanda peut également être nié de manière
sournoise et détournée, afin d’échapper aux sanctions. Le silence
imposé aux Rwandais se mue alors en silence coupable.
L’important est de continuer à tenter de comprendre, sans abandonner. On a laissé faire le génocide des Tutsi au Rwanda –
« on », un des pires négationnistes –, il ne faut pas maintenant
laisser le mensonge ronger la mémoire des victimes.

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toutefois à titre personnel, interviewé le 8/07/2005 à Kigali.
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à Kigali.
KABALISA, P., rescapé du génocide, interviewé le 23/12/2004 à
Louvain-la-Neuve.
KABOYI, B., secrétaire exécutif d’Ibuka au Rwanda, interviewé le
11/07/2005 à Kigali.
KOTEK, J., historien, interviewé le 17/12/2004 à Bruxelles.
LANOTTE, O., chercheur au Centre d’étude des crises et conflits
internationaux de l’Université catholique de Louvain, interviewé
le 27/04/2006 par téléphone.
MATATA, J., coordinateur du CLIIR, interviewé le 12/07/2006 à
Louvain-la-Neuve.
MBONYINKEBE SEBAHIRE, D., docteur en anthropologie sociale et
culturelle, enseignant à l’Université nationale du Rwanda, interviewé le 29/07/2005 à Kigali.
MUKARWEBEYA, A., Rwandaise vivant en Belgique depuis 1984,
interviewée le 8/08/2006 à Bruxelles.
MUSAFIRI, I., chargé des relations publiques et de la communication
au service national des juridictions gacaca, interviewé le
11/07/2005 à Kigali.
NTAMPAKA, C., maître de conférence à la Faculté de droit de Namur,
interviewé le 4/07/2006 à Bruxelles.
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développement de l’Université d’Anvers, interviewé le
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l’unité et la réconciliation au Rwanda, interviewé le 7/07/2005 à
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13/07/2005 à Kigali.
RUTEMBESA, F., professeur d’histoire à l’Université nationale du
Rwanda, interviewé le 22/07/2005 à Butare.
SHYIREMBERE, J., coordination projet de monitoring des juridictions
gacaca, interviewé le 7/07/2005 à Kigali.
SINYIGAYA, S., secrétaire exécutif du CLADHO (Collectif des
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TABLE DES MATIÈRES
Préface
Introduction

13

Le génocide et le négationnisme :
exploration des concepts

17

Première partie

7

1. Le génocide : définitions juridique et historique
2. Les génocides dans l’histoire
2.1. Le génocide des Herero (1904-1908)
2.2. Le génocide des Arméniens (1915-1916)
2.3. Le génocide des Juifs (1941-1945)
2.4. Le génocide des Cambodgiens (1975-1979)
2.5. Le génocide des Tutsi au Rwanda (1994)
2.6. Le génocide des Musulmans de Bosnie (1995)
3. Le négationnisme et le révisionnisme : définitions
3.1. Révisionnisme ou négationnisme ?
3.2. Comment combattre le négationnisme ?

17
21
23
23
24
26
29
32
34
34
40

Le cas du Rwanda

45

Seconde partie

1. La colonisation, l’ethnicisation, le génocide
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1.1. La construction du préjugé « ethnique » au Rwanda 46
1.2. Guerre civile et génocide
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1.3. La particularité du génocide des Tutsi au Rwanda 53

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2. Les racines du négationnisme
2.1. La logique de négation inhérente à tout génocide
2.2. La difficulté de la parole au Rwanda
2.3. La « réconciliation » à tout prix
2.4. L’indifférence et les clichés de l’Occident
2.5. Un génocide « réussi » :
inexistence et faiblesse des rescapés
3. Les acteurs du négationnisme
3.1. Les génocidaires
3.2. La communauté internationale
3.3. Les médias
3.3.1. Les médias au Rwanda
3.3.2. Les médias étrangers
3.4. L’Eglise
3.5. Les intellectuels
3.6. Les sympathisants
3.7. La diaspora rwandaise
4. Les arguments du négationnisme
4.1. La colère spontanée, la guerre civile
et l’autodéfense
4.1.1. La colère spontanée
4.1.2. La guerre civile
4.1.3. L’autodéfense
4.2. Les haines ethniques ancestrales
4.3. Le double génocide
4.3.1. Les massacres perpétrés
par le FPR lors de son avancée
4.3.2. Les massacres de 1996 dans la forêt du Kivu

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Table des matières

4.3.3. Les tueries commises par les génocidaires
à l’encontre des opposants hutu
4.4. L’accusation en miroir
4.5. La réconciliation et le devoir d’oubli
5. Les vecteurs du négationnisme au Rwanda
5.1. Des actes plus que des écrits ou que des paroles
5.2. Les rumeurs
5.3. L’enseignement de l’histoire

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Conclusion

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Bibliographie

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